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25/03/2025 | FRANCE | N°23BX00236

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, 25 mars 2025, 23BX00236


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... Joffroy a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision par laquelle le maire de la commune de Ludon-Médoc a rejeté sa demande de protection fonctionnelle, reçue le 16 juin 2020, et d'enjoindre au maire de la commune de Ludon-Médoc, d'une part, de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, après inscription de sa demande de protection à l'ordre du jour du prochain conseil municipal puis vote de ce conseil municipal et, d'autre part

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... Joffroy a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision par laquelle le maire de la commune de Ludon-Médoc a rejeté sa demande de protection fonctionnelle, reçue le 16 juin 2020, et d'enjoindre au maire de la commune de Ludon-Médoc, d'une part, de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, après inscription de sa demande de protection à l'ordre du jour du prochain conseil municipal puis vote de ce conseil municipal et, d'autre part, d'inscrire à l'ordre du jour du prochain conseil municipal, une demande d'engagement de travaux nécessaires à l'accessibilité des bâtiments communaux aux personnes à mobilité réduite.

Elle a également demandé à ce tribunal de condamner la commune de Ludon-Médoc à lui verser la somme de 35 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 juin 2020 avec capitalisation, en réparation, d'une part, des faits de harcèlement moral et de discrimination qu'elle a subis et, d'autre part, de l'inaccessibilité des bâtiments communaux aux personnes à mobilité réduite.

Par un jugement n° 2004581 du 24 novembre 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 24 janvier 2023, Mme Joffroy, représentée par Me Caijeo, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 24 novembre 2022 du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) d'annuler la décision implicite par laquelle le maire de la commune de Ludon-Médoc a rejeté sa demande de protection fonctionnelle et son recours indemnitaire ;

3°) de condamner la commune de Ludon-Médoc à lui verser la somme de 35 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 juin 2020, avec capitalisation ;

4°) d'enjoindre à la commune de Ludon-Médoc de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, après inscription de sa demande de protection à l'ordre du jour d'un prochain conseil municipal puis vote de ce conseil municipal ;

5°) d'enjoindre à la commune de Ludon-Médoc d'inscrire à l'ordre du jour d'un prochain conseil municipal une demande d'engagement de travaux nécessaires à l'accessibilité des établissements communaux aux personnes à mobilité réduite ;

6°) de mettre à la charge de la commune de Ludon-Médoc la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

S'agissant des conclusions indemnitaires :

- la responsabilité de la commune doit être engagée en raison de son inaction face à une situation de harcèlement moral, prévue par l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 et définie par les articles L. 1152-1 du code du travail et 222-33-2 du code pénal ; les quatre éléments exigés pour reconnaitre le harcèlement d'un agent sont constitués ; elle a subi des agissements répétés sur une période de quelques mois qui ont entrainé une dégradation de ses conditions de travail et portent atteinte à son droit à la dignité et à la santé physique ou mentale ainsi qu'à son avenir professionnel ; c'est à tort que le tribunal a jugé que les faits de harcèlement moral n'étaient pas constitués compte tenu d'une réunion organisée par le maire en juillet 2018 ;

- la responsabilité de la commune doit être engagée en raison de son inaction face à une situation de discrimination du fait de son état de handicap, telle que défini par l'article 6 sexies de la loi du 13 juillet 1983, de la loi du 27 mai 2008 et de l'article 26 du pacte international relatif aux droits civils et politiques ; elle a été victime de faits de discrimination directe et indirecte ;

- la responsabilité sans faute de la commune doit être engagée compte tenu du caractère d'ouvrage public exceptionnellement dangereux de la rampe d'accès à la salle municipale Jean Moulin ; l'accès à cette salle, qu'elle emprunte régulièrement en qualité de trésorière de l'association des anciens combattants, est dangereux pour les personnes à mobilité réduite ;

- la responsabilité sans faute de la commune doit être engagée pour défaut d'entretien normal d'un ouvrage public, dès lors que les accès à la bibliothèque municipale et à la salle Jean Moulin ne présentent aucune condition garantissant leur entretien normal ; elle a chuté le 10 avril 2018 et le 11 novembre 2022 ; c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'elle n'a subi aucun dommage alors que ces chutes sont attestées par les pièces du dossier ; aucune solution compensatoire de mise aux normes n'a été mise en œuvre dans le délai imparti par la loi du 11 février 2005 ;

