Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune de Dunkerque a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner solidairement M. A... I..., les sociétés Lavalin et Maintenance Génie Climatique ainsi que l'association Dunkerque Congrès à lui verser une indemnité de 2 529 445,12 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des désordres affectant les appareils de climatisation situés sur le toit du palais des congrès dénommé " le Kursaal ".
Par un jugement n° 1503813 du 20 novembre 2018, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 janvier et 19 novembre 2019, la commune de Dunkerque, représentée par la société d'avocats Gros, Hicter et associés, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille du 20 novembre 2018 ;
2°) de condamner solidairement M. A... I..., les sociétés Edeis et Maintenance Génie Climatique ainsi que l'association Dunkerque Congrès à verser une indemnité de 2 529 445,12 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 mai 2014 et de la capitalisation des intérêts, en réparation des désordres affectant les appareils de climatisation situés sur le toit du palais des congrès dénommé " le Kursaal " ;
3°) de mettre les dépens à la charge des intimés ;
4°) de mettre à la charge des intimés une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif modifiée par les ordonnances n° 2020-405 du 8 avril 2020, n° 2020-427 du 15 avril 2020 et n° 2020-558 du 13 mai 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Aurélien Gloux-Saliou, premier conseiller,
- les conclusions de M. Charles-Edouard Minet, rapporteur public,
- et les observations de Me E... J..., représentant la commune de Dunkerque, de Me D... F..., représentant M. I..., de Me G... B..., représentant la société Edeis, et de Me H... C..., représentant l'association Dunkerque Congrès.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Dunkerque a conclu le 5 juillet 2001 un marché public de maîtrise d'oeuvre avec M. A... I..., architecte, la société Wallyn-Sezille, agence d'architecture, et la société Pingat-Soteb, bureau d'études techniques, afin de faire réaliser des travaux de restructuration et d'extension du palais des congrès de la ville, dénommé " Le Kursaal " et situé en bord de mer. Le 3 février 2003, le lot n° 14 de ces travaux, intitulé " Chauffage - Ventilation - Désenfumage - Froid ", a été attribué par un acte d'engagement à la société Maintenance Génie Climatisation (MGC) par la commune de Dunkerque. Ce lot incluait notamment, en application du cahier des clauses techniques particulières, la fourniture et l'installation d'appareils de climatisation monobloc implantés sur la toiture du bâtiment, également appelés " roof tops ". Sur proposition du maître d'oeuvre le 19 mai 2005, les travaux concernés ont été réceptionnés, avec effet au 6 mai 2005, sous des réserves finalement levées. L'association Dunkerque Congrès, à laquelle la commune de Dunkerque avait confié l'exploitation du palais des congrès par un contrat d'affermage signé le 12 janvier 2014, a elle-même conclu avec la société Dalkia un contrat de maintenance et de dépannage des installations de génie climatique issues des travaux. En novembre 2008, la commune de Dunkerque a repéré des désordres affectant plusieurs appareils de climatisation, en l'espèce une oxydation des panneaux métalliques protégeant la structure interne de ces appareils. Faute de règlement à l'amiable du litige qui s'est ensuivi, la commune de Dunkerque a saisi le tribunal administratif de Lille, qui a ordonné une expertise par une ordonnance du 14 février 2014. L'expert, assisté d'un sapiteur, le Centre technique des industries mécaniques, a achevé son rapport le 8 décembre 2017. Par un jugement du 20 novembre 2018, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande de la commune de Dunkerque tendant à ce que M. I..., la société Edeis, venue aux droits de la société Lavalin qui avait elle-même succédé au bureau d'études techniques Pingat-Soteb, la société MGC ainsi que l'association Dunkerque Congrès soient condamnés à lui verser une indemnité de 2 529 445,12 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des désordres affectant les appareils de climatisation. La commune de Dunkerque interjette appel de ce jugement.
