Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Douai le 28 août 2000, présentée pour M. Patrice X, demeurant ..., par la SELARL Dizier et associés, avocats ; M. X demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 97-2160 en date du 29 juin 2000 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 802 251,30 francs en réparation du préjudice qu'il a subi du fait de l'application de règlements illégaux ;
2°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 802 251,30 francs ;
3°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 10 000 francs au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Il soutient qu'alors qu'il avait installé en 1987, dans son officine pharmaceutique, un matériel de fabrication de préparations homéopathiques, l'intervention du décret du 12 juillet 1989 et de l'arrêté ministériel du 12 décembre suivant ont eu pour conséquence directe l'arrêt du remboursement par les organismes de sécurité sociale de ses préparations ; que, du fait de l'annulation pour excès de pouvoir de ces textes par l'arrêt du Conseil d'Etat du 15 avril 1996, lesdits règlements étaient donc illégaux ab initio, ce qui constitue une faute de nature à engager la
Code C Classement CNIJ : 60-04-01-03
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responsabilité de la puissance publique ; que son préjudice, qui est en relation directe de cause à effet avec ladite faute et qui présente un caractère certain et actuel, résulte de l'arrêt immédiat dès 1990 de la fabrication et de la commercialisation de ses produits ; que ce préjudice correspond, en premier lieu, à la perte du matériel de fabrication, d'une valeur résiduelle de 59 893,99 francs, et de ses annexes, à hauteur de 36 228,20 francs ; en deuxième lieu, à une perte de revenus, s'établissant à 389 975,11 francs ; en troisième lieu, à la perte de 56 154 francs de stocks ; qu'il a subi, en quatrième lieu, une perte de clientèle, qui peut être évaluée à 60 000 francs ; en cinquième lieu, une perte d'image de marque pour laquelle il demande une indemnité de 100 000 francs, et, enfin, un préjudice moral, pour lequel il demande 100 000 francs de dommages et intérêts ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 7 novembre 2000, présenté par la ministre de l'emploi et de la solidarité ; la ministre conclut au rejet de la requête ; elle soutient que, d'une part, la faute constituée par l'illégalité du décret et de l'arrêté de 1989 n'entraîne pas engagement de la responsabilité de l'Etat du fait que l'annulation s'est fondée sur un motif de légalité externe et que le décret aurait pu être édicté légalement en respectant les règles de saisine du Conseil d'Etat ; que, d'autre part, le lien de causalité entre la faute commise et le préjudice subi n'est pas démontré, dès lors que l'absence de prise en charge des préparations en cause par la sécurité sociale n'interdit en aucun cas leur prescription par les médecins ni leur délivrance par les pharmaciens ; qu'enfin, pour le même motif, le préjudice invoqué par M. X, dont le montant est au surplus exorbitant, ne présente pas de caractère certain ;
Vu le mémoire, enregistré le 18 décembre 2000, présenté pour M. X, tendant aux mêmes fins que sa requête et, à titre subsidiaire, à ce que soit ordonnée une mesure d'expertise afin d'évaluer son préjudice ; il invoque les mêmes moyens que ceux présentés dans sa requête et soutient, en outre, que, d'une part, en posant la condition supplémentaire de remboursabilité en exigeant que les produits soient associés entre eux, l'arrêté du 12 décembre 1989 a excédé illégalement le champ d'application du décret pour l'application duquel il a été pris ; et que, d'autre part, cet arrêté ministériel était contraire à la directive communautaire n° 89-105 du 21 décembre 1988, comme étant dépourvu de la motivation requise et de la publication appropriée, et en contradiction avec les dispositions du Traité de Rome du fait de la situation monopolistique créée par ledit arrêté ministériel ;
Vu le mémoire, enregistré le 1er juin 2001, présenté par la ministre de l'emploi et de la solidarité, tendant aux mêmes fins que son mémoire précédent, par les mêmes motifs, et par le motif que l'illégalité interne alléguée par le requérant à l'encontre de l'arrêté du 12 décembre 1989 n'est nullement avérée ;
Vu le mémoire, enregistré le 23 juillet 2001, présenté pour M. X, tendant aux mêmes fins que ses mémoires antérieurs, par les mêmes moyens ;
