Vu la procédure suivante :
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 juin 2019 et un mémoire enregistré le 12 février 2021, la société MET La Linière, représentée par Me A... D..., demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 18 avril 2019 par lequel le préfet de l'Aisne a refusé de lui délivrer le permis de construire un parc éolien composé de six aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Landouzy-la-ville ;
2°) d'enjoindre au préfet de l'Aisne de lui délivrer le permis de construire sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ; à titre subsidiaire, d'enjoindre à cette autorité de réexaminer sa demande dans un même délai ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014, notamment son article 18 ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Claire Rollet-Perraud, président-assesseur,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me E... B..., représentant la société MET La Linière.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. La société MET La Linière a déposé le 5 juillet 2013 une demande de permis de construire pour l'implantation d'un parc composé de six éoliennes et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Landouzy-la-ville. A la suite d'une prolongation du délai de l'instruction et d'une demande de pièces manquantes, une décision implicite de rejet est née le 2 août 2014. Par un jugement du 6 juin 2017, le tribunal administratif d'Amiens a annulé ce refus de permis de construire et enjoint au préfet de l'Aisne de réexaminer la demande.
2. Par une lettre du 8 septembre 2017, la société a confirmé sa demande de permis de construire. A la suite de sa saisine du tribunal administratif d'Amiens d'une demande d'exécution du jugement du 6 juin 2017, le préfet de l'Aisne a rejeté cette demande de permis de construire par un arrêté du 18 avril 2019 dont la requête de la société MET La Linière demande l'annulation.
Sur la légalité de la décision attaquée :
En ce qui concerne l'atteinte portée au caractère et à l'intérêt des lieux :
3. Aux termes de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme dans sa version applicable, conformément à l'article L. 600-2 du même code, à la date de la décision implicite de rejet du 2 août 2014 : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales.".
4. Pour apprécier si un projet de construction porte atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.
S'agissant de la qualité du site d'implantation du projet :
5. D'une part, il ressort des pièces du dossier que si le site sur lequel la construction est projetée est situé sur un plateau agricole vallonné relativement ouvert entre deux entités paysagères remarquables, la Basse Thiérache et la Thiérache bocagère au nord-ouest et au sud du lieu d'implantation, il n'est lui-même pas protégé au titre des paysages sensibles ou très sensibles ni recensé au titre des paysages emblématiques.
6. D'autre part, des sites classés ou inscrits au titre des monuments historiques sont présents aux alentours du projet, au nombre de un dans le périmètre rapproché, dix-sept dans le périmètre intermédiaire et dix-neuf dans le périmètre éloigné. L'église fortifiée de la Bouteille, monument historique le plus proche, se situe à 2,66 kilomètres du parc. Les trois églises fortifiées de Plomion, de Jeantes et de Bancigny, protégées au titre des monuments historiques, se trouvent respectivement à 4,59, 5,32 et 5,34 kilomètres du projet. La halle de Plomion est également classée monument historique.
S'agissant de l'impact du projet sur le site :
7. Toutefois, d'une part, l'existence d'une atteinte significative portée par le projet au caractère et à l'intérêt des paysages ne ressort d'aucune pièce du dossier.
8. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, et notamment des études d'impact initiale et complémentaire ainsi que des avis émis par l'autorité environnementale et par le commissaire-enquêteur, que le projet ne présentera ni covisibilité ni intervisibilité avec les églises fortifiées de Plomion, de Jeantes et de Bancigny en raison soit de leur implantation en creux de vallée soit de la présence de bâtis ou de boisements venant les dissimuler.
9. Enfin, si une covisibilité entre le village de Plomion et le parc éolien projeté est démontrée par un photomontage pris à une distance de 6,4 kilomètres du projet, les machines restent peu visibles et il n'en ressort ni effet de surplomb ni effet d'écrasement.
10. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce qu'a estimé le préfet de l'Aisne qui ne soutient ni que les photomontages de l'étude d'impact ne décriraient pas l'impact réel du projet ni qu'ils seraient en nombre insuffisant, les atteintes portées par le projet au caractère et à l'intérêt des lieux ou monuments avoisinants ne sont pas de nature à justifier le refus de permis de construire attaqué.
En ce qui concerne l'atteinte portée à la biodiversité :
S'agissant du cadre juridique applicable au litige :
11. Aux termes de l'article L. 110 du code de l'urbanisme dans sa version applicable au litige : " Le territoire français est le patrimoine commun de la nation. Chaque collectivité publique en est le gestionnaire et le garant dans le cadre de ses compétences. Afin d'aménager le cadre de vie, d'assurer sans discrimination aux populations résidentes et futures des conditions d'habitat, d'emploi, de services et de transports répondant à la diversité de ses besoins et de ses ressources, de gérer le sol de façon économe, de réduire les émissions de gaz à effet de serre, de réduire les consommations d'énergie, d'économiser les ressources fossiles, d'assurer la protection des milieux naturels et des paysages, la préservation de la biodiversité notamment par la conservation, la restauration et la création de continuités écologiques, ainsi que la sécurité et la salubrité publiques et de promouvoir l'équilibre entre les populations résidant dans les zones urbaines et rurales et de rationaliser la demande de déplacements, les collectivités publiques harmonisent, dans le respect réciproque de leur autonomie, leurs prévisions et leurs décisions d'utilisation de l'espace. Leur action en matière d'urbanisme contribue à la lutte contre le changement climatique et à l'adaptation à ce changement. "
12. Il résulte des termes mêmes de l'article L.111-1 du code de l'urbanisme que la disposition de l'article L. 110 du même code qui énonçait des objectifs à prendre en compte par les collectivités publiques " dans leurs décisions d'utilisation de l'espace " n'était pas opposable aux décisions individuelles à intervenir sur les projets de construction dans des communes ou dans des parties de communes dotées d'un plan d'occupation des sols ou d'un plan local d'urbanisme rendu public ou approuvé.
13. Or il ne ressort pas des pièces du dossier que la commune de Landouzy-la-ville était dotée d'un tel document de planification. Le préfet de l'Aisne a donc pu à bon droit fonder sa décision sur les dispositions de l'article L. 110 du code de l'urbanisme.
S'agissant de l'appréciation de l'atteinte portée à la biodiversité :
14. Le site d'implantation du projet se situe dans la zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique de type 1 " Bocage de Landouzy et Besmont ", à proximité de la zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique de type 1 " Forêt de la Haye d'Aubenton et bois de Plomion " et à environ 8,7 kilomètres du périmètre rapproché de la zone de protection spéciale " Forêts de Thiérache : Hirson et Saint-Michel ".
15. Le préfet et le ministre ont notamment relevé que des cigognes noires nichent dans la zone de protection spéciale susmentionnée, en particulier dans la forêt domaniale de Saint-Michel, que cette espèce est considérée comme étant en danger sur la liste rouge des oiseaux nicheurs de France métropolitaine de 2016 et en danger critique d'extinction en Picardie et enfin que la cigogne recherche sa nourriture dans un rayon de 10 kilomètres, ce qui placerait le parc éolien dans son champ d'évolution.
16. Toutefois, en premier lieu, l'étude d'impact diligentée en octobre 2012 n'a constaté aucune présence de la cigogne noire dans le secteur d'implantation du projet.
17. En deuxième lieu, l'étude des incidences Natura 2000 du projet finalisée en mai 2015 a constaté que le site d'implantation du projet n'était pas favorable à la cigogne noire qui fréquente les forêts traversées de cours d'eau ou marais, que la présence de cette espèce sur ce site était " non significative ", que le risque de collision avec les éoliennes était " faible " et que le parc éolien projeté " n'est pas susceptible de provoquer des incidences significatives sur la population de cigognes noires de la zone de protection spéciale ".