- la responsabilité sans faute de la commune doit être engagée pour rupture d'égalité devant les charges publiques ; l'attitude inactive de la commune lui a fait supporter, au nom de l'intérêt général, des charges particulières et un risque réel sur l'exercice de ses droits personnels et professionnels en sa qualité de personne à mobilité réduite ;

- la responsabilité pour faute de la commune doit être engagée dès lors que la loi du 11 février 2005 a posé une obligation générale d'aménager les établissements existants recevant du public pour permettre l'accès et la circulation des personnes handicapées, obligation reprise par les articles L. 111-7 et suivants du code de la construction et de l'habitation, et précisée par le décret n° 2006-1657 du 21 décembre 2006 relatif à l'accessibilité de la voirie et des espaces publics, l'article 1er de l'arrêté du 15 janvier 2007 portant application du décret n° 2006-1658 du 21 décembre 2006 relatif aux prescriptions techniques pour l'accessibilité de la voirie et des espaces publics, ainsi que l'arrêté du 8 décembre 2014 fixant les dispositions prises pour l'application des articles R. 111-19-7 à R. 111-19-11 du code de la construction et de l'habitation et de l'article 14 du décret n° 2006-555 relatives à l'accessibilité aux personnes handicapées des établissements recevant du public situés dans un cadre bâti existant et des installations existantes ouvertes au public ; c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'elle ne précisait pas les dispositions méconnues par les ouvrages appartenant à la commune ; en l'espèce, le cheminement extérieur et les accès vers la bibliothèque municipale, les locaux administratifs de la mairie et la salle Jean Moulin, ainsi que le cheminement intérieur de la mairie ne lui sont pas accessibles ; l'attestation du maire sur l'engagement de la commune ne saurait suffire ;

- elle est fondée à demander l'indemnisation de son manque à gagner, évalué à la somme de 4 500 euros, correspondant au montant des indemnités de fonctions de conseillère municipale déléguée qu'elle aurait dû percevoir jusqu'au terme de son mandat en l'absence de carence fautive de la commune, assortis des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;

- elle a subi un préjudice moral qui s'évalue, d'une part, à 20 000 euros à raison de son état de santé résultant de la carence de la commune dans la gestion des relations de travail avec l'agent de bibliothèque et d'autre part, à 10 000 euros à raison des difficultés d'accessibilité des locaux de la commune, ces sommes devant être assorties des intérêts au taux légal et de leur capitalisation.

S'agissant de la demande de protection fonctionnelle :

- en raison des agissements de harcèlement moral et des faits de discrimination subis, elle a droit au bénéfice de la protection fonctionnelle, en application de l'article L. 2123-35 du code général des collectivités territoriales ; la circonstance qu'elle ait démissionné de ses fonctions est sans incidence dès lors que les faits commis à son égard, l'ont été durant son mandat et présentent un lien suffisant avec ses anciennes fonctions électives ;

- l'octroi de la protection fonctionnelle doit aboutir à la prise en charge d'honoraires, à la traduction de l'auteur des menaces et attaques devant un conseil de discipline, et à l'affirmation publique du soutien de la commune à son égard.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 mai 2023, la commune de Ludon-Médoc, représentée par Me Boissy, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme Joffroy au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions à fin d'injonction sont irrecevables dès lors qu'aucun des moyens soulevés par l'appelante ne sont de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué et de la décision implicite de rejet de ses demandes ;

- aucun agissement ou faute ne lui est imputable ;

- l'existence d'un lien direct de causalité entre les agissements et fautes allégués et les dommages invoqués n'est pas établie ;

- la demande tendant à l'octroi de la protection fonctionnelle doit être rejetée.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code pénal ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- la loi n° 2015-988 du 5 août 2015 ;

- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;

- l'arrêté du 8 décembre 2014 fixant les dispositions prises pour l'application des articles R. 111-19-7 à R. 111-19-11 du code de la construction et de l'habitation et de l'article 14 du décret n° 2006-555 relatives à l'accessibilité aux personnes handicapées des établissements recevant du public situés dans un cadre bâti existant et des installations existantes ouvertes au public ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Vincent Bureau,

- les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public,

- les observations de Me Caijeo, représentant Mme Joffroy ;

- et celles de Me Dubois, représentant la commune de Ludon-Médoc.

