Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 12 janvier 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai d'un mois à compter de la date de notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2200279 du 28 juin 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 juillet 2022, et des mémoires, enregistrés le 18 octobre 2022 et le 7 novembre 2022, Mme B..., représentée par Me Castioni puis par Me Mukendi Ndonki, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 12 janvier 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, dans cette attente et dans le délai de huit jours, une autorisation provisoire de séjour, dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne l'arrêté pris dans son ensemble :
- cet arrêté est entaché d'une insuffisance de motivation ;
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
- cette décision méconnaît les dispositions de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- cette décision est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît les dispositions du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- cette décision est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 août 2022, le préfet de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 8 novembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 9 décembre 2022.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 octobre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Sauveplane, président, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... B..., ressortissante ivoirienne née le 20 juin 1991 à Zikisso (Côte d'Ivoire), est entrée en France en juin 2017, sous couvert d'un passeport national revêtu d'un visa court séjour valable du 17 juin 2017 au 16 juillet 2017, selon ses déclarations. Le 20 novembre 2019, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur et désormais codifié à l'article L. 423-7 du code. Par un arrêté du 12 janvier 2022, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme B... relève appel du jugement du 28 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. ". Aux termes de l'article L. 423-8 du même code : " Pour la délivrance de la carte de séjour prévue à l'article L. 423-7, lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, doit justifier que celui-ci contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil, ou produire une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant. ".
3. Aux termes de l'article 316 du code civil : " Lorsque la filiation n'est pas établie dans les conditions prévues à la section I du présent chapitre, elle peut l'être par une reconnaissance de paternité ou de maternité, faite avant ou après la naissance. / La reconnaissance n'établit la filiation qu'à l'égard de son auteur. / (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 371-2 du même code : " Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. ".
4. Il résulte des articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'étranger qui sollicite la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " au motif qu'il est parent d'un enfant français doit justifier, outre de sa contribution effective à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, de celle de l'autre parent, de nationalité française, lorsque la filiation à l'égard de celui-ci a été établie par reconnaissance en application de l'article 316 du code civil. Le premier alinéa de l'article L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que cette condition de contribution de l'autre parent doit être regardée comme remplie dès lors qu'est rapportée la preuve de sa contribution effective ou qu'est produite une décision de justice relative à celle-ci. Dans ce dernier cas, il appartient seulement au demandeur de produire la décision de justice intervenue, quelles que soient les mentions de celle-ci, peu important notamment qu'elles constatent l'impécuniosité ou la défaillance du parent français auteur de la reconnaissance. La circonstance que cette décision de justice ne serait pas exécutée est également sans incidence.
5. Il ressort des pièces du dossier que l'enfant de Mme B..., Sérïna, de nationalité française, a été reconnue par son père le 14 mars 2019, antérieurement à la naissance, le 7 juin 2019, de cette enfant. Par un jugement du 30 mars 2021, qui a d'ailleurs été confirmé par un arrêt du 30 juin 2022 de la cour d'appel de Rouen, le tribunal de grande instance de Rouen, sur la demande de Mme B..., a constaté que les parents exercent en commun l'autorité parentale sur cette enfant, a fixé la résidence de l'enfant au domicile de sa mère, Mme B... et a décidé, au profit du père de l'enfant, d'un droit de visite dont il a défini les modalités. En conséquence, la condition de contribution de l'autre parent doit, conformément à ce qui a été dit au point 4, être regardée comme remplie dès lors qu'est produite une décision de justice relative à celle-ci, alors même que la décision de justice relève l'impécuniosité du père de l'enfant. Par suite, Mme B... remplissant les conditions prévues aux articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers, c'est à tort que le préfet de la Seine-Maritime a refusé, par l'arrêté contesté, de lui délivrer un titre de séjour sur ce fondement.
6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 12 janvier 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
7. Le présent arrêt implique nécessairement, compte tenu du motif d'annulation de l'arrêté contesté, que le préfet de la Seine-Maritime délivre à Mme B..., en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Par suite, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime d'y procéder, dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, la somme de 1 000 euros, sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, à verser au conseil de Mme B..., sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2200279 du 28 juin 2022 du tribunal administratif de Rouen et l'arrêté du 12 janvier 2022 du préfet de la Seine-Maritime sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime de délivrer à Mme B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros au conseil de Mme B..., sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de la Seine-Maritime et à Me Mukendi Ndonki.
Délibéré après l'audience publique du 15 décembre 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Christian Heu, président de chambre ;
- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur ;
- M. Jean-François Papin, premier-conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 janvier 2023.
Le président, rapporteur,
Signé : M. Sauveplane Le président de chambre,
Signé : C. Heu
La greffière,
Signé : S. Pinto Carvalho
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière,
Suzanne Pinto Carvalho
N°22DA01552 2