Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... D..., Mme B... D..., Mme C... A... et Mme E... G... ont demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Rouen à leur verser la somme de 516 351,01 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait des fautes commises par l'établissement lors de la prise en charge de M. D... le 12 août 2018.
Par un jugement n° 2100390 du 1er juin 2023, rectifié d'une erreur matérielle par ordonnance n° 2100390 du 30 juin 2023, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 juillet 2023 et 13 octobre 2023, M. et Mme D..., Mme A... et Mme G..., représentés par la SCP Cherrier Bodineau, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner le CHU de Rouen à leur verser une somme totale de 579 287,65 euros en réparation de leurs préjudices ;
3°) de mettre à la charge du CHU de Rouen une somme de 2 000 euros à verser à M. D... et des sommes de 500 euros à verser à chacune des autres appelantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Ils soutiennent que :
- l'accident vasculaire cérébral dont M. D... a été victime a été diagnostiqué et pris en charge par le CHU de Rouen plus de neuf heures après son arrivée au service des urgences ; si le tableau clinique qu'il présentait à son arrivée aux urgences était atypique, l'absence de surveillance adaptée et la persistance du CHU de Rouen dans son erreur malgré des signes impliquant incontestablement une révision du diagnostic sont constitutives de fautes ;
- compte tenu du bénéfice apporté par un traitement rapide d'un accident vasculaire cérébral, notamment par la prise d'aspirine dès les premières heures des symptômes, les fautes commises par le CHU de Rouen sont à l'origine d'une perte de chance, sinon d'échapper aux séquelles neurologiques à l'origine des préjudices de M. D..., à tout le moins de les minorer ; cette perte de chance doit, à l'instar des conclusions de l'expert, être évaluée à 10 % ;
- ils sont fondés à solliciter, au titre de la réparation de leurs préjudices, les indemnités suivantes, après application du coefficient de perte de chance de 10 % : 1 743 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire subi par M. D..., 5 000 euros au titre des souffrances endurées, 5 000 euros au titre de son préjudice esthétique temporaire, 1 891,56 euros au titre de ses dépenses de santé futures, 978,80 euros au titre de ses frais de logement adapté, 1 544,33 euros au titre de ses frais de véhicule adapté, 503 129,96 euros au titre de l'assistance par une tierce personne permanente, 44 000 euros au titre de son déficit fonctionnel permanent, 2 500 euros au titre de son préjudice d'agrément, 5 000 euros au titre de son préjudice esthétique permanent, 2 500 euros au titre de son préjudice sexuel et trois fois 2 000 euros au titre des préjudices moraux et d'affection subis par son épouse, sa sœur et sa fille.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 septembre 2023, le CHU de Rouen, représenté par Me B... Chiffert, conclut au rejet de la requête d'appel de M. et Mme D..., Mme A... et Mme G... et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à leur charge au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Il fait valoir que :
- à son arrivée aux services des urgences le 12 août 2018 à 16h07, le tableau clinique de M. D... était atypique et n'était pas évocateur d'un accident vasculaire cérébral ;
- il n'a pas été privé de soins mais a fait l'objet d'une surveillance médicale qui n'a révélé aucune anomalie jusqu'au nouvel examen réalisé par un médecin à 23h26 ;
- il est constant qu'à partir de ce moment, les signes d'accident vasculaire cérébral présentés par M. D... ont été pris en charge diligemment et conformément aux règles de l'art ;
- il n'est pas démontré qu'un traitement plus précoce par aspirine aurait permis d'éviter le dommage ou d'en minorer les conséquences ;
- en l'absence de faute, sa responsabilité ne saurait être engagée.
La requête et l'ensemble des pièces de la procédure ont été communiqués à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen, à laquelle M. D... est affilié, qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Toutias, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Regnier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Lechêne, représentant le CHU de Rouen.
Considérant ce qui suit :
1. Le 12 août 2018, M. D..., né le 24 novembre 1959, a été conduit par le service départemental d'incendie et de secours aux services des urgences du centre hospitalier universitaire (CHU) de Rouen en vue de sa prise en charge. Toutefois tant celle-ci que celle dont il a bénéficié au sein du service de neurologie du même établissement n'ont pas permis d'enrayer l'évolution défavorable de son état de santé, qui a abouti à une tétraplégie complète le 15 août 2018. Souhaitant faire la lumière sur les conditions de sa prise en charge par le CHU de Rouen, M. D..., ainsi que sa compagne, Mme G..., sa fille, Mme D..., et sa sœur, Mme A..., ont saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) de Haute-Normandie le 18 juillet 2019, qui a sollicité une expertise médicale, dont le rapport a été rendu le 4 octobre 2020. Le 18 décembre 2020, la CRCI a émis un avis défavorable à l'indemnisation des intéressés au motif qu'aucune faute n'avait été commise par le CHU de Rouen. M. D... et ses proches ont alors saisi le tribunal administratif de Rouen, le 4 février 2021, d'une requête tendant à la condamnation du CHU à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis. Ils relèvent appel du jugement du 1er juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande et demandent à la cour de condamner le CHU de Rouen à leur verser une somme totale qu'ils chiffrent en dernier lieu à 579 287,65 euros.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I.- Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, (...) tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".
