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29/08/2024 | FRANCE | N°22DA01830

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 29 août 2024, 22DA01830


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler la décision du 6 février 2020 par laquelle le président du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Seine-Maritime a rejeté sa demande tendant au paiement d'indemnités horaires pour travaux supplémentaires au titre des années 2015 à 2019, pour un montant de 47 707,62 euros, et au versement d'une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice résultant du dépassement de la durée a

nnuelle de travail pour la période du 1er janvier 2015 au 15 septembre 2019 et, d'a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler la décision du 6 février 2020 par laquelle le président du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Seine-Maritime a rejeté sa demande tendant au paiement d'indemnités horaires pour travaux supplémentaires au titre des années 2015 à 2019, pour un montant de 47 707,62 euros, et au versement d'une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice résultant du dépassement de la durée annuelle de travail pour la période du 1er janvier 2015 au 15 septembre 2019 et, d'autre part, de condamner le SDIS de la Seine-Maritime à lui verser la somme de 47 707,62 euros ou, à titre subsidiaire, de 3 488,28 euros au titre des indemnités horaires pour travaux supplémentaires non payées, ainsi qu'une somme de 10 000 euros en réparation des préjudices résultant de la méconnaissance de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003.

Par un jugement n° 2001360 du 28 juin 2022, le tribunal administratif de Rouen a condamné le SDIS de la Seine-Maritime à lui verser la somme de 500 euros en réparation du préjudice résultant de l'atteinte à sa santé et à sa sécurité et des troubles subis dans ses conditions d'existence et a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 19 août 2022 et 20 juin 2023, M. A..., représenté par Me Camail, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à ses conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner le SDIS de la Seine-Maritime à lui verser la somme de 47 707,62 euros ou, à titre subsidiaire, de 6 104,49 euros au titre des indemnités horaires pour travaux supplémentaires non payées de 2015 à 2019 ;

3°) de condamner le SDIS de la Seine-Maritime à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'atteinte à sa santé et à sa sécurité et des troubles subis dans ses conditions d'existence ;

4°) de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle portant sur la possibilité pour le droit national, au regard des dispositions de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, de n'accorder aucune compensation pour la pénibilité induite par le travail de nuit aux sapeurs-pompiers professionnels soumis à un régime de gardes de vingt-quatre heures et d'imposer à ceux-ci un temps de travail effectif annuel supérieur à celui appliqué aux autres sapeurs-pompiers professionnels ;

5°) de mettre à la charge du SDIS de la Seine-Maritime une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le décret n° 2001-1382 du 31 décembre 2001 est incompatible avec la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 en ce que : il permet l'organisation de gardes de 24 heures alors que l'article 8 de la directive prévoit que le travailleur de nuit travaille au maximum 8 heures par période de 24 heures ; il ne prévoit aucune mesure de compensation ; il ne prévoit pas de période de référence permettant de vérifier le respect des 8 heures travaillées par période de 24 heures ;

- il en résulte que, ne pouvant travailler plus de 8 heures par cycle de 24 heures, il a droit à la rémunération des heures supplémentaires correspondantes ;

- les mesures compensatoires prévues au titre du travail de nuit sont insuffisantes dès lors qu'elles ne prévoient pas une période de repos de 16 heures après chaque période de travail de 8 heures, ou de 49 heures 20 après une période de travail de 24 heures, ou encore de 41 heures 20 après une même période de travail de 24 heures ;

- il n'a pas bénéficié du repos compensateur de 48 heures après chaque garde de 24 heures en méconnaissance de l'article 3 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, du repos hebdomadaire de 35 heures, et du temps de pause de 1 heure 20 pour chaque garde en méconnaissance de l'article 4 de la même directive ;

- le SDIS ne justifie pas en quoi l'intérêt du service implique l'organisation de gardes de 24 heures, en violation de l'article 3 du décret du 31 décembre 2001 ;

- l'organisation du temps de travail méconnaît l'article 4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il a travaillé plus de 48 heures par semaine dès lors que le règlement du SDIS prévoit un temps de travail de 1 128 heures par semestre, soit 2 256 heures par an ;

- il a droit au règlement des heures supplémentaires réalisées au-delà de 1 607 heures par an, justifiant ainsi la somme demandée de 47 707,62 euros ;

- il justifie au moins avoir réalisé 280 heures supplémentaires au-delà de la durée d'équivalence fixée à 1 080 heures par semestre, et non 232,5 heures comme retenu par le tribunal administratif ;