Sur la demande de sursis à statuer :
2. Si la société MGC demande à la cour de surseoir à statuer, dans l'attente d'un jugement à venir du tribunal du commerce de Dunkerque sur des demandes tendant à ce que le fabricant des appareils de climatisation et deux compagnies d'assurance garantissent la société d'une éventuelle condamnation prononcée par le juge administratif, la cour n'est pas tenue de prononcer un tel sursis, qu'il n'y a pas lieu, en l'espèce, d'accorder.
Sur la régularité du jugement :
3. Si la commune de Dunkerque soutient que le jugement du tribunal administratif de Lille du 20 novembre 2018 est irrégulier, elle n'invoque, à l'appui de sa démonstration, que des moyens tirés du bien-fondé de ce jugement. Ses conclusions à fin d'annulation du jugement pour motifs d'irrégularité doivent donc être écartées.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la garantie décennale des constructeurs :
4. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. La responsabilité décennale du constructeur peut être recherchée pour des dommages survenus sur des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination. La circonstance que les désordres affectant un élément d'équipement fassent obstacle au fonctionnement normal de cet élément n'est pas de nature à engager la responsabilité décennale du constructeur si ces désordres ne rendent pas l'ouvrage lui-même impropre à sa destination.
5. En l'espèce, les appareils de climatisation litigieux, fixés sur le toit du palais des congrès et destinés à assurer la climatisation de l'ensemble du bâtiment, constituent des éléments d'équipement dissociables de celui-ci. Il résulte de l'instruction, notamment des constatations exposées dans le rapport d'expertise du 8 décembre 2017, que des désordres, signalés par la commune de Dunkerque en novembre 2008 mais susceptibles, selon l'expert, d'être apparus en 2007, voire dès 2005, ont affecté la carrosserie de ces appareils, fournis par la société MGC en exécution du marché la liant à la commune. Le rapport d'expertise précise que les appareils, qui ne répondaient pas aux spécifications du point 3.4 du cahier des clauses techniques particulières décrivant le type d'appareils de climatisation devant être installés, notamment parce que leur carrosserie était inadaptée aux conditions climatiques en bord de mer, ont subi une corrosion de leurs panneaux métalliques entraînant d'abord des décollements de peinture, puis des perforations du métal, en particulier aux points de fixation des tôles et, enfin, des dégradations des parties internes des appareils avec des entraînements de matières vers les filtres et les batteries. Si l'expert relève que les installations sont demeurées fonctionnelles, que l'établissement n'a pas été contraint de fermer au cours de l'expertise et que les désordres ne compromettent pas la solidité de l'ouvrage ni ne le rendent impropre à sa destination " dans l'immédiat ", il indique que les corrosions se sont généralisées durant les trois années de l'expertise, que les portes de certains appareils ne ferment plus et que des infiltrations d'eau à l'intérieur des appareils ont été constatées. Dans ces conditions, eu égard à la non-conformité de la carrosserie dès l'origine et à l'évolution constante des corrosions l'affectant, ces désordres doivent avoir inéluctablement pour résultat, quand bien même la survenue des effets ultimes ne pourrait être précisément datée, la destruction de la carrosserie des appareils, la dégradation de leur mécanisme interne et, à terme, leur impossibilité de fonctionner. Or, en l'absence de contestation sur ce point, le défaut de climatisation du palais des congrès, bâtiment comprenant notamment un hall d'exposition de près de 3 000 mètres carrés ainsi qu'une salle de spectacles pouvant accueillir jusqu'à 8 000 personnes, doit être regardé comme rendant l'ouvrage impropre à sa destination. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer subsidiairement sur la responsabilité contractuelle des maîtres d'oeuvre au titre de leur obligation de conseil au maître d'ouvrage, les désordres constatés engagent la responsabilité décennale des constructeurs, en l'espèce les maîtres d'oeuvre, M. I... et la société Edeis, ainsi que le fournisseur des appareils, la société MGC.
