Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme à responsabilité limitée (SARL) Level 3 Communications France, dont la nouvelle dénomination sociale est SARL Centurylink communications France, a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'établissement public Voies Navigables de France (VNF) à lui verser une somme de 126 794,14 euros en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi.
Par un jugement n°1700776 du 4 décembre 2019, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 31 janvier 2020, la société Centurylink communications France, représentée par Me Marie-Aline Maurice, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'établissement public Voies Navigables de France (VNF) à lui verser une somme de 126 794,14 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la demande préalable et avec capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi ;
3°) de mettre à la charge de VNF une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en raison de l'insuffisance de sa motivation lorsqu'il a écarté la responsabilité quasi-délictuelle et quasi-contractuelle de VNF ;
- la responsabilité de VNF est engagée, à titre principal, sur le fondement de la responsabilité contractuelle pour manquement à son obligation d'exécution de bonne foi des conventions d'occupation du domaine public, dès lors que, d'une part, les tarifs prévus dans les conventions n'ont pas été modifiés pour être mis en conformité avec les plafonds réglementaires institués en 2005, et, d'autre part, ces tarifs n'étaient pas raisonnables et proportionnés par rapport à l'usage du domaine public fluvial concerné ;
- la responsabilité de VNF est également engagée, à titre subsidiaire, sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle ;
- la responsabilité de VNF est engagée, à titre infiniment subsidiaire, sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle pour enrichissement sans cause ;
- son préjudice financier pour la période du 1er janvier 2012 au 31 mars 2015 résultant de la disproportion des tarifs pratiqués pour l'occupation du domaine public peut être évalué à la somme de 126 794,14 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juin 2020, l'établissement public Voies Navigables de France (VNF), représenté par Me Arnaud Cabanes et Me Barbara Teissier du Cros, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Centurylink communications France de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 14 décembre 2020, la clôture d'instruction a été prononcée avec effet immédiat en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des postes et des communications électroniques ;
- le décret n° 2005-1676 du 27 décembre 2005 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Naïla Boukheloua, première conseillère,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me Jaoued Radi, représentant la société Centurylink communications France, et de Me Christophe de Saint-Pern, représentant Voies Navigables de France.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. La société Centurylink communications France relève appel du jugement du 4 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'établissement public Voies Navigables de France (VNF) à lui verser une somme de 126 794,14 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi.
Sur la régularité du jugement :
2. En motivant le rejet des conclusions subsidiaires présentées par la société Centurylink communications France tendant à l'engagement de la responsabilité quasi-délictuelle de VNF, et de ses conclusions très subsidiaires tendant à l'engagement de la responsabilité quasi-contractuelle de VNF, par la circonstance que cette société se trouvait liée à VNF par deux conventions et qu'elle ne pouvait donc exercer à l'encontre de cet établissement public, en raison des préjudices dont elle demandait réparation, d'autre action que celle procédant de l'exécution de ces conventions, le tribunal administratif de Lille a suffisamment motivé son jugement.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de la responsabilité contractuelle :
3. Par une convention conclue le 27 mars 2000, Voies Navigables de France (VNF) a autorisé la société Level 3 Communications France, à laquelle s'est substituée la société Centurylink communications France, à occuper temporairement le domaine public fluvial aux fins d'implanter des infrastructures permettant la mise en œuvre de réseau de télécommunications pour huit traversées ponctuelles ou passages sous fluviaux situés dans les communes de Looberghe, Calais, Saint-Folquin, Craywick, Brouckerque, Bierne et Bergues pour la période du 27 mars 2000 au 31 mars 2015. Par une autre convention en date du 4 avril 2000, VNF a autorisé la société GC Pan european crossing France, à laquelle s'est également substituée la société Centurylink communications France, à occuper le domaine public fluvial aux fins d'implanter ses infrastructures de télécommunications permettant la traversée du canal de la Scarpe inférieure dans les communes de Lallaing et Flines-lez-Raches pour la période du 10 avril 2000 au 10 mars 2014.
4. Ni l'article L. 47 du code des postes et des communications électroniques, dans sa rédaction modifiée par la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, ni le décret n° 2005-1676 du 27 décembre 2005 relatif aux redevances d'occupation du domaine public non routier, aux droits de passage sur le domaine public routier et aux servitudes sur les propriétés privées prévus par les articles L. 45-1, L. 47 et L. 48 du code des postes et des communications électroniques, n'avaient vocation, en l'absence de disposition le prévoyant expressément, à s'appliquer aux situations contractuelles en cours à leur date d'entrée en vigueur, intervenue pour cette loi le lendemain de sa publication au Journal officiel et pour ce décret le 1er janvier 2006.