- l'indemnisation des troubles dans les conditions d'existence accordée par le tribunal administratif est insuffisante ;

- la durée de référence fixée à 1 080 heures par semestre et la durée maximale de 48 heures par semaine rendent impossible la réalisation d'heures supplémentaires par les sapeurs-pompiers en régime horaire mixte dès lors que de telles heures seraient réalisées au-delà de la durée hebdomadaire maximale, ce qui constitue une situation discriminatoire au regard des autres sapeurs-pompiers, lui ouvrant droit à la rémunération des heures réalisées au-delà de 1 607 heures par an ;

- il subit une situation de discrimination, en violation de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 20 et 21 de la Charte des droits de l'Union européenne au regard : du régime d'équivalence qui ne permet pas de rémunérer l'intégralité du temps de travail effectif, contrairement aux salariés du secteur privé ; du régime des gardes de 24 heures auquel sont soumis les sapeurs-pompiers, qui doivent être regardés comme des travailleurs de nuit et ont un temps de travail annuel effectif supérieur à celui des sapeurs-pompiers non soumis à ce régime des gardes ; de ce même régime des gardes de 24 heures qui fait l'objet d'un système d'équivalence horaire ne permettant le règlement d'heures supplémentaires qu'au-delà de 2 160 heures annuelles contrairement aux salariés du secteur privé et aux autres agents de la fonction publique.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 10 mai et 23 août 2023, le SDIS de la Seine-Maritime, représenté par Me Malet, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de M. A... ;

2°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête d'appel de M. A... est irrecevable faute d'être suffisamment motivée au regard des prescriptions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;

- aucun des moyens soulevés par l'appelant n'est fondé.

Par une ordonnance du 5 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 26 septembre 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 90-850 du 25 septembre 1990 ;

- le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 ;

- le décret n° 2001-623 du 12 juillet 2001 ;

- le décret n° 2001-1382 du 31 décembre 2001 ;

- le décret n° 2002-60 du 14 janvier 2002 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur ;

- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public ;

- et les observations de Me Malet, représentant le SDIS de la Seine-Maritime.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., sapeur-pompier professionnel, a été recruté à compter du 1er novembre 2001 par le SDIS de la Seine-Maritime. Il a été placé en disponibilité le 15 septembre 2019 pour exercer une activité professionnelle dans le secteur privé. Estimant qu'il avait dépassé, entre le 1er janvier 2015 et le 15 septembre 2019, le plafond horaire prévu par la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, il a sollicité, par un courrier du 17 décembre 2019, le paiement d'indemnités horaires pour travaux supplémentaires (IHTS) pour un montant de 47 701,12 euros ainsi que le versement de la somme de 5 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la méconnaissance de la législation européenne sur le temps de travail. Cette demande ayant été rejetée par une décision du 11 février 2020, M. A... a saisi le tribunal administratif de Rouen de conclusions visant à obtenir la condamnation du SDIS de la Seine-Maritime à lui verser les sommes précitées. Par un jugement du 28 juin 2022, le tribunal administratif a fait partiellement droit à sa demande en condamnant le SDIS de la Seine-Maritime à lui verser la somme de 500 euros en réparation des préjudices résultant de l'atteinte à sa santé et à sa sécurité, ainsi que des troubles subis dans ses conditions d'existence. M. A... fait appel de ce jugement en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande et sollicite devant la cour la condamnation du SDIS de la Seine-Maritime à lui verser la somme de 47 707,62 euros ou, à titre subsidiaire, celle de 6 104,49 euros, au titre de ses IHTS non payées pour les années 2015 à 2019, ainsi qu'une somme de 10 000 euros en réparation des préjudices résultant de la méconnaissance de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003.

Sur la fixation d'un temps de présence de 24 heures :