Considérant ce qui suit :

1. Mme Joffroy, conseillère municipale de la commune de Ludon-Médoc à compter de 2014 et jusqu'au 7 août 2018, date de sa démission, était affectée aux commissions municipales " vie associative, emploi, jeunesse ", " écoles, communication, citoyenneté " et " culture, devoir de mémoire ". S'agissant de cette dernière commission, elle était " conseillère déléguée " chargée notamment du " suivi du travail de la bibliothèque ". Suite à l'arrivée d'une nouvelle bibliothécaire recrutée à compter du 14 avril 2018, Mme Joffroy a alerté le maire à plusieurs reprises sur les difficultés relationnelles et professionnelles rencontrées avec cette dernière. Par un courrier du 12 juin 2020, reçu le 16 juin suivant, Mme Joffroy a demandé à la commune de Ludon-Médoc, d'une part, le bénéfice de la protection fonctionnelle et, d'autre part, de l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis, tant en raison du harcèlement moral qu'elle estime avoir subi qu'en raison du non respect par la commune de la réglementation sur les normes d'accès des bâtiments d'accès aux personnes à mobilité réduite. Ces demandes ont été implicitement rejetées. Mme Joffroy relève appel du jugement du 24 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes d'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande de protection fonctionnelle et de condamnation de la commune de Ludon-Médoc à l'indemniser de ses préjudices.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité pour faute :

