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28/05/2024 | FRANCE | N°23DA02213

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 28 mai 2024, 23DA02213


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 27 octobre 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime l'a obligée à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel elle doit être éloignée et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de supprimer son signalement aux fins de non admission dans le s

ystème d'information de Schengen et de réexaminer sa situation dans un délai d'une semaine, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 27 octobre 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime l'a obligée à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel elle doit être éloignée et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de supprimer son signalement aux fins de non admission dans le système d'information de Schengen et de réexaminer sa situation dans un délai d'une semaine, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil désigné au titre de l'aide juridictionnelle la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2304306 du 7 novembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 27 octobre 2023 en tant que le préfet de la Seine-Maritime fixe le pays de destination de la mesure d'éloignement prononcée à l'encontre de Mme A... et a rejeté sa requête pour le surplus de ses conclusions.

Procédure devant la cour :

I.- Par une requête, enregistrée sous le n° 23DA02213 le 29 novembre 2023, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il annule sa décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement prononcée à l'encontre de Mme A... ;

2°) de rejeter la demande d'annulation de cette décision présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Rouen.

Il soutient que :

- la qualité de réfugiée a été retirée à Mme A... par une décision du 18 septembre 2015 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OPFRA) en raison de l'obtention et de l'utilisation d'un passeport russe ;

- sa demande de réexamen de sa demande d'asile a été successivement déclarée irrecevable par le directeur général de l'OFPRA le 31 octobre 2022 et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 13 juin 2023 ;

- par décision du 2 août 2023, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a décidé de ne pas reconduire la mesure provisoire qu'elle avait prononcée le 23 décembre 2022 en application de l'article 39 de la convention ;

- Mme A..., qui a utilisé à plusieurs reprises un passeport russe pour voyager, ne justifie pas suffisamment de l'actualité des craintes qu'elle dit éprouver en cas de retour dans son pays d'origine ;

- dès lors, la décision fixant la Fédération de Russie parmi les pays à destination desquels la mesure d'éloignement prononcée à l'encontre de Mme A... est susceptible d'être mise à exécution est légale et c'est à tort que les premiers juges l'ont annulée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 février 2024, Mme A..., représentée par Me Lucie Simon, demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

2°) de rejeter la requête d'appel du préfet de la Seine-Maritime ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991, à verser soit à Me Lucie Simon sous réserve de sa renonciation au bénéfice de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, soit directement à Mme A....

Elle soutient que :

- le préfet ne développe, au soutien de sa requête d'appel, aucune contestation du moyen d'annulation retenu par le premier juge, tiré de l'insuffisante motivation de la décision fixant le pays de destination et du défaut d'examen de sa situation ;

- elle justifie de craintes fondées de persécutions en cas de retour en Russie en raison de la présence de combattants tchétchènes au sein de sa famille, de l'engagement politique et combattant de son ex-époux, de ses propres prises de positions publiques et de sa condamnation en France pour des infractions à caractère terroriste ; ces craintes sont renforcées par sa vulnérabilité particulière liée aux troubles psychiques dont elle souffre et à son isolement en cas de retour.

Par une lettre du 7 mars 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, de la période au cours de laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à une audience et que l'instruction pourrait être close à partir du 25 mars 2024 sans information préalable.

Une ordonnance portant clôture de l'instruction immédiate a été prise le 3 avril 2024.

Mme A... a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 février 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.

II.- Par une requête, enregistrée sous le n° 23DA02214 le 29 novembre 2023, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du 7 novembre 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen en tant qu'il annule la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement prononcée à l'encontre de Mme A....

Il soutient que :

- la qualité de réfugiée a été retirée à Mme A... par une décision du 18 septembre 2015 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OPFRA) en raison de l'obtention et de l'utilisation d'un passeport russe ;

- sa demande de réexamen de sa demande d'asile a été successivement déclarée irrecevable par le directeur général de l'OFPRA le 31 octobre 2022 et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 13 juin 2023 ;

- par décision du 2 août 2023, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a décidé de ne pas reconduire la mesure provisoire qu'elle avait prononcée le 23 décembre 2022 en application de l'article 39 de la convention ;

- Mme A..., qui a utilisé à plusieurs reprises un passeport russe pour voyager, ne justifie pas suffisamment de l'actualité des craintes qu'elle dit éprouver en cas de retour dans son pays d'origine ;

- dès lors, la décision fixant la Fédération de Russie parmi les pays à destination desquels la mesure d'éloignement prononcée à l'encontre de Mme A... est susceptible d'être mise à exécution est légale et c'est par suite d'une erreur manifeste d'appréciation que les premiers juges l'ont annulée ;

- il s'ensuit qu'il est fondé, en application des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, à demander qu'il soit sursis à l'exécution du jugement en tant qu'il annule la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement prononcée à l'encontre de Mme A....

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 février 2024, Mme A..., représentée par Me Lucie Simon, demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

2°) de rejeter la demande du préfet du Nord ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991, à verser soit à Me Lucie Simon sous réserve de sa renonciation au bénéfice de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, soit directement à Mme A....

