Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. G... D... a demandé au tribunal administratif de Lille d'une part d'annuler l'arrêté du 25 février 2019 par lequel le préfet du Pas-de-Calais lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français, d'autre part d'enjoindre au préfet du Pas-de-Calais de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour sous un délai de quinze jours à compter de la date de notification du jugement à intervenir sous astreinte de 152,45 euros par jour de retard et de procéder à un nouvel examen de sa situation.
Par un jugement n° 1901688 du 4 mars 2019, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 avril 2019, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M. D... ;
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- la convention d'application de l'accord de Schengen signée le 19 juin 1990, modifiée ;
- le règlement (CE) n° 1987/2006 du 20 décembre 2006 du Parlement européen et du Conseil ;
- la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 ;
- la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004
- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... F..., première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet du Pas-de-Calais a pris le 25 février 2019, à l'encontre de M. D... ressortissant albanais né le 20 juillet 1996, un arrêté que l'intéressé a contesté devant le tribunal administratif de Lille en tant qu'il lui faisait obligation de quitter le territoire français sans délai, fixait le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui interdisait le retour sur le territoire français pendant un an à compter de l'exécution de l'arrêté. Le magistrat désigné du tribunal administratif de Lille a annulé ces décisions par jugement du 4 mars 2019, dont le préfet du Pas-de-Calais relève appel.
Sur le motif d'annulation retenu par le premier juge :
2. L'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " I. _ L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. // (...) // La décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français est motivée. (...) ".
3. L'arrêté en litige cite les dispositions du 1° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relève que M. D... ne peut justifier être entré régulièrement en France, et précise que si, en tant que ressortissant albanais détenant un passeport biométrique, il satisfait à la condition d'entrée en France posée au 1° de l'article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'intéressé ne justifie pas satisfaire aux conditions du 2° de ce même article. L'arrêté explicite ainsi toutes les considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet du Pas-de-Calais s'est fondé pour obliger M. D... à quitter le territoire français. Si, après avoir relevé que l'intéressé établissait provenir directement de Grèce, et que son passeport justifiait de son entrée dans l'espace Schengen par un Etat membre, le préfet a estimé que ces circonstances étaient sans incidence sur la base légale de l'obligation de quitter le territoire français qu'il choisissait de prendre au regard des dispositions et stipulations applicables, le fait qu'il n'a pas indiqué les motifs pour lesquels il n'envisageait pas une décision de reprise par les autorités grecques est sans incidence sur le respect par le préfet de l'exigence de motivation énoncée à l'avant-dernier alinéa du I de l'article L. 511-1, dès lors qu'il incombe dans tous les cas à l'administration d'examiner si les éléments portés à sa connaissance sont susceptibles de lui interdire l'édiction d'une obligation de quitter le territoire français. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'obligation de quitter le territoire français manque en fait, et c'est en conséquence à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal de Lille s'est fondé sur ce motif pour annuler l'arrêté du préfet du Pas-de-Calais en date du 25 février 2019.
4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. D... devant le tribunal administratif de Lille.