S'agissant de la carence dans la mise en œuvre des exigences légales d'aménagement des établissements publics :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 111-7 du code de la construction et de l'habitation, alors applicable : " Les dispositions architecturales, les aménagements et équipements intérieurs et extérieurs des locaux d'habitation, qu'ils soient la propriété de personnes privées ou publiques, des établissements recevant du public, des installations ouvertes au public et des lieux de travail doivent être tels que ces locaux et installations soient accessibles à tous, et notamment aux personnes handicapées, quel que soit le type de handicap, notamment physique, sensoriel, cognitif, mental ou psychique, dans les cas et selon les conditions déterminés aux articles L. 111-7-1 à L. 111-7-3. Ces dispositions ne sont pas obligatoires pour les propriétaires construisant ou améliorant un logement pour leur propre usage ". Aux termes de l'article L. 111-7-3 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 5 août 2015 ratifiant l'ordonnance n° 2014-1090 du 26 septembre 2014 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées et visant à favoriser l'accès au service civique pour les jeunes en situation de handicap : " Le propriétaire ou l'exploitant d'un établissement recevant du public existant à la date du 31 décembre 2014 transmet à l'autorité administrative dans le délai prévu à l'article L. 111-7-6 un document établissant la conformité de cet établissement aux exigences d'accessibilité prévues au présent article dont le contenu est défini par décret. A défaut il soumet à cette autorité un agenda d'accessibilité programmée dans les conditions définies aux articles L. 111-7-5 à L. 111-7-11 ". Aux termes de l'article L. 111-7-6 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 5 août 2015 : " I. - Le projet d'agenda d'accessibilité programmée doit être déposé dans les douze mois suivant la publication de l'ordonnance n° 2014-1090 du 26 septembre 2014. / L'autorité administrative compétente peut autoriser, par décision motivée, la prorogation de ce délai pour une durée maximale de trois ans dans le cas où les difficultés financières liées à l'évaluation ou à la programmation des travaux le justifient, de douze mois dans le cas où les difficultés techniques liées à l'évaluation ou à la programmation des travaux le justifient ou de six mois en cas de rejet d'un premier agenda. (...) ". Enfin, aux termes de l'article D. 111-19-45 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Lorsqu'un agenda d'accessibilité programmée comportant plus d'une période est approuvé, le propriétaire ou l'exploitant adresse au préfet ayant approuvé cet agenda par pli recommandé avec demande d'avis de réception, ainsi qu'à chacune des commissions pour l'accessibilité prévues à l'article L. 2143-3 du code général des collectivités territoriales des communes concernées : / - un point de situation sur la mise en œuvre de l'agenda à l'issue de la première année ; / - un bilan des travaux et autres actions de mise en accessibilité réalisés à la moitié de la durée de l'agenda ; / - un bilan de fin d'agenda dans les deux mois qui suivent l'achèvement de cet agenda. / Un arrêté du ministre chargé de la construction précise le contenu minimal de ces documents. / Ces documents sont établis par le maître d'ouvrage ou le maître d'œuvre, qui peut être l'architecte qui suit les travaux. / L'arrêté définit le contenu minimal des points de situation à l'issue de la première année et des bilans des travaux et autres actions de mise en accessibilité réalisés à la moitié de la durée de l'agenda d'accessibilité programmée ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 8 décembre 2014 fixant les dispositions prises pour l'application des articles R. 111-19-7 à R. 111-19-11 du code de la construction et de l'habitation et de l'article 14 du décret n° 2006-555 relatives à l'accessibilité aux personnes handicapées des établissements recevant du public situés dans un cadre bâti existant et des installations existantes ouvertes au public : " Les dispositions du présent arrêté sont prises pour l'application des dispositions des articles R. 111-19-7 à R. 111-19-11 du code de la construction et de l'habitation et de l'article 14 du décret n° 2006-555 du 17 mai 2006 susvisé. / Les dispositions architecturales et les aménagements propres à assurer l'accessibilité des établissements recevant du public situés dans un cadre bâti existant et des installations existantes, avec ou sans travaux, satisfont aux obligations définies aux articles 2 à 19. / Des solutions d'effet équivalent peuvent être mises en œuvre dès lors que celles-ci satisfont aux mêmes objectifs que les solutions prescrites par le présent arrêté. Lorsqu'une solution d'effet équivalent est mise en œuvre, le maître d'ouvrage transmet au représentant de l'Etat dans le département, préalablement aux travaux, les éléments permettant de vérifier que cette solution satisfait aux objectifs d'accessibilité. Ces éléments sont transmis en trois exemplaires sauf s'ils sont transmis par voie électronique. Le représentant de l'Etat notifie sa décision motivée, dans les trois mois qui suivent la réception des éléments, après avoir consulté la commission compétente en application de l'article R.* 111-19-30 du code de la construction et de l'habitation. A défaut de réponse de la commission dans un délai de deux mois à compter de la transmission de la demande d'avis, celui-ci est réputé favorable. A défaut de réponse du représentant de l'Etat dans le département dans le délai de trois mois à compter de la date à laquelle il a reçu la demande d'accord, celui-ci est réputé acquis. / Les dispositions des articles 5 à 19 concernant les espaces de manœuvre avec possibilité de demi-tour, les espaces de manœuvre de porte et l'espace d'usage devant, au droit, à l'aplomb ou situés latéralement aux équipements et la distance minimale entre la poignée de porte et un angle rentrant ne s'appliquent pas : - pour les étages ou niveaux non accessibles aux personnes circulant en fauteuil roulant. ". Aux termes de l'article 2 de cet arrêté : " Dispositions relatives aux cheminements extérieurs. (...) Lorsqu'une dénivellation ne peut être évitée, un plan incliné de pente inférieure ou égale à 6 % est aménagé afin de la franchir. Les valeurs de pentes suivantes sont tolérées exceptionnellement : - jusqu'à 10 % sur une longueur inférieure ou égale à 2 m ; - jusqu'à 12 % sur une longueur inférieure ou égale à 0,50 m. B... de repos : Un palier de repos est nécessaire en haut et en bas de chaque plan incliné, quelle qu'en soit la longueur. En cas de plan incliné de pente supérieure ou égale à 5 %, un palier de repos est nécessaire tous les 10 m. (...) ". Aux termes de l'article 3 de cet arrêté : " Dispositions relatives au stationnement automobile. (...) Dans le respect des prescriptions définies à l'annexe 3 concernant l'information et la signalisation, les emplacements adaptés et réservés sont signalés. Chaque place adaptée destinée au public est repérée par un marquage au sol ainsi qu'une signalisation verticale. (...). ". Aux termes de l'article 10 de cet arrêté : " Dispositions relatives aux portes, portiques et sas. / I. - Usages attendus : Toutes les portes situées sur les cheminements permettent le passage des personnes handicapées et peuvent être manœuvrées par des personnes ayant des capacités physiques réduites, y compris en cas de système d'ouverture complexe. Les portes comportant une partie vitrée importante peuvent être repérées par les personnes malvoyantes de toutes tailles et ne créent pas de gêne visuelle. (...) II. - Caractéristiques minimales : Pour satisfaire aux exigences du I, les portes et sas répondent aux dispositions suivantes : (...) L'effort nécessaire pour ouvrir la porte est inférieur ou égal à 50 N, que la porte soit ou non équipée d'un dispositif de fermeture automatique. (...) ".

