Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme D... B... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux ainsi que des pénalités correspondantes auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010 et 2011.
Par un jugement n° 1802820 du 10 décembre 2019, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour avant cassation :
Par une requête enregistrée le 21 février 2020, et un mémoire enregistré le 29 mars 2022, M. et Mme B..., représentés par Me Lacombe, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 10 décembre 2019 ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux ainsi que des pénalités correspondantes auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010 et 2011 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la procédure d'imposition est entachée d'irrégularité en ce que le service a insuffisamment répondu aux observations des acquéreurs concernant la prise en compte de termes de comparaison au regard d'un prix au m² habitable, méconnaissant de la sorte les dispositions du dernier alinéa de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ;
- l'avantage occulte n'est pas démontré ; les cessions immobilières concernées n'étaient pas éligibles aux dispositifs fiscaux incitatifs et étaient, par suite, de nature à en freiner la vente ; ces cessions ont été réalisées à des prix permettant à la société Estival de dégager des marges confortables ; M. B... n'a aucun lien familial avec le gérant de la société et n'en a jamais été associé ou mandataire social ; ces cessions concernaient des lots bruts de finition ; les rabais octroyés n'avaient rien d'excessif en l'absence de frais de commercialisation ; la détermination de la valeur vénale des biens immobiliers en cause devait être opérée au regard d'un prix au m² habitable et non d'un prix au m² pondéré, comme l'a retenu le service vérificateur ; le service a survalorisé les lots aliénés en prenant en considération pour l'évaluation de leur valeur vénale des m² de terrasse et de balcons qui relèvent des parties communes ; les requérants ont acquis deux appartements, justifiant ainsi l'obtention d'un prix plus avantageux que s'ils avaient fait l'acquisition d'un lot unique ; aucun écart significatif entre le prix de vente et la valeur vénale des deux lots qu'ils ont achetés ne peut par conséquent être établi ;
- les pénalités sont infondées ; l'existence d'une sous-évaluation ne suffit pas à établir, par elle-même, la mauvaise foi ; l'administration ne fait la démonstration ni d'une sous-évaluation manifeste ni de l'implication personnelle du bénéficiaire de la transaction.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 septembre 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Par une décision n° 465663 du 12 mai 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt n° 20BX00646 du 10 mai 2022 par lequel la cour administrative d'appel a rejeté la requête d'appel de M. et Mme B... et a renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Bordeaux où elle a été enregistrée sous le n° 23BX02099.
Procédure devant la cour après cassation :
Par des mémoires enregistrés les 15 mai et 13 juin 2024, MM. D... et Stéphane B..., ce dernier agissant en qualité d'héritier de Mme C... B..., décédée, représentés par la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelievre, Rameix et par Me Rastoul, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 10 décembre 2019 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées, en droits, majorations et intérêts de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les rectifications en litige ne sont pas fondées au regard des articles 109 et 111 du code général des impôts dès lors qu'aucune présomption de libéralité ne peut être mise en œuvre, faute de relations d'intérêts particuliers entre les parties à la transaction ; en l'absence d'intention d'octroyer ou de recevoir une libéralité, la différence entre la valeur vénale des appartements en litige et leur prix de vente ne peut être regardée comme un revenu distribué ;
- en tout état de cause, l'existence d'un écart significatif entre la valeur d'acquisition des biens et leur valeur vénale réelle n'est pas établie ; la reconstitution de la valeur vénale des appartements en litige opérée par l'administration est manifestement infondée dès lors que, d'une part, la méthode de calcul retenue n'est pas pertinente et, d'autre part, que l'administration n'a pas pris en compte les travaux d'aménagement qu'ils ont réalisés à leur charge.
Par des mémoires en défense enregistrés les 22 décembre 2023, 6 juin 2024 et 17 septembre 2024, ce dernier non communiqué, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 22 juillet 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 23 septembre 2024 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lucie Cazcarra,
- les conclusions de Mme Pauline Reynaud, rapporteure publique,
- et les observations de Me Sobrada, représentant Messieurs B....
