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05/07/2024 | FRANCE | N°23DA01241

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 05 juillet 2024, 23DA01241


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision par laquelle le directeur du centre de détention de Bapaume a rejeté sa demande tendant à la modification des tarifs du catalogue de cantine de l'établissement, d'enjoindre au directeur de cet établissement pénitentiaire de mettre en conformité les tarifs du catalogue local de cantine avec les tarifs fixés au niveau national par le ministre de la justice et de mettre à la charge de l'Etat le verse

ment à son conseil d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions combiné...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision par laquelle le directeur du centre de détention de Bapaume a rejeté sa demande tendant à la modification des tarifs du catalogue de cantine de l'établissement, d'enjoindre au directeur de cet établissement pénitentiaire de mettre en conformité les tarifs du catalogue local de cantine avec les tarifs fixés au niveau national par le ministre de la justice et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Par jugement n° 2006465 du 27 avril 2023, le tribunal a fait droit à la demande d'annulation et a enjoint au directeur du centre de détention de Bapaume de procéder à la modification des tarifs du catalogue de cantine de l'établissement afin qu'il respecte le principe d'égalité au regard des tarifs fixés au niveau national par le ministre de la justice dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement et a rejeté le surplus des conclusions.

Procédure devant la cour

I. Par une requête enregistrée le 28 juin 2023 sous le n° 23DA01241, et un mémoire en réplique enregistré le 17 novembre 2023, le garde des Sceaux, ministre de la justice, demande à la cour d'annuler ce jugement en tant qu'il annule la décision du directeur du centre pénitentiaire , lui enjoint de modifier les tarifs du catalogue, et de rejeter la demande.

Il soutient que :

- en retenant une différence de prix de 68% plus élevée, pour les produits proposés en gestion déléguée au sein de l'établissement, en comparaison des tarifs fixés par l'accord-cadre national applicable au sein des établissements en gestion publique, le tribunal a entaché son jugement d'une erreur de fait, la différence de prix brut constatée en moyenne n'est que de 50,12% plus élevée au sein de l'établissement en gestion déléguée, les plus gros écarts de prix n'apparaissant que sur les articles avec les volumes d'achat les plus faibles ;

- il n'y a pas de rupture d'égalité entre les personnes détenues, l'acquisition de produits par le biais de la cantine ne constitue qu'une faculté pour les détenus, qui bénéficient de la distribution gratuite de trois repas par jour, et, pour les nouveaux arrivants et pour les détenus qui disposent de ressources insuffisantes, des produits d'hygiène indispensables et le choix du recours à une délégation de service public est un choix d'opportunité qui échappe au contrôle du juge mais cette organisation différente a nécessairement des répercussions sur la tarification ;

- les usagers détenus au sein d'un établissement géré en gestion déléguée ne bénéficient pas du même service de cantine que ceux détenus en établissement géré en gestion publique, en application des articles L. 111-3 et D. 332-34 du code pénitentiaire, les tarifs appliqués à la cantine sont fixés par le chef de l'établissement, en tenant compte, en gestion déléguée, du marché conclu avec un prestataire et, en gestion publique, de l'accord-cadre d'approvisionnement conclu en 2011 et renouvelé en 2014 ;

- la différenciation de tarification des cantines résulte d'une nécessité d'intérêt général ;

- la tarification des produits cantinables au sein des établissements pénitentiaires en gestion déléguée peut varier d'un établissement à un autre, dès lors que les prix sont fixés par référence à ceux de deux hypermarchés situés dans le département du siège de la direction interrégionale des services pénitentiaires dont dépend l'établissement ;

- une annulation aurait des effets tant en ce qui concerne la charge de travail qu'induirait l'indemnisation des détenus qu'en ce qui concerne les modifications contractuelles à envisager, et ces effets requerraient un délai minimum d'au moins huit à dix mois avant une exécution.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 octobre 2023, M. A..., représenté par Me Ciaudo de la SCP Thémis avocats et associés, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de mettre la somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat au bénéfice de son conseil en application des dispositions de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve d'une renonciation à l'aide juridictionnelle.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 28 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 avril 2024 à 12h00.