4. Mme Joffroy soutient, en produisant quelques photographies à l'appui de ses dires, que la commune de Ludon-Médoc a méconnu le cadre législatif et réglementaire relatif à l'accessibilité des établissements recevant du public aux personnes à mobilité réduite, tel que décrit par les dispositions précitées. La commune, pour sa part, fait valoir qu'elle a adopté un agenda d'accessibilité programmée le 8 décembre 2015 pour une durée de six ans, auquel Mme Joffroy a participé, produit le point de situation du 20 avril 2017 sur les sept établissements recevant du public concernés, et précise sans être contredite avoir respecté le calendrier de cet agenda. S'agissant plus particulièrement du bâtiment principal de la mairie, la requérante critique d'abord le poids de la porte non blocable, mais l'arrêté du 8 décembre 2014 ne prévoit pas de dispositif de blocage obligatoire et il n'est pas établi que l'effort nécessaire pour ouvrir la porte serait supérieur à 50 N. Ensuite, il ne résulte pas de l'instruction que les espaces de manœuvre de la porte prévus par l'annexe 2 de l'arrêté, soit 1,70 m d'un côté, et 2,20 m de l'autre, ne seraient pas respectés. La mairie de Ludon-Médoc a par ailleurs équipé le bâtiment en 2015, pour une somme totale de 17 618,50 euros, d'une plateforme élévatrice verticale pour personnes à mobilité réduite. Si Mme Joffroy critique cet équipement, au motif que son utilisation nécessite un accompagnement, qu'aucune signalétique ne prévient de l'ouverture de la porte, qu'elle qualifie de violente, et que le bouton doit être maintenu en permanence sous peine de blocage violent ou de soubresauts, il n'en résulte pour autant aucune méconnaissance des caractéristiques minimales d'un tel équipement, fixées par le 4.2 de l'article 7 de l'arrêté. Mme Joffroy reproche aussi à l'ascenseur de la mairie une porte trop lourde et son étroitesse, ainsi que des défauts de signalisation, mais sans préciser quelles dispositions de l'arrêté seraient méconnues. S'agissant du bâtiment de la bibliothèque, la requérante fait valoir que l'accès ne se situe pas dans la continuité du cheminement extérieur et qu'il nécessite de franchir deux marches, en méconnaissance de l'article 4 de l'arrêté. Toutefois, il ressort des écritures mêmes de l'appelante que l'accès peut se faire par la mairie, s'agissant du même bâtiment. En outre, la commune établit avoir installé un plan incliné d'accès à la fin de l'année 2021. S'agissant du bâtiment de la Maison des associations, Mme Joffroy critique une porte trop lourde, sans davantage de précisions permettant de déduire une méconnaissance des dispositions précitées. Si elle déplore également que l'étage de ce bâtiment ne soit pas accessible aux personnes en fauteuil roulant, il ne résulte pas de l'instruction, ni n'est du reste pas allégué, que la commune aurait été tenue d'y installer un ascenseur ou un dispositif équivalent en application de l'article 7 de l'arrêté. S'agissant enfin de la salle municipale dénommée " Jean Moulin ", la requérante soutient que la rampe permanente d'accès pour personnes en fauteuil roulant, qui comporte un tournant à angle droit en son milieu compte tenu de l'architecture du bâtiment, serait dangereuse. Elle estime que la hauteur du muret est insuffisante, mais l'article 4 de l'arrêté interdit uniquement les vides, et le garde-fou d'une hauteur comprise entre 20 et 30 cm n'est pas insuffisant. L'inclinaison de la pente peut être évaluée à un peu moins de 6 %, compte tenu des mesures apparaissant sur les photographies produites, et apparaît ainsi conforme au a) du 2° du II de l'article 2 de l'arrêté, contrairement à ce que soutient la requérante. Enfin, si ce même arrêté prévoit un palier de repos en haut et en bas de chaque plan incliné, la rampe constitue en l'espèce un unique plan incliné, quand bien même elle comporte un tournant. Dans ces conditions, il ne peut être reproché à la commune d'avoir méconnu ses obligations découlant des dispositions citées aux points 2 et 3.

S'agissant de la responsabilité pour faute de la commune en raison de son inaction face aux agissements de harcèlement moral et pour des faits de discrimination :

5. D'une part, aux termes de l'article 1er de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations : " Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement (...) de son handicap, (...) une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable. / Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés. (...) ". Aux termes de l'article 4 de cette même loi : " Toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination (...) ".

