Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner l'Etat à lui verser la somme de 75 000 euros, avec intérêts à compter du 26 août 2014 et capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice que lui a causé l'illégalité de la décision en date du 18 février 2010 autorisant son licenciement.
Par un jugement n° 1503518 du 28 août 2017, le tribunal administratif de Rouen a fait droit partiellement à sa demande, en condamnant l'Etat à lui verser une somme de 2 000 euros, avec intérêts à compter du 26 août 2014 et capitalisation des intérêts.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 octobre 2017, Mme C... D..., représentée par Me A... B..., demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 35 000 euros au titre de son préjudice financier, de 5 000 euros au titre de son préjudice moral et de 35 000 euros au titre de la perte de chance, le tout avec intérêts à compter du 26 août 2014 et capitalisation des intérêts, la première fois le 26 août 2015, en réparation de l'illégalité fautive de la décision autorisant son licenciement en date du 18 février 2010 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
-----------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Perrin, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Cassara, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... D... était salariée de la société Podalire, employée dans un établissement pour personnes âgées dépendantes à Bertrimont, en Seine-Maritime. Elle détenait le mandat de déléguée du personnel du collège cadre. La société Podalire a été mise en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Paris du 21 janvier 2010. Le liquidateur a demandé l'autorisation de licencier Mme D... qui lui a été accordée par décision du 18 février 2010 de l'inspecteur du travail territorialement compétent. Faute de réponse à sa demande préalable d'indemnisation du 25 août 2014, Mme D... a saisi le tribunal administratif de Rouen. Elle relève appel du jugement du 28 août 2017 qui n'a fait droit que partiellement à sa demande indemnitaire en condamnant l'Etat à lui verser la somme de 2 000 euros. Par la voie de l'appel incident, la ministre du travail conclut à ce que ce jugement soit réformé en ce qu'il a indemnisé Mme D... de son préjudice moral.
Sur la responsabilité :
2. En application des dispositions du code du travail, le licenciement d'un salarié protégé ne peut intervenir que sur autorisation de l'autorité administrative. L'illégalité de la décision autorisant un tel licenciement, à supposer même qu'elle soit imputable à une simple erreur d'appréciation de l'autorité administrative, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique, quelle que puisse être par ailleurs la responsabilité encourue par l'employeur. Par suite, le salarié est en droit d'obtenir la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice direct et certain résultant pour lui de cette décision. Mme D... recherche la responsabilité de l'Etat sur ce fondement en soutenant que la décision de l'inspecteur du travail est illégale au motif qu'elle est insuffisamment motivée, qu'elle est entachée, d'erreur d'appréciation ainsi que d'erreur de droit et de défaut d'examen.
3. En premier lieu, la décision de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement vise le code du travail, notamment son article L. 2411-5 relatif à la protection en cas de licenciement des délégués du personnel. Elle mentionne la liquidation judiciaire de l'employeur et considère que le licenciement est sans lien avec le mandat exercé. Elle comporte donc les considérations de droit et de fait qui la fondent. Par suite, l'illégalité fautive tirée du défaut de motivation ne peut qu'être écartée.
4. En deuxième lieu, une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé pour un motif économique peut légalement être fondée sur la cessation d'activité de l'entreprise, sans que celle-ci doive être justifiée par l'existence de mutations technologiques, de difficultés économiques ou de menaces pesant sur la compétitivité de l'entreprise. Le jugement ouvrant la liquidation judiciaire de la société a pour effet la cessation totale et définitive de l'activité de l'entreprise. Il appartient alors à l'autorité administrative, saisie d'une demande de licenciement d'un salarié protégé, de contrôler outre le respect des exigences procédurales légales et des garanties conventionnelles, que l'employeur a satisfait, le cas échéant, à l'obligation de reclassement prévue par le code du travail et que la demande ne présente pas de caractère discriminatoire.
5. Il résulte de ce qui précède qu'en l'espèce, le motif économique du licenciement était établi dès lors que le jugement du tribunal de commerce de Paris ouvrant la liquidation judiciaire de la société Podalire, avait pour effet de constater la cessation totale et définitive d'activité de cette société. En conséquence, même si la cause de l'arrêt de l'activité résulte de la légèreté blâmable de l'employeur, comme l'a jugé le conseil de prud'hommes de Rouen le 30 août 2012, dans un jugement concernant un autre salarié de la même société, produit par l'appelante, l'inspecteur du travail n'a pas commis d'erreur d'appréciation sur la réalité du motif économique, justifiant l'autorisation de licenciement.
