Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par trois requêtes distinctes, la société civile immobilière (SCI) De Guisnes, M. B... A..., associé et gérant de la société, et M. et Mme C... D..., associés dans cette société, ont demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles M. A..., d'une part, et M. et Mme D..., d'autre part, ont été assujettis au titre des années 2015 et 2016, ainsi que des pénalités correspondantes, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement nos 1904545, 2001297, 2001298 du 17 décembre 2021, le tribunal administratif de Lille, après avoir joint ces trois demandes, a, par l'article 1er, déchargé M. et Mme D... des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2015 et 2016, ainsi que des pénalités correspondantes, par l'article 2, déchargé M. A... des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti au titre des années 2015 et 2016, ainsi que des pénalités correspondantes, par l'article 3, mis à la charge de l'Etat une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 7 février 2022 et 12 septembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 2 et 3 du jugement du 17 décembre 2021 du tribunal administratif de Lille ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lille ;
3°) de remettre à la charge de M. A... les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux, ainsi que les pénalités correspondantes, dont il a été déchargé par le tribunal administratif de Lille.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, la SCI De Guisnes a conservé des copies des documents qui ont été remis au vérificateur ;
- en tout état de cause, la SCI De Guisnes n'a pas informé l'administration de ce qu'elle lui aurait transmis des documents originaux sans en garder de copie ;
- la SCI De Guisnes n'a pas présenté de nouvelles observations après que les documents lui ont été renvoyés par le service vérificateur le 28 septembre 2018 ;
- la SCI De Guisnes n'a donc été privée d'aucune garantie procédurale ;
- à supposer que la cour estime que la procédure d'imposition est entachée d'irrégularité, cette irrégularité ne peut entraîner qu'une décharge partielle des impositions supplémentaires mises à la charge de M. A... ;
- il se réfère aux écritures produites en première instance s'agissant des autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Lille ;
- aucun justificatif n'a été produit s'agissant des frais d'administration et de gestion au titre de l'année 2014.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 avril 2022, M. A..., représenté par Me Bertrand, conclut, d'une part, au rejet de la requête, d'autre part, à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que la SCI De Guisnes avait été privée d'un débat oral et contradictoire ;
- l'absence de débat oral et contradictoire entache d'irrégularité la procédure d'imposition dans son ensemble ;
- aucune analyse précise des travaux n'a été réalisée par le vérificateur ;
- les travaux en cause présentent le caractère de travaux d'amélioration.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bertrand Baillard, premier conseiller,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société civile immobilière (SCI) De Guisnes est propriétaire d'un immeuble situé à Tourcoing qu'elle a acquis en 2013. A la suite d'un contrôle sur pièces, le service a adressé à la SCI De Guisnes, dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire prévue à l'article L. 55 du livre des procédures fiscales, une proposition de rectification, en date du 24 juillet 2018, par laquelle l'administration a remis en cause le caractère déductible de travaux déclarés et réalisés sur cet immeuble en 2013, pour un montant de 69 519 euros, et de frais d'administration et de gestion déclarés en 2014, pour un montant de 46 870 euros. L'administration a, en conséquence, ramené le déficit déclaré par la société pour l'année 2013 de 71 412 euros à 2 893 euros, et celui déclaré pour l'année 2014 de 60 112 euros à 13 242 euros. Par deux autres propositions de rectification du même jour, l'administration fiscale a informé M. A..., associé et gérant de la SCI De Guisnes, ainsi que M. et Mme D..., également associés de cette société, du rehaussement de leurs revenus fonciers au titre des années 2015 et 2016 et a, en conséquence, mis à leur charge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux, assorties de pénalités, au titre de ces deux années. Après rejet de leur réclamation préalable, la SCI De Guisnes, M. A... ainsi que M. et Mme D... ont saisi le tribunal administratif de Lille de trois demandes tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux mises à la charge des associés de la société. Par un jugement du 17 décembre 2021, le tribunal administratif de Lille, après avoir joint ces trois demandes, a déchargé, d'une part, M. A..., d'autre part, M. et Mme D..., des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvement sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2015 et 2016, ainsi que des pénalités correspondantes. Dans le cadre de la présente instance, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande l'annulation de ce jugement en tant que, par son article 2, il a fait droit à la demande de M. A... tendant à la décharge des impositions supplémentaires ainsi mises à sa charge et, par son article 3, il a mis à la charge de l'Etat une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur le bien-fondé du motif de décharge retenu par les premiers juges :
2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 53 du livre des procédures fiscales : " En ce qui concerne les sociétés dont les associés sont personnellement soumis à l'impôt pour la part des bénéfices correspondant à leurs droits dans la société, la procédure de vérification des déclarations déposées par la société est suivie entre l'administration des impôts et la société elle-même ". Lorsque la rectification des revenus d'un associé d'une société de personnes procède directement de la rectification des résultats de cette société à l'issue d'une vérification de comptabilité, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie à l'encontre de la société de personnes, soulevé par l'associé, est opérant.
