Vu la procédure suivante :
Procédure antérieure :
M. D... F... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 6 mai 2024 par lequel le préfet de la Corrèze a prononcé son expulsion du territoire français, lui a retiré sa carte de résident de dix ans et a fixé le Maroc comme pays de destination.
Par un jugement n° 2401077 du 1er octobre 2024, le tribunal administratif de Limoges a annulé l'arrêté contesté en tant qu'il fixe le Maroc comme pays de renvoi et a rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 30 novembre 2024 et
7 avril 2025, ce dernier n'ayant pas été communiqué, M. F..., représenté par
Me Faugeras, demande à la cour :
1°) de l'admettre à l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler le jugement du 1er octobre 2024 du tribunal administratif de Limoges en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de la décision l'expulsant du territoire français et de la décision lui retirant sa carte de résident ;
3°) d'annuler l'arrêté du 6 mai 2024 du préfet de la Corrèze en tant qu'il l'expulse du territoire français et qu'il lui retire sa carte de résident ;
4°) d'enjoindre au préfet de la Corrèze, à titre principal, de lui délivrer une carte de résident de dix ans dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard, et à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la décision d'expulsion :
- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, son comportement ne constitue pas une menace grave pour l'ordre public dès lors qu'il n'a fait l'objet que d'une seule condamnation pénale ; la décision d'expulsion méconnaît les dispositions de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; la cour de cassation a par arrêté du 23 octobre 2024 cassé et annulé l'arrêté de la cour d'appel de Poitiers s'agissant de ses droits de visite de son fils A... ;
- le préfet a entaché sa décision d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- la décision contestée méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle porte une atteinte disproportionnée à son droit à mener une vie privée et familiale en France ;
Sur la décision de retrait de sa carte résident :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision d'expulsion.
La requête a été communiquée au préfet de la Corrèze qui n'a pas produit de mémoire dans la présente instance.
Par ordonnance du 17 février 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 7 avril 2025.
M. F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux en date du
19 décembre 2024.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Héloïse Pruche-Maurin a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. F..., de nationalité marocaine, est entré en France en 1997 à l'âge de
vingt ans, selon ses déclarations. Il a obtenu des titres de séjour régulièrement renouvelés et bénéficie depuis le 6 mai 2020 d'une carte de résident valable jusqu'au 5 mai 2030. Suite à sa condamnation pénale prononcée le 30 août 2023 et à son incarcération, le préfet de la Corrèze l'a, par arrêté du 6 mai 2024, expulsé du territoire français, lui a retiré sa carte de résident et a fixé le Maroc comme pays de renvoi. M. F... relève appel du jugement du
1er octobre 2024 en tant que le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande d'annulation des décisions d'expulsion et de retrait de sa carte de résident.
Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :
2. M. F... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux en date du
19 décembre 2024, ses conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ont perdu leur objet. Il n'y a, par suite, pas lieu de statuer sur ces conclusions.
Sur la légalité de la décision d'expulsion :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut décider d'expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public, sous réserve des conditions propres aux étrangers mentionnés aux articles L. 631-2 et L. 631-3. ". Aux termes de l'article L. 631-2 du même code : " Ne peut faire l'objet d'une décision d'expulsion que si elle constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique et sous réserve que l'article L. 631-3 n'y fasse pas obstacle : 1° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ; (...) / Par dérogation au présent article, peut faire l'objet d'une décision d'expulsion en application de l'article L. 631-1 l'étranger mentionné aux 1° à 4° du présent article lorsque les faits à l'origine de la décision d'expulsion ont été commis à l'encontre de son conjoint, d'un ascendant ou de ses enfants ou de tout enfant sur lequel il exerce l'autorité parentale ". Aux termes de l'article L. 631-3 du même code : " Ne peut faire l'objet d'une décision d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes : (...) 2° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans. (...) Par dérogation au présent article, l'étranger mentionné aux 1° à 5° peut faire l'objet d'une décision d'expulsion en application des articles L. 631-1 ou L. 631-2 lorsque les faits à l'origine de la décision d'expulsion ont été commis à l'encontre de son conjoint, d'un ascendant ou de ses enfants ou de tout enfant sur lequel il exerce l'autorité parentale. ".