6. En troisième lieu, il résulte des termes mêmes de la décision du 18 février 2010 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de Mme D... que celui-ci n'établit pas avoir vérifié le respect des obligations de reclassement, en méconnaissance de ce qui a été rappelé au point 4, sans que cela soit sérieusement contesté. Or, il n'est pas non plus sérieusement contesté que la société Podalire, qui employait Mme D..., faisait partie d'un groupe, au sein duquel auraient dû être examinées les possibilités de reclassement de ses salariés. Il n'est pas non plus établi que le liquidateur ait recherché de telles possibilités, ainsi que le confirme le jugement précité, du conseil de prud'hommes de Rouen du 30 août 2012. Par suite, la décision de l'inspecteur du travail du 18 février 2010 est entachée d'erreur de droit et de défaut d'examen en ce qu'elle n'a pas examiné les possibilités de reclassement de Mme D.... Celle-ci est donc fondée, comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges, à rechercher sur ce seul fondement la responsabilité de l'Etat.
7. Quelles que soient les fautes commises par l'employeur dans son obligation de reclassement, il n'en demeure pas moins qu'il ressort des termes de la décision en litige, ainsi qu'il a été dit au point 6, que l'autorité administrative ne s'est pas livrée à une quelconque appréciation de cette obligation de reclassement. Par suite, la faute de l'employeur ne saurait exonérer l'Etat, même partiellement, dans les circonstances particulières de l'espèce, de sa responsabilité du fait de l'illégalité fautive de la décision de l'inspecteur du travail. Le jugement du tribunal administratif de Rouen, qui avait retenu une faute exonératoire de moitié de l'employeur, est en conséquence réformé sur ce point.
Sur le préjudice :
8. Contrairement à ce que soutient la ministre du travail en défense, l'illégalité fautive de la décision de l'inspecteur du travail a rendu possible le licenciement de Mme D... et, en conséquence, est à l'origine directe du préjudice subi du fait de ce licenciement. Toutefois, l'intéressée n'établit ni en première instance comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges, ni en cause d'appel, la réalité de son préjudice tant financier qu'au titre de la perte de chance de reclassement. En particulier, elle n'établit pas la privation de revenus qu'elle allègue. Elle ne démontre pas non plus qu'elle ait subi pour retrouver un emploi, des troubles dans ses conditions d'existence résultant de l'insuffisance des démarches de reclassement entreprises par le liquidateur. Au surplus, elle n'a pas contesté la décision autorisant son licenciement, ce qui lui aurait permis, en cas d'annulation de celle-ci, de demander une indemnisation devant le juge judiciaire, en application de l'article L. 2224-2 du code du travail. Les demandes d'indemnisation du préjudice financier et de la perte de chance ne peuvent donc qu'être rejetées.
9. Néanmoins, il est certain que l'illégalité fautive de l'autorisation de licenciement, rendant possible celui-ci, lui a nécessairement causé un préjudice moral, d'autant que ses collègues de travail ont obtenu une indemnisation devant le conseil de prud'hommes alors que sa demande devant cette juridiction a été rejetée par jugement du 2 octobre 2012, faute pour elle d'avoir d'abord recherché l'annulation de la décision administrative autorisant son licenciement et alors qu'elle aurait dû bénéficier d'une protection du fait de l'exercice de son mandat de délégué du personnel. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en portant l'indemnisation retenue par les premiers juges à la somme totale de 5 000 euros.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
10. Mme D... est fondée à obtenir les intérêts sur le montant de l'indemnisation allouée, à compter du 26 août 2014, date de réception de sa demande préalable.
11. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment. Cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date une année entière d'intérêts soit due. En l'espèce, la capitalisation a été demandée pour la première fois par la requête en première instance de Mme D... enregistrée le 28 octobre 2015. A cette date, une année entière d'intérêts était due. Par suite, il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 28 octobre 2015 ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement du 28 août 2017, le tribunal administratif de Rouen a condamné l'Etat à lui verser la somme de 2 000 euros. Il convient de porter cette condamnation à la somme de 5 000 euros et de faire démarrer la capitalisation des intérêts, la première fois le 28 octobre 2015. Le jugement du tribunal administratif de Rouen est réformé dans cette mesure.
Sur les frais non liés aux dépens :
13. Il y a lieu de faire droit à la demande de Mme D... en mettant à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à Mme D... la somme de 5 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 26 août 2014. Les intérêts échus à la date du 28 octobre 2015, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Rouen du 28 août 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme D... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... et à la ministre du travail.
2
N° 17DA02063