Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le centre hospitalier intercommunal Eure-Seine à lui verser la somme totale de 29 599,70 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis lors de sa prise en charge dans cet établissement.
Par un jugement n° 1904586 du 20 octobre 2022, le tribunal administratif de Rouen a partiellement fait droit à sa demande en condamnant le centre à lui verser la somme de 3 722,65 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 19 décembre 2022, 4 mai et 17 août 2023 M. B... A..., représenté par Me Laurent Spagnol, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement ;
2°) de condamner le centre hospitalier intercommunal Eure et Seine à lui verser la somme de 35 233,35 euros ou subsidiairement, 29 647,35 euros en réparation de ses préjudices ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier intercommunal Eure et Seine le paiement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en première instance et la même somme en appel.
Il soutient que :
- le rapport d'expertise judiciaire du docteur D... est opposable au centre hospitalier intercommunal Eure-Seine, dans l'hypothèse où la cour jugerait le contraire, une nouvelle expertise devra être ordonnée ;
- la faute commise par l'hôpital est à l'origine des préjudices qu'il a subis ;
- le centre hospitalier a manqué à son devoir d'information ;
- les préjudices alloués par les premiers juges doivent être réévalués à la somme totale de 35 233,35 euros en augmentant les postes de préjudices liés à la perte de gains professionnels, au déficit fonctionnel temporaire, aux souffrances endurées, au préjudice esthétique temporaire, et au préjudice d'agrément.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 avril 2023, le centre hospitalier intercommunal Eure-Seine, représenté par la société d'avocats Le Prado-Gilbert, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement attaqué ;
2°) de ramener le montant des préjudices subis par M. A... de 3 722,65 euros à 3 423,75 euros ;
3°) de rejeter les conclusions présentées par M. A....
Il soutient que :
- les conclusions indemnitaires de l'appelant sont irrecevables en ce qu'elles excèdent la somme demandée en première instance de 29 599,70 euros ;
- il n'a commis aucune faute au titre du devoir d'information dès lors que le praticien ayant opéré M. A... ignorait le risque de fracture du matériel posé ;
- la somme allouée par le tribunal au titre du déficit fonctionnel temporaire, calculée sur la base d'une indemnité journalière de 23 euros, devra être ramenée à de plus justes proportions ;
- les conclusions indemnitaires de l'appelant devront être ramenées à de plus justes proportions.
Par une ordonnance du 7 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 9 octobre 2023.
La requête et l'ensemble des pièces de la procédure ont été communiqués à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guillaume Vandenberghe,
- et les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., qui exerce la profession de kinésithérapeute en exercice libéral, a ressenti des douleurs au niveau de sa hanche droite à compter du mois d'avril 2014, rendant impossible l'appui sur sa jambe droite. Une radiographie effectuée le 22 mai 2014 a révélé une coxarthrose bilatérale prédominante du côté droit. Le requérant a été hospitalisé au sein du centre hospitalier intercommunal (CHI) Eure-Seine du 11 au 17 septembre 2014 afin d'implanter une prothèse totale de hanche. En décembre 2014, M. A... a subitement ressenti de vives douleurs au niveau de la hanche droite, et un examen radiographique réalisé le 16 décembre 2014 a révélé une fracture de la partie inférieure de l'implant céramique du cotyle, cavité articulaire de l'os iliaque. M. A... a été de nouveau hospitalisé au CHI Eure-Seine du 20 janvier 2015 au 24 janvier 2015 et une nouvelle prothèse de hanche a été posée.
2. Après avoir demandé au fournisseur de la prothèse des explications sur les causes de la fracture de l'implant, il a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance d'Evreux qui a ordonné une expertise le 15 avril 2016. L'expert, le docteur D..., a rendu son rapport le 11 janvier 2017 aux termes duquel il conclut à une maladresse du chirurgien ayant initialement posé le matériel. M. A... a saisi une première fois le tribunal administratif de Rouen aux fins de voir condamner le CHI Eure-Seine à l'indemniser des préjudices dont il se prévalait, sans avoir toutefois adressé à l'établissement hospitalier concerné de demande préalable. Par un jugement n° 1703432 du 11 avril 2019, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande, confirmé sur appel du requérant par une ordonnance n°19DA01332 de la cour administrative d'appel de Douai du 28 août 2019. M. A... a saisi une seconde fois le tribunal et relève appel du jugement n° 1904586 du 20 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Rouen n'a que partiellement fait droit à sa demande en condamnant le centre hospitalier à lui verser la somme de 3 722,65 euros. Le CHI Eure-Seine forme appel incident sur une partie de la somme mise à sa charge.
Sur la responsabilité du CHI Eure-Seine :
En ce qui concerne la responsabilité du CHI Eure-Seine au titre de la faute médicale :
3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ". Et aux termes de l'article L. 1110-3 du même code : " Aucune personne ne peut faire l'objet de discriminations dans l'accès à la prévention ou aux soins. (...) ".
4. Il résulte de l'instruction, et il n'est pas contesté que le chirurgien ayant posé initialement la prothèse de hanche a commis une erreur dans le positionnement de la cupule en céramique, ce qui a été révélé lors des radiographies ayant permis d'identifier la présence anormale d'un double contour au niveau de la partie inférieur du cotyle. Il ressort du rapport d'expertise judiciaire, dont les conclusions ne sont pas contestées par le CHI Eure-Seine alors même qu'elle n'a pas été rendue au contradictoire de l'hôpital, que cette malposition a été à l'origine d'un conflit mécanique ayant abouti à la fracture d'une partie de la prothèse. Ainsi, cette faute est de nature à engager la responsabilité du CHI Eure-Seine.
