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29/08/2024 | FRANCE | N°23DA02049

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 29 août 2024, 23DA02049


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 17 juin 2022 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être éloignée en cas d'exécution d'office de l'obligation de quitter le territoire français et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français

d'une durée d'un an.



Par un jugement n° 2205590 du 13 juillet 2023, le tribunal admin...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 17 juin 2022 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être éloignée en cas d'exécution d'office de l'obligation de quitter le territoire français et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2205590 du 13 juillet 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande de Mme A....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 octobre 2023, et un mémoire enregistré le 6 juin 2024, Mme A..., représentée par Me Schryve, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 13 juillet 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 17 juin 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation et de l'admettre provisoirement au séjour dans cette attente dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision de refus de titre de séjour a été prise au terme d'une procédure irrégulière, en l'absence d'avis rendu par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;

- le préfet du Nord a omis de procéder à un examen sérieux de sa demande de titre de séjour ;

- la décision l'obligeant à quitter le territoire français méconnaît l'article L. 542-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cette décision méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision d'interdiction de retour est entachée d'une erreur d'appréciation au regard de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

La requête a été communiquée au préfet du Nord qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Par une ordonnance du 28 mai 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 19 juin 2024, à 12 heures.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante ivoirienne née le 11 avril 1987, a sollicité la protection internationale de la France le 22 décembre 2020. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 14 janvier 2022, confirmée le 27 mai 2022 par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Par ailleurs, Mme A... a saisi les services de la préfecture du Nord le 22 février 2021 en vue d'obtenir la délivrance d'un titre de séjour sur un autre fondement que l'asile. Par un arrêté du 17 juin 2022, le préfet du Nord a refusé de lui accorder un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours à destination de son pays d'origine et lui a interdit tout retour sur ce territoire pendant une durée d'un an. Mme A... relève appel du jugement du 13 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'un étranger a présenté une demande d'asile qui relève de la compétence de la France, l'autorité administrative, après l'avoir informé des motifs pour lesquels une autorisation de séjour peut être délivrée et des conséquences de l'absence de demande sur d'autres fondements à ce stade, l'invite à indiquer s'il estime pouvoir prétendre à une admission au séjour à un autre titre et, dans l'affirmative, à déposer sa demande dans un délai fixé par décret. Il est informé que, sous réserve de circonstances nouvelles, notamment pour des raisons de santé, et sans préjudice de l'article L. 611-3, il ne pourra, à l'expiration de ce délai, solliciter son admission au séjour (...) ". Aux termes de l'article D. 431-7 du même code : " Pour l'application de l'article L. 431-2, les demandes de titres de séjour sont déposées par le demandeur d'asile dans un délai de deux mois. Toutefois, lorsqu'est sollicitée la délivrance du titre de séjour mentionné à l'article L. 425-9, ce délai est porté à trois mois ".

3. Mme A... soutient avoir présenté une demande de titre de séjour pour raison de santé au cours du mois de juin 2020. Toutefois, ni le courriel du 19 août 2020 dans lequel une éducatrice du centre d'hébergement et de réinsertion sociale " La maisonnée " indique avoir eu connaissance qu'une telle demande a été présentée avec l'aide du secours catholique, ni la note d'information qui, établie par un assistant de service social le 8 octobre 2020, reprend les éléments d'information portés dans le courriel ne permettent d'établir l'existence d'une demande d'admission au séjour pour raison médicale en juin 2020 avant que Mme A... ne sollicite l'asile le 22 décembre suivant. Les courriels échangés au cours des mois de janvier et février 2021 et la preuve de dépôt d'un pli auprès des services postaux le 17 février 2021 ne justifient pas plus du dépôt d'une demande de titre de séjour pour raisons de santé auprès des services préfectoraux dans le délai de trois mois à compter de la demande d'asile, dans les conditions prévues par les dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors que, dans un courrier du 14 mars 2022, l'assistant de service social du centre d'hébergement et de réinsertion sociale indique présenter une nouvelle demande au nom de Mme A... en raison du dépassement de ce délai. Cette nouvelle demande, dont il n'est au demeurant pas justifié de la réception par la préfecture, est postérieure de plus de trois mois à la demande d'asile de l'intéressée, sans qu'il soit fait état d'une circonstance nouvelle au sens de l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision de refus de titre de séjour a été prise au terme d'une procédure irrégulière, en l'absence d'avis rendu par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, ne peut qu'être écarté.

