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23/03/2022 | FRANCE | N°20DA00806

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 23 mars 2022, 20DA00806


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 4 juin 2020, et un mémoire, enregistré le 19 novembre 2020, la société par actions simplifiée (SAS) Auchan Hypermarché, représentée par Maître Stéphanie Encinas, demande à la cour :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 24 janvier 2020 par lequel le maire de la commune de Jeumont a délivré à la SCI Lezo un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour la construction d'un magasin situé rue du Maréchal Leclerc ;

2°) de mettre à la charge de la commune

de Jeumont la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justi...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 4 juin 2020, et un mémoire, enregistré le 19 novembre 2020, la société par actions simplifiée (SAS) Auchan Hypermarché, représentée par Maître Stéphanie Encinas, demande à la cour :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 24 janvier 2020 par lequel le maire de la commune de Jeumont a délivré à la SCI Lezo un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour la construction d'un magasin situé rue du Maréchal Leclerc ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Jeumont la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable : elle n'est pas tardive, elle a été notifiée à la commune et au pétitionnaire et elle-même présente un intérêt à agir ;

- l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial est entaché d'erreur d'appréciation et d'erreur de droit du fait qu'il déclare son recours préalable obligatoire irrecevable pour défaut d'intérêt à agir ;

- il est entaché de vices de procédure en raison de l'irrégularité de la convocation de ses membres et dès lors qu'elle n'a pas été entendue lors de la séance du 23 janvier 2020.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 juillet 2020, et un mémoire complémentaire enregistré le 27 novembre 2020, la Commission nationale d'aménagement commercial conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable en raison de sa tardiveté, de l'omission de notifier le recours et du défaut d'intérêt à agir de la requérante ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 août 2020, et un mémoire complémentaire enregistré le 11 décembre 2020, la SCI Lezo, représentée par Me Julien François, conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire à ce qu'il soit sursis à statuer en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme et à ce qu'il soit enjoint à la Commission nationale d'aménagement commercial de reprendre l'instruction du dossier, enfin à la mise à la charge de la SAS Auchan Hypermarché de la somme de 5 000 euros au profit de chacun des défendeurs sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la commune de Jeumont qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Par une ordonnance du 20 novembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 8 janvier 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Naïla Boukheloua, première conseillère,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Stéphanie Encinas, représentant la SAS Auchan Hypermarché, et de Me Julien François, représentant la SCI Lezo.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. Le magasin Intermarché d'une surface de vente de 2 473 m² comprenant une galerie marchande existant sur la commune de Jeumont étant devenu vétuste, et son agrandissement n'étant pas envisageable sur place, la SCI Lezo a déposé, le 11 février 2019, une demande de permis de construire un ensemble commercial d'une surface de vente de 5 588 m², situé rue du Maréchal Leclerc en face du magasin existant, comprenant un magasin Intermarché de 3 500 m², 3 boutiques dans une galerie marchande de 262 m², 3 cellules commerciales de secteur non alimentaire de 944 m², 632 m² et 250 m², un point permanent de retrait par la clientèle d'achats au détail commandés par voie télématique de type " drive " comprenant deux pistes de ravitaillement et le réaménagement de la station à essence existante.

2. Ce projet a reçu, le 27 septembre 2019, un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial du Nord. Par un avis du 23 janvier 2020, la Commission nationale d'aménagement commercial a rejeté, comme étant irrecevable pour défaut d'intérêt à agir, le recours administratif préalable obligatoire formé par la SAS Auchan Hypermarché. Le maire de Jeumont a accordé le permis de construire, valant autorisation d'exploitation commerciale, sollicité par la SCI Lezo, par un arrêté du 24 janvier 2020 dont la SAS Auchan Hypermarché demande l'annulation en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale.

Sur l'intérêt à agir de la société Auchan Hypermarché :

3. Il appartient à la cour administrative d'appel saisie d'une requête dirigée contre un permis de construire en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale de s'assurer, le cas échéant d'office, au vu des pièces du dossier qui lui est soumis et indépendamment de la position préalablement adoptée par la Commission nationale d'aménagement commercial, que le requérant est au nombre de ceux qui ont intérêt pour agir devant le juge administratif et notamment, s'il s'agit d'un concurrent, que son activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise du projet, est susceptible d'être affectée par celui-ci.