Le garde des Sceaux, ministre de la justice a produit un mémoire complémentaire le 31 mai 2024 après clôture de l'instruction.

M. A... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 31 août 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.

II. Par une requête enregistrée le 28 juin 2023, sous le n°23DA01242, et un mémoire en réplique enregistré le 17 novembre 2023, le garde des Sceaux, ministre de la justice, demande à la cour qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 2006465 du tribunal administratif de Lille du 27 avril 2023 en tant qu'il annule la décision du directeur du centre pénitentiaire et lui enjoint de modifier les tarifs du catalogue.

Il soutient que le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité des usagers devant le service public retenu par le tribunal n'est pas fondé, que l'exécution du jugement aurait des conséquences difficilement réparables, qu'elle porterait une atteinte excessive à l'intérêt général et qu'il existe des moyens sérieux de nature à entrainer l'annulation de la solution retenue par les juges du fond.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 octobre 2023, M. A..., représenté par Me Ciaudo de la SCP Thémis avocats et associés, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de mettre la somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat au bénéfice de son conseil en application des dispositions de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve d'une renonciation à l'aide juridictionnelle.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 28 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 avril 2024 à 12h00.

Le garde des Sceaux, ministre de la justice a produit un mémoire complémentaire le 31 mai 2024 après clôture de l'instruction.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 31 août 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code pénitentiaire ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre ;

- et les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., détenu au centre de détention de Bapaume dont la gestion est, pour ce qui concerne les fonctions non régaliennes, déléguée à un prestataire privé, a demandé au directeur de ce centre d'abaisser les tarifs du catalogue de cantine de l'établissement afin de les aligner sur les tarifs qui auraient été fixés au niveau national par le ministre de la justice pour les établissements placés en gestion publique. Par un jugement du 27 avril 2023, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 17 juin 2020 du directeur du centre pénitentiaire de Bapaume refusant de procéder à cette modification et a enjoint à ce dernier de modifier le catalogue de cantine de l'établissement en tant qu'il propose des prix supérieurs à ceux de 286 produits fixés au niveau national par le ministre de la justice pour les établissements placés en gestion publique, dans le délai de six mois à compter de la notification du jugement. Par la requête n° 23DA01241, le garde des Sceaux, ministre de la justice, relève appel de ce jugement en tant qu'il annule la décision du directeur du centre pénitentiaire et lui enjoint de modifier les tarifs du catalogue, et par la requête n° 23DA01242, il demande qu'il soit sursis à son exécution. Ces requêtes étant dirigées contre le même jugement, il y a lieu pour la cour de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la requête n° 23DA01241 :

2. D'une part, aux termes de l'article 11 de la loi pénitentaire du 24 novembre 2009, repris depuis à l'article L. 111-3 du code pénitentiaire : " Les fonctions de direction, de surveillance et de greffe des établissements pénitentiaires des établissements pénitentiaires sont assurées par l'administration pénitentiaire. Les autres fonctions peuvent être confiées à des personnes de droit public ou privé bénéficiant d'une habilitation (...). / Ces personnes peuvent être choisies dans le cadre d'un marché public (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article D. 344 du code de procédure pénale, repris à l'article D. 332-34 du code pénitentiaire, applicable quel que soit le mode de gestion de la cantine : Les prix pratiqués à la cantine " sont fixés périodiquement par le chef de l'établissement pénitentiaire. Sauf en ce qui concerne le tabac, ils doivent tenir compte des frais exposés par l'administration pour la manutention et la préparation ".

4. La fixation de tarifs différents applicables, pour un même service rendu, à diverses catégories d'usagers d'un service public implique, à moins qu'elle ne soit la conséquence nécessaire d'une loi, soit qu'il existe entre les usagers des différences de situation appréciables, soit qu'une nécessité d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du service commande cette mesure.

5. La différence de tarification des produits et services relevant du système de cantine proposés aux détenus des différents établissements pénitentiaires est la conséquence nécessaire des articles L. 113 et D. 332-34 précités du code pénitentiaire qui imposent que les prix facturés tiennent compte des conditions économiques en vigueur localement.