18. En troisième lieu, si le " complément à l'étude écologique du projet " réalisé en mai 2015 a fait état d'un enjeu " fort " lié aux éventuels passages migratoires des populations régionales de cigogne noire au-dessus de la zone du projet, il a conclu pour la zone du projet à une sensibilité " faible " pour les populations européennes et nationales et à une sensibilité " modérée " pour les populations régionales de cette espèce.
19. En quatrième lieu, la société MET La Linière a prévu, pour réduire un éventuel impact du projet, de suivre les déplacements des cigognes et d'arrêter si nécessaire les machines pendant les passages de l'oiseau dans les couloirs de migration proches du projet.
20. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce qu'a estimé le préfet de l'Aisne qui n'a pas produit à l'instance aucun document de nature à remettre en cause les conclusions des études susmentionnées, les atteintes portées par le projet à la biodiversité ne sont pas de nature à justifier le refus de permis de construire attaqué.
21. Pour l'application de l'article L. 60041 du code de l'urbanisme, aucun autre moyen invoqué n'est de nature, en l'état de l'instruction, à fonder l'annulation de l'arrêté litigieux.
22. Il résulte de tout ce qui précède que la société MET La Linière est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 18 avril 2019.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
23. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...) ".
24. Aux termes de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'un refus opposé à une demande d'autorisation d'occuper ou d'utiliser le sol (...) a fait l'objet d'une annulation juridictionnelle, la demande d'autorisation (...) confirmée par l'intéressé ne peut faire l'objet d'un nouveau refus ou être assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme intervenues postérieurement à l'intervention de la décision annulée, sous réserve que l'annulation soit devenue définitive et que la confirmation de la demande (...) soit effectuée dans les six mois suivant la notification de l'annulation au pétitionnaire. ".
25. Lorsque le juge annule un refus d'autorisation après avoir censuré l'ensemble des motifs que l'autorité compétente a énoncés dans sa décision conformément aux prescriptions de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme ainsi que, le cas échéant, les motifs qu'elle a pu invoquer en cours d'instance, il doit, s'il est saisi de conclusions à fin d'injonction, ordonner à l'autorité compétente de délivrer l'autorisation. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction soit que les dispositions en vigueur à la date de la décision annulée, qui eu égard aux dispositions de l'article L. 600-2 demeurent applicables à la demande, interdisent de l'accueillir pour un motif que l'administration n'a pas relevé, ou que, par suite d'un changement de circonstances, la situation de fait existant à la date du jugement y fait obstacle. L'autorisation d'occuper ou utiliser le sol délivrée dans ces conditions peut être contestée par les tiers sans qu'ils puissent se voir opposer les termes du jugement ou de l'arrêt.
26. Il ne résulte de l'instruction ni que les dispositions applicables à la date de l'arrêté annulé interdisaient la délivrance d'un permis de construire pour un motif autre que ceux censurés par le présent arrêt, ni qu'un changement dans les circonstances de fait faisant obstacle à la délivrance du permis se soit produit depuis l'édiction de l'arrêté annulé.
27. Dans ces conditions, il y a lieu d'enjoindre au préfet de l'Aisne de délivrer à la société MET La Linière le permis de construire le parc éolien projeté composé de six aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Landouzy-la-ville, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
28. Sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société MET La Linière d'une somme de 1 500 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La décision du 18 avril 2019 par laquelle le préfet de l'Aisne a refusé de délivrer à la société MET La Linière le permis de construire un parc éolien composé de six aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Landouzy-la-ville est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Aisne de délivrer le permis de construire le parc éolien projeté composé de six aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Landouzy-la-ville, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à la société MET La Linière la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par la société MET La Linière est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Me A... D... pour la société MET La Linière et à la ministre de la transition écologique.
Copie en sera adressée au préfet de l'Aisne.
C...C...
N° 19DA01414
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