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29/02/2024 | FRANCE | N°23DA00233

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 29 février 2024, 23DA00233


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 4 décembre 2018 par lequel le maire de Givenchy-en-Gohelle a délivré à M. C... A... un permis de construire un bâtiment de stockage agricole et de démolir un entrepôt sur les parcelles cadastrées n° ZA 451, 533 et 434, ensemble la décision implicite de rejet du recours gracieux formé le 13 septembre 2019.



Par un jugement avant dire droit du 20 juillet 2022, le tribunal

administratif de Lille a sursis à statuer, en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urba...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 4 décembre 2018 par lequel le maire de Givenchy-en-Gohelle a délivré à M. C... A... un permis de construire un bâtiment de stockage agricole et de démolir un entrepôt sur les parcelles cadastrées n° ZA 451, 533 et 434, ensemble la décision implicite de rejet du recours gracieux formé le 13 septembre 2019.

Par un jugement avant dire droit du 20 juillet 2022, le tribunal administratif de Lille a sursis à statuer, en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, pendant un délai de quatre mois afin que soient régularisés les vices tirés du défaut de motivation des prescriptions dont était assorti le permis de construire et de l'insuffisance des documents photographiques au titre de l'insertion du projet dans son environnement lointain.

Par un jugement n°2000114 du 30 décembre 2022, le tribunal administratif de Lille, estimant que les vices mentionnés ci-dessus avaient été régularisés par un arrêté du 2 décembre 2022 du maire de Givenchy-en-Gohelle, a rejeté la demande de Mme B....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 7 février 2023, Mme B..., représentée par la SCP Dumoulin, Chartrelle et Abiven, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 30 décembre 2022 ;

2°) d'annuler le permis de construire accordé le 4 décembre 2018 et le permis de construire modificatif accordé le 2 décembre 2022 à M. C... A... par le maire de Givenchy-en-Gohelle, ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux formé le 13 septembre 2019 ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Givenchy-en-Gohelle la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif a méconnu le principe du contradictoire ;

- le jugement du tribunal administratif est insuffisamment motivé ;

- la demande de permis ne permet pas d'apprécier l'insertion du projet dans son environnement ;

- alors que le jugement a relevé des irrégularités du permis de construire, sa condamnation au paiement de frais d'instance est inéquitable ;

- par ailleurs aucune demande au titre des frais d'instance n'avait été présentée par la commune avant le mémoire du 9 décembre 2022 qui n'a pas été communiqué.

Par un mémoire en défense enregistré le 16 mai 2023, la commune de Givenchy-en-Gohelle, représentée par Me Johann Verhaest, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de Mme B... de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions sont irrecevables dès lors qu'elles sont adressées au tribunal administratif et non à la cour ;

- les moyens contenus dans la requête ne sont pas fondés ;

- en particulier, la demande de frais de la commune avait été formulée dans un mémoire communiqué à Mme B....

Par un mémoire en défense enregistré le 9 novembre 2023, M. C... A..., représenté par la société d'avocats Edifices, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de Mme B... de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que Mme B... n'avait pas demandé en première instance l'annulation du permis de construire modificatif et que ses conclusions d'appel dirigées contre ce permis modificatif sont donc irrecevables.

Par une ordonnance du 29 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée avec effet immédiat en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Justine Roels, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. Par arrêté du 4 décembre 2018, le maire de Givenchy-en-Gohelle a délivré un permis de construire à M. A... pour la construction d'un bâtiment de stockage agricole d'une surface de 2 070 m² sur les parcelles cadastrées ZA 451, 533 et 434 au 8 rue des alouettes. Mme B..., voisine du projet, a formé, le 13 septembre 2019, un recours gracieux contre cet arrêté. Faute de réponse, elle a contesté cet arrêté devant le tribunal administratif de Lille qui a sursis à statuer par un jugement du 20 juillet 2022 afin que soient régularisés les vices dont était affecté le permis. Un permis modificatif a été délivré le 2 décembre 2022. Par un jugement du 30 décembre 2022, le tribunal administratif a rejeté les demandes d'annulation du permis de construire et du rejet implicite du recours gracieux formé contre ce permis. Mme B... relève appel de ce jugement.