4. En deuxième lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit que Mme A... n'établit pas avoir saisi le préfet du Nord d'une demande de titre de séjour pour raisons de santé. Par suite, elle n'est pas fondée à lui reprocher un défaut d'examen sérieux sur ce point.

5. En troisième lieu, il résulte encore de ce qui précède que Mme A... n'établit pas que, le préfet du Nord étant saisi d'une demande de titre de séjour pour raisons de santé, elle pourrait être autorisée à demeurer sur le territoire français à un autre titre que l'asile. Par suite, le moyen tiré de ce que l'obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article L. 542-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

6. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ".

7. Si Mme A... produit à l'instance des éléments médicaux dont il ressort qu'elle est suivie pour des troubles sévères de la mémoire et une anxiété généralisée probablement secondaires à un syndrome de stress post-traumatique, ces éléments ne permettent pas de démontrer qu'un défaut de prise en charge médicale pourrait avoir pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Dans ces conditions, elle ne saurait utilement soutenir que l'un de ses médicaments ne serait pas commercialisé en Côte-d'Ivoire et qu'elle ne pourrait pas bénéficier effectivement d'un traitement et d'un suivi adaptés dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la violation du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

8. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

9. Mme A..., qui déclare être entrée en France au cours de l'année 2017, n'allègue la présence d'aucun membre de sa famille sur le territoire français. La réalisation de stages de février à avril 2023, postérieurement à la mesure d'éloignement contestée, n'est pas de nature à démontrer une insertion particulière à la date de cette décision. La requérante ne conteste pas que ses deux enfants mineurs résident en Mauritanie, ainsi que l'a relevé le préfet du Nord dans la motivation de sa décision. Dans ces conditions, si la requérante fait encore état de ses difficultés psychiatriques qu'elle impute à un stress post-traumatique subi dans son pays d'origine, des violences dont elle a été victime en France de la part d'un ex-conjoint et de ses missions de bénévolat, ces circonstances, au regard de ce qui précède et en l'absence d'éléments relatifs notamment à son insertion sociale, ne sont pas de nature à démontrer que la décision l'obligeant à quitter le territoire français porte une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie privée et familiale normale, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. En sixième lieu, la décision obligeant Mme A... à quitter le territoire français n'a pas pour effet de priver l'intéressée de la possibilité de se défendre ou de se faire représenter dans le cadre de la procédure judiciaire ouverte contre son ex-conjoint pour viol et violences volontaires à son encontre. Dès lors, elle n'est pas fondée à soutenir que le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en prononçant cette mesure d'éloignement.

11. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable : " (...) l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Il résulte des dispositions de l'article L. 612-10 du même code que, pour édicter une interdiction de retour en application de l'article L. 612-8 et en fixer la durée, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français.

12. Mme A... ne conteste pas l'appréciation portée par le préfet du Nord sur les quatre critères, prévus à l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de nature à justifier l'interdiction de retour prise à son encontre, tant dans son principe que dans sa durée. En revanche, elle soutient que cette interdiction de retour a pour effet de l'empêcher d'assister à l'audience pénale statuant sur l'action engagée contre son ex-conjoint et de demander une carte de résident d'une durée de dix ans sur le fondement de l'article L. 425-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, la mesure d'interdiction n'a pas pour effet de priver Mme A... de la possibilité de se défendre ou de se faire représenter dans le cadre de la procédure judiciaire précitée. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier et il n'est pas même allégué que l'intéressée bénéficierait d'une ordonnance de protection en vertu de l'article 515-9 du code civil lui ouvrant droit à la délivrance d'une carte de séjour sur le fondement de l'article L. 425-6 du code précité et, en cas de condamnation définitive de son ex-conjoint, d'une carte de résident sur le fondement de l'article L. 425-8. Par suite, le préfet du Nord n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences d'une mesure d'interdiction de retour sur la situation personnelle de Mme A... au regard des circonstances précitées, étrangères aux quatre critères posés par l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions présentées à fin d'injonction, ainsi que ses conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Schryve.

Copie en sera adressée au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 2 juillet 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur, assurant la présidence de la formation du jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Dominique Bureau, première conseillère,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 août 2024.

L'assesseure la plus ancienne,

Signé : D. BureauLe président de la formation de jugement,

Signé : J.-M. Guérin-Lebacq

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière

C. Huls-Carlier

2

N° 23DA02049


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA02049
Date de la décision : 29/08/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Guerin-Lebacq
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : SCHRYVE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-08-29;23da02049 ?
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