En ce qui concerne la responsabilité contractuelle de l'association Dunkerque Congrès :
6. Si la commune de Dunkerque soutient que l'association Dunkerque Congrès, chargée d'exploiter le palais des congrès par contrat d'affermage du 12 janvier 2014, a méconnu ses obligations contractuelles consistant à assurer le nettoyage et la maintenance des installations qui lui avaient été confiées, il résulte de l'instruction que l'association a conclu avec la société Dalkia un contrat de maintenance et de dépannage des installations de génie climatique, dont le cahier des clauses techniques particulières prévoyait, à ses annexes 1 et 2, l'entretien détaillé et fréquent des appareils de climatisation. Alors que l'association Dunkerque Congrès produit les journaux d'intervention de la société Dalkia sur une période allant de la fin de l'année 2005 au milieu de l'année 2016, la commune de Dunkerque n'établit pas que ces interventions, qui ont inclus le nettoyage et la maintenance des appareils de climatisation, n'auraient pas été effectuées conformément aux stipulations du contrat de maintenance. Si le rapport d'expertise du 8 décembre 2017 indique que les désordres affectant les appareils de climatisation sont dus, outre au caractère inadapté de leurs carrosseries, à " un entretien vraisemblablement inefficace de ces carrosseries ", l'expert précise qu'il n'est pas démontré en tout état de cause qu'un entretien efficace fût possible, compte tenu de la non-conformité d'origine. Dans ces conditions, la responsabilité contractuelle de l'association Dunkerque Congrès ne peut être engagée. Il n'y a, dès lors, pas lieu d'ordonner le complément d'expertise sollicité par l'association.
En ce qui concerne la faute commise par la commune de Dunkerque :
7. La circonstance que la commune de Dunkerque aurait consenti à l'installation des appareils de climatisation litigieux n'est pas établie, contrairement à ce que soutient la société Edeis. En outre, par voie de conséquence de ce qui a été dit au point 6 du présent arrêt, M. I... ainsi que les sociétés MGC et Edeis ne sauraient invoquer une faute commise par le maître de l'ouvrage ou son délégataire, consistant en un défaut d'entretien des appareils de climatisation, pour s'exonérer de leur responsabilité décennale.
En ce qui concerne l'évaluation du préjudice :
8. Le montant du préjudice dont le maître d'ouvrage est fondé à demander la réparation aux constructeurs à raison des désordres affectant l'immeuble qu'ils ont réalisé correspond aux frais qu'il doit engager pour les travaux de réfection.
9. D'une part, il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise du 8 décembre 2017, que les désordres ne peuvent être réparés par une réfection de la seule carrosserie des appareils de climatisation, mais que ceux-ci doivent être intégralement remplacés, dès lors que le plancher des appareils est indissociable de leur structure. L'expert a, à cet égard, repris à son compte un devis produit par la commune de Dunkerque, chiffrant à 2 479 444,56 euros toutes taxes comprises l'achat et l'installation d'appareils de climatisation conformes aux spécifications de ceux qui auraient dû être fournis dans le cadre du marché conclu entre la commune et la société MGC. Si cette société fait valoir que le fabricant des appareils défectueux proposerait, pour un prix inférieur, de livrer des appareils neufs du même modèle que ceux subissant les désordres, un tel remplacement ne serait pas de nature à réparer le préjudice subi par la commune de Dunkerque. En outre, alors que les désordres, dus à une inadaptation des appareils dès l'origine, ont été signalés par la commune en novembre 2008, soit trois ans et demi après leur réception, mais ont pu survenir, selon l'expert, en 2007, voire dès 2005, aucun coefficient de vétusté ne peut être invoqué pour diminuer le montant réclamé par la commune de Dunkerque, contrairement à ce que demandent les sociétés MGC et Edeis.
10. D'autre part, la commune de Dunkerque demande l'indemnisation d'une atteinte à sa réputation et à son image, sans apporter, en tout état de cause, aucun élément permettant d'établir la réalité de ce chef de préjudice.