Sur la recevabilité des conclusions d'appel :

2. Si la requête, dans l'énoncé des conclusions, mentionne par erreur le tribunal administratif de Lille, elle est intitulée " requête en appel ", est adressée à la cour et tend clairement à l'annulation du jugement de ce tribunal. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la commune, tirée de ce que les conclusions sont adressées au tribunal administratif, ne peut qu'être écartée.

3. Mme B..., qui était partie en première instance, est recevable à demander l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa requête au motif que le permis du 4 décembre 2018 dont elle demandait l'annulation avait été régularisé. Par ailleurs, il est loisible à l'intéressée de développer à l'encontre de ce jugement tout moyen visant la régularisation du permis, seuls les moyens visant le jugement avant dire droit, qui n'a pas fait l'objet d'un recours, étant irrecevables. Le moyen tiré de ce que le permis modificatif ne régularise pas le vice relevé par le tribunal administratif est donc recevable, même s'il est nouveau en appel. Par ailleurs, si Mme B... n'avait pas demandé en première instance l'annulation du permis de construire modificatif, elle a été privée de cette possibilité ainsi que cela est démontré ci-après. Dans ces conditions, la fin de non-recevoir opposée par M. A... doit être écartée.

Sur la régularité du jugement :

En ce qui concerne la motivation du jugement :

4. Le jugement du tribunal administratif, après avoir cité les dispositions du code de l'urbanisme applicables respectivement à la composition du dossier de demande de permis de construire et à la motivation du permis, constate au vu des pièces du dossier que les vices relevés dans le jugement avant dire droit du 20 juillet 2022 ont été régularisés. Eu égard à la nature de ces vices qui impliquaient seulement d'une part que le pétitionnaire complète sa demande par des photographies permettant d'apprécier la situation du projet dans le paysage lointain et d'autre part que le maire s'approprie dans la motivation de son arrêté des prescriptions dont est assorti le permis ou les reproduise, la vérification de la régularisation se limitait à constater la modification du dossier de demande et de l'arrêté. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne le principe du contradictoire :

5. D'une part, aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes. ". Le caractère contradictoire de la procédure fait en principe obstacle à ce que le juge se fonde sur des pièces produites au cours de l'instance qui n'auraient pas été préalablement communiquées à chacune des parties.

6. D'autre part, le juge, auquel il incombe de veiller à la bonne administration de la justice, n'a aucune obligation, hormis le cas où des motifs exceptionnels tirés des exigences du débat contradictoire l'imposeraient, de faire droit à une demande de report de l'audience formulée par une partie. Il n'a pas davantage à motiver le refus qu'il oppose à une telle demande.

7. Le tribunal a sursis à statuer, par le jugement avant dire droit du 20 juillet 2022, afin que soient régularisés les vices tirés de l'insuffisante motivation de l'arrêté du 4 décembre 2018 et de l'insuffisance des documents photographiques figurant dans la demande de permis. Le conseil de Mme B... a demandé, par courrier du 25 novembre 2022, que la requête de Mme B... soit inscrite au rôle d'une audience, le délai de régularisation étant expiré à cette date. Ce dossier a été inscrit au rôle de l'audience du 13 décembre suivant, ce dont les parties ont été informées par courrier du 28 novembre 2022. Or, le permis de construire modificatif du 2 décembre 2022 n'a été communiqué par voie électronique à Mme B... que le 7 décembre 2022 à 8 heures 38, dès sa réception par le tribunal. S'il est vrai que M. A... a adressé ce permis modificatif à Mme B..., celle-ci ne l'a reçu également que le 7 décembre 2022. La clôture de l'instruction est intervenue automatiquement trois jours francs avant l'audience du 13 décembre 2022, en application de l'article R. 613-2 du code de justice administrative, soit le 9 décembre 2022 à minuit. Mme B... n'a donc disposé, pour examiner et éventuellement contester le permis de régularisation, que d'un délai de deux jours qui n'était pas suffisant, eu égard à la nouveauté du document produit et à l'incidence qu'il était susceptible d'avoir sur l'issue du litige. Dans ces conditions et alors même que le conseil de Mme B... n'a demandé le report de l'audience que moins de deux heures avant le début de celle-ci, le principe du contradictoire n'a pas été respecté et Mme B... est donc fondée à soutenir que le jugement attaqué doit être annulé pour ce motif. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Lille.