2. D'une part, aux termes de l'article 8 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail : " Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que : / a) le temps de travail normal des travailleurs de nuit ne dépasse pas huit heures en moyenne par période de vingt-quatre heures (...) ". L'article 17 de la même directive prévoit cependant qu'il peut être dérogé à cette disposition, notamment " 3. c) pour les activités caractérisées par la nécessité d'assurer la continuité du service ou de la production, notamment lorsqu'il s'agit : (...) iii) des services (...) de sapeurs-pompiers ou de protection civile ", et ce, aux termes du 2 du même article " à condition que des périodes équivalentes de repos compensateur soient accordées aux travailleurs concernés ou que, dans des cas exceptionnels dans lesquels l'octroi de telles périodes équivalentes de repos compensateurs n'est pas possible pour des raisons objectives, une protection appropriée soit accordée aux travailleurs concernés ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 2 du décret du 31 décembre 2001 relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels : " La durée de travail effectif journalier définie à l'article 1er ne peut pas excéder 12 heures consécutives. Lorsque cette période atteint une durée de 12 heures, elle est suivie obligatoirement d'une interruption de service d'une durée au moins égale ". Aux termes de l'article 3 du même décret : " Par dérogation aux dispositions de l'article 2 relatives à l'amplitude journalière, une délibération du conseil d'administration du service d'incendie et de secours peut, eu égard aux missions des services d'incendie et de secours et aux nécessités de service, et après avis du comité technique, fixer le temps de présence à vingt-quatre heures consécutives. / Dans ce cas, le conseil d'administration fixe une durée équivalente au décompte semestriel du temps de travail, qui ne peut excéder 1 128 heures sur chaque période de six mois. / Lorsque la durée du travail effectif s'inscrit dans un cycle de présence supérieur à 12 heures, la période définie à l'article 1er n'excède pas huit heures. Au-delà de cette durée, les agents ne sont tenus qu'à accomplir les interventions. / Ce temps de présence est suivi d'une interruption de service d'une durée au moins égale ".

4. En premier lieu, si le fait de déroger, ainsi que le prévoit le décret du 31 décembre 2001 relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels, à la durée maximale journalière de travail effectif de 12 heures peut conduire les sapeurs-pompiers professionnels à travailler de nuit, il résulte des dispositions des articles 2 et 3 de ce décret que, d'une part, lorsque la durée du travail effectif s'inscrit dans un cycle de travail journalier supérieur à 12 heures, le temps de travail effectif ne peut dépasser une durée de 8 heures, à l'exception des temps passés en interventions, et que, d'autre part, toute période de travail effectif d'une durée supérieure à 12 heures est suivie obligatoirement d'une interruption de service d'une durée au moins égale. M. A... n'est, par suite, pas fondé à soutenir que le décret du 31 décembre 2001 serait incompatible avec les dispositions de la directive relatives au travail de nuit. Dès lors, il n'est pas plus fondé à soutenir que le SDIS de la Seine-Maritime ne pouvait organiser des gardes de 24 heures au cours desquelles les sapeurs-pompiers travailleraient plus de 8 heures.

5. En deuxième lieu, en prévoyant que toute garde de 24 heures serait suivie d'une période de repos au moins équivalente et précédée d'une période de repos d'au moins 11 heures, il apparaît que des périodes équivalentes de repos compensateur sont accordées aux sapeurs-pompiers et qu'une protection appropriée leur est ainsi accordée conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l'article 17 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003. En particulier, contrairement à ce que soutient M. A..., il ne résulte pas des dispositions de cette directive concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail qu'elles imposeraient une période de repos compensateur de 48 heures après une garde de 24 heures.

6. En troisième lieu, M. A... soutient que la mise en place de gardes de 24 heures consécutives par le SDIS de la Seine-Maritime est illégale en l'absence de nécessités de service. Toutefois, il ressort des règlements intérieurs adoptés par le SDIS de 2014 à 2019 que la planification du travail a pour objectif le " respect des potentiels opérationnels journaliers (POJ) en quantité et qualité " et que le régime de gardes mixte, comportant en majorité des gardes de 24 heures consécutives, n'a été mis en place que dans les centres d'incendie et de secours situés dans les zones les plus densément peuplées du département. Pour contester les nécessités de service prises en compte par l'administration, visant à assurer une capacité d'intervention 24 heures sur 24, le requérant se borne à faire état d'une organisation du travail différente dans les entreprises du secteur privé, par des équipes se relayant toutes les 8 heures, sans établir que les salariés de ces entreprises interviendraient dans des conditions comparables à celles de sapeurs-pompiers professionnels, eu égard en particulier aux exigences de continuité du service public. Par suite, le SDIS doit être regardé comme justifiant de nécessités de services pour la mise en place de gardes de 24 heures consécutives, conformément aux dispositions de l'article 3 du décret du 31 décembre 2001 relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels.

7. En dernier lieu, aux termes du paragraphe 2 de l'article 4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire ". Pour l'application de ces stipulations, un travail forcé ou obligatoire est un travail ou service exigé d'un individu sous la menace d'une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s'est pas offert de son plein gré.

