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03/04/2025 | FRANCE | N°22BX00843

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 03 avril 2025, 22BX00843


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... C... a demandé au tribunal des pensions militaires de Bordeaux, qui a transmis sa requête au tribunal administratif de Bordeaux, d'organiser une expertise avant dire droit, d'annuler la décision du 17 décembre 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité, et d'enjoindre à l'administration de lui concéder une pension au taux de 60 % pour l'infirmité de syndrome pyramidal dont il souffre avec perte de sensibilité du mem

bre supérieur droit.



Par un jugement n° 1905573 du 4 janvier 2022, le tribu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal des pensions militaires de Bordeaux, qui a transmis sa requête au tribunal administratif de Bordeaux, d'organiser une expertise avant dire droit, d'annuler la décision du 17 décembre 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité, et d'enjoindre à l'administration de lui concéder une pension au taux de 60 % pour l'infirmité de syndrome pyramidal dont il souffre avec perte de sensibilité du membre supérieur droit.

Par un jugement n° 1905573 du 4 janvier 2022, le tribunal administratif de Bordeaux

a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par un arrêt avant-dire droit du 4 avril 2024, la cour a ordonné une expertise.

Le rapport d'expertise a été enregistré le 9 septembre 2024.

Par un mémoire enregistré le 8 novembre 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- contrairement à ce qu'indique l'expert, les premiers signes de la maladie sont apparus au niveau du membre inférieur droit avant l'accident survenu le 30 septembre 2013, comme le montre le courrier d'un médecin de l'hôpital Kaia de Kaboul du 28 novembre 2013 indiquant que depuis début septembre 2013, M. C... présentait un début de boiterie douloureuse, une trépidation épileptoïde de la cheville droite ayant alors été mise en évidence ;

- il ne ressort pas du rapport circonstancié que les douleurs survenues

le 30 septembre 2013 seraient consécutives à un " véritable traumatisme " ; en l'absence de choc particulier, un geste ou une manœuvre sportive ne sauraient être considérés comme un traumatisme ;

- en indiquant que la survenue de symptômes n'était pas certaine en l'absence de traumatisme et que des symptômes survenus sans traumatisme auraient pu être bénins, l'expert émet des hypothèses et non des certitudes ;

- la circonstance que l'accident de service a pu précipiter, révéler ou favoriser l'évolution de l'affection imputable au service ne peut être retenue au titre de la preuve ; le taux de 60 % retenu par l'expert est étranger au service.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 juin 2022.

Par ordonnance du 8 novembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée

au 9 janvier 2025.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;

- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,

- et les observations de Monsieur C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., engagé dans l'armée de terre le 1er mai 1995 et affecté depuis 1997 au 13ème régiment de dragons parachutistes, a présenté brutalement des cervicalgies et des paresthésies du membre supérieur droit le 30 septembre 2013, lors d'une séance de sport programmée, alors qu'il se trouvait en mission en Afghanistan. Un syndrome pyramidal a été diagnostiqué fin octobre 2013 à l'hôpital français Kaïa de Kaboul. A son retour en France, M. C... a été pris en charge à l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué, où une IRM a permis de diagnostiquer une myélopathie cervicarthrosique sur un canal cervical étroit constitutionnel, avec un hypersignal intramédullaire en C5-C6. Une décompression médullaire par laminoplastie C3-C7 avec ostéosynthèse a été réalisée le 12 mars 2014, ce qui a permis une régression des signes neurologiques, mais M. C... a conservé comme séquelles un syndrome pyramidal caractérisé notamment par des tremblements des membres inférieurs et une perte de sensibilité de la main droite. Le 15 janvier 2015, il a sollicité à ce titre une pension militaire d'invalidité, et la ministre des armées a rejeté sa demande par une décision

du 17 décembre 2018. M. C... a relevé appel du jugement du 4 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cette décision. Par un arrêt avant dire droit du 4 avril 2024, la cour a reconnu l'existence d'un accident de service et ordonné une expertise médicale. L'expert a déposé son rapport le 9 septembre 2024.

2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité

et des victimes de la guerre, applicable à la date de la demande : " Ouvrent droit à pension : / (...) / 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; / (...). " Aux termes de l'article L 3 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : / 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; / 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; / 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. (...) " Aux termes de l'article L. 4 de ce code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. / Il est concédé une pension : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; / 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le degré total d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; / 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : / 30 % en cas d'infirmité unique ; / 40 % en cas d'infirmités multiples. / En cas d'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'une infirmité étrangère à celui-ci, cette aggravation seule est prise en considération, dans les conditions définies aux alinéas précédents. / Toutefois, si le pourcentage total de l'infirmité aggravée est égal ou supérieur à 60 %, la pension est établie sur ce pourcentage. " Pour l'application de ces dispositions, une infirmité doit être regardée comme résultant d'une blessure lorsqu'elle trouve son origine dans une lésion soudaine consécutive à un fait précis de service.

3. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport circonstancié du 31 janvier 2014, que le 30 septembre 2013, M. C... a ressenti brutalement des douleurs cervicales et des fourmillements du membre supérieur droit lors d'un match de volley-ball organisé dans le cadre du service, et qu'une faiblesse des membres est survenue au décours immédiat de cet épisode. L'expert missionné par la cour confirme les conclusions de l'expert désigné par l'administration, selon lesquelles le traumatisme cervical survenu lors du match de volley-ball a déclenché une myélopathie cervicarthrosique préexistante, jusqu'alors asymptomatique. Si le rapport circonstancié ne précise pas que les symptômes sont survenus à la réception d'un saut (smash), l'existence de ce choc cervical traumatique, mentionné dans des lettres de l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué du 9 décembre 2013 et du centre médical des armées de Bordeaux

du 26 novembre 2024, n'est pas sérieusement contestée. Le courrier d'un médecin de l'hôpital français de Kaboul du 28 novembre 2013 adressant M. C... à un confrère pour l'exploration d'un syndrome tétrapyramidal apparu depuis deux mois, c'est-à-dire depuis l'accident de service du 30 septembre 2013, faisait certes état d'une trépidation épileptoïde de la cheville droite constatée lors d'une consultation de septembre 2013 antérieure à l'accident pour une boiterie douloureuse du genou droit en lien avec un traumatisme rotulien ancien. Toutefois, cette trépidation n'était pas comparable aux symptômes, constatés postérieurement à l'accident, de franc syndrome pyramidal, caractérisé d'une part par une trépidation épileptoïde inépuisable bilatérale des membres inférieurs prédominant à droite avec des réflexes ostéotendineux vifs diffusés, polycinétiques et un signe de Babinski gauche, et d'autre part, par une atteinte des membres supérieurs avec une hypoesthésie du bord cubital de la main droite et un signe de Hoffman bilatéral. Selon l'expert missionné par la cour, la myélopathie cervicarthrosique asymptomatique préexistante constituait un facteur de risque de développement ultérieur de symptômes radiculaires et médullaires, et probablement un facteur de fragilité en cas de traumatisme cervical, mais la survenue de symptômes en l'absence de traumatisme n'était absolument pas certaine, dès lors que certaines myélopathies radiologiquement visibles restent parfaitement asymptomatiques. L'expert relève en outre que d'éventuels symptômes auraient pu être bénins, ce qui était le cas de la trépidation de la cheville droite constatée avant l'accident, en l'absence de tout élément faisant état d'une gêne pour l'intéressé ou d'une inquiétude du médecin qui l'a examiné avant l'accident. L'expert en conclut que malgré l'état antérieur asymptomatique de M. C..., les troubles neurologiques dont il souffre désormais sont totalement imputables à l'accident survenu le 30 septembre 2013. Ainsi, dès lors que la filiation entre cet accident de service et l'aggravation de la myélopathie cervicarthrosique préexistante est établie, le ministre des armées ne saurait reprocher à l'expert de s'être fondé sur des hypothèses et non sur des certitudes pour retenir une imputabilité totale des séquelles à cet accident. En outre, le taux d'invalidité de 60 % retenu par les deux expertises n'est pas contesté. Par suite, M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a refusé d'annuler la décision de la ministre des armées du 17 décembre 2018, et il y a lieu d'enjoindre au ministre des armées de lui concéder, à compter du 15 janvier 2015, un droit à pension au taux de 60 % au titre de l'infirmité " séquelles de blessure aux cervicales - syndrome pyramidal - troubles sensitifs du cubital de la main droite ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

4. Les frais de l'expertise ordonnée par la cour, liquidés et taxés à la somme

de 1 800 euros par une ordonnance du président de la cour du 24 septembre 2024, doivent être mis à la charge de l'Etat.

5. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Me Moumni.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1905573 du 4 janvier 2022 et la décision de la ministre des armées du 17 décembre 2018 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre des armées de concéder à M. C..., à compter

du 15 janvier 2015, un droit à pension au taux de 60 % au titre de l'infirmité " séquelles de blessure aux cervicales - syndrome pyramidal - troubles sensitifs du cubital de la main droite ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Les frais de l'expertise ordonnée par la cour, liquidés et taxés à la somme

de 1 800 euros par une ordonnance du président de la cour du 24 septembre 2024, sont mis à la charge de l'Etat.

Article 4 : L'Etat versera à Me Moumni une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., au ministre des armées et

à Me Moumni. Une copie en sera adressée pour information au docteur A..., expert.

Délibéré après l'audience du 11 mars 2025 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Sabrina Ladoire, présidente-assesseure,

M. Antoine Rives, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 avril 2025.

La rapporteure,

Sabrina B...

La présidente,

Catherine GiraultLe greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 22BX00843


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00843
Date de la décision : 03/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : SELARL MDMH

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-03;22bx00843 ?
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