Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune de Forges-les-Eaux a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la SA Groupe Bigard à lui verser une indemnité de 1 478 009,60 euros au titre de l'occupation irrégulière de l'abattoir municipal et ses dépendances du 1er mars 2010 au 19 novembre 2015 et des frais de leur remise en état.
Par un jugement n°1703462 du 30 janvier 2020, le tribunal administratif de Rouen a condamné la SA Groupe Bigard à verser à la commune de Forges-les-Eaux la somme de 1 147 294,40 euros à ce titre.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 31 mars 2020, et des mémoires, enregistrés les 29 janvier et 15 avril 2021, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la SA Groupe Bigard, représentée par La SELARL Le Roy-Gourvennec-Prieur, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter l'ensemble des demandes de la commune de Forges-les-Eaux ;
3°) à titre subsidiaire, de ne la condamner qu'à verser à la commune de Forges-les-Eaux une indemnité n'excédant pas la somme de 80 974,30 euros, soit 1 562,30 euros au titre de l'occupation irrégulière du domaine public de décembre 2011 à janvier 2015 et 79 412 euros hors taxes au titre du coût de remise en activité de l'abattoir et de rejeter le surplus des conclusions de la commune de Forges-les-Eaux ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Forges-les-Eaux de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
S'agissant de la responsabilité au titre de l'occupation sans titre du domaine public :
- le tribunal a commis des erreurs sur l'évaluation du préjudice ;
- la commune a acté sa volonté de maintenir la société dans les lieux à titre gratuit ;
- la créance est prescrite ;
- la commune a commis une faute exonératoire de responsabilité ;
- l'évaluation du montant du préjudice est entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation.
S'agissant de la responsabilité au titre de la remise en état du domaine public :
- le montant réclamé par la commune est en partie injustifié ;
- il convient de prendre acte de ce que la commune accepte la somme de travaux de remise en état du site, telle que retenue par le tribunal.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juin 2020, et un mémoire complémentaire, enregistré le 19 mars 2021, la commune de Forges-les-Eaux, représentée par Me Isabelle Enard- Bazire, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la SA Groupe Bigard de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- elle n'entend pas remettre en cause le montant retenu par le tribunal pour indemniser le préjudice au titre de la remise en état.
Par une ordonnance du 15 avril 2021, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat en application des article R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, l'instruction a été rouverte pour les éléments demandés en vue de compléter l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Naïla Boukheloua, première conseillère,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me Elisabeth Durieux, représentant la SA Groupe Bigard.
Une note en délibéré présentée par la SA Groupe Bigard a été enregistrée le 30 mars 2022.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. La SA Groupe Bigard relève appel du jugement du 30 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Rouen l'a condamnée à verser à la commune de Forges-les-Eaux une indemnité de 1 147 294,40 euros au titre de l'occupation irrégulière de l'abattoir municipal et de ses dépendances du 1er mars 2010 au 19 novembre 2015 et des frais de leur remise en état.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la remise en état du domaine public :
2. Il résulte du dernier état des conclusions de la SA Groupe Bigard et de la commune de Forges-les-Eaux que les parties se satisfont mutuellement des termes du jugement attaqué qui, prenant en compte les conclusions de l'expertise diligentée par la commune, a prononcé une condamnation de la SA Groupe Bigard à verser à la commune, à ce titre, la somme de 95 408,40 euros toutes taxes comprises. Il convient donc de confirmer le jugement attaqué sur ce point.
En ce qui concerne l'occupation sans titre du domaine public :
S'agissant de l'existence d'une créance de la commune de Forges-les-Eaux :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous (...) ".
4. Eu égard aux exigences qui découlent tant de l'affectation normale du domaine public que des impératifs de protection et de bonne gestion de ce domaine, l'existence de relations contractuelles en autorisant l'occupation privative ne peut se déduire de sa seule occupation effective, même si celle-ci a été tolérée par l'autorité gestionnaire et a donné lieu au versement de redevances domaniales. Une convention d'occupation du domaine public ne peut être tacite et doit revêtir un caractère écrit.
5. Il est constant que la commune de Forges-les-Eaux a donné à bail à construction à la Société d'abattage du pays de Bray, le 27 février 1990, un abattoir, une station de prétraitement des eaux et un local de désossage situés au lieu-dit Le Champ Vecquemont. Elle a également conclu avec la société Vianor le 27 septembre 1988 puis avec la société Arcadie Centre Est en 1999 un contrat de crédit-bail portant sur l'atelier de découpe situé sur le même lieu-dit, qui constitue une dépendance de l'abattoir. La société Arcadie Centre Est, venue aux droits de la société Vianor et de la Société d'abattage du pays de Bray, a cédé le fonds de commerce de l'abattoir de Forges-les-Eaux et ses dépendances à la SA Groupe Bigard le 21 novembre 2006.