Considérant ce qui suit :
1. La société civile de construction-vente (SCCV) Estival, créée pour la réalisation d'une opération de construction-vente portant sur un programme immobilier de 121 logements à Toulouse, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration a estimé qu'elle avait accordé un avantage occulte à M. D... B..., à concurrence de la minoration du prix auquel elle lui a cédé deux appartements de cet ensemble. M. et Mme B... ont été assujettis par voie de conséquence, au titre des années 2010 et 2011, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, sur le fondement du c de l'article 111 du code général des impôts, ainsi qu'aux pénalités y afférentes. MM. D... et Stéphane B..., ce dernier agissant en qualité d'héritier de Mme C... B..., décédée, se sont pourvus en cassation contre l'arrêt du 10 mai 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel que M. et Mme B... avaient formé contre le jugement du 10 décembre 2019 du tribunal administratif de Toulouse rejetant leur demande tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires et des pénalités correspondantes. Par une décision du 12 mai 2023, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la Cour.
Sur le bien-fondé des impositions :
2. Aux termes du 1 de l'article 109 du code général des impôts : " Sont considérés comme revenus distribués : 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital (...) ". Aux termes de l'article 111 de ce même code, dans sa version applicable aux années d'imposition en litige : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : (...) c. Les rémunérations et avantages occultes ". En vertu du 3 de l'article 158 de ce même code, sont notamment imposables à l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, les revenus considérés comme distribués en application des articles 109 et suivants du code.
3. En cas de vente par une société à un prix que les parties ont délibérément minoré par rapport à la valeur vénale de l'objet de la transaction, sans que cet écart de prix comporte de contrepartie, l'avantage ainsi octroyé doit être requalifié comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices au sens des dispositions précitées de l'article 111 c du code général des impôts, alors même que l'opération est portée en comptabilité et y est assortie de toutes les justifications concernant son objet et l'identité du co-contractant, dès lors que cette comptabilisation ne révèle pas, par elle-même, la libéralité en cause. La preuve d'une telle distribution occulte doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'est établie l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé, d'autre part, d'une intention, pour la société, d'octroyer, et, pour le co-contractant, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de la cession.
4. Il résulte de l'instruction, qu'à la date des acquisitions en litige, M. B... travaillait en qualité d'agent de service au sein de la société JD Promotion, gérée par M. A.... Bien que la société JD Promotion, qui assurait la gestion du programme immobilier de la société Estival, détienne 99,90 % de cette société, également gérée par M. A..., il n'est nullement démontré ni même soutenu que M. B... aurait participé au capital de l'une de ces sociétés. Ainsi, en l'absence de toute relation d'intérêt établie entre M. B... et la société JD Promotion, d'une part, ou entre M. B... et la société Estival, d'autre part, il incombe à l'administration de prouver l'intention pour la société Estival d'octroyer et, pour M. B..., de recevoir, une libéralité du fait des conditions des cessions.
5. En se bornant à relever que les ventes réalisées au profit de M. B... ont été faites en dessous du prix de vente moyen hors taxe constaté au titre des dizaines d'autres ventes de la société Estival et que M. B... était salarié de la société JD Promotion alors que, d'une part, M. B... avait le simple statut d'agent de service à l'époque des ventes en litige et que, d'autre part, l'administration ne conteste pas que la société Estival a pu dégager une marge positive lors de ces ventes, l'administration fiscale n'établit ni l'intention de la société Estival d'octroyer une libéralité à M. B... ni celle de M. B... de recevoir une telle libéralité, ni, par suite, l'existence d'un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices à ce dernier.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité de la procédure d'imposition, que MM. B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leurs conclusions en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010 et 2011 ainsi que des pénalités correspondantes.
Sur les frais d'instance :
7. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, pour l'ensemble de la procédure, une somme de 2 000 euros à verser à MM. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 10 décembre 2019 est annulé.
Article 2 : MM. B... sont déchargés, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à leur charge dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers au titre des années 2010 et 2011.
Article 3 : L'Etat versera à MM. B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à MM. D... et Stéphane B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.
Délibéré après l'audience du 16 janvier 2025 à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président,
Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente de chambre,
Mme Lucie Cazcarra, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 février 2025.
La rapporteure,
Lucie CazcarraLe président,
Luc DerepasLa greffière,
Laurence Mindine
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX02099