3. Il résulte de l'instruction que M. D..., au réveil d'une sieste au début de l'après-midi du 12 août 2018, a présenté un engourdissement et des fourmillements dans les membres, des vertiges ainsi que des nausées. Pris en charge par les pompiers à 15 h 35, l'interrogatoire a retrouvé en outre un tableau de diarrhées évoluant depuis deux jours. L'examen, retracé sur la fiche d'intervention, n'a montré en revanche aucun trouble cognitif, notamment de la parole, ni de la motricité. A son arrivée au service des urgences du CHU de Rouen, M. D... a fait l'objet d'évaluations par une infirmière et un médecin, à 16 h 09 et 16 h 13, lesquels ont repris ses doléances et ont relevé en particulier qu'il ne présentait plus aucun fourmillement. L'examen clinique approfondi réalisé à 20 h 16 par un médecin du service n'a pas davantage mis d'anomalie en évidence. Sur le plan neurologique, il a en particulier été relevé que les réflexes photomoteurs étaient normaux et que l'intéressé ne présentait pas de déficit des paires crâniennes, ni de trouble de la sensibilité et de la motricité, ni de confusion. Les premiers symptômes d'ordre neurologique n'ont été constatés par un médecin du service qu'à 23 h 26, M. D... présentant alors une sensation de faiblesse, des paresthésies des membres supérieurs, des sensations vertigineuses sans nystagmus franc et une intolérance à la position debout, ce qui a immédiatement conduit à solliciter l'avis d'un neurologue et à la mise en place d'une prise en charge neurologique. Malgré le traitement anti-agrégant qui a été dispensé à partir de 1 h 30 et 2 h du matin, l'état de M. D... a évolué défavorablement vers une tétraplégie complète le 15 août 2018. Les examens d'imagerie ont mis en évidence qu'il avait été victime d'un accident ischémique des pyramides bulbaires.
4. Toutefois, il résulte également de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 4 octobre 2020, qu'avant la constatation des premiers symptômes d'ordre neurologique à 23 h 26, le tableau clinique de M. D... présentait un caractère atypique, qu'il n'était pas particulièrement évocateur d'un accident ischémique ou vasculaire cérébral et qu'il ne nécessitait donc pas d'écarter spécifiquement ce diagnostic. Notamment, il résulte du rapport d'expertise médicale, dont les mentions sur ce point ne sont pas contestées, que la diarrhée, qui était le principal signe clinique mis en évidence lors de l'arrivée de M. D... aux urgences, n'est pas un symptôme évocateur d'un accident ischémique ou vasculaire cérébral. De même, en l'état des données de la science médicale à la date des faits litigieux, des fourmillements, qui avaient au demeurant disparu lors de l'arrivée de M. D... aux urgences, ne justifiaient pas à eux-seuls, en l'absence de tout autre symptôme d'ordre neurologique, d'écarter expressément le diagnostic d'accident ischémique ou vasculaire cérébral. En outre, dès lors que l'examen clinique réalisé à 20 h 05 était sans anomalie particulière, y compris sur le plan neurologique, l'état de M. D... n'appelait aucune surveillance ou prise en charge rapprochée, de sorte que le CHU de Rouen ne peut être regardé comme ayant tardé à identifier les signes neurologiques apparus après cette heure-là. Il n'est par ailleurs pas contesté que la prise en charge de M. D... à partir de la constatation des premiers symptômes d'ordre neurologique à 23 h 26 a été diligente et conforme aux règles de l'art. En particulier, les examens diagnostics appropriés ont été réalisés immédiatement. Alors même que les résultats de ces derniers n'étaient pas anormaux et que le tableau clinique demeurait atypique, la prise en charge neurologique a été mise en place rapidement, le traitement anti-agrégant dispensé étant la méthode thérapeutique la plus adaptée à l'état de santé de M. D.... Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que les moyens techniques ou en personnels de santé mobilisés par l'établissement aient été insuffisants le jour de la prise en charge de l'intéressé.
5. Dans ces conditions, compte tenu du caractère atypique de la symptomatologie présentée par M. D... lors de son arrivée au service des urgences et de l'absence de symptômes neurologiques clairs avant 23 h 26, le CHU de Rouen, en ne cherchant pas à écarter plus tôt le diagnostic d'accident ischémique ou vasculaire cérébral, ne peut être regardé comme ayant méconnu les règles de l'art et comme ayant commis une erreur et un retard de diagnostic à l'origine d'une perte de chance, pour M. D..., d'échapper à l'accident dont il a été victime ou d'en minorer les conséquences. Il en résulte que M. D... et ses proches ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité pour faute du CHU de Rouen ni, par suite, à demander l'indemnisation de leurs préjudices. Il s'ensuit qu'ils ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leurs conclusions indemnitaires.
Sur les frais liés au litige :
6. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la présente instance ait été à l'origine de dépens, de sorte que les conclusions de M. et Mme D..., Mme A... et Mme G... relatives aux dépens et celles du CHU de Rouen au même titre doivent être rejetées.
7. En second lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du CHU de Rouen, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement des sommes que M. et Mme D..., Mme A... et Mme G... demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. et Mme D..., Mme A... et Mme G... la somme demandée au même titre par le CHU de Rouen.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme D..., Mme A... et Mme G... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du CHU de Rouen relatives aux dépens et celles présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... D... qui a été désigné à cette fin dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, au centre hospitalier universitaire de Rouen et à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen.
Délibéré après l'audience publique du 10 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 septembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : G. ToutiasLe président de chambre,
Signé : B. Chevaldonnet
La greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
2
N°23DA01290