Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral résultant du décès de son frère, M. C... A..., survenu le 8 janvier 2015 alors qu'il était incarcéré au centre pénitentiaire de Longuenesse.
Par un jugement n° 1705297 du 27 février 2020, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 avril 2020, Mme A..., représentée par Me Quentin Lebas, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros au titre du préjudice moral subi ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761- 1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Aurélie Chauvin, présidente-assesseure,
- et les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 8 janvier 2015, M. C... A..., qui était incarcéré depuis le 18 août 2014 au centre pénitentiaire de Longuenesse, a été retrouvé pendu par son pull accroché à la grille de sécurité intérieure de la cellule du quartier disciplinaire où il avait été placé la veille après une tentative d'agression sur un surveillant à l'infirmerie. Il est décédé à l'âge de cinquante-quatre ans. Imputant ce décès à une carence de l'administration pénitentiaire, Mme B... A..., sa sœur, a sollicité de l'Etat l'indemnisation de son préjudice moral. Elle relève appel du jugement du 27 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice.
2. La responsabilité de l'Etat en cas de préjudice matériel ou moral résultant du suicide d'un détenu peut être recherchée pour faute des services pénitentiaires en raison notamment d'un défaut de surveillance ou de vigilance. Une telle faute ne peut toutefois être retenue qu'à la condition qu'il résulte de l'instruction que l'administration n'a pas pris, compte tenu des informations dont elle disposait, en particulier sur les antécédents de l'intéressé, son comportement et son état de santé, les mesures que l'on pouvait raisonnablement attendre de sa part pour prévenir le suicide.
3. Il résulte de l'instruction que le matin du 7 janvier 2015, M. A..., qui s'était rendu à l'unité sanitaire en milieu pénitentiaire afin de réclamer un traitement pour ses douleurs aux dos, a agressé un surveillant de l'infirmerie. Il a alors été placé en prévention au quartier disciplinaire où dès son arrivée, il a cassé un hublot luminaire à coups de poing et a frappé un surveillant pénitentiaire. Il s'est ensuite automutilé avec les débris du hublot en se coupant les avant-bras. A la suite de cet incident, il a fait l'objet d'une prise en charge médicale immédiate par l'unité sanitaire en milieu pénitentiaire avant d'être remis en quartier disciplinaire au sein duquel le personnel pénitentiaire a effectué deux rondes de surveillance, la première à 3 heures 50 par œilleton sans qu'aucun élément anormal n'ait été remarqué, puis la seconde à 5 heures 50 où M. A... a été découvert pendu.
4. Mme A... soutient que l'administration pénitentiaire ne pouvait ignorer la fragilité et la vulnérabilité de son frère et a commis une faute de surveillance. Il résulte toutefois de l'instruction que M. A... n'a pas tenu de propos suicidaires avec le lieutenant pénitentiaire avant son placement en quartier disciplinaire, ni auprès de l'unité sanitaire en milieu pénitentiaire qui l'a examiné après son automutilation. De plus, le rapport du 8 janvier 2015 du directeur du centre pénitentiaire fait état d'un détenu calme, qui n'avait pas posé de problème disciplinaire jusqu'à sa mise en prévention. A cet égard, la circonstance que son comportement ait été inhabituel la veille de son décès, conduisant à l'incident pour lequel il a été placé en quartier disciplinaire, n'est pas de nature, en elle-même, à révéler des intentions suicidaires. Le personnel médical, qui a examiné l'intéressé à deux reprises, n'a pas signalé une éventuelle fragilité du détenu. Si l'appelante produit le témoignage établi le 16 janvier 2015 par un codétenu qui atteste avoir alerté sur l'état dans lequel se trouvait M. A... et son désir de suicide, cette pièce, qui ne précise pas la date des faits relatés et ne correspond pas à la chronologie de ceux résultant des différents comptes rendus d'incident du 7 janvier 2017, ne permet pas d'établir qu'il existait un risque de passage à l'acte dont l'administration pénitentiaire aurait eu connaissance. L'infirmière qui l'a reçu le matin et était présente au moment de l'incident du 7 janvier 2015, atteste que M. A... ne manifestait pas un comportement suicidaire et que son traitement médicamenteux n'était pas lié à des problèmes psychologiques mais à des douleurs au dos. Enfin, si le rapport d'autopsie du 13 janvier 2015, qui ne fait état d'aucun antécédent signalé, a révélé de multiples cicatrices blanchâtres linéaires au niveau des avants bras, aucun élément ne permet d'indiquer que ces scarifications étaient récentes et révélatrices d'intentions suicidaires.
5. Il résulte par ailleurs de l'instruction que les mesures prises pour la sécurité de M. A..., qui a fait l'objet d'une mise sous surveillance spécifique et d'un contrôle régulier en quartier disciplinaire de la part du personnel pénitentiaire qui a effectué deux rondes de surveillance durant la nuit, n'ont pas présenté un caractère insuffisant. L'autorité judiciaire a d'ailleurs classé sans suite l'enquête en recherche des causes de la mort, notamment en raison de l'absence d'un défaut de surveillance manifeste.
6. Enfin, si les analyses toxicologiques ont révélé une concentration sanguine de tramadol toxique, il résulte de l'instruction que M. A... est décédé des suites d'une asphyxie par pendaison et non en raison de l'absorption de produits médicamenteux. Il n'est pas non plus établi que la prise de Xprim dont une plaquette vide de dix comprimés a été retrouvée dans le lavabo de la cellule, aurait, dans les circonstances de l'espèce, provoqué ou facilité le passage à l'acte. En tout état de cause, en l'absence de signe laissant présager un risque de suicide, la possession par M. A... des médicaments ainsi découverts n'avait pas de caractère irrégulier et aucun motif de sécurité n'exigeait que ces médicaments lui soient retirés la nuit. Il en va de même des autres objets et de ses vêtements laissés à sa disposition.
7. Comme indiqué aux points précédents, aucun signe, contrairement à ce que soutient la requérante, n'aurait pu alerter l'administration pénitentiaire et justifier que des précautions particulières soient prises pour prévenir le suicide de M. A.... Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que compte tenu des informations dont elle disposait, qui ne faisaient pas état d'un risque suicidaire, l'administration pénitentiaire avait pris les mesures que l'on pouvait raisonnablement attendre de sa part et qu'elle n'a donc pas commis une faute de surveillance, de vigilance et de prise en considération de l'état de santé de M. A..., de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande d'indemnisation. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de la justice.
N° 20DA00675 2