6. Il n'est pas contesté que les contrats de bail à construction et de crédit-bail n'ont pu procurer aucun droit d'occupation régulier à la SA Groupe Bigard en raison du caractère illicite de ces conventions prévoyant la cession, sans déclassement préalable, de l'abattoir et de l'atelier de découpe constituant des dépendances du domaine public communal.
7. Il suit de là que la SA Groupe Bigard n'est fondée à soutenir ni que les loyers payés et les investissements consentis avaient pour objet l'acquisition de l'abattoir et de l'atelier de découpe et la dispensaient donc de tout paiement lié à l'occupation des lieux, ni que le conseil municipal de Forges-les-Eaux, lorsqu'il a décidé de lui céder l'abattoir, ses dépendances et l'atelier de découpe, par des délibérations des 7 novembre 2005, 30 mars 2006 et 2 juin 2008 d'ailleurs retirées par une délibération du 15 novembre 2011 devenue définitive, doit être regardé comme ayant exprimé sa volonté de la maintenir sur les lieux à titre gratuit jusqu'au 15 novembre 2011.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2321-4 du code général de la propriété des personnes publiques : " Les produits et redevances du domaine public ou privé d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 se prescrivent par cinq ans, quel que soit leur mode de fixation. / Cette prescription commence à courir à compter de la date à laquelle les produits et redevances sont devenus exigibles. ".
9. S'il résulte de l'instruction que la commune de Forges-les-Eaux s'est initialement fondée, pour fixer le montant de l'indemnité d'occupation qu'elle réclame au titre de la période litigieuse, démarrant le 1er mars 2010 et expirant le 19 novembre 2015, sur deux délibérations de son conseil municipal datées du 2 février 2015, l'annulation contentieuse de ces délibérations par un jugement du tribunal administratif de Rouen n° 1501196 du 29 juin 2018 devenu définitif a pour conséquence qu'elles sont réputées n'avoir jamais existé et, dès lors, fait obstacle à ce que leur soit attaché un effet interruptif de prescription.
10. Toutefois, il résulte de l'instruction que la commune de Forges-les-Eaux a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, le 21 juillet 2014, d'une demande tendant à ce que soit prescrite, sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, une expertise portant sur la consistance des éléments composant l'abattoir et de l'atelier de découpe implantés sur son territoire, cette demande ayant notamment pour but de fixer les dates auxquelles la SA Groupe Bigard avait commencé l'exploitation des installations ainsi que la valeur des actifs de l'abattoir et de l'atelier de découpe. Une telle demande, qui doit être regardée comme révélant l'intention de la commune d'obtenir des éléments permettant de chiffrer le montant de l'indemnité d'occupation due et le coût de la remise en état des lieux, a interrompu la prescription prévue par la disposition précitée au titre de la période du 1er mars 2010 au 19 novembre 2015.
11. Il suit de là que la SA Groupe Bigard n'est pas fondée à se prévaloir de la prescription de la créance invoquée par la commune de Forges-les-Eaux au titre de l'occupation en cause.
12. En troisième lieu, l'occupation sans droit ni titre d'une dépendance du domaine public constitue une faute commise par l'occupant qui l'oblige à réparer le dommage causé au gestionnaire de ce domaine par cette occupation irrégulière. Si l'autorité gestionnaire du domaine public n'a pas mis l'occupant irrégulier en demeure de quitter les lieux, ne l'a pas invité à régulariser sa situation ou a entretenu à son égard une ambiguïté sur la régularité de sa situation, ces circonstances sont de nature, le cas échéant, à constituer une cause exonératoire de la responsabilité de l'occupant, dans la mesure où ce comportement du gestionnaire serait constitutif d'une faute, mais elles ne sauraient faire obstacle, dans son principe, au droit du gestionnaire du domaine public à la réparation du dommage résultant de cette occupation irrégulière.
13. D'une part, la période litigieuse démarrant le 1er mars 2010 et expirant le 19 novembre 2015, la SA Groupe Bigard ne peut utilement se prévaloir des actes pris par la commune de Forges-les-Eaux avant le 1er mars 2010 pour faire valoir une faute de la commune.
