Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Bouygues Bâtiment Grand Ouest venant aux droits de la société Quille, a demandé au tribunal administratif de Rouen de reconnaître la responsabilité décennale des sociétés Ateliers Jean Nouvel et Socotec pour les désordres des revêtements de sols et de murs en mosaïque du complexe aquatique des docks Vauban au Havre, de fixer sa créance au passif de la procédure de sauvegarde de la société Ateliers Jean Nouvel à la somme de 538 081,6 euros et de condamner la société Socotec à lui verser la somme de 672 602 euros hors taxes, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la procédure et de leur capitalisation.
Par un jugement n° 1702752 du 30 septembre 2019, le tribunal administratif de Rouen a déclaré fondée la créance de 437 191,55 euros de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest au passif de la société Ateliers Jean Nouvel et a condamné la société Socotec à verser à la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, la somme de 33 630,12 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 13 septembre 2017 et capitalisation de ces intérêts à compter du 13 septembre 2018. Il a également rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 29 novembre 2019, sous le n° 19DA02618, et des mémoires enregistrés le 16 septembre 2020, le 6 janvier 2021 et le 1er mars 2021, la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, représentée par Me A... B... demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement en tant qu'il a retenu sa part de responsabilité à hauteur de 30% et a limité la part de responsabilité des sociétés Ateliers Jean Nouvel et Socotec respectivement à 65% et 5% ;
2°) de condamner la société Socotec à lui payer la somme de 672 602 euros hors taxes, avec intérêts au taux légal à compter du 13 septembre 2017, et capitalisation à compter du 13 septembre 2018 ;
3°) de fixer la créance de la société Bouygues bâtiment Grand Ouest au passif de la procédure de sauvegarde de la société Ateliers Jean Nouvel à la somme de 538 081,6 euros ;
4°) de mettre à la charge de la société Socotec construction la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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II.) Par une requête, enregistrée sous le n° 19DA02623, et des mémoires enregistrés le 29 novembre 2019, le 21 octobre 2020 et le 21 janvier 2021, la société Ateliers Jean Nouvel, et Me J..., mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde de cette société ainsi que Me H..., administrateur judiciaire à la procédure de sauvegarde de cette société, représentés par Me G... E..., demandent à la cour :
1°) d'annuler les articles 1 et 3 du jugement ;
2°) de rejeter les demandes de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest ;
3°) à titre subsidiaire, de limiter la responsabilité décennale de la société Ateliers Jean Nouvel à hauteur de 5 % des travaux conservatoires financés par la société Quille, devenue la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest ;
4°) en tout état de cause de mettre à la charge de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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III). Par une requête enregistrée sous le n° 20DA00468, le 13 mars 2020, la société Ateliers Jean Nouvel, société par actions simplifiée et Me J..., mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde de cette société ainsi que Me H..., administrateur judiciaire à la procédure de sauvegarde de cette société, représentés par Me G... E..., demandent à la cour d'ordonner le sursis à exécution de l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Rouen du 30 septembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de commerce ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public ;
- et les observations de Me A... B... pour la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest et de Me I... F... pour la société Ateliers Jean Nouvel ainsi que pour le mandataire et l'administrateur judiciaire à la procédure de sauvegarde de cette société.
Considérant ce qui suit :
1. La communauté d'agglomération havraise a décidé de la réalisation d'un complexe aquatique situé docks Vauban au Havre. La maîtrise d'oeuvre a été confiée à un groupement solidaire composé principalement de la société Ateliers Jean Nouvel et de la société Sero. Le groupement solidaire composé des sociétés Quille, devenue Bouygues Bâtiment grand Ouest et Hervé thermique était chargé de la construction de ce complexe par acte d'engagement du 6 juillet 2004. La société Socotec France dénommée Socotec aux droits de laquelle vient la société Socotec construction avait été choisie comme contrôleur technique par acte d'engagement du 19 janvier 2005. La réception des travaux a été prononcée le 27 juin 2008. Postérieurement, des désordres sont apparus et la société Quille a effectué des travaux de réparation. Parallèlement, la société Ateliers Jean Nouvel a été placée en procédure de sauvegarde par jugement du tribunal de commerce de Paris du 4 octobre 2016. Saisie par la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, le tribunal administratif de Rouen, par un jugement du 30 septembre 2019, a déclaré fondée à hauteur de 437 191,55 euros, la créance de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest inscrite au passif de la société Ateliers Jean Nouvel et a condamné la société Socotec à verser à la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, la somme de 33 630,12 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 13 septembre 2017 et capitalisation à compter du 13 septembre 2018. Par un appel croisé, la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest et la société Ateliers Jean Nouvel relèvent appel de ce jugement.
