Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association Mémoires et Partages a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision du 9 novembre 2020 par laquelle la maire de la commune de Biarritz a rejeté sa demande d'abrogation des délibérations par lesquelles le conseil municipal a donné le nom " A... " à un quartier et à une rue de la ville.
Par un jugement n° 2002396 du 21 décembre 2023, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 janvier et 27 septembre 2024, l'association Mémoires et Partages, représentée par Me Bourdon, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2002396 du tribunal administratif de Pau du 21 décembre 2023 ;
2°) d'annuler la décision du 9 novembre 2020 par laquelle la maire de la commune de Biarritz a rejeté sa demande d'abrogation des délibérations par lesquelles le conseil municipal a donné le nom " A... " à un quartier et à une rue de la ville ;
3°) d'enjoindre au conseil municipal de la commune de Biarritz de procéder à l'abrogation des délibérations ayant baptisé du nom " A... " un quartier et une rue de la ville, dans un délai de deux mois sous astreinte de 1'000 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Biarritz la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle justifie de son intérêt à agir ;
- le jugement est entaché d'une erreur d'appréciation ; le fait de baptiser le quartier " A... " ne peut être regardé comme un hommage rendu à la personne ainsi désignée mais relève de l'insulte ; ce nom a suscité des réactions dans le quartier ; son usage porte fondamentalement atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et ne peut seulement relever d'une " connotation péjorative " ;
- le terme " nègre " relève d'un jugement de valeur et n'est pas simplement descriptif ;
- le maire a commis une erreur de droit en refusant, le 9 novembre 2020, d'inscrire à l'ordre du jour du conseil municipal l'abrogation des délibérations du conseil municipal ayant ainsi baptisé un quartier et une rue de la ville.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 juillet 2024, et un mémoire complémentaire enregistré le 29 septembre 2024, qui n'a pas été communiqué, la commune de Biarritz, représentée par Me Cambot, conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable ; l'association requérante ne justifie pas de son intérêt à agir ; elle ne démontre pas le lien entre son objet statutaire et les effets de l'acte ; son objet statutaire est sans rapport direct avec la sauvegarde de la dignité de la personne humaine qui n'est pas mentionnée dans les statuts ; la décision querellée ne soulève pas des questions qui, par leur nature ou leur objet, excèdent les seules circonstances locales ;
- les moyens soulevés par l'association ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 30 septembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 25 octobre 2024 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Martin,
- les conclusions de Mme Pauline Reynaud, rapporteure public,
- et les observations de Me Grossi, représentant l'association Mémoires et partages, et Me Cambot, représentant la commune de Biarritz.
Une note en délibéré présentée par la commune de Biarritz a été enregistrée le 23 janvier 2025.
Une note en délibéré présentée par l'association Mémoires et partages a été enregistrée le 3 février 2025.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 9 novembre 2020, le maire de la commune de Biarritz a rejeté la demande de l'association Mémoires et partages, formée le 19 octobre 2019, tendant à l'abrogation par le conseil municipal des délibérations des 22 octobre 1861 et 1er juillet 1986 de ce même conseil ayant dénommé un quartier et une rue de la commune de Biarritz " A... ". L'association Mémoires et partages relève appel du jugement n° 2002396 du 21 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande dirigée contre sa décision.
Sur la fin de non-recevoir :
2. Si, en principe, le fait qu'une décision administrative ait un champ d'application territorial fait obstacle à ce qu'une association ayant un ressort national justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour en demander l'annulation, il peut en aller autrement lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales.
3. Aux termes de l'article 3 des statuts adoptés le 19 février 2015, l'association Mémoires et partages, qui a son siège social en Nouvelle-Aquitaine, a notamment pour objet la promotion d'un travail de mémoire apaisé autour des héritages de la colonisation au niveau local, national et international, le développement du concept de dialogue des mémoires, la valorisation de la gouvernance mémorielle par le biais des politiques publiques locales, nationales et internationales ainsi que la volonté de sortir de l'oubli la traite des noirs et ses conséquences. Conformément à son champ d'action, son objet et ses actions, définis à l'article 4 de ses statuts, qui comprennent notamment des campagnes de sensibilisation et d'actions citoyennes, l'association soutient que la décision en litige, par laquelle le maire de la commune a refusé de soumettre au conseil municipal l'abrogation des délibérations ayant dénommé un quartier et une rue de la commune de Biarritz " A... " revêt une connotation raciste, péjorative et susceptible de porter atteinte à la dignité humaine. En raison de ses implications notamment dans le domaine de la lutte contre le racisme, la décision en litige revêt une portée excédant son seul objet local. Dans ces conditions, l'association justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation de la décision contestée. La fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de l'association appelante, opposée en défense, doit, par suite, être écartée.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. Le nom d'un lieu-dit situé sur le territoire d'une commune trouve généralement son origine dans la géographie ou la topographie, est hérité de l'histoire ou est forgé par les usages. Aucun texte législatif ou réglementaire ne prévoit qu'il appartient au conseil municipal de la commune ou à une autre autorité administrative d'attribuer un nom à un lieu-dit ou de modifier un nom existant. Toutefois, en application des dispositions de l'article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales, selon lesquelles le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune, le conseil municipal est compétent, dans le cas où un intérêt public local le justifie, pour décider de modifier le nom d'un lieu-dit situé sur le territoire de la commune.