14. D'autre part, pour justifier de ce que la commune de Forges-les-Eaux a commis une faute après le 1er mars 2010, la SA Groupe Bigard se borne à soutenir que la commune ne lui a pas demandé de quitter les lieux et l'a laissé réaliser des travaux d'entretien et d'aménagement. Toutefois, il est constant que la SA Groupe Bigard a déclaré en préfecture de la Seine-Maritime la cessation de l'activité d'abattage sur le site de Forges-les-Eaux le 6 juillet 2011 et que, par une délibération du 15 novembre 2011, la commune a retiré ses trois délibérations des 7 novembre 2005, 30 mars 2006, et 2 juin 2008, ce qui ne laissait présager aucune ambiguïté sur la régularité de la situation de la SA Groupe Bigard. Dans ces circonstances particulières, l'inaction de la commune durant les premiers mois de la période en litige ne saurait être constitutive d'une faute exonératoire de la responsabilité de la SA Groupe Bigard.
S'agissant du montant de la créance de la commune de Forges-les-Eaux :
15. Aux termes de l'article L. 2125-3 du code général de la propriété des personnes publiques : " La redevance due pour l'occupation ou l'utilisation du domaine public tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation ".
16. Le gestionnaire du domaine public est fondé à réclamer à l'occupant qui utilise de manière irrégulière le domaine une indemnité compensant les revenus qu'il aurait pu percevoir d'un occupant régulier pendant cette période. A cette fin, il doit rechercher le montant des redevances qui auraient été appliquées si l'occupant avait été placé dans une situation régulière, soit par référence à un tarif existant, lequel doit tenir compte des avantages de toute nature procurés par l'occupation du domaine public, soit, à défaut de tarif applicable, par référence au revenu, tenant compte des mêmes avantages, qu'aurait pu produire l'occupation régulière de la partie concernée du domaine public.
Quant à la référence à un tarif existant :
17. Ainsi qu'il a été dit, la commune de Forges-les-Eaux a donné à bail à construction à la Société d'abattage du pays de Bray, le 27 février 1990, un abattoir, une station de prétraitement des eaux et un local de désossage situés au lieu-dit Le Champ Vecquemont. Elle a également conclu avec la société Vianor le 27 septembre 1988 puis avec la société Arcadie Centre Est en 1999 un contrat de crédit-bail portant sur l'atelier de découpe situé sur le même lieu-dit, qui constitue une dépendance de l'abattoir. La société Arcadie Centre Est, venue aux droits de la société Vianor et de la Société d'abattage du pays de Bray, a cédé le fonds de commerce de l'abattoir de Forges-les-Eaux et ses dépendances à la SA Groupe Bigard le 21 novembre 2006.
18. Si les contrats de bail à construction et de crédit-bail n'ont pu procurer aucun droit d'occupation régulier à la SA Groupe Bigard en raison du caractère illicite de ces conventions prévoyant la cession, sans déclassement préalable, de l'abattoir et de l'atelier de découpe constituant des dépendances du domaine public communal, cette circonstance ne fait pas nécessairement obstacle à la prise en compte de certaines stipulations de ces contrats pour évaluer les avantages de toute nature que la SA Groupe Bigard a effectivement retirés de l'occupation des installations qu'elle a exploitées pour les besoins de son activité.
19. De même, si les délibérations du 2 février 2015 par lesquelles le conseil municipal de Forges-les-Eaux a fixé rétroactivement le tarif des redevances d'occupation de l'abattoir et de l'atelier de découpe pour la période litigieuse en retenant le montant du dernier loyer acquitté par la SA Groupe Bigard en application des contrats mentionnés ci-dessus, actualisé par référence à l'indice des loyers commerciaux, ont été annulées par un jugement du tribunal administratif de Rouen n° 1501196 du 29 juin 2018 devenu définitif, cette circonstance ne fait pas nécessairement obstacle à la prise en compte de certaines stipulations de ces contrats pour évaluer les avantages de toute nature que la SA Groupe Bigard a effectivement retirés de l'occupation des installations.
20. Toutefois, contrairement à ce que soutient la SA Groupe Bigard, il ne résulte pas de l'instruction que les loyers prévus par ces contrats prenaient en compte, même partiellement, les avantages de toute nature qui lui ont été procurés par l'occupation du domaine public.