4. D'une part, aux termes de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet est soumis à autorisation d'exploitation commerciale au sens de l'article L. 752-1 du code de commerce, le permis de construire tient lieu d'autorisation dès lors que la demande de permis a fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d'aménagement commercial. (...) / A peine d'irrecevabilité, la saisine de la commission nationale par les personnes mentionnées à l'article L. 752-17 du même code est un préalable obligatoire au recours contentieux dirigé contre la décision de l'autorité administrative compétente pour délivrer le permis de construire ".

5. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 600-1-4 du même code : " Lorsqu'il est saisi par une personne mentionnée à l'article L. 752-17 du code de commerce d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis de construire mentionné à l'article L. 425-4 du présent code, le juge administratif ne peut être saisi de conclusions tendant à l'annulation de ce permis qu'en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale. Les moyens relatifs à la régularité de ce permis en tant qu'il vaut autorisation de construire sont irrecevables à l'appui de telles conclusions ".

6. D'autre part, le I de l'article L. 752-17 du code de commerce dispose : " Conformément à l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme, le demandeur, le représentant de l'État dans le département, tout membre de la commission départementale d'aménagement commercial, tout professionnel dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour chaque projet, est susceptible d'être affectée par le projet ou toute association les représentant peuvent, dans le délai d'un mois, introduire un recours devant la Commission nationale d'aménagement commercial contre l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial / (...) / A peine d'irrecevabilité, la saisine de la commission nationale par les personnes mentionnées au premier alinéa du présent I est un préalable obligatoire au recours contentieux dirigé contre la décision de l'autorité administrative compétente pour délivrer le permis de construire. (...) ". Aux termes de l'article R. 752-3 du même code : " Pour l'application du présent titre, constitue la zone de chalandise d'un équipement faisant l'objet d'une demande d'autorisation d'exploitation commerciale l'aire géographique au sein de laquelle cet équipement exerce une attraction sur la clientèle. Elle est délimitée en tenant compte notamment de la nature et de la taille de l'équipement envisagé, des temps de déplacement nécessaires pour y accéder, de la présence d'éventuelles barrières géographiques ou psychologiques et de la localisation et du pouvoir d'attraction des équipements commerciaux existants. ".

7. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que tout professionnel dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise d'un projet, est susceptible d'être affectée par celui-ci, a intérêt, en cas d'avis favorable donné au projet par la commission départementale d'aménagement commercial puis, en cas d'avis favorable à nouveau donné par la Commission nationale d'aménagement commercial et en cas de délivrance du permis de construire, à former un recours contentieux contre ce permis en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale. S'il en va ainsi lorsque le professionnel requérant est implanté dans la zone de chalandise du projet, un tel intérêt peut également résulter soit de ce que le territoire sur lequel il exploite un commerce aurait dû, au regard des critères fixés à l'article R. 752-3 du code de commerce, être inclus dans cette zone de chalandise, son activité étant ainsi susceptible d'être affectée par ce projet, soit de ce que, alors même que le professionnel requérant n'est pas implanté dans la zone de chalandise du projet, ce dernier est susceptible, en raison du chevauchement de sa zone de chalandise et de celle de l'activité commerciale du requérant, d'avoir sur cette activité une incidence significative.

En ce qui concerne la zone de chalandise du projet :

8. D'une part, contrairement à ce que soutient la société requérante, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que la zone de chalandise du projet litigieux ait été délimitée par référence au magasin Intermarché existant d'une surface de vente de 2 473 m².

9. D'autre part, il est constant que l'hypermarché exploité à Louvroil par la SAS Auchan hypermarché, au sud-ouest de Maubeuge, est situé à 14,5 kilomètres du projet litigieux correspondant à 17 minutes de temps de trajet. Si cet hypermarché est desservi par la route départementale n°2602 puis par la route départementale n°649 qui permet de rejoindre directement le site du projet litigieux et s'il n'existe aucune barrière géographique entre l'hypermarché Auchan de Louvroil et le site du projet de la SCI Lezo, l'absence de barrière géographique ne suffit pas à délimiter une zone de chalandise. La délimitation d'une telle zone doit en effet également tenir compte du pouvoir d'attraction des pôles commerciaux déjà existants. Or il n'est pas contesté que l'hypermarché exploité par la SAS Auchan hypermarché à Louvroil, d'une surface de 14 290 m2 s'intégrant dans un centre commercial de 24 300 m2, fait partie d'un important pôle d'attraction situé à l'ouest de Maubeuge.