Elle soutient que :

- le moyen soulevé par le préfet de la Seine-Maritime dans sa requête au fond n'est ni sérieux, ni de nature à justifier l'annulation du jugement ou le rejet du moyen d'annulation retenu par le premier juge ;

- elle justifie de craintes fondées de persécutions en cas de retour en Russie en raison de la présence de combattants tchétchènes au sein de sa famille, de l'engagement politique et combattant de son ex-époux, de ses propres prises de positions publiques et de sa condamnation en France pour des infractions à caractère terroriste ; ces craintes sont renforcées par sa vulnérabilité particulière liée aux troubles psychiques dont elle souffre et à son isolement en cas de retour.

Par une lettre du 7 février 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, de la période au cours de laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à une audience et que l'instruction pourrait être close à partir du 22 février 2024 sans information préalable.

Une ordonnance portant clôture de l'instruction immédiate a été prise le 3 avril 2024.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 février 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., née le 15 juin 1976, de nationalité russe, est entrée irrégulièrement en France en février 2009. La qualité de réfugiée lui a d'abord été reconnue par une décision du 23 novembre 2009 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) puis lui a ensuite été retirée par une décision du 18 septembre 2015 de la même autorité. Le préfet du Val-de-Marne l'a obligée à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel elle doit être éloignée et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans par un arrêté du 25 octobre 2022, confirmé par un jugement n° 2210505-2210557 du 24 novembre 2022 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Melun. La demande de réexamen de sa demande d'asile présentée par Mme A... a fait l'objet d'une décision d'irrecevabilité du 3 novembre 2022 du directeur général de l'OFPRA, confirmée par une décision n° 22055640 du 13 juin 2023 de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Par un nouvel arrêté du 27 octobre 2023, le préfet de la Seine-Maritime l'a obligée à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel elle doit être éloignée et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans. Par un jugement du 7 novembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen, saisi par Mme A... à fin d'annulation de cet arrêté, a seulement annulé la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement prononcée à son encontre et a rejeté le surplus de ses conclusions. Par sa requête sous le n° 23DA02213, le préfet de la Seine-Maritime relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé la décision fixant le pays de destination. Par sa requête sous le n° 23DA02214, il sollicite le sursis à exécution de ce jugement. Mme A..., quant à elle, conclut au rejet des demandes du préfet, sans former d'appel incident contre le jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions. Les requêtes nos 23DA02213 et 23DA02214 présentées par le préfet de la Seine-Maritime étant relatives à un même jugement, il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un même arrêt.

Sur les demandes d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

2. Par des décisions du 13 février 2024, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai a maintenu et admis Mme A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, ses conclusions tendant à ce qu'elle soit admise à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle sont devenues sans objet.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Pour demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a annulé la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement qu'il a prononcée à l'encontre de Mme A..., le préfet de la Seine-Maritime soutient que c'est à tort que le premier juge a retenu que Mme A... était exposée, en cas de retour en Russie, à des risques contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4. Toutefois, il ressort des énonciations du jugement attaqué, pourtant dépourvues d'ambiguïté, que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen ne s'est pas fondée sur un tel motif pour annuler la décision fixant le pays de destination mais seulement sur les insuffisances de la motivation de celle-ci ainsi que de l'examen effectué par le préfet, compte tenu des éléments circonstanciés apportés par Mme A.... Le préfet de la Seine-Maritime, qui ne porte donc en appel devant la cour aucune contestation de ce motif d'annulation, ne démontre ni que son arrêté du 27 octobre 2023 comporte des considérations de droit et de fait suffisants pour fonder la décision fixant le pays de destination, ni que les éléments mis en exergue par le jugement attaqué ont été dûment pris en compte avant le prononcé de cette décision.

5. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 27 octobre 2023 en tant qu'il fixe le pays de destination de la mesure d'éloignement prononcée à l'encontre de Mme A....

Sur la demande de sursis à exécution du jugement attaqué :

6. La cour se prononçant, par le présent arrêt, sur les conclusions de la requête n° 23DA02213 du préfet de la Seine-Maritime tendant à l'annulation du jugement du 7 novembre 2023, les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Par suite, il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 23DA02214.

Sur les frais liés au litige :

7. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions que Mme A... et Me Lucie Simon présentent au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme A... tendant à l'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 23DA02214 du préfet de la Seine-Maritime tendant au sursis à l'exécution du jugement n° 2304306 du 7 novembre 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen.

Article 3 : La requête n° 23DA02213 du préfet de la Seine-Maritime est rejetée.

Article 4 : Les conclusions présentées par Mme A... et Me Lucie Simon au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Lucie Simon.

Copie sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience publique du 14 mai 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2024.

Le rapporteur,

Signé : G. ToutiasLa présidente de chambre,

Signé : M.P. ViardLa greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

2

N°23DA02213-23DA02214


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA02213
Date de la décision : 28/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Guillaume Toutias
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : SIMON;SIMON;SIMON

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-28;23da02213 ?
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