21. En effet, d'une part, ni les stipulations relatives à la fixation du montant du loyer du bail à construction de l'abattoir, qui prenaient nécessairement en compte le coût d'acquisition de ce bien au terme du contrat, ni aucune autre stipulation de ce contrat n'ont distingué de quote-part ne relevant pas de l'échelonnement du coût d'acquisition dans le temps, sachant que la promesse de vente qui assortissait ce bail fixait le prix à un an de loyers en cours à l'expiration du bail soit, selon la requérante, la part restante de la charge d'acquisition.
22. D'autre part, les stipulations du contrat de crédit-bail relatif à l'atelier de découpe définissaient le loyer par référence à la charge de l'emprunt contracté par le bailleur auprès de la Caisse des dépôts et consignation et aux impôts et taxes qu'il lui revenait d'acquitter.
23. Dans ces conditions, à défaut de pouvoir déduire des contrats analysés ci-dessus des tarifs existants tenant compte des avantages de toute nature procurés à la SA Groupe Bigard par l'occupation en cause, il convient de rechercher le revenu, tenant compte des mêmes avantages, qu'aurait pu produire l'occupation régulière de ces dépendances du domaine public.
Quant à la référence au revenu qu'aurait pu produire l'occupation du domaine public :
24. La commune de Forges-les-Eaux se fonde, pour fixer le montant de l'indemnité d'occupation qu'elle réclame, sur une délibération adoptée par son conseil municipal le 29 novembre 2018, par laquelle l'indemnité d'occupation réclamée à la SA Groupe Bigard pour l'abattoir et l'atelier de découpe a été fixée à 184 000 euros par an, correspondant à un montant de 31 euros par mètre carré, soit une somme totale de 1 051 866 euros.
25. En premier lieu, ce montant procède d'un rapport rédigé à la demande de la commune par un expert en estimations immobilières qui a tenu compte des différents facteurs physiques, économiques et juridiques susceptibles d'avoir exercé une influence sur les avantages de toute nature pouvant être retirés de l'exploitation du site. Si cette expertise n'a pas été contradictoire, cette circonstance ne suffit pas à exclure la prise en compte de ce rapport qui a pu être discuté devant le juge, alors que la SA Groupe Bigard n'a pas elle-même produit de contre-expertise.
26. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient la SA Groupe Bigard, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment du décompte des surfaces figurant dans le rapport mentionné ci-dessus, que ce montant inclurait la superficie des entrepôts frigorifiques attenant à l'installation litigieuse qui ont fait l'objet d'une convention d'occupation distincte.
27. En troisième lieu, l'expert s'est référé au montant de la valeur locative au mètre carré " qui devrait être obtenu de la part d'un locataire pour qu'il puisse disposer de l'usage d'un bien aux conditions usuelles d'occupation pour la catégorie d'immeuble concernée " et ce " eu égard aux pratiques en vigueur sur le marché immobilier considéré ", l'ensemble immobilier en cause " pouvant être assimilé à des locaux industriels d'un ensemble homogène et non dissociable " incluant " le terrain nécessaire utilisé pour les parkings et aires d'évolution des camions accédant ou chargeant le bétail sur le site (...) faisant partie intégrante et étant indispensable à l'activité de l'abattoir. ". Dans ces conditions, la circonstance que l'expert a relevé que pour ce type de bâtiment " il n'y a pas de terme de comparaison " et qu'il " existe très peu d'abattoirs dans la région et au-delà, chaque établissement est spécifique et géré de façon différente " ne suffit pas à démontrer l'absence de valeur probante de sa méthode d'évaluation au regard des règles exposées aux points 15 et 16.
28. En quatrième lieu, si la SA Groupe Bigard a déclaré la cessation de ses activités d'abattage et de découpe sur le site de Forges-les-Eaux les 6 juillet 2011 et 7 décembre 2012, il est constant qu'elle n'a cessé d'occuper les lieux que le 19 novembre 2015, en exécution du jugement du tribunal administratif de Rouen n° 1302655 du 5 novembre 2015 qui a définitivement confirmé la domanialité publique des biens en litige, mettant ainsi un terme à plusieurs séquences contentieuses sur cette question. Alors que les avantages de toute nature dont le montant d'une redevance doit tenir compte ne dépendent pas de l'exercice effectif d'une activité dans les lieux mais de l'usage auquel ils peuvent être affectés, la requérante n'établit, pour cette période allant de la cessation de ses activités à son départ des lieux, ni que les locaux étaient devenus impropres à leur usage, ni qu'elle aurait été empêchée d'y continuer ces activités.