Sur la jonction :
2. La requête de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, enregistrée sous le n° 19DA02618 et celles de la société Ateliers Jean Nouvel, enregistrées sous les n° 19DA02618 et 20DA00468 sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la recevabilité des conclusions de la société Socotec dans le dossier n° 19DA02623 :
3. Les conclusions d'annulation du jugement formées la première fois le 31 juillet 2020 par la société Socotec construction dans le dossier n°19DA02623 ne sont pas dirigées contre l'appelant principal, la société Ateliers Jean Nouvel. Par suite, elles constituent des conclusions d'appel principal et sont donc tardives à l'encontre du jugement du 30 septembre 2019, notifié le 1er octobre 2019. Elles doivent en conséquence être rejetées pour ce motif.
Sur la fin de non-recevoir opposée à la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest :
4. L'irrecevabilité de la demande de première instance de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest tirée d'un défaut de qualité pour agir, est soulevée en cause d'appel, tant par la société Ateliers Jean Nouvel que par la société Socotec construction, qui est recevable à le faire par la voie de l'appel incident dans le dossier n° 19DA02618.
5. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs, que seul le maître d'ouvrage ou son acquéreur est détenteur de cette garantie. En l'espèce, la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest n'établit, ni même n'allègue qu'elle serait propriétaire du bâtiment ou l'aurait acquis ou que l'action en garantie décennale lui aurait été cédée par ce propriétaire.
6. La société Bouygues Bâtiment Grand Ouest soutient être subrogée aux droits de la communauté d'agglomération havraise au motif qu'elle a effectué des travaux de réparation conservatoires pour permettre, selon elle, le maintien de l'ouverture au public malgré des désordres affectant des carrelages. Elle demande que le montant de ces travaux soit inscrit au passif de la société Jean Nouvel et que la société Socotec construction soit condamnée à lui payer la part de ces travaux correspondant à son quantum de responsabilité.
7. Aux termes de l'article 1346 du code civil dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats applicable au présent litige : " La subrogation a lieu par le seul effet de la loi au profit de celui qui, y ayant un intérêt légitime, paie dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette. " et aux termes de l'article 1346-1 du même code : " La subrogation conventionnelle s'opère à l'initiative du créancier lorsque celui-ci, recevant son paiement d'une tierce personne, la subroge dans ses droits contre le débiteur. / Cette subrogation doit être expresse. / Elle doit être consentie en même temps que le paiement, à moins que, dans un acte antérieur, le subrogeant n'ait manifesté la volonté que son cocontractant lui soit subrogé lors du paiement. La concomitance de la subrogation et du paiement peut être prouvée par tous moyens. ". L'article 1346-4 de ce code prévoit que : " La subrogation transmet à son bénéficiaire, dans la limite de ce qu'il a payé, la créance et ses accessoires, à l'exception des droits exclusivement attachés à la personne du créancier. " et l'article 1346-5 précise que : " Le débiteur peut invoquer la subrogation dès qu'il en a connaissance mais elle ne peut lui être opposée que si elle lui a été notifiée ou s'il en a pris acte. / La subrogation est opposable aux tiers dès le paiement. / Le débiteur peut opposer au créancier subrogé les exceptions inhérentes à la dette, telles que la nullité, l'exception d'inexécution, la résolution ou la compensation de dettes connexes. Il peut également lui opposer les exceptions nées de ses rapports avec le subrogeant avant que la subrogation lui soit devenue opposable, telles que l'octroi d'un terme, la remise de dette ou la compensation de dettes non connexes. ".
8. En l'espèce, en tout état de cause, la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest n'allègue ni ne justifie d'une subrogation conventionnelle du maître d'ouvrage telle que prévue par l'article 1346-1 du code civil précité.
