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03/06/2025 | FRANCE | N°23BX03050

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, 03 juin 2025, 23BX03050


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société anonyme (SA) IARDT Prudence Créole et la SA Groupe Caillé ont demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner l'État à leur verser respectivement la somme de 949 043 euros augmentée des intérêts légaux à compter du 16 juillet 2019 avec capitalisation, et la somme de 900 euros.



Par un jugement n° 2100982 du 11 octobre 2023, le tribunal administratif de La Réunion a fait droit à leurs demandes.

Procédure devan

t la cour :



Par une requête enregistrée le 11 décembre 2023, le préfet de La Réunion demande à la c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) IARDT Prudence Créole et la SA Groupe Caillé ont demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner l'État à leur verser respectivement la somme de 949 043 euros augmentée des intérêts légaux à compter du 16 juillet 2019 avec capitalisation, et la somme de 900 euros.

Par un jugement n° 2100982 du 11 octobre 2023, le tribunal administratif de La Réunion a fait droit à leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 décembre 2023, le préfet de La Réunion demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 11 octobre 2023 du tribunal administratif de La Réunion ;

2°) de rejeter les demandes des sociétés IARDT Prudence Créole et Groupe Caillé.

Il soutient que :

- la société d'assurance Prudence Créole n'a pas présenté de demande indemnitaire préalable à un recours en son nom propre, en méconnaissance de l'article R. 421-1 du code de justice administrative ; sa demande de première instance était donc irrecevable ;

- les conditions relatives à l'engagement de la responsabilité de l'État du fait des attroupements, prévues à l'article L. 211-10 du code de sécurité intérieure, ne sont pas remplies à plusieurs égards ; en particulier les sociétés requérantes, qui supportent la charge de la preuve, n'établissent pas que les individus à l'origine du sinistre ne seraient pas distincts A... jaunes " ayant manifesté au cours de la journée, alors que la temporalité des évènements milite pour cette distinction et que la confection de " cocktails Molotov ", la collecte de projectiles et le port de cagoules implique une préparation de l'attaque incendiaire ;

- les dépenses évoquées relatives aux frais de gardiennage préventif pour 24 479 euros et à des frais d'huissier de 923 euros sont en tout état de cause sans lien de causalité établi avec le sinistre.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 janvier 2024, la société IARDT Prudence Créole, représentée par Me Bessudo, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'État en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code pénal

- le code de la sécurité intérieure

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laurent Pouget,

- et les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre du mouvement revendicatif dit A... jaunes ", une manifestation nationale contre l'augmentation des prix du carburant et plus généralement contre la vie chère était annoncée le 17 novembre 2018. Sur l'île de La Réunion, celle-ci a notamment pris la forme " d'opérations escargots " et de divers blocages de la circulation. Le 18 novembre 2018, des barrages filtrants ont de nouveau été mis en place au niveau des principaux ronds-points du territoire insulaire ainsi que sur la route nationale RN1. A 16h00 ce jour-là, une intervention des forces de l'ordre permettait de dégager la RN1 au niveau de l'échangeur giratoire du Sacré Cœur, sur le territoire de la commune du Port. A 22h30, un début d'incendie était signalé dans la concession automobile Peugeot appartenant à la société Groupe Caillé, située à proximité de ce giratoire. Il en est résulté la destruction de 92 véhicules neufs ou d'occasion représentant, après expertise, un dommage d'un coût de 943 943 euros pris en charge par la société IARDT Prudence Créole, assureur de la société Groupe Caillé. Le préfet de La Réunion relève appel du jugement en date du 11 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de La Réunion a condamné l'État à verser à la société IARDT Prudence Créole une indemnité de 943 943 euros, augmentée des intérêts légaux capitalisés, et à verser à la société Groupe Caillé une indemnité de 900 euros en réparation de la franchise restée à sa charge.

4. Aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. / (...) ". L'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés. Ces dispositions ne trouvent pas à s'appliquer lorsque les crimes ou délits à l'origine des dommages ont été commis par un groupe constitué et organisé à seule fin de commettre des délits.

5. Il résulte de l'instruction, et notamment d'un rapport de police établi le 24 novembre 2023, que les forces de l'ordre ont eu à connaître de deux phénomènes temporellement distincts au cours de la journée du 18 novembre 2018 : un mouvement contestataire en journée ayant consisté en un blocage des axes de circulation, auquel ont participé jusqu'à dispersion, entre 16h00 à 20h00 selon les lieux, des individus porteurs de revendications relatives à la vie chère dont bon nombre arboraient A... jaunes, puis dans un second temps, en soirée et jusqu'en milieu de nuit, des violences urbaines ayant consisté à commettre des dégradations par incendies, des pillages, et des violences contre les forces de l'ordre, auxquelles ont participé des groupes d'individus dont la plupart dissimulaient leur visage. En particulier, l'incendie des véhicules appartenant à la société Groupe Caillé, signalé à 22h25, a été le fait de petits groupes d'individus cagoulés ayant fait usage de projectiles incendiaires de type " cocktails molotov ", ce qui suppose une préparation préalable et dissimulée, même sommaire, ainsi qu'une intention délictuelle. Dans ces conditions, en dépit de la proximité entre la concession Peugeot incendiée et le giratoire du Sacré Cœur bloqué en journée par les " gilets jaunes " mais qui avait été dégagé dès 20h00 par les forces de l'ordre, la réalisation du sinistre ne saurait être regardée comme résultant du mouvement social et contestataire, mais plutôt comme une action menée de manière opportuniste par des groupes d'individus constitués et organisés dans le but principal de commettre des délits dans un contexte d'instabilité de l'ordre public. La commission de ce sinistre ne saurait dès lors engager la responsabilité de l'État sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la demande de première instance, que le préfet de La Réunion est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a condamné l'État, sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, à payer à la société IARDT Prudence Créole la somme de 943 943euros augmentée des intérêts légaux avec capitalisation, et à payer à la société Groupe Caillé la somme de 900 euros.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2100982 du tribunal administratif de La Réunion du 11 octobre 2023 est annulé.

Article 2 : Les demandes présentées devant le tribunal administratif de La Réunion par la société IARDT Prudence Créole et par la société Groupe Caillé sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société IARDT Prudence Créole, à la société Groupe Caillé et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera transmise au préfet de La Réunion.

Délibéré après l'audience du 13 mai 2025, laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

Mme Valérie Réaut, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 juin 2025.

La présidente-assesseure,

Marie-Pierre Beuve Dupuy

Le président-rapporteur,

Laurent Pouget

Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 23BX03050 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX03050
Date de la décision : 03/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: M. Laurent POUGET
Rapporteur public ?: M. DUFOUR
Avocat(s) : SAS BOURBON AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-03;23bx03050 ?
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