3. D'autre part, les documents remis à l'administration lors d'une procédure de contrôle en vue de justifier de frais et dépenses qui ont été déduits du revenu imposable doivent être restitués au contribuable avant la notification des rectifications envisagées. L'absence de restitution au contribuable de tout ou partie des documents communiqués à la suite d'une demande de renseignements étant susceptible de priver celui-ci d'un débat oral et contradictoire, il en résulte que la procédure d'imposition est dans son ensemble entachée d'irrégularité, ce qui entraîne la décharge de tous les redressements trouvant leur source dans la procédure irrégulière, même si certains d'entre eux ne sont pas directement fondés sur l'examen des documents non restitués. Toutefois, une telle irrégularité demeure sans conséquence sur le bien-fondé de l'imposition s'il est établi que, n'ayant privé le contribuable d'aucune garantie, elle n'a pas pu avoir d'influence sur la décision de redressement.
4. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, par un courrier du 28 février 2018, le service vérificateur a demandé à la SCI De Guisnes de produire des justificatifs des dépenses de travaux exposées en 2013, pour un montant de 69 519 euros, et des frais d'administration et de gestion supportés en 2014, pour un montant de 46 870 euros, que la société avait déduits de ses revenus fonciers. En réponse, M. A..., gérant de la société, a, le 2 mai 2018, transmis au service des factures originales, lesquelles n'ont été restituées à la SCI De Guisnes que fin septembre 2018, concomitamment à la réponse aux observations du contribuable, et donc postérieurement à la proposition de rectification adressée à la société le 24 juillet 2018. Si l'administration, qui s'est fondée sur ces pièces pour rectifier les revenus fonciers déclarés par la société en 2013, admet que cette restitution tardive entache d'irrégularité la procédure d'imposition suivie à l'égard de la société, elle soutient que la SCI De Guisnes n'a, pour autant, pas été privée de la garantie procédurale résultant du droit à un débat oral et contradictoire. Toutefois, contrairement à ce que soutient l'administration, il n'est pas établi, par le simple fait que le gérant de la société a indiqué au vérificateur, par un courriel du 22 mars 2018, son intention de scanner les documents qu'il devait lui remettre, que la société a effectivement conservé une copie des documents originaux remis à l'administration, et ce alors que le contribuable le conteste formellement et que cela ne ressort d'aucune pièce produite par l'administration. Par ailleurs, la SCI De Guisnes n'était aucunement tenue d'indiquer au vérificateur si celle-ci avait ou n'avait pas conservé de copie des documents originaux remis à l'administration. En revanche, il appartenait à l'administration de restituer ces documents, sur lesquels se fonde pour partie la proposition de rectification du 24 juillet 2018, avant l'intervention de cette proposition de rectification, pour que la SCI De Guisnes soit en possession de toutes les pièces utiles en vue de présenter des observations en réponse à cette proposition, ce qu'elle a été dans l'incapacité de faire ainsi d'ailleurs qu'elle l'a déclaré dès ses observations formulées le 18 septembre 2018. Enfin, si le ministre soutient que cette société avait toute latitude pour présenter des observations après la restitution des documents originaux, fin septembre 2018, une telle possibilité est sans incidence dès lors que l'administration n'était tenue par aucun texte de poursuivre le contradictoire après la réponse aux observations du contribuable en date du 28 septembre 2018. Au demeurant, l'administration n'a adopté aucune mesure permettant de régulariser le vice entachant sur ce point la procédure d'imposition, ce qu'elle était toutefois en mesure de faire après la réception des observations de la SCI De Guisnes. Dès lors, dans les circonstances de l'espèce, la restitution tardive à la SCI De Guisnes des documents originaux remis par celle-ci au service vérificateur a privé cette société de la garantie tenant au droit à un débat oral et contradictoire.
5. En second lieu, l'administration soutient que l'irrégularité, mentionnée au point précédent, entachant la procédure d'imposition est uniquement de nature à entraîner la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux mises à la charge des associés de la SCI De Guisnes en lien avec la non-restitution, en temps utile, des documents comptables en cause. Toutefois, quand bien même la rectification des revenus fonciers de la SCI De Guisnes au titre de l'année 2014 n'est pas fondée sur les pièces non restituées en temps utile, il résulte des principes rappelés au point 3 que la méconnaissance du droit à un débat oral et contradictoire entache d'irrégularité l'ensemble de la procédure d'imposition et entraîne la décharge de tous les redressements trouvant leur source dans cette procédure. Aussi, la rectification des revenus fonciers de M. A... étant la conséquence de la procédure d'imposition dont la SCI De Guisnes a fait l'objet, l'irrégularité de cette procédure est de nature à entraîner la décharge de l'intégralité des impositions supplémentaires mises à la charge de l'intéressé.
6. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a déchargé M. A... des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti au titre des années 2015 et 2016, ainsi que des pénalités correspondantes. Le ministre n'est pas davantage fondé à soutenir que c'est à tort que, par le même jugement, le tribunal administratif de Lille a, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, mis la somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, qui a la qualité de partie perdante, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à M. B... A....
Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
Délibéré après l'audience publique du 17 mai 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Christian Heu, président de chambre,
- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur,
- M. Bertrand Baillard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er juin 2023.
Le rapporteur,
Signé : B. BaillardLe président de chambre,
Signé : C. Heu
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
Nathalie Roméro
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N°22DA00226
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