5. Aux termes de l'article L. 45-1 du code des postes et communications électroniques dans sa rédaction applicable à la date de signature des conventions litigieuses : " Les opérateurs titulaires de l'autorisation prévue à l'article L. 33-1 bénéficient d'un droit de passage sur le domaine public routier et de servitudes sur les propriétés privées mentionnées à l'article L. 48, dans les conditions indiquées ci-après. / Les autorités concessionnaires ou gestionnaires du domaine public non routier, lorsqu'elles donnent accès à des opérateurs titulaires de l'autorisation prévue à l'article L. 33-1, doivent le faire sous la forme de convention, dans des conditions transparentes et non discriminatoires et dans toute la mesure où cette occupation n'est pas incompatible avec son affectation ou avec les capacités disponibles. La convention donnant accès au domaine public non routier ne peut contenir de dispositions relatives aux conditions commerciales de l'exploitation. Elle peut donner lieu à versement de redevances dues à l'autorité concessionnaire ou gestionnaire du domaine public concerné dans le respect du principe d'égalité entre les opérateurs. Ces redevances sont raisonnables et proportionnées à l'usage du domaine. / L'installation des infrastructures et des équipements doit être réalisée dans le respect de l'environnement et de la qualité esthétique des lieux, et dans les conditions les moins dommageables pour les propriétés privées et le domaine public. "
6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que les deux conventions conclues par la société Level 3 communications France et la société GC Pan european crossing, aux droits desquelles la société Centurylink communications France est venue, dont la nullité n'est pas alléguée et ne résulte pas de l'instruction, stipulaient que l'occupation du domaine public fluvial par les infrastructures de télécommunications ponctuelles donnaient lieu à la perception d'une redevance forfaitaire annuelle au profit de VNF. Selon l'article 18 de la convention du 27 mars 2000 et l'article 12 de la convention du 4 avril 2000, dont il ne résulte pas de l'instruction qu'elles n'auraient pas été librement consenties par les parties, cette redevance était calculée selon une formule prédéfinie et révisée annuellement par référence exclusive à l'évolution de l'indice du coût de la construction publié trimestriellement par l'INSEE.
7. Ainsi qu'il est dit au point 4 du présent arrêt et contrairement à ce que soutient la SARL Centurylink communications France, les prescriptions des articles R. 20-51 et R. 20-52 du code des postes et des communications électroniques dans leur rédaction issue du décret du 27 décembre 2005, qui fixent en particulier un montant annuel maximal de redevance pour l'occupation du sous-sol du domaine public non routier, et en application desquelles ont été prises les décisions tarifaires du directeur général de VNF au titre des années 2012, 2013, 2014 et 2015, n'avaient pas vocation à s'appliquer à ces deux conventions.
8. Dans ces conditions, dès lors qu'il est constant que VNF a exécuté fidèlement ces stipulations contractuelles qui ne lui imposaient pas de les modifier unilatéralement en cas de changement de la réglementation en matière tarifaire en cours d'exécution du contrat, en dépit des décisions tarifaires prises par le directeur général de VNF au titre des années 2012 à 2015 qui n'étaient pas davantage applicables aux conventions en cause, et alors même que la redevance qui aurait découlé de l'application du décret du 27 décembre 2005 aurait été inférieure, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que VNF a manqué à son obligation d'exécution de bonne foi des conventions ou au principe de loyauté des relations contractuelles.
9. En second lieu, il résulte des dispositions du code des postes et des communications électroniques mentionnées au point 5 que la redevance imposée à un occupant du domaine public doit être calculée non seulement en fonction de la valeur locative d'une propriété privée comparable à la dépendance du domaine public pour laquelle la permission est délivrée mais aussi en fonction de l'avantage spécifique procuré par cette jouissance privative du domaine public. Or la société requérante se borne, en appel comme en première instance, à faire état du fait que les tarifs contractuels qui lui ont été appliqués étaient très supérieurs au plafond institué par le décret du 27 décembre 2005 et, par suite, au tarif appliqué par VNF aux autres opérateurs entre 2012 et 2015 notamment en application des décisions tarifaires prises par son directeur général. Faute de mettre en rapport le montant de la redevance qu'elle a versée et les avantages spécifiques que lui a procurés l'utilisation du domaine public pour déployer son réseau de télécommunications, et en alléguant sans en justifier une distorsion de concurrence qui en serait résulté, la société requérante n'établit pas plus en appel qu'en première instance que le tarif qui lui a été appliqué n'a été ni raisonnable ni proportionné aux avantages de toute nature qu'elle en a retirés.
10. Il résulte de ce qui précède que la société Centurylink communications France n'est pas fondée à rechercher la responsabilité contractuelle de VNF. Les conclusions indemnitaires présentées à ce titre doivent, en conséquence, être rejetées.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle et quasi-contractuelle :
11. Il résulte de ce qui précède que les préjudices dont se prévaut la société Centurylink communications France procèdent de l'exécution de l'articles 18 de la convention du 27 mars 2000 et de l'article 12 de la convention du 4 avril 2000. Cette société ne peut dès lors exercer à l'encontre de VNF, en raison de ces préjudices, d'autre action que celle procédant de l'exécution de ces conventions dont il résulte de ce qui précède et de l'instruction qu'elles étaient valides. Dans ces conditions, les conclusions présentées par cette société tendant à l'engagement de la responsabilité quasi-délictuelle de VNF, au titre de la faute commise par cet établissement public en raison de la distorsion tarifaire qu'elle a subie par rapport aux redevances instituées en conséquence de l'entrée en vigueur du décret du 27 décembre 2005 pour ses concurrents, mais aussi ses conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité quasi-contractuelle de VNF à raison de son enrichissement sans cause, doivent être rejetées.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Centurylink communications France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de VNF, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société Centurylink communications France au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Centurylink communications France une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par VNF et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Centurylink communications France est rejetée.
Article 2 : la société Centurylink communications France versera à Voies Navigables de France une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Centurylink communications France et à Voies Navigables de France.
Délibéré après l'audience publique du 14 décembre 2021 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- Mme Naïla Boukheloua, première conseillère,
- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 janvier 2022.
La rapporteure,
Signé : N. BOUKHELOUA
Le président de la 1ère chambre,
Signé : M. A...
La greffière,
Signé : C. SIRE
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Christine Sire
N°20DA00187
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