9. La société Bouygues Bâtiment Grand Ouest se prévaut de la subrogation légale visée par l'article 1346 du code civil. Mais d'une part, elle n'allègue pas avoir notifié cette subrogation aux autres constructeurs ou qu'ils en aient pris acte, conformément aux dispositions de l'article 1346-5 du code civil. D'autre part, la garantie décennale des constructeurs, qui appartient au seul maître d'ouvrage ou à son acquéreur comme indiqué au point 5, constitue un droit exclusivement attaché à la personne du créancier et relève de l'exception visée par l'article 1346-4 du code civil. Par suite, le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ne peut être fondé sur la garantie décennale, mais sera de nature contractuelle si ces constructeurs sont contractuellement liés, et de nature quasi délictuelle s'ils ne le sont pas. Par suite, la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest ne justifie pas avoir qualité pour agir sur le fondement de la garantie décennale et sa demande de première instance était donc irrecevable.
10. La société Ateliers Jean Nouvel, son mandataire et son administrateur judiciaire ainsi que la société Socotec construction sont donc fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen, par son jugement du 30 septembre 2019, n'a pas fait droit à la fin de non-recevoir qu'ils avaient opposée en première instance aux demandes de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest. Ce jugement doit donc être annulé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par la société Ateliers Jean Nouvel son mandataire et son administrateur judiciaire ainsi que par la société Socotec construction.
11. Il résulte également de ce qui précède que les demandes de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest devant le tribunal administratif de Rouen sont irrecevables et doivent être rejetées pour ce motif. Par suite, sa requête dans l'instance n° 1902618 ne peut qu'être rejetée.
Sur l'appel provoqué de la société Socotec construction :
12 Le présent arrêt annulant le jugement du tribunal administratif de Rouen du 30 septembre 2019 qui a notamment condamné la société Socotec construction, les conclusions d'appel en garantie de cette société sont devenues sans objet.
Sur le sursis à exécution du jugement :
13. La cour annulant par le présent arrêt le jugement du tribunal administratif de Rouen du 30 septembre 2019, les conclusions de la société Ateliers Jean Nouvel tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont donc privées d'objet. Par suite, il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur les dépens :
14. Le jugement du tribunal administratif de Rouen contesté n'a mis aucun dépens à la charge des parties. L'instance d'appel ne comprend aucun dépens Par suite, les conclusions de la société Socotec construction et de la société Jean Nouvel présentées à ce titre, doivent être rejetées.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Socotec construction, qui n'est pas la partie perdante dans l'instance n° 19DA02618, ainsi qu'à la charge de la société Ateliers Jean Nouvel, qui n'est pas la partie perdante dans l'instance n° 20DA00468, les sommes que la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens de ces instances. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Socotec construction et non compris dans les dépens ainsi qu'une somme identique au titre des frais exposés par la société Ateliers Jean Nouvel, son mandataire et son administrateur judiciaires pour l'ensemble des deux instances n° 19DA02618 et 19DA02623 où ces sociétés demandent de tels frais.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 30 septembre 2019 est annulé.
Article 2 : Les demandes de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest sont rejetées.
Article 3 : La requête n° 19DA02618 de la société Bouygues bâtiment Grand Ouest est rejetée.
Article 4 : La société Bouygues Bâtiment Grand Ouest versera la somme globale de 2 000 euros à la société Ateliers Jean Nouvel, à Me J..., mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde de la société Ateliers Jean Nouvel ainsi qu'à Me H..., administrateur judiciaire à la procédure de sauvegarde de la société Ateliers Jean Nouvel, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La société Bouygues Bâtiment Grand Ouest versera la somme de 2 000 euros à la société Socotec construction, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fins de sursis présentées par la société Ateliers Jean Nouvel, par Me J..., mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde de la société ateliers Jean Nouvel ainsi que par Me H..., administrateur judiciaire à la procédure de sauvegarde de la société ateliers Jean Nouvel.
Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Me A... B... pour la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, à Me G... E... pour la société Ateliers Jean Nouvel ainsi que pour Me J..., mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde de la société ateliers Jean Nouvel et pour Me H..., administrateur judiciaire à la procédure de sauvegarde de la société ateliers Jean Nouvel et à Me C... D... pour la société Socotec construction.
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N°19DA02618, 19DA02623 et 20DA00468
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