Vu l'ordonnance en date du 15 juillet 2002 portant clôture de l'instruction au 6 septembre 2002 à 16H30 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 avril 2003 où siégeaient Mme Fraysse, président de chambre, M. Laugier et Mme Lemoyne de Forges, présidents-assesseurs :
- le rapport de M. Laugier, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Michel, commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. X, qui exploite une officine de pharmacie à Saint-Pol-sur-Ternoise, demande réparation des préjudices qu'il invoque du fait de l'édiction du décret n° 89-196 du 12 juillet 1989 modifiant l'article R. 163-1 du code de la sécurité sociale et de l'arrêté du 12 décembre 1989 pris en application de ce texte fixant la liste des substances, compositions et formes pharmaceutiques mentionnées à l'article R. 163-1 du code de la sécurité sociale exclues de la prise en charge par les organismes de sécurité sociale ;
Considérant que, par une décision du 15 avril 1996, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, estimant que l'intervention de la directive du conseil des communautés européennes du 21 décembre 1988 qui définit notamment les obligations incombant aux autorités compétentes des Etats membres lorsqu'elles adoptent des décisions en vue d'exclure certains médicaments du champ d'application de leur système national d'assurance-maladie rendait nécessaire un nouvel examen du projet de décret par le Conseil d'Etat, a, dès lors que cet examen n'avait pas eu lieu, annulé le décret susmentionné comme pris par une autorité incompétente ; qu'il a, par la même décision, annulé l'arrêté du 12 décembre 1989 fixant la liste des substances, compositions et formes pharmaceutiques exclues de la prise en charge par les organismes de sécurité sociale dès lors que l'annulation du décret le privait de base légale ; que ces illégalités constituent une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique pour autant qu'elle entraîne un préjudice direct et certain ;
Considérant que les annulations prononcées ne faisaient pas obstacle à ce que les mesures annulées soient légalement reprises par les autorités compétentes ; qu'ainsi, le préjudice matériel dont M. X demande réparation et qui résulterait tant des dépenses qu'il a exposées en vue de la préparation de médicaments exclus de la prise en charge par les organismes de sécurité sociale du fait des textes annulés que d'une privation des bénéfices qu'il comptait tirer de leur vente, ne sont pas directement imputables à la faute commise par l'Etat ;
Considérant que, si le décret du 12 juillet 1989 et l'arrêté du 12 décembre 1989 ont limité le droit à remboursement des préparations et médicaments officinaux, ils n'en ont pas empêché la délivrance ; que, dès lors, les préjudices matériels invoqués ne sont pas en conséquence directe de l'annulation prononcée par le Conseil d'Etat ; que, si M. X soutient que la légalité interne de l'arrêté du 12 décembre 1989 aurait été entachée par l'instauration d'une condition non prévue par le décret, ladite condition avait également trait, en tout état de cause, à la remboursabilité des produits par les organismes de sécurité sociale ; que, par suite, et pour le motif précédemment indiqué, ce moyen est inopérant ;
Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que M. X aurait enregistré une perte de clientèle, ni qu'il ait subi une atteinte à sa réputation de nature à ouvrir droit a indemnité ; que le préjudice moral qu'il invoque n'est pas établi ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de recourir à l'expertise subsidiairement sollicitée, que M. X n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande à fin de condamnation de l'Etat à indemnités ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel devenu L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante en l'instance, soit condamné à payer à M. X la somme que celui-ci demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. Patrice X est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Patrice X et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
Délibéré à l'issue de l'audience publique du 8 avril 2003 dans la même composition que celle visée ci-dessus.
Prononcé en audience publique le 6 mai 2003.
Le rapporteur
Signé : L.D. Laugier
Le président de chambre
Signé : G. Fraysse
Le greffier
Signé : M.T. Lévèque
La République mande et ordonne au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
Le greffier
M.T. Lévèque
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N°00DA01014