Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir le permis de construire tacite du 11 décembre 2018 obtenu par la société Orange pour la réalisation d'une antenne relais téléphonique sur le territoire de la commune de Boisset-les-Prévanches.
Par un jugement n° 2000434 du 5 novembre 2021, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 janvier 2022, M. A... C... et Mme B... C..., représentés par Me Aymeric Hourcabie, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler le permis de construire tacite obtenu le 11 décembre 2018 par la société Orange;
3°) de mettre à la charge de la société Orange la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement doit être annulé car la minute du jugement n'est pas signée ;
- le permis de construire méconnaît l'article A.1.4 du plan local d'urbanisme ;
- il méconnaît également l'article A.11.1 du plan local d'urbanisme et l'article R.111-27 du code de l'urbanisme ;
- il méconnaît aussi l'article R. 421-38 du code de l'urbanisme ;
- il ne respecte pas l'article R. 421-39 du même code ;
- il méconnaît l'article R. 421-3 de ce code ;
- il ne respecte pas l'article A.11.3 du règlement du plan local d'urbanisme.
Par ordonnance du 27 avril 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 24 mai 2022 à 12 heures.
Un mémoire a été enregistré pour la société Orange par Me Gentilhomme le 26 septembre 2022 et n'a pas été communiqué.
La requête a été communiquée à la commune de Boisset-les-Prévanches qui n'a pas produit de mémoire.
Les parties ont été informées que l'arrêt à intervenir était susceptible de prononcer un sursis à statuer sur le fondement de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme ou une annulation partielle. Elles ont été invitées à faire valoir leurs observations.
La société Orange représentée par Me Gentilhomme a présenté ses observations le 30 septembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Frédéric Malfoy, rapporteur public,
- et les observations de Me Zahra Rouikha, représentant M. et Mme C... et D..., représentant la société Orange.
Considérant ce qui suit :
1. La société Orange a déposé, le 11 septembre 2018, une demande de permis de construire pour l'installation d'une antenne relais de téléphonie mobile sur la parcelle ZE 155 sur le territoire de la commune de Boisset-les-Prévanches dans l'Eure. Un permis tacite est né le 11 décembre 2018.
M. et Mme C..., propriétaires d'un ensemble immobilier situé rue des Prévanches dans la même commune, ont demandé l'annulation de ce permis tacite. Ils relèvent appel du jugement du 5 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande dirigée contre ce permis tacite.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ". Il résulte de l'instruction menée par la cour que la minute du jugement du 5 novembre 2021 a été signée par la présidente de la deuxième chambre du tribunal administratif de Rouen ainsi que par la rapporteure et la greffière d'audience. Par suite, le moyen d'irrégularité soulevé par les appelants ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance :
3. M. et Mme C... établissent par les photographies produites en première instance que l'antenne de téléphonie mobile, objet du projet et dont les travaux sont achevés, est visible depuis plusieurs points de leur propriété, dont une extrémité est située à quarante mètres du projet. Les conditions de jouissance de leur bien sont donc affectées par le projet. Par suite, ils ont intérêt à agir contre le permis tacite. La fin de non-recevoir opposée en première instance par la société Orange ne peut donc qu'être écartée.
En ce qui concerne la légalité du permis de construire :
4. En premier lieu, aux termes de l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme : " Les demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir et les déclarations préalables sont adressées par pli recommandé avec demande d'avis de réception ou déposées à la mairie de la commune dans laquelle les travaux sont envisagés : / a) Soit par le ou les propriétaires du ou des terrains, leur mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par eux à exécuter les travaux ; / b) Soit, en cas d'indivision, par un ou plusieurs co-indivisaires ou leur mandataire ; / c) Soit par une personne ayant qualité pour bénéficier de l'expropriation pour cause d'utilité publique. ".