6. D'autre part, aux termes de l'article L. 2123-35 du code général des collectivités territoriales : " Le maire ou les élus municipaux le suppléant ou ayant reçu délégation bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la commune conformément aux règles fixées par le code pénal, les lois spéciales et le présent code. La commune est tenue de protéger le maire ou les élus municipaux le suppléant ou ayant reçu délégation contre les violences, menaces ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion ou du fait de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...) ". Ces dispositions instituent au profit des élus qu'elles visent lorsqu'ils ont été victimes d'attaques dans l'exercice de leurs mandats, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général et dans la mesure où une faute personnelle détachable du mandat ne leur est pas imputable. Si cette obligation peut avoir pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'intéressé est exposé, mais aussi de lui assurer une réparation adéquate des torts qu'il a subis¸ laquelle peut notamment consister à assister, le cas échéant, l'élu dans les poursuites judiciaires qu'il entreprend pour se défendre, il appartient dans chaque cas à la collectivité publique d'apprécier, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de la question posée au juge et de la gravité des faits qui font l'objet des poursuites entreprises, les modalités appropriées à l'objectif poursuivi.

7. Mme Joffroy soutient que la responsabilité de la commune de Ludon-Médoc doit être engagée en raison de l'inaction, voire de l'attitude discriminatoire du maire, alors qu'elle subissait un harcèlement moral de la part d'un agent contractuel de la bibliothèque, Mme C..., recrutée en avril 2018. Elle évoque des brimades et propos dégradants de la part de cet agent, qui ne respectait pas son état de handicap, ne l'assistait pas lorsqu'elle rencontrait des difficultés d'accessibilité ou encore lui serrait la main trop fort, et produit les témoignages de deux auxiliaires de vie et de conseillers municipaux dont il ressort que le maire aurait pris le parti de Mme C... et fait preuve de déconsidération à l'égard de la requérante. Toutefois, s'il résulte de l'instruction que Mme Joffroy entretenait des relations conflictuelles avec Mme C..., l'intéressée n'établit pas par les seules attestations produites, peu circonstanciées, la réalité de la situation de harcèlement moral et de discrimination dont elle se prévaut. La circonstance, à la supposer établie, que Mme C... ne l'aurait pas aidée lors d'une chute survenue devant la porte de la bibliothèque le 18 avril 2018 est également insuffisante en soi pour caractériser une telle situation, alors qu'au demeurant Mme Joffroy était ce jour-là accompagnée d'une auxiliaire de vie. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que le maire de Ludon-Médoc serait resté inactif face à cette situation conflictuelle, ou a fortiori à l'origine lui-même d'une situation de harcèlement, alors que celui-ci a notamment organisé une réunion de conciliation en juillet 2018, à laquelle participaient, outre le maire, la secrétaire générale, la bibliothécaire et Mme Joffroy. Enfin, il résulte de ce qui a été dit au point 4 du présent arrêt que cette dernière ne saurait invoquer une situation de discrimination en raison de l'inaccessibilité des locaux communaux aux personnes à mobilité réduite. Dans ces conditions, alors même que Mme Joffroy fait valoir qu'elle a souffert d'un syndrome anxio-dépressif et a démissionné de son mandat de conseillère municipale en août 2018, sans établir le lien entre ces circonstances et les faits qu'elle dénonce, elle n'apporte pas plus en appel qu'en première instance d'éléments suffisants pour faire présumer l'existence de comportements constitutifs d'un harcèlement moral de la part de Mme C... et du maire de Ludon-Médoc. La responsabilité de la commune ne saurait donc être engagée à ce titre.

En ce qui concerne la responsabilité sans faute :

S'agissant de la responsabilité sans faute de la commune fondée sur le risque en raison d'un ouvrage exceptionnellement dangereux :

8. La responsabilité d'une collectivité publique peut être engagée à l'égard des usagers, même en l'absence de tout défaut d'aménagement ou d'entretien normal, lorsque l'ouvrage, en raison de la gravité exceptionnelle des risques auxquels sont exposés les usagers du fait de sa conception même, doit être regardé comme présentant par lui-même le caractère d'un ouvrage exceptionnellement dangereux.

9. Toutefois, en l'espèce, il ne résulte pas de l'instruction que la rampe d'accès à la salle municipale Jean Moulin, par ses caractéristiques et le risque éventuel qu'elle peut générer, eu égard notamment à ce qui a été indiqué au point 4, aurait pour conséquence que cette rampe devrait être regardée comme un ouvrage exceptionnellement dangereux, ainsi que le soutient la requérante.

