Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La communauté de communes de Petite-Terre a demandé au tribunal administratif de Mayotte d'annuler la décision du 14 février 2020 par laquelle le directeur régional des finances publiques de Mayotte a rejeté sa demande tendant, en application du II de l'article 137 de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, au versement d'une allocation pour compenser la perte de recettes de taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) au titre de l'année 2018 résultant du II bis de l'article 1496 du code général des impôts et, à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 560 739 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'absence de compensation de la perte de recettes de TEOM au titre des années 2018, 2019 et 2020 et d'enjoindre au préfet de Mayotte de procéder au mandatement des sommes dues dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement.
Par un jugement n° 2000394 du 22 mars 2022, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une décision n° 465169 du 4 août 2023, le Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Bordeaux le jugement de la requête présentée par la communauté de communes de Petite-Terre contre le jugement du tribunal administratif de Mayotte du 22 mars 2022.
Par un mémoire enregistré le 26 septembre 2023, la communauté de communes de Petite-Terre, représentée par la SCP Waquet, Farge, Hazan, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Mayotte du 22 mars 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 14 février 2020 par laquelle le directeur régional des finances publiques de Mayotte a refusé le versement d'une allocation compensatrice au titre de la perte de recette subie par la communauté de communes de Petite-Terre au titre de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) pour l'exercice 2018 ;
3°) de condamner l'Etat à réparer les préjudices subis par la communauté de communes de Petite-Terre au titre du produit perçu en 2018, 2019 et 2020 pour la TEOM ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les premiers juges ont commis une erreur de droit en jugeant que le caractère facultatif de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères faisait obstacle au versement d'une allocation compensatrice de la perte de recettes de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères résultant de la minoration de 60 % de la valeur locative des locaux d'habitation ; l'article 137 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 qui a minoré de 60 % la valeur locative des propriétés situées à Mayotte et sur laquelle est fondée la taxe d'enlèvement des ordures ménagères en application de l'article 1522 du code général des impôts n'a pas opéré de distinction selon que les impositions locales fondées sur la valeur locative sont obligatoires, telles que la taxe d'habitation et la taxe foncière, ou facultatives, telle que la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ; la minoration de 60 % de la valeur locative, qui engendre une perte de recettes au titre d'une imposition facultative, doit donc être compensée en application du II de l'article 137 de la loi du 28 février 2017 ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce qu'il ne détaille pas la réponse apportée au moyen tiré de la faute commise par les services fiscaux de l'Etat qui n'ont pas informé la communauté de communes de Petite-Terre de l'absence de compensation de la perte de recettes de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ;
- en tout état de cause, c'est à tort que les premiers juges ont retenu que l'absence d'information par l'Etat du défaut de compensation des pertes de recettes au titre de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères n'était pas constitutive d'une faute ; l'absence d'avertissement des services fiscaux a conduit la communauté de communes à fixer le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères à 6,70 %, convaincue de ce que l'indemnité compensatrice versée par l'Etat lui aurait permis d'atteindre l'équilibre budgétaire ;
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la communauté de communes de Petite-Terre a commis une faute de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité ; il ne saurait valablement être reproché à la communauté de communes de ne pas avoir interrogé les services fiscaux sur la portée exacte des dispositions du II de l'article 137 de la loi du 28 février 2017 alors que l'application littérale de ces dispositions ne laissait place à aucun doute sur leur portée.
La requête de la communauté de communes de Petite-Terre a été communiquée à la direction régionale des finances publiques de Mayotte qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une ordonnance du 22 juillet 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 23 septembre 2024 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 ;
- la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lucie Cazcarra,
- les conclusions de Mme Pauline Reynaud, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Narcy, représentant la communauté de communes de Petite-Terre.
Considérant ce qui suit :
1. La communauté de communes de Petite-Terre (Mayotte) perçoit depuis 2018 la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. Au cours de cette année, elle a subi une perte de recettes de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères résultant du mécanisme de minoration des valeurs locatives introduit à Mayotte par une loi du 28 février 2017. Par courrier du 7 novembre 2019, la communauté de communes a sollicité la compensation de la perte de recettes pour l'année 2018 et cette demande a été rejetée le 14 février 2020. Après avoir vainement adressé au préfet de Mayotte une demande indemnitaire préalable par courrier du 4 mars 2020 au titre des pertes de recettes enregistrées sur les années 2018, 2019 et 2020, la communauté de communes de Petite-Terre a saisi le tribunal administratif de Mayotte d'une requête tendant à l'annulation de la décision du 14 février 2020 et, à titre subsidiaire, à la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices subis au titre des années 2018, 2019 et 2020. Par la présente requête, la communauté de communes de Petite-Terre relève appel du jugement du 22 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Il ressort des termes du jugement attaqué, en particulier de son point 7, que les premiers juges ont énoncé de façon suffisamment complète et précise les motifs pour lesquels ils ont considéré que les services fiscaux de l'Etat n'ont pas commis de faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaquée doit par suite être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. En premier lieu, l'article 137 de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique a inséré à l'article 1496 du code général des impôts un II bis prévoyant que la valeur locative des locaux d'habitation situés à Mayotte est minorée de 60 %. Le II du même article 137, dans sa rédaction issue de l'article 94 de la loi du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017, dispose qu'il est institué un prélèvement sur les recettes de l'Etat destiné à compenser la perte de recettes résultant, pour la collectivité de Mayotte, de la minoration de 60 % de la valeur locative, en précisant que le montant de ce prélèvement correspond à la perte de recettes constatée l'année précédente.