4. Les infractions pénales commises par un étranger ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une mesure d'expulsion et ne dispensent pas l'autorité compétente d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace grave pour l'ordre public. Lorsque l'administration se fonde sur l'existence d'une telle menace pour prononcer l'expulsion d'un étranger, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu'elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. F... s'est séparé en novembre 1999, après 22 ans de vie commune, de Mme C... E..., ressortissante de nationalité française. De leur union sont nés deux enfants, B... né en 1998 et A... né en 2016. Le 30 août 2023,
M. F... a été condamné par la Cour d'appel de Poitiers à vingt-quatre mois d'emprisonnement assortis d'un sursis probatoire de huit mois, dont le délai d'épreuve a été fixé à trois ans, pour des faits commis entre 2020 et 2022 de harcèlements, menaces de mort matérialisées par écrit, image ou autre objet, appels téléphoniques malveillants réitérés et envois réitérés de messages malveillants à son ex-compagne, arrêt devenu définitif. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du compte-rendu de la commission départementale d'expulsion des étrangers qui s'est réunie le 3 mai 2024, qui a émis un avis favorable à l'expulsion de l'intéressé, que ce dernier, incarcéré au centre de détention d'Uzerche, n'a manifesté aucune remise en question, alors que ses actes ont eu un retentissement important sur sa famille et notamment ses deux enfants, l'autorité parentale lui ayant été d'ailleurs retirée s'agissant de son fils mineur. Comme l'ont relevé les premiers juges, M. F... a notamment fait preuve de comportements inadaptés lors de ses visites mensuelles dans les locaux de l'association d'enquête et de médiation de La Rochelle en charge de la médiation familiale et de la gestion des lieux neutres de rencontres parents-enfants, insultant lors de la visite du 22 février 2022 la mère de son fils, ainsi que les autres personnes présentes. Les juges judiciaires ont ainsi relevé que l'intéressé n'avait pas évolué dans la prise de conscience de la gravité de ses agissements. Contrairement à ce que M. F... soutient, l'arrêt de la Cour de cassation du 23 octobre 2024, qu'il produit en appel et qui statue sur son pourvoi en cassation contre un arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 8 août 2021 confirmant un jugement du 13 août 2020 du juge aux affaires familiales, n'est pas de nature à remettre en cause la condamnation pénale et le retrait de l'autorité parentale sur son fils mineur prononcés par la Cour d'appel de Poitiers le 30 août 2023. Compte tenu de ces circonstances, et du fait que la menace ne peut être regardée comme n'étant plus actuelle, quand bien même ce dernier soutient " s'être sevré de l'alcool en prison ", c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que la décision d'expulsion contestée n'avait pas été prise en méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. En deuxième lieu, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que le préfet n'aurait pas procédé à un examen réel et sérieux de la situation personnelle du requérant. Par suite, ce moyen doit être écarté.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. Dans les circonstances détaillées au point 5, M. F... ne peut sérieusement se prévaloir, au titre de l'atteinte disproportionnée au respect de sa vie privée et familiale en France, des relations qu'il entretiendrait avec ses fils, et notamment son second fils mineur duquel l'autorité parentale lui a été retiré, quand bien même la Cour de cassation a cassé les modalités d'exercice du droit de visite et renvoyé les parties devant les premiers juges s'agissant de ce seul point. Comme relevé par les premiers juges, il ressort ainsi du rapport de situation établi le
9 avril 2024 par l'assistante sociale du centre de détention d'Uzerche que son fils majeur n'a pas sollicité de parloir, ni que celui mineur est venu le voir avec sa mère durant son incarcération. Par ailleurs, si M. F... se prévaut de la présence en France de sa sœur et ses neveux et nièces, il ne ressort d'aucun élément du dossier qu'il entretiendrait des relations particulières avec ces derniers, et qu'il n'aurait pas conservé des liens avec sa famille encore présente au Maroc. Ainsi, quand bien même M. F... est présent en France depuis plus de vingt ans, compte tenu de la nature des faits dont il s'est rendu coupable et de la menace à l'ordre public que constitue sa présence en France, le moyen tiré de ce que la décision contestée porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
Sur la légalité de la décision de retrait de sa carte de résident :
9. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la décision de retrait de sa carte de résident est illégale du fait de l'illégalité de la décision d'expulsion doit être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande d'annulation des décisions d'expulsion et de retrait de sa carte de résident. Par suite, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire présentée par M. F....
Article 2 : Le surplus de la requête de M. F... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... F... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Corrèze.
Délibéré après l'audience du 7 mai 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente,
M. Nicolas Normand, président assesseur,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe du 28 mai 2025.
La rapporteure,
Héloïse Pruche-MaurinLa présidente,
Béatrice Molina-Andréo
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX02829