10. Dans ces conditions, la SAS Auchan Hypermarché n'est pas fondée à soutenir que la zone de chalandise retenue pour le projet est entachée d'erreur d'appréciation.

En ce qui concerne le chevauchement des zones de chalandise :

11. Si la SAS Auchan Hypermarché fait valoir que l'objectif affiché du projet contesté est de capter la clientèle belge qui se rend au centre commercial de Louvroil, d'une part, elle n'a produit à l'instance aucune pièce de nature à justifier son allégation selon laquelle l'hypermarché qu'elle y exploite réaliserait 25 % de son chiffre d'affaires avec la clientèle belge.

12. D'autre part, en se bornant à faire valoir que le projet litigieux propose une activité principalement alimentaire et consiste en une augmentation de sa surface de vente, alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'équipement commercial projeté serait comparable au pôle d'attraction de Louvroil tant par sa surface que par l'offre commerciale proposée, la requérante ne justifie pas que ce projet serait susceptible d'avoir sur son activité une incidence significative. A cet égard, la circonstance que l'avis de la direction départementale des territoires et de la mer du Nord sur le projet litigieux énonce que " Le captage de la clientèle belge semble devoir se faire au détriment du pôle commercial majeur Auchan Louvroil ", ne saurait suffire à démontrer le caractère significatif d'une telle incidence.

13. Dans ces conditions, la SAS Auchan Hypermarché n'est pas fondée à soutenir que le projet litigieux, en raison du chevauchement de sa zone de chalandise et de la zone de chalandise de l'activité commerciale de l'hypermarché de Louvroil, est susceptible d'avoir sur cette activité une incidence significative.

14. Il suit de là que la fin de non-recevoir, opposée devant la cour par la Commission nationale d'aménagement commercial, tirée du défaut d'intérêt à agir de la SAS Auchan Hypermarché, doit être accueillie.

15. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres fins de non-recevoir opposées par la Commission nationale d'aménagement commercial ni sur les moyens de la requête de la SAS Auchan Hypermarché, que les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 24 janvier 2020 du maire de Jeumont doivent être rejetées.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

16. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Jeumont, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SAS Auchan Hypermarché demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

18. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la SAS Auchan Hypermarché une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SCI Lezo et non compris dans les dépens.

19. Enfin, il n'y a pas lieu de répondre favorablement aux conclusions formulées sur ce fondement par la SCI Lezo pour le compte des autres défendeurs, la Commission nationale d'aménagement commercial n'ayant pas elle-même formulé de conclusions à ce titre.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SAS Auchan Hypermarché est rejetée.

Article 2 : La SAS Auchan Hypermarché versera à la SCI Lezo une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la SCI Lezo est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Auchan Hypermarché, à la commune de Jeumont, à la SCI Lezo et à la Commission nationale d'aménagement commercial.

Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 1er mars 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- Mme Corinne Baes Honoré, présidente-assesseure,

- Mme Naïla Boukheloua, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mars 2022.

La rapporteure,

Signé : N. Boukheloua

Le président de la 1ère chambre,

Signé : M. A...

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au préfet du Nord et au ministre de l'économie et des finances chacun en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N°20DA00806

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20DA00806
Date de la décision : 23/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Commerce - industrie - intervention économique de la puissance publique - Réglementation des activités économiques - Activités soumises à réglementation - Aménagement commercial.

Urbanisme et aménagement du territoire - Autorisations d`utilisation des sols diverses - Autorisation d`exploitation commerciale (voir : Commerce - industrie - intervention économique de la puissance publique).


Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: Mme Naila Boukheloua
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : MALLE TITRAN FRANCOIS AVOCATS ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-03-23;20da00806 ?
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