29. Dans ces conditions, la requérante n'est fondée ni à faire valoir une absence d'avantage de toute nature procuré par son maintien volontaire sur le site litigieux à compter de la cessation de ses activités d'exploitation, ni à soutenir que l'expertise et, par suite, la délibération du conseil municipal de Forges-les-Eaux sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elles n'ont pas prévu une décote du montant de la redevance, du reste non chiffrée, à partir du moment où elle a cessé d'exploiter le site.
30. En cinquième lieu, il résulte de ce qui est dit aux point 20 à 23 que la SA Groupe Bigard ne saurait utilement se prévaloir des loyers stipulés par les contrats de bail à construction de 1990 et de crédit-bail de 1999 ni comme constituant un élément d'évaluation par comparaison de la redevance d'occupation pour la période litigieuse, ni comme témoignant d'une surévaluation s'apparentant à une sanction déguisée.
31. En sixième lieu, si la SA Groupe Bigard expose que le montant au mètre carré stipulé dans la convention d'occupation qui la liait à la commune de Forges-les-Eaux pour les entrepôts frigorifiques constitue un élément pertinent d'évaluation de la redevance par comparaison, il ne résulte pas de l'instruction, ni même des allégations de la requérante, un quelconque caractère comparable des facteurs physiques, économiques et juridiques de tels entrepôts avec ceux des locaux de type industriel que constituent un abattoir, ses dépendances et un atelier de découpe, ces deux types d'activité n'ayant pas les mêmes fonctions même si elles interviennent dans une même filière économique.
32. En septième lieu, le loyer versé actuellement par la société coopérative du Pays de Bray qui porte un projet de reprise de l'activité et de rénovation soutenu par les pouvoirs publics et des éleveurs locaux avec un engagement d'investissement d'environ 1,5 million d'euros, ne constitue pas davantage un élément pertinent d'évaluation par comparaison de la somme due pour la période litigieuse. Ce nouvel exploitant est en effet une société coopérative d'intérêt collectif dont le schéma économique ne peut pas être transposé au cas d'espèce et dont le loyer acquitté ne peut, en tout état de cause, être représentatif des avantages de toute nature qui ont été procurés, en leur temps, à la SA groupe Bigard.
33. En huitième lieu, si la SA Groupe Bigard soutient qu'elle a réalisé des investissements importants sur le site, cette circonstance, à la supposer établie, n'imposait pas à la commune de Forges-les-Eaux de réduire le montant de la redevance due au titre de l'occupation du site et, en tout état de cause, concerne une éventuelle responsabilité de la commune de Forges-les-Eaux sur le fondement de responsabilité quasi-contractuelle, se rapporte ainsi à une cause juridique distincte de l'occupation sans titre du domaine public et est, dès lors, sans incidence sur le présent litige.
34. En neuvième lieu, l'inapplicabilité aux personnes publiques des voies d'exécution de droit commun, rappelée par l'article L. 2311-1 du code général de la propriété des personnes publiques, fait obstacle à ce que le juge prononce la compensation des créances et des dettes d'une personne publique.
35. En dixième lieu, l'occupation du domaine public litigieuse par la SA Groupe Bigard n'ayant pas procédé d'une délégation de service public industriel et commercial, la requérante ne peut utilement se prévaloir des modalités de calcul de la redevance d'occupation du domaine public prévues dans ce cas de figure.
36. Il résulte de ce qui précède que la SA Groupe Bigard n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal l'a condamnée à verser à la commune de Forges-les-Eaux la somme de 1 147 294,40 euros à titre d'indemnité d'occupation de son domaine public pour la période du 1er mars 2010 au 19 novembre 2015.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
37. La commune de Forges-les-Eaux n'étant pas partie perdante à la présente instance, la demande présentée par la SA Groupe Bigard sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doit être rejetée. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la SA Groupe Bigard, dans les circonstances de l'espèce, la somme de 2 000 euros au titre des frais engagés par la commune de Forges-les-Eaux et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SA Groupe Bigard est rejetée.
Article 2 : La SA Groupe Bigard versera à la commune de Forges-les-Eaux une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Groupe Bigard et à la commune de Forges-les-Eaux.
Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 15 mars 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- Mme Corinne Baes Honoré, présidente-assesseure,
- Mme Naïla Boukheloua, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 avril 2022.
La rapporteure,
Signé : N. Boukheloua
Le président de la 1ère chambre,
Signé : M. A...
La greffière,
Signé : C. Sire
La République mande et ordonne au préfet de la Seine Maritime en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Christine Sire
N°20DA00590
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