5. Il ressort du dossier de demande de permis de construire que celui-ci comprenait une attestation d'un responsable de la société Orange indiquant qu'il était habilité par le propriétaire de la parcelle ZE155 à déposer cette demande. Aucun élément du dossier ne permet d'établir que le maire aurait disposé d'éléments de nature à laisser penser que la société Orange ne disposait pas de l'autorisation du propriétaire de la parcelle pour exécuter les travaux. Si les appelants soutiennent sans l'établir que l'implantation de la construction réalisée empièterait sur la parcelle voisine, ce litige d'exécution est sans incidence sur la légalité du permis, le dossier de demande ne faisant état de construction que sur la parcelle pour laquelle la société Orange disposait d'une habilitation. Le moyen ainsi soulevé tiré de la méconnaissance de l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme ne peut donc qu'être écarté comme inopérant.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 431-8 du code de l'urbanisme : " Le projet architectural comprend une notice précisant : / 1° L'état initial du terrain et de ses abords indiquant, s'il y a lieu, les constructions, la végétation et les éléments paysagers existants ; / 2° Les partis retenus pour assurer l'insertion du projet dans son environnement et la prise en compte des paysages, faisant apparaître, en fonction des caractéristiques du projet : / a) L'aménagement du terrain, en indiquant ce qui est modifié ou supprimé ; / b) L'implantation, l'organisation, la composition et le volume des constructions nouvelles, notamment par rapport aux constructions ou paysages avoisinants ; (...) ".
7. Il ressort du dossier de demande de permis de construire que cette demande comportait l'ensemble des éléments prévus par les dispositions de l'article R. 431-8 du code de l'urbanisme. En particulier, les plans détaillés joints à la demande, permettent de comprendre les partis retenus pour assurer l'insertion du projet dans son environnement en faisant apparaître l'implantation, l'organisation, la composition et le volume de la construction. Si cette demande ne comporte aucune indication sur l'insertion par rapport à la construction de M. et Mme C..., celle-ci est distante de plus de deux cent mètres du projet. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 431-8 du code de l'urbanisme ne peut qu'être écarté.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 431-9 du code de l'urbanisme : " Le projet architectural comprend également un plan de masse des constructions à édifier ou à modifier coté dans les trois dimensions. Ce plan de masse fait apparaître les travaux extérieurs aux constructions, les plantations maintenues, supprimées ou créées et, le cas échéant, les constructions existantes dont le maintien est prévu. / Il indique également, le cas échéant, les modalités selon lesquelles les bâtiments ou ouvrages seront raccordés aux réseaux publics ou, à défaut d'équipements publics, les équipements privés prévus, notamment pour l'alimentation en eau et l'assainissement. (...) ". La circonstance que le dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l'ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l'urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n'est susceptible d'entacher d'illégalité le permis de construire qui a été accordé que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.
9. La demande de permis de construire indique que " le raccordement aux réseaux (EDF et France Télécom) se situent en bordure du chemin dans la partie Est du terrain " et le plan masse du projet comprend un boitier de raccordement " EDF Orange " localisé conformément à cette indication. Si ce plan ne fait pas apparaître l'emplacement des réseaux, cette omission n'a pas été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable. Par ailleurs, si les requérants soutiennent que le plan de masse comporte des données incohérentes en ce qu'il mentionne une cote altimétrique de 141 mètres, cette erreur de plume n'a pas été de nature à fausser l'appréciation de l'autorité administrative, dès lors qu'il ressort du plan de coupe du dossier de demande, du plan PC05 et de la notice du projet qu'il s'agissait en réalité d'une cote de 114 mètres. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 431-9 du code de l'urbanisme ne peut qu'être écarté
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales ". En outre, l'article A.11.1 du plan local d'urbanisme dispose que : " Par leur aspect extérieur, les constructions et leurs abords, de quelque nature que ce soit, devront conforter les caractéristiques du paysage, en particulier en ce qui concerne les rythmes, les matériaux, les implantations en altimétrie et plan masse et la composition générale de celles-ci dans l'environnement. / Le permis de construire peut être refusé, ou n'être accordé que sous réserve de prescriptions spéciales, si les constructions, par leur situation, leur architecture, leur dimension ou l'aspect extérieur des bâtiments à édifier et de leurs abords, sont de nature à porte atteinte au site et aux paysages. ".
11. Ces dernières dispositions ont le même objet que celles de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme et posent des exigences qui ne sont pas moindres. Dès lors, c'est par rapport aux dispositions du règlement du plan local d'urbanisme que doit être appréciée la légalité de la décision attaquée. En outre, pour rechercher l'existence d'une atteinte de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il appartient à l'autorité administrative compétente d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.
12. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que le projet se situe dans une zone de champs ouverts de grande superficie, qui comprend également des espaces boisés, le plus proche du projet étant toutefois séparé de celui-ci par une route. Si les requérants soutiennent que la parcelle d'assiette du projet se trouve à proximité de sites Natura 2000 et se prévalent de la proximité immédiate d'une zone naturelle d'intérêt floristique et faunistique de type 2, cette parcelle ne fait l'objet d'aucune protection particulière. En outre, il ressort des pièces du dossier que l'environnement proche du projet est déjà traversé par une ligne à haute tension portée par des pylônes de grande hauteur. Si l'antenne a une hauteur de 36 mètres, son emprise au sol de 58 mètres carrés reste très limitée. Compte tenu de ces éléments, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article A.11.1 du plan local d'urbanisme ne peut qu'être écarté.
13. En cinquième lieu, l'article A.1.4 du plan local d'urbanisme relatif à la zone agricole interdit les occupations du sol non liés à l'agriculture. Toutefois, l'article A.2.2 du même document autorise dans la même zone " les installations nécessaires à l'exploitation des réseaux (eau, électricité, téléphone, assainissement, abris bus) sous réserve qu'elles s'intègrent dans l'environnement existant ou projeté au titre de l'article 11 ; (...) ".
14. Eu égard à ses fonctionnalités, l'antenne-relais, objet du permis de construire, figure au nombre des installations nécessaires à l'exploitation du réseau téléphonique. Par ailleurs, ainsi qu'il a été exposé au point 12, le projet s'intègre dans l'environnement existant. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article A.1.4 du règlement du plan local d'urbanisme ne peut qu'être écarté.
15. En sixième lieu, aux termes de l'article A.11.3.1 du plan local d'urbanisme : " Les seules clôtures de propriétés autorisées sont les clôtures végétales doublées ou non de grillage métallique ou de claustrat bois, posé sur poteaux de bois ou de métal. "
16. Il ressort du dossier de demande de permis de construire que l'antenne-relais est entourée d'un grillage d'une hauteur de deux mètres. Si, sur trois côtés, ce grillage constitue une séparation interne destinée à protéger l'ouvrage et à délimiter son périmètre par rapport aux autres usages de la parcelle et ne peut ainsi être regardé comme une clôture au sens des dispositions précitées, il s'implante sur le côté Nord, sur une longueur de sept mètres en limite de propriété. Par suite, le projet méconnaît sur ce point les dispositions de l'article A. 11.3.1. du plan local d'urbanisme.
Sur les conséquences de l'illégalité de l'arrêté :
17. Aux termes de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme : " Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5-1, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice n'affectant qu'une partie du projet peut être régularisé, limite à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et, le cas échéant, fixe le délai dans lequel le titulaire de l'autorisation pourra en demander la régularisation, même après l'achèvement des travaux. Le refus par le juge de faire droit à une demande d'annulation partielle est motivé. ".
18. L'illégalité relevée au point 16 du présent arrêt n'affecte qu'une partie du projet de construction et peut faire l'objet d'une mesure de régularisation n'impliquant pas d'apporter au projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même. Dans ces conditions, il y a lieu de faire application des dispositions précitées de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme et de prononcer l'annulation partielle du permis tacite né le 11 décembre 2018 en tant seulement qu'il méconnaît l'article A.11.3.1 du règlement du plan local d'urbanisme. Il y a lieu de fixer à quatre mois à compter de la notification du présent arrêt, le délai imparti au pétitionnaire pour solliciter la régularisation de ce projet.
19. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont seulement fondés à demander l'annulation du permis tacite, né le 11 décembre 2018, accordé par le maire de Boisset-les-Prévanches, dans la mesure précisée au point précédent. Dans cette même mesure, le jugement du tribunal administratif de Rouen doit être annulé.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
20. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de
M et Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le permis tacite obtenu par la société Orange le 11 décembre 2018 est annulé en tant qu'il méconnaît l'article A.11. 3. 1 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Boisset-les-Prévanches.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 5 novembre 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le délai accordé à la société Orange pour solliciter la régularisation du vice indiqué à l'article 1er du présent arrêt est fixé à quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Les conclusions de M. et Mme C... tendant à la condamnation de la société Orange au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C..., à la commune de Boisset-les-Prévanches et à la société Orange.
Copie en sera transmise au procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Evreux, en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.
Délibéré après l'audience publique du 6 octobre 2022 à laquelle siégeaient :
- Mme Corinne Baes-Honoré, présidente-assesseure, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Denis Perrin, premier conseiller,
- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 octobre 2022.
Le rapporteur
Signé: D. Perrin La présidente de la formation de jugement,
Signé: C. Baes-Honoré
La greffière,
Signé: C. Sire
La République mande et ordonne au préfet de l'Eure en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Christine Sire
N°22DA00014 2