8. Il résulte de l'instruction que si M. A... était susceptible de faire l'objet de sanctions disciplinaires en cas de refus d'accomplir des gardes de 24 heures consécutives, cette seule circonstance ne suffit pas à établir l'existence à son égard d'une contrainte physique ou mentale de la part de son employeur. En outre, M. A... ne pouvait raisonnablement ignorer, préalablement à sa titularisation, qu'il était susceptible d'effectuer de telles gardes, compte tenu des conditions normales d'exercice de la profession de sapeur-pompier. Par suite, le moyen tiré d'une violation des stipulations de l'article 4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

Sur la durée hebdomadaire du travail :

9. En premier lieu, la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, définit, au point 1 de son article 2, le temps de travail comme " toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l'employeur et dans l'exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales " et prescrit aux Etats membres de fixer des règles minimales en matière de protection des travailleurs, notamment, en son article 6, une durée maximale hebdomadaire de travail de 48 heures, dont le calcul ne peut en principe s'opérer, en vertu de son article 16, que sur une période de référence de quatre mois au maximum. En application des dispositions du point 3) c) iii) de son article 17, cette période peut toutefois être portée à six mois pour les activités caractérisées par la nécessité d'assurer la continuité du service, notamment lorsqu'il s'agit des services de sapeurs-pompiers. A cet égard, le décret du 31 décembre 2001 prévoit, lorsque le conseil d'administration du SDIS décide un temps de présence des sapeurs-pompiers supérieur à 12 heures consécutives, que la durée équivalente au décompte semestriel du temps de travail ne peut excéder 1 128 heures sur chaque période de six mois. Une telle durée n'est pas incompatible avec la durée maximale de travail effectif prévue par les dispositions précitées de la directive du 4 novembre 2003. Dans ces conditions, M. A..., qui ne démontre pas en tout état de cause, ainsi qu'il a été dit au point 6, que l'organisation de gardes d'une durée de 24 heures ne serait pas justifiée par les besoins du service, n'est pas fondé à soutenir que la durée maximale hebdomadaire de travail de 48 heures ne peut être appréciée sur une période de référence de six mois.

10. En second lieu, les règlements intérieurs édictés par le SDIS de la Seine-Maritime instaurent un régime de gardes mixtes de 83 gardes de 24 heures et de 14 gardes de 12 heures correspondant à un temps de présence de 2 160 heures par an, et précisent que la répartition des gardes est équilibrée entre chaque semestre. Il s'en déduit que le temps de présence par semestre a été fixée par le SDIS à 1 080 heures. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que le SDIS aurait fixé le temps de travail à 1 128 heures par semestre, impliquant selon lui un dépassement de la durée hebdomadaire de travail.

Sur les repos compensateurs, les temps de pause et le temps de repos journalier :

11. Contrairement à ce que soutient M. A..., il ne résulte pas des dispositions précitées de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 qu'elles imposeraient une période de repos compensateur de 48 heures après une garde de 24 heures. En outre, l'appelant, qui se borne sur ce point à renvoyer à ses décomptes horaires, ne démontre pas qu'il s'est trouvé dans l'impossibilité de profiter de ses repos compensateurs, repos hebdomadaires et temps de pause.

Sur les discriminations alléguées :

12. En premier lieu, aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ".

13. Il résulte des termes mêmes des stipulations citées au point précédent que le principe de non-discrimination qu'elles édictent ne concerne que la jouissance des droits et libertés reconnus par ladite convention et par les protocoles additionnels de celle-ci. Dès lors, il appartient au requérant qui se prévaut de la violation de ce principe d'invoquer devant le juge administratif le droit ou la liberté dont la jouissance est affectée par la discrimination alléguée. M. A... ne précise pas le droit ou la liberté, reconnus par la convention, qui seraient méconnus par la discrimination qu'il invoque. Par suite, il ne saurait invoquer utilement la méconnaissance de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

14. En second lieu, les stipulations des articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne s'opposent pas à une différence de traitement, pour autant que celle-ci soit fondée sur un critère objectif et raisonnable, c'est-à-dire en rapport avec un but légalement admissible, et soit proportionnée à ce but.