En ce qui concerne la responsabilité du CHI Eure-Seine au titre de son devoir d'information :
5. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " I. - Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) ".
6. Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.
7. Il résulte du rapport d'expertise judiciaire que le recours à la technique opératoire dite " mini-invasive ", qui présente l'avantage d'une récupération rapide du patient et de laisser une cicatrice de taille modeste, présente toutefois un risque de malposition des implants plus élevé que les techniques chirurgicales traditionnelles. En revanche, il résulte de ce rapport que " Lors de l'expertise, M. A... qui est kinésithérapeute et qui connaît parfaitement les suites opératoires des prothèses totales de hanche déclare que le Dr C... lui a parfaitement expliqué les principes de la chirurgie. Il déclare avoir choisi le Dr C... du fait qu'il réalise des voies d'abord mini-invasives antérieures qui en théorie permettent une récupération fonctionnelle plus rapide ". Dès lors, et en toute hypothèse, l'appelant n'a pas été insuffisamment informé sur les risques de l'opération. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique doit être écarté.
Sur l'indemnisation des préjudices :
8. En premier lieu, l'appelant, qui n'a pu reprendre son activité libérale qu'après le 22 février 2015, soutient qu'au cours de la période du 20 janvier au 22 février 2015 faisant suite à la seconde opération, il n'a pas pu exercer son activité et que le CHI Eure-Seine doit lui verser la somme, majorée en appel, de 16 686 euros correspondant au chiffre d'affaires qu'il n'a pas pu réaliser. Néanmoins, M. A... n'est pas fondé à demander l'indemnisation d'une somme équivalente à celle du chiffre d'affaires qu'il aurait perdu, mais seulement de sa perte de bénéfice. Toutefois, les pièces versées au dossier ne révèlent pas de perte de bénéfice. Il suit de là que la réalité du préjudice n'est pas établie et les conclusions tendant à son indemnisation doivent être écartées.
9. En deuxième lieu, il résulte du rapport d'expertise qu'à la suite de sa seconde hospitalisation, M. A... s'est trouvé en déficit fonctionnel temporaire à 50 % du 25 janvier au 10 février 2015, à 25 % du 11 février au 22 février 2015 et à 10 % du 23 février au 31 décembre 2015. Compte tenu d'un taux journalier de 13,33 euros, conforme au référentiel d'indemnisation de l'ONIAM, il y a lieu d'allouer à ce titre une somme de 567,86 euros (soit 17 jours x 13,33 euros x 0,50, 12 jours x 13,33 euros x 0,25 et 311 jours x 13,33 euros x 0,10).
10. En troisième lieu, il ressort du rapport du docteur D... que la pose d'une prothèse totale de hanche induit habituellement des douleurs évaluées à 3,5 sur une échelle de 7. Concernant M. A..., la fracture de la première prothèse lui a fait endurer des souffrances supplémentaires évaluées à 1,5 sur une échelle de 7. Ainsi, l'intéressé est seulement fondé à demander l'indemnisation de ce poste de préjudice au titre de ces souffrances supplémentaires, et il y a ainsi lieu d'allouer une somme de 1 400 euros.
11. En quatrième lieu, la faute commise par le CHI Eure-Seine a obligé M. A... à marcher à l'aide de cannes anglaises au cours d'une période plus longue que prévue. Ainsi, il y a lieu de fixer le préjudice esthétique temporaire subi par la victime à la somme, qu'il demande, de 800 euros.
12. En cinquième lieu, il résulte du rapport d'expertise que M. A... pratiquait la randonnée et la marche à pied. Ainsi, et alors même que le requérant n'apporte pas d'élément probant quant à sa pratique du volley-ball, il y a lieu d'allouer une somme de 500 euros au titre de son préjudice d'agrément.
13. En dernier lieu, M. A... ne demande pas la majoration des sommes de 268,65 euros et 1 000 euros que le tribunal administratif de Rouen lui a allouées au titre du besoin temporaire d'assistance par une tierce personne et du déficit fonctionnel permanent.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à demander que la somme de 3 722,35 euros fixée par le jugement attaqué soit portée à la somme de 4 536,51 euros. Par suite, il y a lieu de rejeter le surplus de ses conclusions indemnitaires ainsi que les conclusions d'appel incident du CHI Eure-Seine, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par l'hôpital tirée de la majoration des sommes en appel par le requérant par rapport à celles demandées en première instance.
Sur les frais d'instance :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHI Eure-Seine une somme de 2 000 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, il n'y a pas lieu de majorer la somme de 1 500 euros mise à la charge de l'hôpital par les premiers juges, contrairement à ce que demande le requérant.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de de 3 722,35 euros que le CHI Eure-Seine a été condamné à verser à M. A... par le jugement n° 1904586 du 20 octobre 2022 du tribunal administratif de Rouen est portée à la somme de 4 536,51 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1904586 du 20 octobre 2022 du tribunal administratif de Rouen est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le CHI Eure-Seine versera à M. A... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par le CHI Eure-Seine sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure et au centre hospitalier intercommunal Eure-Seine.
Délibéré après l'audience publique du 9 avril 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mai 2024.
Le rapporteur,
Signé : G. VandenbergheLa présidente de chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et de la prévention en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
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N°22DA02602