S'agissant de la responsabilité sans faute de la commune pour défaut d'entretien normal de l'ouvrage public :

10. Il appartient à la victime d'un dommage survenu à l'occasion de l'utilisation d'un ouvrage public d'apporter la preuve du lien de causalité entre ledit ouvrage dont elle était usagère et le dommage dont elle se prévaut. La collectivité en charge de l'ouvrage public doit alors, pour que sa responsabilité ne soit pas retenue, établir que l'ouvrage public faisait l'objet d'un entretien normal ou que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure.

11. Mme Joffroy soutient que les accès à la bibliothèque municipale et à la salle Jean Moulin souffrent d'un défaut d'entretien normal à l'origine d'une chute dont elle a été victime le 10 avril 2018. Toutefois, alors que les premiers juges ont estimé à juste titre qu'elle n'apportait pas la preuve du dommage causé selon elle par l'ouvrage public, la requérante se borne en appel à reprendre sur ce point ses écritures de première instance sans apporter d'éléments supplémentaires quant aux circonstances de l'accident allégué et de nature à établir sa réalité ainsi que son lien de causalité avec l'ouvrage. Elle se prévaut également devant la cour d'une nouvelle chute qui serait survenue le 11 novembre 2022 en empruntant la rampe d'accès à la salle Jean Moulin et dont aurait été témoin son époux. Cependant, en l'absence d'éléments suffisamment probants apportés par la requérante quant aux circonstances de ce second accident, aux dommages subis et à l'imputabilité directe et certaine de cet accident à un vice de la rampe, la responsabilité de la commune ne saurait être engagée à raison d'un défaut d'entretien normal de l'ouvrage public.

S'agissant de la responsabilité sans faute pour rupture d'égalité devant les charges publiques :

12. Mme Joffroy soutient que la responsabilité de la commune est caractérisée par " les charges particulières et le risque réel sur l'exercice de ses droits personnels et professionnels en sa qualité de personne mobilité réduite " que lui a causé l'attitude inactive de la commune dans l'adaptation des bâtiments municipaux à l'accès et à l'accueil des personnes handicapées. Toutefois, ainsi qu'il a été dit précédemment, la commune justifie avoir adopté un agenda d'accessibilité programmée et il ne résulte pas de l'instruction qu'il puisse lui être reproché d'avoir été négligente dans l'adaptation des bâtiments municipaux. Par suite, la responsabilité de la commune de Ludon-Médoc ne peut être engagée à ce titre.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

13. D'une part, la décision implicite par laquelle la commune a rejeté le recours préalable indemnitaire formé par Mme Joffroy a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de la requérante qui, en formulant des conclusions indemnitaires, a donné à l'ensemble de sa requête le caractère d'un recours de plein contentieux. Au regard de l'objet d'une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit de l'intéressée à percevoir la somme qu'elle réclame, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la ou les décisions qui ont lié le contentieux sont sans incidence sur la solution du litige.

14. D'autre part, il résulte de ce qui précède que les agissements de harcèlement moral et la situation de discrimination dont se plaint Mme Joffroy ne sont pas caractérisés. Celle-ci n'est donc pas fondée à soutenir que le refus du maire de Ludon-Médoc de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle sur le fondement des dispositions de l'article L. 2123-35 du code général des collectivités territoriales serait entaché d'illégalité.

15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme Joffroy n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

16. L'exécution du présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par Mme Joffroy, n'implique aucune mesure d'exécution. Dès lors, les conclusions aux fins d'injonction de la requête doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme Joffroy la somme de 1 500 euros à verser à la commune de Ludon-Médoc au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de la commune de Ludon-Médoc, qui n'est pas la partie perdante.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme Joffroy est rejetée.

Article 2 : Mme Joffroy versera à la commune de Ludon-Médoc la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... Joffroy et à la commune de Ludon-Médoc.

Délibéré après l'audience du 25 février 2025, à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Valérie Réaut, première conseillère,

M. Vincent Bureau, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mars 2025.

Le rapporteur,

Vincent Bureau

Le président,

Laurent Pouget

Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23BX00236


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX00236
Date de la décision : 25/03/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: M. Vincent BUREAU
Rapporteur public ?: M. DUFOUR
Avocat(s) : BOISSY AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-25;23bx00236 ?
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