Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... D... épouse E... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 18 juin 2020 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux dirigé contre cet arrêté.
Par un jugement n° 2004315 du 26 janvier 2021, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, ainsi que la décision rejetant le recours gracieux formé par Mme D..., a enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer à Mme D... une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du jugement, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 24 février 2021 sous le n° 2100438, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2004315 du 26 janvier 2021 du tribunal administratif de Rouen ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Rouen.
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II. Par une requête, enregistrée le 24 février 2021 sous le n° 2100441, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2004315 du 26 janvier 2021 du tribunal administratif de Rouen.
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Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dominique Bureau, première conseillère,
- et les observations de Me Aubertin, substituant Me Madeline, représentant Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes présentées par le préfet de la Seine-Maritime, enregistrées sous le n° 21DA00438 et le n° 21DA00441, sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.
2. Mme C... D... épouse E..., ressortissante camerounaise née le 15 mai 1987 à Douala (Cameroun), est entrée en France le 15 septembre 2015, sous couvert d'un passeport national revêtu d'un visa long séjour, valable du 2 septembre 2015 au 2 septembre 2016, valant titre de séjour, portant la mention " étudiant ". Elle a obtenu le renouvellement de ce titre de séjour jusqu'au 2 novembre 2019. Au cours de l'année 2018, l'intéressée a contracté mariage en France avec un compatriote en situation régulière sur le territoire français, dont elle a eu un fils, né le 27 août 2019. Le 27 novembre 2019, Mme D... a sollicité la délivrance d'une carte de séjour temporaire, portant la mention " vie privée et familiale ", sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 18 juin 2020, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par la requête enregistrée sous le n° 2100438, le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 26 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Rouen, d'une part, a annulé cet arrêté, ainsi que la décision rejetant le recours gracieux formé par Mme D..., d'autre part, a enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer à Mme D... une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la date de notification dudit jugement. Par la requête enregistrée sous le n° 2100441, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour de prononcer le sursis à exécution de ce jugement.
Sur la requête n° 21DA00438 :
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime et de la décision rejetant le recours gracieux formé par Mme D... contre cet arrêt :
3. D'une part, aux termes du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte des stipulations du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
4. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
5. Il ressort des pièces du dossier et, notamment, des nombreux documents émanant de différents services du centre hospitalier universitaire de Rouen, produits par Mme D..., que le fils de l'intéressée, né grand prématuré et porteur d'une anomalie génétique, est atteint depuis sa naissance d'un retard psychomoteur qui requiert une prise en charge pluridisciplinaire, en particulier des soins orthopédiques et de kinésithérapie réguliers, ainsi qu'une surveillance médicale dans différents domaines. Il ressort également des pièces du dossier que le maintien de cette prise en charge est indispensable à la poursuite des progrès de développement constatés chez l'enfant, âgé de près de deux ans à la date de l'arrêté contesté. De telles circonstances justifient, à la date de l'arrêté contesté, le maintien du fils de B... D... sur le territoire français alors, par ailleurs, que cet enfant ne saurait être séparé de sa mère. Il s'ensuit, comme l'ont estimé les premiers juges, que le préfet de la Seine-Maritime, en refusant de délivrer à Mme D... le titre de séjour sollicité, doit être tenu comme ayant méconnu l'intérêt supérieur du fils de l'intéressée, en violation des stipulations du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Dans ces mêmes circonstances, et alors qu'il ressort des pièces du dossier que les interruptions de la cohabitation entre les deux époux, dont la vie commune est par ailleurs établie, sont imputables aux obligations professionnelles du mari de Mme D..., titulaire d'une carte de séjour temporaire en qualité de salarié puis d'une carte pluriannuelle, la décision de refus de séjour doit, dans les circonstances de l'espèce, être tenue comme portant au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée, en méconnaissance des dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, quelle que soit par ailleurs la possibilité pour cette dernière de bénéficier de la procédure du regroupement familial. Le fait que le refus de séjour soit ainsi entaché d'illégalité prive de base légale les décisions, contenues dans le même arrêté, faisant obligation à Mme D... de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de renvoi.
6. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté, en date du 18 juin 2020, rejetant la demande de titre de séjour présentée par Mme D..., lui faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de renvoi, ainsi que la décision implicite rejetant le recours gracieux formé par l'intéressée, a enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer à Mme D... un titre de séjour et a mis à la charge de l'Etat le versement à Mme D... d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
En ce qui concerne les conclusions de Mme D... tendant à ce que l'injonction prononcée par le tribunal administratif de Rouen soit assortie d'une astreinte :
7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir d'une astreinte l'injonction de délivrer à Mme D... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", prononcée par les premiers juges à l'égard du préfet territorialement compétent.
Sur la requête n° 21DA00441 :
8. La cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête du préfet de la Seine-Maritime tendant à l'annulation du jugement du 26 janvier 2021 du tribunal administratif de Rouen, les conclusions de sa requête, enregistrée sous le n° 21DA00441, tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement, sont privées d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.
Sur les frais relatifs aux instances n° 21DA00438 et n° 21DA00441 :
9. Mme D... a obtenu, au titre de ces deux instances, le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 25 %. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Madeline renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat, qui a la qualité de partie perdante, le versement à celle-ci de la somme de 750 euros.
10. En outre, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, qui, ainsi qu'il a été dit au point précédent, a la qualité de partie perdante, le versement à Mme D... A... la somme de 750 euros au titre des frais, non compris dans les dépens et non pris en charge au titre de l'aide juridictionnelle, exposés par celle-ci dans ces deux mêmes instances.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête n° 21DA00438 du préfet de la Seine-Maritime est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 21DA00441 du préfet de la Seine-Maritime.
Article 3 : L'Etat versera à Me Madeline une somme de 750 euros, au titre des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que l'intéressée renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : L'Etat versera à Mme D... épouse E... une somme de 750 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par Mme D... épouse E... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme C... D... épouse E... et à Me Madeline.
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
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Nos21DA00438, 21DA00441