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02/07/2020 | FRANCE | N°19DA00880

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 02 juillet 2020, 19DA00880


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler l'arrêté du 6 novembre 2018 par lequel la préfète de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, d'autre part, d'enjoindre à la préfète de la Seine-Maritime de lui délivrer un titre de séjour dans le délai

de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir.

Par un ju...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler l'arrêté du 6 novembre 2018 par lequel la préfète de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, d'autre part, d'enjoindre à la préfète de la Seine-Maritime de lui délivrer un titre de séjour dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir.

Par un jugement n° 1804461 du 28 février 2019, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 avril 2019, M. B..., représenté par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 6 novembre 2018 de la préfète de la Seine-Maritime ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire d'un an portant la mention " salarié " ou " vie privée et familiale ", à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande, dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ou, à titre subsidiaire, en cas de rejet de sa demande d'aide juridictionnelle, à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... D..., première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant congolais (République du Congo), est entré en France au plus tard le 9 juin 2016, date à laquelle il s'est présenté au service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Seine-Maritime, qui l'a pris en charge dans le cadre d'un accueil provisoire d'urgence à compter du 21 juin 2016. Au vu de l'avis défavorable émis par le service d'analyse en fraude documentaire sur le document présenté par l'intéressé pour justifier de son âge, la préfète de la Seine-Maritime, par un arrêté du 14 octobre 2016, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai. Par un jugement du 18 octobre 2016, devenu définitif, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté au motif qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que M. B..., qui déclarait être né le 1er juin 2000, fût majeur. A la demande de l'intéressé, le juge des enfants a, par un jugement du 18 novembre 2016, prononcé la main levée de son placement auprès de l'aide sociale à l'enfance, puis, par décision du 10 janvier 2017, un non-lieu à assistance éducative, après avoir constaté que M. B... n'était pas en danger compte tenu des conditions satisfaisantes dans lesquelles il était pris en charge par un particulier. Le 2 juillet 2018, M. B... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 313-10 et L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 6 novembre 2018, la préfète de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office, et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. M. B... relève appel du jugement du 28 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française.(...) ". L'article L.313-10 du même code dispose : " Une carte de séjour temporaire, d'une durée maximale d'un an, autorisant l'exercice d'une activité professionnelle est délivrée à l'étranger : / 1° Pour l'exercice d'une activité salariée sous contrat de travail à durée indéterminée, dans les conditions prévues à l'article L. 5221-2 du code du travail. Elle porte la mention " salarié ". / (...) / 2° Pour l'exercice d'une activité salariée sous contrat de travail à durée déterminée (...), dans les conditions prévues à l'article L. 5221-2 dudit code. Cette carte est délivrée pour une durée identique à celle du contrat de travail ou du détachement, dans la limite d'un an. Elle est renouvelée pour une durée identique à celle du contrat de travail ou du détachement. Elle porte la mention " travailleur temporaire " ;(...) ".

3. Pour refuser de délivrer à M. B... le titre de séjour sollicité par celui-ci, la préfète de la Seine-Maritime s'est fondée sur le fait que les documents produits par l'intéressé ne permettaient pas d'établir son identité et sa minorité lors de son placement auprès des services de l'aide sociale à l'enfance, sur le fait qu'il ne justifiait pas du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, ni d'une promesse d'embauche ou d'un contrat visé par les autorités compétentes.

4. Aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...) ". Aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. / (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil (...) des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".

5. Il résulte des dispositions précitées des articles L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 47 du code civil que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation, par l'administration, de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