5. L'association Mémoires et partages soutient que l'usage du terme " A... " pour dénommer un quartier et une rue de la commune de Biarritz porte atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, par son caractère offensant, raciste et insultant. Elle mentionne le choix de la SNCF de retirer ce terme de la dénomination de la gare de Biarritz, située dans ce quartier, ainsi que la décision d'une officine de pharmacie qui a procédé de même, ainsi qu'au plan national et international, de la volonté de plusieurs institutions de s'abstenir de l'usage de termes considérés comme offensants parmi lesquels le mot " nègre ", pour nommer des lieux ou des œuvres culturelles.
6. Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel renvoie le Préambule de la Constitution de 1958, dispose en son premier alinéa que :" (...) le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. (...) et en son troisième alinéa que " La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ". Aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :" La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ".
7. Il ressort des pièces du dossier qu'au 19ème siècle, Biarritz était composé de plusieurs quartiers ou hameaux, dont celui dénommé " hameau de Harausta " autrement appelé " A... ", distant du centre d'environ 3 kilomètres. Selon plusieurs sources, cette appellation aurait été attribuée par des soldats napoléoniens du début du 19ème siècle en raison de la présence d'une auberge tenue dans le quartier " par une femme très brune " et aurait supplanté, selon les historiens, le nom basque à compter de 1851. Alors qu'il ressort des pièces du dossier que la femme à l'origine de l'appellation du quartier n'a pas été formellement identifiée, la référence à son souvenir par le choix fait depuis plus d'un siècle d'appeler le quartier " A... " comporterait, selon la commune de Biarritz, une dimension seulement historique à relier avec le passé de ce quartier. D'autres sources attribuent l'origine du terme à l'expression gasconne " lane gresse ", désignant une terre d'argile présente dans cette partie de la commune. Toutefois, quelle que soit l'origine supposée de ce terme, il est constant qu'à la date de la décision attaquée, il évoque en des termes dévalorisants l'origine raciale d'une femme, de nature à porter atteinte à la dignité de la personne humaine, et peut être perçu par la population, qu'elle soit résidente ou de passage, comme offensant à l'égard des personnes d'origine africaine. Par suite, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation doit être accueilli.
8. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, l'association requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 9 novembre 2020 par laquelle la maire de la commune de Biarritz a rejeté sa demande tendant à l'abrogation des délibérations des 22 octobre 1861 et 1er juillet 1986 par lesquelles le conseil municipal a donné le nom " A... " à un quartier et à une rue de la ville.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
9. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ". L'article L. 2121-10 du code général des collectivités territoriales dispose que toute convocation du conseil municipal est faite par le maire et indique les questions portées à l'ordre du jour.
10. L'exécution du présent arrêt implique qu'il soit enjoint au maire de la commune de Biarritz de saisir le conseil municipal pour que ce dernier procède à l'abrogation des délibérations ayant baptisé du nom " A... " un quartier et une rue de la ville, dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'association Mémoires et Partages le versement de la somme demandée par la commune de Biarritz au titre des frais de l'instance. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la commune de Biarritz le versement à l'association Mémoires et partages d'une somme de 1 500 euros demandée sur le même fondement.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2002396 du tribunal administratif de Pau en date du 21 décembre 2023 et la décision du 9 décembre 2020 du maire de la commune de Biarritz sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au maire de la commune de Biarritz de saisir le conseil municipal pour que ce dernier procède à l'abrogation des délibérations ayant baptisé du nom " A... " un quartier et une rue de la ville, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : La commune de Biarritz versera la somme de 1 500 euros à l'association Mémoires et partages sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions présenté par l'association Mémoires et partages et les conclusions présentées par la commune de Biarritz sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Mémoires et partages et à la commune de Biarritz.
Copie en sera communiquée au préfet des Pyrénées-Atlantiques.
Délibéré après l'audience du 16 janvier 2025 à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
Mme Lucie Cazcarra, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 février 2025.
La rapporteure,
Bénédicte MartinLe président,
Luc Derepas La greffière,
Laurence Mindine
La République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Atlantiques en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX00144