Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 29 mars 2019 par lequel le préfet du Nord a rejeté sa demande tendant à la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai d'un mois et a fixé le pays de renvoi, d'autre part d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai d'un mois à compter de la date de notification du jugement à intervenir, sous une astreinte de 150 euros par jour de retard, ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour, sous les mêmes conditions de délai et d'astreinte.
Par un jugement n°1906390 du 31 décembre 2019, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté, a enjoint du préfet du Nord de délivrer à Mme B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la date de notification dudit jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de Mme B... d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 janvier 2020, le préfet du Nord demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Lille.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Par une ordonnance du 27 août 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 septembre 2020 à 12h00.
Mme B... a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 juin 2020.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Binand, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme F... B..., ressortissante nigériane née le 31 mai 1984 à Lagos (Nigeria), est entrée en France le 15 mars 2015, selon ses déclarations. Après le rejet de sa demande d'asile, elle a sollicité, le 31 mai 2018, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en faisant valoir la reconnaissance par M. E..., ressortissant français, de la paternité de son enfant né le 3 novembre 2016. Par un arrêté du 29 mars 2019, le préfet du Nord a rejeté cette demande, au motif que cette reconnaissance de paternité présentait un caractère frauduleux, a fait obligation à Mme B... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le préfet du Nord relève appel du jugement du 31 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté, lui a enjoint de délivrer à Mme B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la date de notification dudit jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de Mme B... d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée ; / (...) ".
3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.
4. Ainsi qu'il a été dit au point 1, le préfet du Nord, pour rejeter la demande de titre de séjour présentée par Mme B..., a estimé que l'enfant de celle-ci tirait sa nationalité française d'une reconnaissance de paternité par un ressortissant français qui présentait un caractère frauduleux. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est la mère d'un enfant né le 3 novembre 2016, portant son nom, ayant fait l'objet d'une reconnaissance de paternité par anticipation, le 18 juillet 2016, par un ressortissant français, M. A... E.... Le préfet du Nord fait valoir que l'intéressée et M. E... n'ont jamais vécu ensemble, ni entretenu une relation suivie, que Mme B... n'a pas été en mesure de donner l'identité complète de l'auteur de la reconnaissance de paternité lors d'un entretien avec ses services, qu'ils ont des lieux de résidence relativement éloignés, situés, respectivement, dans le Nord de la France et en région parisienne, que M. E... ne justifie pas contribuer à l'entretien et à l'éducation de l'enfant qui a été conçu alors qu'il était marié à une autre personne, et que, ainsi d'ailleurs que son frère, il est connu des services préfectoraux d'autres départements pour avoir reconnu plusieurs autres enfants " généralement " nés de femmes étrangères. Toutefois, à l'appui de ses assertions, le préfet du Nord se borne à verser au dossier le signalement de ces faits, dépourvu de toute autre précision ou indication de nature à établir le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité souscrite par ce ressortissant français, effectué par ses services le 30 décembre 2018 auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lille et qui, notamment, fait état de la reconnaissance par M. E... de deux autres enfants, nés respectivement en 2011 et en 2012 de mère étrangères, dont lui ont fait part le préfet de l'Oise et le préfet du Haut-Rhin. Toutefois, le préfet du Nord, qui, selon les motifs énoncés dans l'arrêté en litige, n'exclut d'ailleurs pas la possibilité que M. E... soit le père biologique de l'enfant de Mme B..., ne verse aux débats aucune précision autre que les éléments d'appréciation susmentionnés, ni même aucun élément de nature à établir les suites données par l'autorité judiciaire à ce signalement ou aux autres signalements et enquêtes en cours auquel il se réfère. Par ailleurs, il n'est pas contesté que Mme B..., qui soutient élever seule son enfant, était déjà présente en France lors de la conception de celui-ci et qu'elle n'a demandé la délivrance d'un titre de séjour que dix-huit mois après la naissance de l'enfant et près de deux ans après la reconnaissance de paternité présentée par le préfet du Nord comme étant frauduleuse. Dès lors, et ainsi que l'ont estimé les premiers juges, les éléments avancés par le préfet du Nord, quoique présentant, il est vrai, un certain degré de vraisemblance, ne sont pas, à eux seuls, suffisamment détaillés, ni même établis, pour caractériser l'existence d'une fraude, qu'il appartient à l'autorité préfectorale de justifier, entachant la reconnaissance de paternité de l'enfant de Mme B.... Par suite, c'est à bon droit que le tribunal a regardé Mme B... comme ayant la qualité de parent d'un enfant français et a accueilli le moyen tiré par celle-ci de la méconnaissance, par l'arrêté en litige, des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord n'est pas fondé à soutenir, en l'état des pièces versées au dossier tant devant les premiers juges qu'en cause d'appel, que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 29 mars 2019, lui a enjoint de délivrer à Mme B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et a mis à la charge de l'Etat, qu'il a regardé à juste titre comme la partie perdante, le versement d'une somme de 1 000 euros au conseil de Mme B... sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Les conclusions aux fins d'injonction présentées en cause d'appel par Mme B... ne peuvent qu'être rejetées dès lors qu'il y a déjà été satisfait par le jugement attaqué, sans qu'il soit nécessaire de les assortir d'une astreinte. Enfin, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat, en cause d'appel, le versement de la somme que le conseil de Mme B... demande sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet du Nord est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées devant la cour par Mme B... sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme F... B... et à Me D....
Copie en sera transmise au préfet du Nord.
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N°20DA00169