6. A cette fin, le titulaire du marché chargé du service de la cantine du centre pénitentiaire de Bapaume facture à l'établissement la vente des produits et services commandés par les détenus. Les tarifs appliqués aux détenus intègrent les prix du prestataire, eux-mêmes soumis à un dispositif d'ajustement annuel appliqué en fonction du prix le plus bas constaté, sur chaque produit ou service, dans deux hypermarchés locaux de référence, le catalogue et les tarifs actualisés étant arrêtés par le directeur de l'établissement. Dans de telles conditions, la différence entre le prix des produits acquis par M. A... et celui des produits proposés aux détenus situés dans d'autres établissements pénitentiaires est la conséquence nécessaire de l'application de la loi et n'est pas constitutive d'une rupture d'égalité entre usagers d'un même service public. En outre, il ressort des pièces du dossier que les produits avec des références identiques et souvent achetés ne font pas l'objet d'un prix disproportionné par rapport au marché national. Le garde des Sceaux, ministre de la justice, est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a annulé la décision en litige au motif que le directeur du centre de détention de Bapaume avait porté atteinte à ce principe.

7. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Lille.

8. En premier lieu, M. A... soutient que les tarifs des produits du catalogue de cantine du centre de détention de Bapaume méconnaissent l'accord-cadre national sur les prix de cantine dans les établissements pénitentiaires en gestion directe. Toutefois, le tableau que l'appelant désigne sous les termes " prix fixés par l'accord cadre " dont se prévaut M. A... est dépourvu d'entête, de dispositif et de signature. Il se limite à un tableau indiquant un prix par produit conditionné affecté d'un code. Il est dépourvu de tout caractère contraignant et le moyen tiré de sa méconnaissance ne peut qu'être écarté.

9. En second lieu, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique (...) a droit au respect de ses biens (...) ". Aux termes de l'article 14 de la même convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ".

10. Il ressort des pièces du dossier que les personnes incarcérées dans les établissements placés en gestion publique ont, comme celles qui le sont dans les établissements à gestion externalisée, la qualité de détenus. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'il subirait du fait de la différence de tarification des produits de cantine à Bapaume, un traitement discriminatoire résultant de sa qualité de détenu.

11. Il résulte de ce qui précède que le garde des Sceaux, ministre de la justice, est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du directeur du centre de détention de Bapaume refusant de modifier les tarifs du catalogue de cantine en tant qu'elle y maintient des tarifs supérieurs à ceux des 286 produits dont les prix ont été harmonisés dans les établissements en gestion directe et a enjoint au directeur du centre d'abaisser le prix de 286 produits du catalogue de l'établissement.

Sur la requête n° 23DA01242 :

12. Le présent arrêt statuant sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement n° 2006465 du tribunal administratif de Lille du 27 avril 2023, les conclusions du garde des Sceaux, ministre de la justice, tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement se trouvent dépourvues d'objet. Par suite, il n'y a plus lieu d'y statuer.

Sur les frais liés aux instances :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée au titre des frais exposés dans les deux présentes instances et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution présentée par le garde des Sceaux, ministre de la justice dans la requête n° 23DA01242.

Article 2 : Les articles 1er et 2 du jugement n°2006465 du 27 avril 2023 du tribunal administratif de Lille sont annulés.

Article 3 : Les conclusions à fin d'annulation et d'injonction présentées au tribunal administratif de Lille par M. A... sont rejetées.

Article 4 : Les conclusions présentées par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au garde des Sceaux, ministre de la justice, à M. B... A... et à Me Alexandre Ciaudo.

Délibéré après l'audience publique du 6 juin 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2024.

La présidente-assesseure,

Signé : I. Legrand La présidente-rapporteure,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au garde des Sceaux, ministre de justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier en chef,

Par délégation,

Le greffier,

Nathalie Roméro

N°23DA01241, 23DA0124202


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01241
Date de la décision : 05/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Ghislaine Borot
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : AARPI THEMIS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-05;23da01241 ?
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