15. D'une part, la différence de situation des sapeurs-pompiers professionnels du SDIS de la Seine-Maritime soumis à un régime comportant des gardes de 24 heures consécutives résulte des conditions particulières dans lesquelles ils exercent leurs fonctions, visant à assurer la continuité du service public dans des zones d'intervention à forte densité de population. Il ne résulte pas de l'instruction que la différence de traitement par rapport aux sapeurs-pompiers non soumis au régime mixte de gardes, résultant selon l'appelant de l'impossibilité pour leurs collègues soumis à ce régime de réaliser des heures supplémentaires, ne serait pas proportionné au but poursuivi. Par suite, le régime des gardes de 24 heures auxquels sont soumis certains sapeurs-pompiers professionnels n'est pas par lui-même contraire aux stipulations des articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

16. D'autre part, en appliquant un régime d'équivalence, le SDIS de la Seine-Maritime a pris en compte la moindre intensité du travail effectué pendant les gardes de 24 heures par rapport aux gardes de 12 heures, notamment durant la période nocturne, qui n'est pas sérieusement contestée, et a ainsi fondé sur un critère objectif la différence de traitement résultant de l'application de ce régime d'équivalence aux seuls sapeurs-pompiers professionnels réalisant des gardes de 24 heures consécutives. En outre, les salariés de droit privé et les agents de droit public, lorsque leur temps de travail comporte des périodes d'inaction, peuvent également être régis par un tel régime d'équivalence, en application respectivement de l'article L. 3121-13 du code du travail et des dispositions du décret du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature. Par suite, la règle d'équivalence définie par le SDIS n'est pas par elle-même contraire aux stipulations des articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Sur les heures supplémentaires :

17. En premier lieu, la totalité du temps de présence des sapeurs-pompiers, si elle ne doit pas dépasser les limites fixées par la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, ne peut pas être assimilée à du temps de travail effectif pour l'appréciation des heures supplémentaires devant être rémunérées lorsque, comme en l'espèce, le conseil d'administration du SDIS de la Seine-Maritime a institué un régime dérogatoire sur le fondement des dispositions des articles 3 et 4 du décret du 31 décembre 2001. Dès lors, M. A... ne saurait utilement se prévaloir d'une incompatibilité des mesures arrêtées par le SDIS avec le droit de l'Union européenne pour revendiquer un droit à rémunération d'heures supplémentaires. En outre, le droit national peut toujours appliquer un rapport d'équivalence pour l'appréciation des règles relatives aux rémunérations, aux heures supplémentaires et aux durées maximales de travail dès lors que la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 ne s'applique pas à la rémunération des travailleurs. Dès lors, M. A... ne saurait utilement invoquer la méconnaissance des dispositions de cette directive au soutien de sa demande tendant au paiement d'heures supplémentaires.

18. En deuxième lieu, si, pour le calcul de la durée effective du travail des agents, la présence au cours d'une garde est assimilable à du travail effectif, dès lors que les intéressés doivent se tenir en permanence prêts à intervenir, les dispositions du décret du 31 décembre 2001 autorisent, pour l'établissement de la rémunération des sapeurs-pompiers pendant ces gardes, la fixation d'une durée équivalente au décompte semestriel du temps de travail afin de tenir compte des périodes d'inaction que comportent ces périodes de garde. Dès lors que M. A... est soumis à ce régime dérogatoire de décompte du temps de travail, il n'est pas fondé à soutenir que toute heure réalisée doit être rémunérée au-delà de la durée annuelle de travail maximale fixée, pour l'ensemble de la fonction publique, à 1 607 heures par le décret du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature.

19. En dernier lieu, ainsi qu'il a été dit, M. A... ne peut utilement se prévaloir du dépassement des seuils de temps de travail fixés par la directive n° 2003/88/CE pour obtenir le paiement d'heures supplémentaires dès lors que les dispositions de cette directive ne régissent pas la rémunération des agents publics. En revanche, les heures de travail effectif réalisées par les sapeurs-pompiers au-delà du temps d'équivalence au décompte annuel du temps de travail fixé par le SDIS de la Seine-Maritime peuvent ouvrir droit à un complément de rémunération. Dès lors que le régime de gardes dit mixte auquel était soumis M. A... comportait annuellement 83 gardes de 24 heures consécutives et 14 gardes de 12 heures, pour un temps de présence annuel de 2 160 heures, le temps de travail résultant du régime d'équivalence s'établit durant cette période à 1 080 heures par semestre qui constitue la période de référence pour le décompte du temps de travail. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que le SDIS a fixé à 17 heures le temps de travail effectif à raison d'une garde de 24 heures consécutives, appliquant ainsi un mécanisme de pondération tenant à la moindre intensité du travail fourni pendant les périodes d'inaction. Le SDIS produit en défense des éléments issus du logiciel de gestion du temps horaire des sapeurs-pompiers depuis le 1er février 2015, dont il ressort que M. A... a travaillé 694 heures de juillet à décembre 2015, 780 heures de janvier à juin 2016, 802 heures de juillet à décembre 2016, 763 heures de janvier à juin 2017, 768 heures de juillet à décembre 2017, 771,50 heures de janvier à juin 2018, 754 heures de juillet à décembre 2018, 795 heures de janvier à juin 2019 et moins de 1080 heures de juillet à décembre 2019. Si l'administration ne justifie pas des éléments issus de son logiciel permettant d'apprécier le temps travaillé de janvier à juin 2015, il ressort du décompte produit par l'appelant que celui-ci a assuré sept gardes de 24 heures et trois gardes de 12 heures au cours du mois de janvier 2015, ce qui permet d'évaluer son temps de travail, après pondération, à 155 heures au cours du même mois. Le décompte produit par M. A... indique également qu'il a travaillé 48 heures au cours du mois de juillet 2015. Les éléments produits par le SDIS pour la période de février à juillet 2015 mentionnent un temps travaillé de 794,50 heures, auquel il convient donc d'ajouter 155 heures et de retirer 48 heures, pour en déduire un temps effectif de travail fixé à 901,50 heures de janvier à juin 2015. Il résulte de ce qui précède que M. A... a donc travaillé moins de 1 080 heures au cours de chaque semestre des années 2015 à 2019. M. A... n'est donc pas fondé à solliciter la rémunération d'heures supplémentaires.