Sur le moyen commun à l'ensemble des décisions contestées :
5. Par un arrêté du 18 décembre 2017 régulièrement publié au recueil spécial des actes administratifs n° 121 du même jour, le préfet du Pas de Calais a donné délégation à M. C... A..., attaché principal, chef du bureau de l'éloignement et signataire de l'arrêté en litige, à l'effet de signer, en particulier, les décisions portant obligation de quitter le territoire français avec ou sans délai de départ volontaire, celles fixant les pays de destination de telles mesures d'éloignement. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions contenues dans l'arrêté du 25 février 2019, qui manque en fait, doit être écarté.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
6. En premier lieu, il résulte des dispositions des articles L. 511-1 et L. 511-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à l'obligation de quitter le territoire français, et des articles L. 531-1 et suivants du même code, relatives aux procédures de remise aux Etats membres de l'Union européenne ou parties à la convention d'application de l'accord de Schengen, que le champ d'application des mesures obligeant un étranger à quitter le territoire français et celui des mesures de remise d'un étranger à un autre Etat ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et que le législateur n'a pas donné à l'une de ces procédures un caractère prioritaire par rapport à l'autre. Il s'ensuit que, lorsque l'autorité administrative envisage une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger dont la situation entre dans le champ d'application de l'article L. 531-1 ou des deuxième à quatrième alinéas de l'article L. 531-2, elle peut légalement, soit le remettre aux autorités compétentes de l'Etat membre de l'Union européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, sur le fondement des articles L. 531-1 et suivants, soit l'obliger à quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 511-1. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce que l'administration engage l'une de ces procédures alors qu'elle avait préalablement engagé l'autre. Toutefois, si l'étranger demande à être éloigné vers l'Etat membre de l'UE ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, ou s'il est résident de longue durée dans un Etat membre ou titulaire d'une " carte bleue européenne " délivrée par un tel Etat, il appartient au préfet d'examiner s'il y a lieu de reconduire en priorité l'étranger vers cet Etat ou de le réadmettre dans cet Etat.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. D... n'a pas été en mesure de justifier de conditions d'entrée régulière sur le territoire français et n'a pas obtenu, ni même demandé en France un titre de séjour. Il entrait ainsi dans le cas où, en application du 1° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet peut prononcer une obligation de quitter le territoire français. Si M. D... était par ailleurs titulaire d'une carte de résident en Grèce, a indiqué lors de son audition retranscrite dans le procès-verbal du 25 février 2019 vouloir retourner dans ce pays, et était donc susceptible de faire l'objet d'une remise aux autorités de cet Etat, cette circonstance ne faisait pas, par elle-même, obstacle à ce que le préfet du Pas de Calais prît à son encontre une telle obligation de quitter le territoire, et restait sans influence sur la légalité d'une telle décision. C'est seulement dans le cadre de la détermination du pays de destination vers lequel le ressortissant sera éloigné, que le préfet doit examiner en priorité s'il y a lieu de fixer comme pays de destination celui vers lequel l'intéressé demande à être éloigné. Le moyen tiré de ce que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle et aurait ainsi commis une erreur de droit doit donc être écarté.
8. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que M. D... est arrivé en France la veille de la décision en litige et n'y a aucune attache. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le préfet aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de M. D... doit être écarté.
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
9. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 8 que M. D... n'est pas fondé à invoquer, par voie d'exception, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de renvoi, l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet.
10. En second lieu, aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : / 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Ou, en application d'un accord ou arrangement de réadmission communautaire ou bilatéral, à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; / 3° Ou, avec son accord, à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible (...) ".
11. Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit précédemment, que M. D... est titulaire d'un titre de séjour en cours de validité délivré par la Grèce et qu'au cours de son audition par les services de police, il avait expressément et préalablement à la mesure contestée demandé à être reconduit vers cet Etat. Dans ces conditions, eu égard au principe rappelé à la fin du point 6, le préfet du Pas-de-Calais, qui n'invoque aucun motif susceptible de faire obstacle à la reconduite de M. D... vers la Grèce, a entaché la décision fixant le pays de renvoi d'excès de pouvoir en y mentionnant la possibilité d'une reconduite à destination du pays dont M. D... a la nationalité.
Sur la décision refusant un délai de départ volontaire :
12. En premier lieu, l'arrêté contesté comporte l'énoncé des circonstances de droit et de fait sur lesquelles le préfet du Pas-de-Calais s'est fondé pour ne pas accorder à M. D... un délai de départ volontaire. Cette décision est, ainsi, suffisamment motivée au regard des exigences du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
13. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 8 que M. D... n'est pas fondé à invoquer, par voie d'exception, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision de ne pas lui accorder un délai de départ volontaire, l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
14. En troisième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 7, M. D... ne justifiait pas d'une entrée régulière en France, où il n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour. N'ayant pas communiqué d'adresse effective à l'administration, il ne présentait pas de garanties de représentation suffisantes. Il se trouvait ainsi dans les cas, prévus par les dispositions du a) et du f) du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, où le préfet peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire à l'étranger qu'il oblige à quitter le territoire français. La seule circonstance que M. D... avait sollicité d'être réadmis en Grèce dès son audition n'était pas suffisante pour estimer qu'il n'aurait pas existé pas de risque qu'il se soustraie à l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre. Dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir qu'en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, le préfet du Pas-de-Calais aurait fait une inexacte application de ces dispositions.