6. Il ressort des pièces du dossier que, pour justifier de son identité et de son âge, M. B... a produit, d'une part, un jugement en date du 8 mai 2015 émanant du tribunal d'instance de Poto-Poto Moungali Brazzaville ordonnant, en vertu de l'article 45 du code congolais de la famille, à l'officier d'état-civil d'établir l'acte de naissance de l'intéressé au 1er juin 2000, un acte de naissance daté du 7 mai 2016 transcrivant ce jugement, un duplicata en date du 24 novembre 2016 de cet acte de naissance, et une copie intégrale de l'acte de naissance en date du 17 mai 2017, d'autre part, une carte nationale d'identité congolaise émise le 20 février 2014 et valide jusqu'au 19 février 2024. Pour mettre en doute les informations concordantes ressortant de ces documents sur son identité et sa date de naissance, qui ont toujours été celles présentées par M. B... à compter du moment où il s'est présenté en juin 2016 au service de l'aide sociale à l'enfance, la préfète de la Seine-Maritime fait valoir que la date de naissance mentionnée sur ces actes ne correspond pas à celle enregistrée dans le traitement automatisé Visabio par l'ambassade de France en République du Congo à l'occasion de deux demandes de visas présentées par l'intéressé les 5 mai et 17 septembre 2014. Toutefois, d'une part, M. B... admet avoir procédé à des déclarations mensongères en se déclarant majeur à l'occasion de la présentation et de l'instruction de ces demandes de visa. D'autre part, l'administration ne conteste pas l'authenticité du jugement du 8 mai 2015 émanant du tribunal d'instance de Poto-Poto Moungali Brazzaville. Enfin, le tribunal correctionnel de Rouen, dans son jugement du 19 septembre 2017, a relaxé M. B... du chef de " déclaration fausse ou incomplète pour obtenir d'une personne publique ou d'un organisme chargé d'une mission de service public une allocation, une prestation, un paiement ou un avantage indu " en se fondant non seulement sur le jugement du tribunal congolais mais aussi sur l'absence d'éléments corroborant la date de naissance indiquée par l'intéressé lors de la présentation de ses demandes de visa. Dans ces conditions, l'identité et la minorité de M. B..., au moment où il a été pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Seine-Maritime, doivent, conformément à ce qu'avait admis le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen dans son jugement du 18 octobre 2016, être tenues pour établies.

7. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a suivi sérieusement, entre novembre 2017 et juillet 2018, la première année du cursus de deux ans préparant au certificat d'aptitude professionnelle " Peintre ". Par ailleurs, M. B... s'est particulièrement investi, avec réussite, dans l'athlétisme, et pratique cette discipline depuis juillet 2016 au sein du " Stade Sottevillais 76 ", cette structure sportive lui ayant permis de suivre les entraînements d'un groupe de haut niveau, et l'ayant intégré à son pôle " Espoir ". En outre, M. B... a noué des relations très fortes avec un ressortissant français, engagé dans l'activité associative et sportive, qui l'a hébergé à partir du 13 juillet 2016. C'est en raison du soutien ainsi apporté à M. B... que le juge des enfants a relevé, dans son jugement du 10 janvier 2017, qu'il n'y avait plus lieu à assistance éducative à l'égard de l'intéressé en raison des conditions satisfaisantes dans lesquelles il était pris en charge par cette personne. Ce dernier s'est d'ailleurs engagé, à compter du 9 février 2018, dans une procédure d'adoption simple de M. B..., à laquelle celui-ci a consenti le 11 septembre 2018 devant un officier ministériel, et qui a d'ailleurs abouti, postérieurement à l'arrêté contesté, par un jugement du 5 mars 2019 du tribunal de grande instance de Rouen. Enfin, de nombreuses attestations étayées, émanant de personnes de tous âges et d'horizons divers, parmi lesquelles un maire de la métropole Rouen Normandie, des camarades d'entraînement sportif et plusieurs membres de la famille de la personne ayant pris en charge M. B..., confirment non seulement la force et la réalité des liens entre l'intéressé et celui qui est devenu son père adoptif, mais également son investissement sportif et associatif, ainsi que son sens des relations humaines et sociales. En conséquence, dans les circonstances particulières de l'espèce et alors même que M. B... a eu des contacts téléphoniques avec un membre de sa famille au Congo, la préfète de la Seine-Maritime, en refusant de délivrer à M. B... un titre de séjour, doit être regardée comme ayant entaché cette décision d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, l'arrêté du 6 novembre 2018, en ce qu'il refuse à M. B... la délivrance d'un titre de séjour, doit être annulé. Par voie de conséquence, les décisions subséquentes portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, fixant le pays de renvoi et portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans doivent être annulées.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 novembre 2018 de la préfète de la Seine-Maritime.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

9. Le présent arrêt, qui annule l'arrêté du 6 novembre 2018 par lequel la préfète de la Seine-Maritime a notamment refusé de délivrer à M. B... un titre de séjour au motif que cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, implique nécessairement qu'une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" soit délivrée à l'intéressé. Il y a lieu, par suite, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" dans le délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

10. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 7611 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que l'avocat de M. B... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de celuici le versement à Me E... de la somme de 1 000 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 28 février 2019 du tribunal administratif de Rouen et l'arrêté du 6 novembre 2018 du préfet de la Seine-Maritime sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à Me E... en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au préfet de la Seine-Maritime, au ministre de l'intérieur et à Me E....

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N°19DA00880


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA00880
Date de la décision : 02/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Binand
Rapporteur ?: Mme Hélène Busidan
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SELARL MADELINE-LEPRINCE-MAHIEU

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-07-02;19da00880 ?
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