Sur l'évaluation du préjudice résultant de l'atteinte à la santé et à la sécurité ainsi que des troubles subis dans les conditions d'existence :

20. Si les dispositions précitées de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 n'empêchent pas, pour l'établissement de la rémunération des sapeurs-pompiers pendant leurs gardes, de fixer des équivalences en matière de durée du travail, afin de tenir compte des périodes d'inaction, le dépassement de la durée maximale de travail qu'elles prévoient porte atteinte à la sécurité et à la santé des intéressés en ce qu'il les prive du repos auquel ils ont droit et leur cause, de ce seul fait, un préjudice, indépendamment de leurs conditions de rémunération ou d'hébergement. Le respect de la durée hebdomadaire de travail doit être apprécié, par référence au seuil de 1080 heures par semestre, au regard d'une période glissante de six mois. Il résulte de l'instruction, notamment des décomptes mensuels produits par le requérant après déduction des décharges d'activité de service et des autorisations spéciales d'absence, que M. A... a dépassé la durée maximale de travail au cours des périodes de janvier à juin 2015, pendant laquelle il a travaillé 1 216 heures, de mars à août 2015, pendant laquelle il a travaillé 1 084,5 heures, de février à juillet 2016, pendant laquelle il a travaillé 1 084 heures, et de mars à août 2016, pendant laquelle il a travaillé 1 168 heures. Les premiers juges en ont déduit un dépassement de la durée maximale de travail, par rapport au plafond semestriel, représentant un nombre maximal de 232,5 heures sur quatre ans. Il ne résulte pas de l'instruction qu'en allouant une somme de 500 euros à M. A... en réparation des conséquences dommageables de ce dépassement, les premiers juges auraient procédé à une insuffisante évaluation de ses préjudices. Par ailleurs, si l'appelant, qui se borne à renvoyer à ses tableaux déjà produits devant le tribunal administratif, soutient que ce dépassement doit être porté à 280 heures sur quatre ans, il n'est pas établi qu'il en résulterait une aggravation du préjudice résultant de l'atteinte à la santé et à la sécurité ou des troubles supplémentaires dans les conditions d'existence.

21. Il résulte de tout de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête ou de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a limité le montant de la condamnation mise à la charge du SDIS de la Seine-Maritime à la somme de 500 euros, en réparation des préjudices résultant de l'atteinte à sa santé et à sa sécurité et des troubles subis dans ses conditions d'existence, et a rejeté le surplus de sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du SDIS de la Seine-Maritime, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par M. A... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... la somme demandée par le SDIS de la Seine-Maritime sur le même fondement.

DÉCIDE:

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le SDIS de la Seine-Maritime sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au service départemental d'incendie et de secours de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience publique du 2 juillet 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur, assurant la présidence de la formation du jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Dominique Bureau, première conseillère,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 août 2024.

L'assesseure la plus ancienne,

Signé : D. BureauLe président de la formation de jugement,

Signé : J.-M. Guérin-Lebacq

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Maritime en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière

C. Huls-Carlier

2

N° 22DA01830


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01830
Date de la décision : 29/08/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Guerin-Lebacq
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : CAMAIL

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-08-29;22da01830 ?
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