11. Il résulte de ce qui a été dit aux deux points précédents que M. I... ainsi que les sociétés Edeis et MGC doivent être condamnés solidairement à indemniser la commune de Dunkerque d'un montant de 2 479 444,56 euros toutes taxes comprises, assorti des intérêts au taux légal courant à compter du 4 mai 2015, date de l'introduction par la commune de sa demande de première instance, ainsi que de la capitalisation de ces intérêts.
En ce qui concerne les appels en garantie :
12. Il résulte de l'instruction que le partage des responsabilités est égal entre, d'une part, la société MGC, qui a fourni des appareils de climatisation non conformes aux spécifications prévues dans le cahier des clauses techniques particulières du marché la liant à la commune de Dunkerque, et, d'autre part, les maîtres d'oeuvre, qui ont accepté la fourniture de ces appareils. En outre, M. I... a soutenu en première instance sans être contredit qu'au sein du groupement de maîtrise d'oeuvre, le bureau d'études techniques, devenu la société Edeis, était seul chargé du lot n° 14 attribué à la société MGC. Il y a donc lieu de condamner la société MGC à garantir la société Edeis à hauteur de 50 % de la condamnation solidaire et de condamner la société Edeis à garantir M. I... à hauteur de 100 % de la condamnation solidaire. En revanche, les appels en garantie formés à l'encontre de la commune de Dunkerque, de l'association Dunkerque Congrès et de la société Dalkia, co-contractante de l'association, ne peuvent qu'être rejetés, ces personnes n'étant pas débitrices de la garantie décennale.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Dunkerque est fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 20 novembre 2018, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à ce que M. I... ainsi que les sociétés Edeis et MGC soient condamnés à l'indemniser à hauteur de 2 479 444,56 euros toutes taxes comprises en réparation des désordres affectant les appareils de climatisation situés sur le toit du palais des congrès.
Sur les dépens :
14. Il y a lieu, en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, de mettre conjointement à la charge définitive de M. I... ainsi que des sociétés Edeis et MGC les frais de l'expert, taxés à la somme de 25 034,09 euros par une ordonnance du président du tribunal administratif de Lille du 12 décembre 2017, ainsi que les frais du sapiteur, taxés à la somme de 15 312 euros par une ordonnance du président du tribunal administratif de Lille du 13 octobre 2016.
Sur les frais de l'instance :
15. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de M. I... ainsi que des sociétés Edeis et MGC une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la commune de Dunkerque et de mettre à la charge de la commune une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l'association Dunkerque Congrès. Ces mêmes dispositions font en revanche obstacle à ce que soit mise à la charge de l'association Dunkerque Congrès la somme réclamée par la commune de Dunkerque et à ce que soient mises à la charge d'une quelconque partie les sommes réclamées par les sociétés Edeis et MGC.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 20 novembre 2018 est annulé.
Article 2 : M. I... ainsi que les sociétés Edeis et MGC sont condamnés solidairement à verser à la commune de Dunkerque une indemnité de 2 479 444,56 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts au taux légal courant à compter du 4 mai 2015 ainsi que de la capitalisation de ces intérêts.
Article 3 : La société MGC garantira la société Edeis à hauteur de 50 % de la condamnation prononcée à son encontre. La société Edeis garantira M. I... à hauteur de 100 % de la condamnation prononcée à son encontre.
Article 4 : Les frais de l'expertise, taxés à la somme totale de 40 346,09 euros, sont mis conjointement à la charge définitive de M. I... ainsi que des sociétés Edeis et MGC.
Article 5 : M. I... ainsi que les sociétés Edeis et MGC verseront conjointement une somme de 2 000 euros à la commune de Dunkerque en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La commune de Dunkerque versera une somme de 1 500 euros à l'association Dunkerque Congrès en application des mêmes dispositions.
Article 6 : Le surplus de la demande présentée par la commune de Dunkerque devant le tribunal administratif de Lille ainsi que le surplus des conclusions d'appel des parties sont rejetés.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Dunkerque, à M. A... I..., à la société Edeis, à la société MGC et à l'association Dunkerque Congrès.
N°19DA00150 2