Sur l'interdiction de retour :
15. En premier lieu, l'arrêté contesté cite les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il énonce que l'obligation de quitter sans délai le territoire français doit être assortie d'une interdiction de retour et que M. D... ne bénéficie pas d'un délai de départ volontaire, indiquant ainsi dans quel cas d'édiction d'une interdiction de retour sur le territoire français se trouve l'intéressé. Cet arrêté explicite, par ailleurs, les éléments retenus par le préfet du Pas-de-Calais au regard des quatre critères prévus par la loi pour fixer la durée de l'interdiction, c'est-à-dire la durée de séjour en France de M. D..., son absence de liens privés et familiaux sur le territoire français, et les circonstances qu'il ne représente pas une menace à l'ordre public et n'a pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement. Enfin, si M. D... a indiqué au cours de son audition par les services de police qu'il voulait retourner en Grèce où il vivait avec son père, il ne peut être regardé comme s'étant ainsi prévalu de circonstances humanitaires au sens des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet du Pas-de-Calais n'était, dès lors, pas tenu de se prononcer expressément sur ce point. L'interdiction de retour répond, par suite, aux exigences de motivation résultant de ces dispositions.
16. En deuxième lieu, la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français n'est pas subordonnée à la délivrance à l'intéressé de l'information prévue par l'article 42 du règlement du 20 décembre 2006 sur l'établissement, le fonctionnement et l'utilisation du système d'information Schengen de deuxième génération, conformément aux exigences de la directive du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.
17. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 8, et aux points 12 à 14 que M. D... n'est pas fondé à invoquer, par voie d'exception, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision d'interdiction de retour sur le territoire français, l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français et l'illégalité de la décision lui refusant un délai de départ volontaire.
18. En dernier lieu, d'une part, ainsi qu'il a été dit précédemment, M. D... n'avait séjourné qu'un jour sur le territoire français, où il n'a aucune attache, lorsque l'arrêté contesté a été pris. D'autre part, il résulte des stipulations de l'article 25 de la convention d'application de l'accord de Schengen signée le 19 juin 1990, modifiée, que lorsqu'un étranger est titulaire d'un titre de séjour délivré par l'une des parties contractantes, l'Etat signalant limite l'inscription de l'intéressé à sa liste nationale de signalement, à moins que l'Etat qui a délivré ce titre, saisi par l'Etat signalant, estime qu'il existe des motifs sérieux pour retirer le titre de séjour. Ainsi, contrairement à ce que soutient M. D..., la décision d'interdiction de retour prise à son encontre n'a pas, par ellemême, pour effet de lui interdire de se rendre sur le territoire de l'Etat grec où un titre de séjour valable trois ans jusqu'en juillet 2020 lui a été délivré. Il s'ensuit qu'en prenant à l'encontre de l'intéressé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, le préfet du Pas-de-Calais n'a ni procédé à une inexacte application des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni, enfin, commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de la situation personnelle de l'intéressé.
19. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lille a annulé la décision portant obligation de quitter sans délai le territoire français, la décision fixant le pays de destination en tant qu'elle fixe la Grèce comme éventuel pays de renvoi, la décision refusant un délai de départ volontaire et l'interdiction de retour d'une durée d'un an contenues dans son arrêté pris le 25 février 2019 à l'encontre de M. D....
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il procède à l'annulation de la décision portant obligation de quitter sans délai le territoire français, de la décision fixant le pays de renvoi dans la mesure où elle permet sa reconduite en Grèce, de la décision refusant un délai de départ volontaire et de l'interdiction de retour d'une durée d'un an contenues dans l'arrêté pris le 25 février 2019 par le préfet du Pas-de-Calais à l'encontre de M. D....
Article 2 : Les conclusions présentées par M. D... devant le tribunal administratif de Lille tendant à l'annulation de la décision portant obligation de quitter sans délai le territoire français, de la décision fixant le pays de renvoi en tant qu'elle permet sa reconduite en Grèce, de la décision refusant un délai de départ volontaire et de l'interdiction de retour d'une durée d'un an contenues dans l'arrêté pris le 25 février 2019 par le préfet du Pas-de-Calais à son encontre sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du préfet du Pas-de-Calais est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. G... D....
Copie en sera adressée au préfet du Pas-de-Calais.
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N°19DA00903