Sur la légalité du permis de construire modificatif :

8. Aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'urbanisme : " Le projet architectural comprend également : / (...) / c) Un document graphique permettant d'apprécier l'insertion du projet de construction par rapport aux constructions avoisinantes et aux paysages, son impact visuel ainsi que le traitement des accès et du terrain ; / d) Deux documents photographiques permettant de situer le terrain respectivement dans l'environnement proche et, sauf si le demandeur justifie qu'aucune photographie de loin n'est possible, dans le paysage lointain. Les points et les angles des prises de vue sont reportés sur le plan de situation et le plan de masse. ". La circonstance que le dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l'ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l'urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n'est susceptible d'entacher d'illégalité le permis de construire qui a été accordé que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.

9. Le dossier de permis de construire modificatif comportait quatre documents photographiques rendant compte de l'environnement lointain du projet ainsi qu'un plan de situation permettant de localiser l'emplacement de chacune des prises de vue. Le dossier de demande du permis initial comprenait une notice, un plan cadastral, un plan masse, un plan de coupe et un plan des façades ainsi que des documents photographiques permettant d'apprécier l'insertion dans l'environnement proche. Par ailleurs, le permis sollicité a pour objet de régulariser une construction déjà réalisée dont le permis a été définitivement annulé par un arrêt du 18 mai 2017 de la cour, ce bâtiment initialement destiné à abriter un élevage ayant désormais pour vocation le stockage de pommes de terre et de matériel. Dans ces conditions, le dossier de permis tel que complété dans le cadre de la procédure d'obtention du permis modificatif permettait à l'autorité administrative d'apprécier la conformité du projet à la règlementation applicable. Par suite, le vice tiré du caractère incomplet du dossier de demande de permis a été régularisé par le permis modificatif.

10. Par ailleurs, le permis modificatif du 2 décembre 2022 cite ou vise les textes dont il fait application. Il comporte également les considérations de fait qui en constituent le fondement. En particulier, il vise les avis de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement des Hauts-de-France, du service départemental d'incendie et de secours du Pas-de-Calais et du président du conseil départemental du Pas-de-Calais et reproduit dans leur intégralité les prescriptions de ces services. Le vice tiré de l'insuffisante motivation du permis initial du 4 décembre 2018 est ainsi régularisé.

11. Il résulte de tout ce qui précède, que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 4 décembre 2018 du maire de Givenchy-en-Gohelle, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par la commune devant le tribunal administratif.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

13. Le présent arrêt annule le jugement du tribunal administratif de Lille dans toutes ses dispositions, y compris celles relatives à la mise à la charge de Mme B... de frais non liés aux dépens.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. A... et de la commune de Givenchy-en-Gohelle qui ne sont pas les parties principalement perdantes dans la présente instance.

15. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de Mme B... le versement d'une somme de 1 500 euros à M. A... et d'une somme identique à la commune de Givenchy-en-Gohelle au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 30 décembre 2022 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.

Article 3 : Mme B... versera une somme de 1 500 euros à M. A... et une somme identique à la commune de Givenchy-en-Gohelle en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B..., à M. C... A... et à la commune Givenchy-en-Gohelle.

Délibéré après l'audience publique du 15 février 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Nathalie Massias, présidente de la cour,

- Mme Isabelle Legrand, présidente assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 février 2024.

Le rapporteur,

Signé : D. Perrin

La présidente de la cour,

Signé : N. Massias

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au préfet du Pas-de-Calais en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

N°23DA00233 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00233
Date de la décision : 29/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Massias
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : SCP DUMOULIN-CHARTRELLE-ABIVEN

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-29;23da00233 ?
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