5. Aux termes du VI de l'article 1379-0 bis du code général des impôts : " 1. Sont substitués aux communes pour l'application des dispositions relatives à la taxe d'enlèvement des ordures ménagères : (...) 2° Les communautés de communes, (...) bénéficiant du transfert de la compétence prévue à l'article L. 2224-13 du code général des collectivités territoriales et assurant au moins la collecte des déchets des ménages ". Aux termes de l'article 1520 de ce même code : " I. - Les communes qui assurent au moins la collecte des déchets des ménages peuvent instituer une taxe destinée à pourvoir aux dépenses du service de collecte et de traitement des déchets ménagers et des déchets mentionnés à l'article L. 2224-14 du code général des collectivités territoriales (...) / III. - (...) L'institution de la redevance mentionnée à l'article L. 2333-76 du code précité entraine la suppression de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères et de la redevance prévue à l'article L. 2333-77 (...) ". Aux termes de l'article 1522 de ce même code : " I. - La taxe est établie d'après le revenu net servant de base à la taxe foncière, défini par l'article 1388. (...) ". L'article 1388 de ce code prévoit que : " La taxe foncière sur les propriétés bâties est établie d'après la valeur locative cadastrale de ces propriétés déterminée conformément aux principes définis par les articles 1494 à 1508 et 1516 à 1518 B et sous déduction de 50 % de son montant en considération des frais de gestion, d'assurances, d'amortissement, d'entretien et de réparation ". Enfin, l'article 1494 du même code prévoit, dans sa version applicable au présent litige : " La valeur locative des biens passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties, de la taxe d'habitation ou d'une taxe annexe établie sur les mêmes bases est déterminée, conformément aux règles définies par les articles 1495 à 1508, pour chaque propriété ou fraction de propriété normalement destinée à une utilisation distincte ".
6. Il résulte de ces dispositions que la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, qui a pour assiette celle de la taxe foncières sur les propriétés bâties, n'a pas le caractère d'un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l'ensemble des dépenses budgétaires, mais a exclusivement pour objet de couvrir les dépenses exposées par la commune ou l'établissement de coopération intercommunale compétent pour assurer l'enlèvement et le traitement des ordures ménagères et non couvertes par les recettes non fiscales. L'institution de cette taxe demeure une faculté pour les collectivités qui peuvent faire le choix de mettre en place une redevance d'enlèvement des ordures ménagères ou de mobiliser directement les ressources de leur budget général. Il s'ensuit que, bien que la taxe d'enlèvement des ordures ménagères constitue une taxe annexe à la taxe foncière sur les propriétés bâties, le législateur ne peut être regardé comme ayant prévu une compensation des pertes inhérentes à la minoration de la valeur locative pour la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, qui résulte d'un choix de financement du service public de collecte et de traitement des déchets propre à chaque collectivité compétente. Dans ces conditions, la communauté de communes de Petite-Terre n'est pas fondée à faire valoir, qu'en application du II de l'article 137 de la loi du 28 février 2017, l'Etat devait compenser ses pertes de recettes enregistrées au titre de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères comme il l'a fait pour les pertes de recettes au titre de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la taxe d'habitation. Les conclusions de la requérante tendant à l'annulation de la décision du 14 février 2020 doivent donc être rejetées.
7. En second lieu, la requérante fait valoir que le défaut d'information des services fiscaux sur l'absence de compensation de la perte de recettes au titre de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Toutefois, et ainsi que l'indique la requérante dans ses écritures, elle a été rendue destinataire du relevé des bases d'imposition prévisionnelles à la taxe d'enlèvement des ordures ménagères qui fait état d'un montant de 8 434 000 euros. Il ressort également des pièces du dossier que la communauté de communes de Petite-Terre a reçu un état de notification des taux d'imposition des taxes directes locales pour 2018 faisant mention des bases d'imposition effectives de 2017 ainsi que des bases d'imposition prévisionnelles de 2018, permettant ainsi de constater que les bases d'imposition de la taxe foncière sur les propriétés bâties devaient passer de 15 701 651 euros en 2017 à 8 434 000 euros en 2018. Ce document fait également mention du détail des allocations compensatrices qui, en énumérant la taxe d'habitation, la taxe foncière (bâti et non bâti), la taxe professionnelle / CFE et la dotation pour perte de THLV, ne se réfère à aucune taxe annexe. Une notice 2018 de l'état de notification pour l'EPCI à fiscalité professionnelle unique (1259 FPU) était par ailleurs jointe à ce document. Au-delà même du fait qu'au titre du détail des allocations compensatrices, cette notice n'indique pas de taxe annexe et encore moins la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, elle précise que " les modalités de calcul de ces allocations peuvent être expliquées plus en détail par le service de fiscalité directe locale de la direction départementale ou régionale des finances publiques ". Or, il est constant que la communauté de communes n'a pas interrogé les services référents sur une allocation compensatrice au titre de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ou sur les modalités de calcul d'une telle allocation. Enfin, si la requérante fait valoir que si elle avait eu connaissance de l'absence de compensation, elle aurait fixé le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères à un taux plus élevé que celui adopté à 6,70 % pour atteindre l'équilibre budgétaire, elle n'établit pas que ce taux, fixé à 6,70 %, ne lui a pas permis d'atteindre l'équilibre budgétaire ni qu'un taux plus élevé n'aurait pas été manifestement disproportionné par rapport au montant des dépenses exposées pour la collecte et le traitement des déchets. Le moyen tiré de la faute commise par l'Etat ne peut donc qu'être écarté et, par suite, les conclusions indemnitaires de la requérante rejetées.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la communauté de communes de Petite-Terre n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la communauté de communes de Petite-Terre est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté de communes de Petite-Terre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au préfet de Mayotte.
Délibéré après l'audience du 15 mai 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
Mme Lucie Cazcarra, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juin 2025.
La rapporteure,
Lucie CazcarraLa présidente,
Frédérique Munoz-Pauziès La greffière,
Laurence Mindine
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX02209