Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme G...D...a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner La Poste à lui verser la somme de 115 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait d'une discrimination syndicale dans son évolution de carrière.
Par un jugement n° 1403982 du 4 mai 2017, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 juillet 2017, Mme G...D..., représentée par Me H...B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rouen du 4 mai 2017 ;
2°) de condamner La Poste à lui verser la somme de 115 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 28 février 2014, avec capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de la Poste la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu:
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
-le rapport de Mme Valérie Petit, président-assesseur,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- les observations de Me C...E..., représentant Mme G...D...,
- et les observations de Me A...F..., représentant la Poste.
Une note en délibéré présentée par La Poste a été enregistrée le 6 décembre 2018.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D...est entrée à La Poste en 1975 et y a fait toute sa carrière, jusqu'à sa mise à la retraite en 2014. Au cours de cette carrière, elle a été " reclassifiée ", en 1990, lorsque La Poste est devenue un établissement public, a bénéficié de plusieurs avancements et est passée ainsi de la classe I à la classe III, en atteignant le grade de " cadre de niveau 1 " et en exerçant les fonctions de " directeur de site ". Après avoir présenté à La Poste une réclamation préalable, qui a été expressément rejetée le 24 avril 2014, Mme D...a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner La Poste à lui verser la somme de 115 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'insuffisance de son avancement et de la discrimination syndicale dont elle aurait fait l'objet, ainsi que de l'illégalité d'une mention, figurant dans son dossier administratif, relatif à son engagement syndical. Par un jugement du 4 mai 2017, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Mme D...relève appel de ce jugement.
Sur l'avancement de carrière et la discrimination alléguée :
2. L'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 dispose que : " (...) Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race. / Toutefois des distinctions peuvent être faites afin de tenir compte d'éventuelles inaptitudes physiques à exercer certaines fonctions. (...) / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il a subi ou refusé de subir des agissements contraires aux principes énoncés au deuxième alinéa du présent article ". Aux termes de l'article 1er de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, dans sa rédaction alors applicable : " Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable. / Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés. (...) ". Selon l'article 4 de cette même loi : " Toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. (...) ". Le juge, lors de la contestation d'une décision dont il est soutenu qu'elle serait empreinte de discrimination au sens de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, doit attendre du requérant qui s'estime lésé par une telle mesure qu'il soumette au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte au principe de l'égalité de traitement des personnes. Il incombe alors au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
3. Il est constant que le supérieur hiérarchique de Mme D...a mentionné dans son dossier administratif, en 2006, que celle-ci " est trop marquée syndicalement ". Toutefois, il résulte de l'instruction, tout d'abord, que la requérante, qui souhait accéder à un emploi de directeur d'établissement, a finalement sollicité et obtenu un emploi de directeur de site. Ainsi, il n'est pas établi qu'un emploi de directeur d'établissement lui aurait été refusé du fait de ses opinions syndicales. Ensuite, Mme D...ne bénéficiait pas, même en faisant l'objet d'évaluations élogieuses, d'un droit à un avancement au choix au troisième grade de la classe III. Compte tenu de ses avancements successifs, tout au long de sa carrière, cette absence de promotion ne peut davantage être regardée comme un indice de discrimination syndicale. Il n'est, enfin pas établi que des agents dont la valeur professionnelle aurait été moindre auraient bénéficié d'un tel avancement. Dans ces conditions, la requérante ne peut être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer une discrimination dans la gestion de sa carrière par La Poste.
Sur la responsabilité de La Poste du fait de la mention figurant dans le dossier administratif :
4. Selon le deuxième alinéa de l'article 18 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, il ne peut être " fait état dans le dossier d'un fonctionnaire, de même que dans tout document administratif, des opinions ou des activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques de l'intéressé ". L'article 7 de cette même loi dispose en outre que " le droit syndical est garanti aux fonctionnaires ". Comme cela a été dit au point 3 ci-dessus, la Poste a fait état dans le dossier administratif de MmeD..., de ce que celle-ci " était trop marquée syndicalement ". S'il ne résulte pas de l'instruction, pour les motifs énoncés au point 3 ci-dessus, que cette mention aurait, par elle-même, ralenti l'évolution de carrière de la requérante, elle a causé à celle-ci, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, à la date à laquelle celle-ci en a eu connaissance en exerçant son droit à l'accès à son dossier et après saisine de la commission d'accès aux documents administratifs, un préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 2 000 euros, tous intérêts compris.
5. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D...est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif n'a pas fait droit, à hauteur de 2 000 euros, à sa demande. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Poste le versement à Mme D...de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées au titre des mêmes dispositions par la Poste, partie perdante, ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE
Article 1 : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 4 mai 2017 est annulé.
Article 2 : La Poste est condamnée à verser à Mme D...la somme de 2 000 euros.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : La Poste versera à Mme D...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G...D...et à La Poste.
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N° 17DA01332