Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 29 mars 2023 par lequel le préfet du Nord a décidé son transfert aux autorités allemandes et d'enjoindre au préfet du Nord de procéder au réexamen de sa demande d'admission au titre de l'asile dans un délai d'un mois, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2301090 du 3 mai 2023, la présidente du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 juillet 2023, M. A..., représenté par Me Olympe Turpin, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 3 mai 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 29 mars 2023 ;
3°) d'enjoindre, sous astreinte, au préfet du Nord de réexaminer sa demande d'admission au séjour au titre de l'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- sa requête n'est pas tardive du fait de la prolongation du délai d'appel par sa demande d'aide juridictionnelle ;
- l'arrêté est entaché d'un défaut de motivation et révèle l'absence d'examen de sa situation personnelle ;
- en ne faisant pas usage du pouvoir discrétionnaire qui lui est reconnu par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le préfet du Nord a commis une erreur manifeste d'appréciation de sa situation ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales.
Par des mémoires en défense et de production de pièces enregistrés les 27 octobre et 13 novembre 2023, le préfet du Nord conclut au non-lieu à statuer sur la requête et au rejet des conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que M. A... a exécuté la décision de transfert dans le cadre d'une remise terrestre le 30 juin 2023 ; l'arrêté ayant été exécuté, ce recours est devenu sans objet.
Par une ordonnance du 20 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 19 janvier 2024 à midi.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Douai du 26 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant nigérian né le 4 septembre 1994, est entré sur le territoire français le 29 janvier 2023 afin d'y demander l'asile. La consultation du fichier Eurodac a permis d'établir que ses empreintes avaient été préalablement relevées le 27 juillet 2015 par les autorités allemandes auprès desquelles il a également déposé une demande d'asile. Les autorités allemandes ayant donné leur accord le 6 mars 2023 à la demande de reprise en charge de l'intéressé, le préfet du Nord a prononcé, par un arrêté du 29 mars 2023, le transfert de M. A... en Allemagne. M. A... relève appel du jugement du 3 mai 2023 par lequel la présidente du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur l'exception de non-lieu à statuer opposée par le préfet du Nord :
2. La circonstance, invoquée par le préfet du Nord, que M. A... a été transféré en Allemagne et que l'arrêté contesté a ainsi été exécuté ne rend pas, par elle-même, sans objet les conclusions de la requête de M. A... tendant à son annulation pour excès de pouvoir, dès lors que cet acte n'est pas sorti de l'ordonnancement juridique et qu'il a emporté des effets sur l'intéressé. Il suit de là que l'exception de non-lieu opposée par le préfet du Nord doit être écartée.
Sur la légalité de la décision de transfert aux autorités allemandes :
En ce qui concerne les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de la décision et de l'absence d'examen particulier de la situation de M. A... :
3. Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. (...) ". Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
4. En l'espèce, l'arrêté attaqué vise le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et indique que la consultation du fichier européen Eurodac a révélé que M. A... a été identifié en Allemagne et que les autorités allemandes, saisies le 3 mars 2023, sur le fondement de l'article 18-1 b) du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, d'une demande de reprise en charge, ont donné leur accord par une décision du 6 mars 2023. Il mentionne également que les problèmes de santé allégués par l'intéressé ne sont pas établis, pas plus que ses attaches personnelles et familiales en France et qu'il n'encourt aucun risque en cas de remise aux autorités allemandes. Ces énonciations révèlent un examen particulier de sa situation et ont mis M. A... à même de comprendre les motifs de la décision pour lui permettre d'exercer utilement un recours. Dès lors, la décision litigieuse est suffisamment motivée au regard des exigences posées par les dispositions de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et n'est pas entachée d'un vice de procédure.
En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
5. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
6. D'une part, la faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 précité, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue pas un droit pour les demandeurs d'asile.
7. D'autre part, si M. A... affirme ne pas avoir déposé de demande d'asile en Allemagne, où ses empreintes n'auraient été relevées qu'à titre d'identification, ses allégations sont démenties par les pièces du dossier et notamment par l'acceptation des autorités allemandes de le reprendre en charge sur le fondement de l'article 18-1 d) du règlement (UE) du 26 juin 2013.
8. Enfin, si M. A... se prévaut de la présence en France de sa sœur et des enfants de celle-ci, il n'établit pas leur lien de parenté. En tout état de cause, il ne démontre pas, par la seule production d'attestations brèves et peu circonstanciées de leur part, la stabilité et l'intensité du lien qui les unirait, alors qu'ils vivent séparés depuis environ quinze ans.
9. Dans ces conditions, le préfet du Nord n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. A... et n'a pas, par suite, méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il n'a pas davantage entaché la décision en litige d'une erreur manifeste d'appréciation en refusant de faire usage des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) du 26 juin 2013.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la présidente du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 mars 2023.
11. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1 : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Turpin.
Copie en sera adressée pour information au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 15 février 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Nathalie Massias, présidente de la cour,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Denis Perrin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 février 2024.
La présidente-rapporteure,
Signé : I. LegrandLa présidente de la cour,
Signé : N. Massias
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°23DA01437 2