Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle la communauté d'agglomération Grand Soissons Agglomération a rejeté sa demande indemnitaire du 23 janvier 2021, d'autre part, de condamner la communauté d'agglomération Grand Soissons Agglomération à lui verser une somme de 11 899,05 euros au titre de l'indemnité de licenciement, de 4 759,62 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de 10 000 euros au titre du préjudice moral résultant de la situation de précarité dans laquelle il a été maintenu pendant la durée de ces contrats. Enfin, il a demandé qu'il soit mis à la charge de la communauté d'agglomération Grand Soissons Agglomération une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2100988 du 8 février 2023, le tribunal administratif d'Amiens a condamné la communauté d'agglomération Grand Soissons Agglomération à verser à M. B... une somme de 2 500 euros, a rejeté le surplus de ses demandes et mis à la charge de la communauté d'agglomération la somme de 1 500 euros à verser à M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 avril 2023 et un mémoire complémentaire enregistré le 26 octobre 2023, M. B..., représenté par Me Broyon, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du 8 février 2023 en tant qu'il a limité le montant de la condamnation à la somme de 2 500 euros et qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts au titre des indemnités auxquelles il aurait pu prétendre s'il avait été employé en contrat à durée indéterminée ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande indemnitaire préalable du 23 janvier 2021 ;
3°) de condamner la communauté d'agglomération Grand Soissons Agglomération à lui verser la somme totale de 26 658,67 euros en réparation de ses préjudices ;
4°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Grand Soissons Agglomération la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il est fondé à rechercher la responsabilité de la communauté d'agglomération Grand Soissons Agglomération, dès lors qu'elle a abusivement eu recours à des contrats à durée déterminée pour l'employer pendant dix ans, sachant qu'il ne lui a jamais été proposé une titularisation sur son poste ;
- il est en droit de solliciter le versement d'une indemnité légale de licenciement d'un montant de 11 899,05 euros, à laquelle s'ajoute une indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 4 759,62 euros ;
- son préjudice moral doit être indemnisé à hauteur de 10 000 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 16 octobre 2023 et le 1er mars 2024, la communauté d'agglomération Grand Soissons Agglomération, représentée par Me Landot, conclut au rejet de la requête et demande en outre à la cour :
1°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement en ce qu'il la condamne à verser à M. B... la somme de 2 500 euros au titre de son préjudice moral résultant du recours abusif à une succession de contrats à durée déterminée et la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de mettre à la charge de M. B... une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé en ce qu'il a omis de répondre à son argument selon lequel M. B... aurait refusé à deux reprises d'intégrer un processus de titularisation pour démontrer son absence de faute ;
- il est entaché d'une erreur de droit et une erreur d'appréciation en reconnaissant sa responsabilité ;
- les moyens soulevés dans la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 5 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 5 avril 2024, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi du n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 2006-304 du 16 mars 2006 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- et les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a été employé par la communauté du Grand Soissons Agglomération par dix contrats à durée déterminée, qui se sont succédés du 13 octobre 2010 au 11 octobre 2020, en qualité d'encadrant technique d'insertion aménagement paysager.
2. Par un jugement du 8 février 2023, le tribunal administratif d'Amiens a condamné la communauté du Grand Soissons Agglomération à verser à M. B... une somme de 2 500 euros en réparation de son préjudice moral et a rejeté le surplus de ses demandes. M. B... relève appel de ce jugement en sollicitant que cette condamnation soit portée à 26 658,67 euros. Pour sa part, la communauté du Grand Soissons Agglomération demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement du tribunal administratif d'Amiens.
Sur la demande d'annulation de la décision implicite de rejet :
3. La décision implicite née du silence gardé par la communauté du Grand Soissons Agglomération sur la demande préalable de M. B... adressée le 20 novembre 2020 et reçue le 22 novembre suivant a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de l'intéressé qui, en formulant des conclusions indemnitaires, a donné à l'ensemble de sa requête le caractère d'un recours de plein contentieux. Au regard de l'objet d'une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit de l'intéressé à percevoir la somme qu'il réclame, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la décision qui a lié le contentieux sont sans incidence sur la solution du litige. Par suite, et comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges, les conclusions présentées à fin d'annulation de la décision de refus d'indemnisation sont irrecevables et doivent être rejetées.
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Et en vertu de l'article R. 741-2 du même code, les jugements contiennent l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont ils font application.
5. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de faire référence à l'ensemble des arguments que la communauté d'agglomération Grand Soissons Agglomération avait développés, ont répondu, par une motivation qui rappelle tant les textes applicables que les faits de l'espèce, à l'ensemble des conclusions et des moyens opérants qui leur étaient présentés. Ils ont, ce faisant, suffisamment motivé leur jugement au regard des exigences posées par les dispositions rappelées au point précédent. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué est insuffisamment motivé doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la responsabilité de la communauté d'agglomération :
6. D'une part, aux termes de l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa version applicable à la période durant laquelle a été recruté M. B... entre 2010 et mars 2012 : " Les collectivités et établissements mentionnés à l'article 2 ne peuvent recruter des agents non titulaires pour occuper des emplois permanents que pour (...) faire face temporairement et pour une durée maximale d'un an à la vacance d'un emploi qui ne peut être immédiatement pourvu dans les conditions prévues par la présente loi. (...) Les agents recrutés conformément aux quatrième, cinquième et sixième alinéas sont engagés par des contrats à durée déterminée, d'une durée maximale de trois ans. Ces contrats sont renouvelables, par reconduction expresse. La durée des contrats successifs ne peut excéder six ans. / Si, à l'issue de la période maximale de six ans mentionnée à l'alinéa précédent, ces contrats sont reconduits, ils ne peuvent l'être que par décision expresse et pour une durée indéterminée (...) " ; et d'autre part, aux termes de
l'article 3-2 de la même loi, dans sa version applicable à la période durant laquelle a été recruté M. B... entre mars 2012 et 2020 : " Par dérogation au principe énoncé à l'article 3 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 (...), les emplois permanents des collectivités et établissements mentionnés à l'article 2 de la présente loi peuvent être occupés par des agents contractuels pour faire face à une vacance temporaire d'emploi dans l'attente du recrutement d'un fonctionnaire. / Le contrat est conclu pour une durée déterminée qui ne peut excéder un an (...) Sa durée peut être prolongée, dans la limite d'une durée totale de deux ans, lorsque, au terme de la durée fixée au deuxième alinéa du présent article, la procédure de recrutement pour pourvoir l'emploi par un fonctionnaire n'a pu aboutir ". En outre, aux termes des dispositions de l'article 3-4 de cette même loi : " I. - Lorsqu'un agent non titulaire recruté pour pourvoir un emploi permanent sur le fondement des articles 3-2 ou 3-3 est inscrit sur une liste d'aptitude d'accès à un cadre d'emplois dont les missions englobent l'emploi qu'il occupe, il est, au plus tard au terme de son contrat, nommé en qualité de fonctionnaire stagiaire par l'autorité territoriale. / II. - Tout contrat conclu ou renouvelé pour pourvoir un emploi permanent en application de l'article 3-3 avec un agent qui justifie d'une durée de services publics effectifs de six ans au moins sur des fonctions relevant de la même catégorie hiérarchique est conclu pour une durée indéterminée (...) ".
7. Les dispositions de l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale offrent aux collectivités territoriales la possibilité de recourir, le cas échéant, à une succession de contrats à durée déterminée. Elles ne font toutefois pas obstacle à ce qu'un renouvellement abusif de contrats à durée déterminée ouvre à l'agent concerné un droit à l'indemnisation du préjudice qu'il subit lors de l'interruption de la relation d'emploi, évalué en fonction des avantages financiers auxquels il aurait pu prétendre en cas de licenciement s'il avait été employé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Il incombe au juge, pour apprécier si le recours à des contrats à durée déterminée successifs présente un caractère abusif, de prendre en compte l'ensemble des circonstances de fait qui lui sont soumises, notamment la nature des fonctions exercées, le type d'organisme employeur ainsi que le nombre et la durée cumulée des contrats en cause.
8. Il résulte de l'instruction qu'à compter du mois d'octobre 2010 et jusqu'au 12 octobre 2020, la communauté du Grand Soissons Agglomération a recruté M. B... par dix contrats successifs à durée déterminée d'un an, pris pour les deux premières années sur le fondement de l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984, puis, à partir du 13 octobre 2012, sur le fondement de l'article 3-2 de la loi précitée, sur le motif lié à une vacance d'emploi dans l'attente du recrutement d'un fonctionnaire. M. B... a été ainsi employé par la communauté du Grand Soissons Agglomération pendant dix années sans interruption pour occuper le même poste d'encadrant technique d'insertion aménagement paysager, correspondant à un emploi permanent de la communauté d'agglomération. En outre, celle-ci ne justifie pas de l'infructuosité de ses recherches dans le cadre du recrutement d'un fonctionnaire pour le poste occupé par l'appelant. Et, si elle fait valoir qu'elle a proposé à M. B..., en 2013, d'être nommé stagiaire dans le grade d'adjoint technique et, qu'en 2017, elle l'a informé de son éligibilité à la titularisation par le biais de la sélection professionnelle, ces circonstances ne sont pas suffisantes pour écarter le caractère abusif du renouvellement des contrats à durée déterminée par la communauté d'agglomération.
9. Dans ces conditions, la communauté du Grand Soissons Agglomération n'est pas fondée, par la voie de l'appel incident, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a estimé que la communauté d'agglomération avait recouru de manière abusive à la conclusion de contrats à durée déterminée.
En ce qui concerne la réparation des préjudices :
S'agissant du préjudice financier :
10. L'agent qui a subi un renouvellement abusif de contrats à durée déterminée peut prétendre à une indemnisation du préjudice qu'il subit lors de l'interruption de la relation d'emploi, évaluée comme indiqué au point 7 sans qu'y fasse obstacle la circonstance que la relation d'emploi ait pris fin comme en l'espèce à l'initiative de l'agent qui a refusé un onzième renouvellement de son contrat.
11. Aux termes de l'article 45 du décret n° 88-145 du 15 février 1988 : " la rémunération servant de base au calcul de l'indemnité de licenciement est la dernière rémunération nette des cotisations de la sécurité sociale et, le cas échéant, des cotisations d'un régime de prévoyance complémentaire, effectivement perçue au cours du mois civil précédant le licenciement. Elle ne comprend ni les prestations familiales, ni le supplément familial de traitement, ni les indemnités pour travaux supplémentaires ou autres indemnités accessoires (...) " ; et aux termes de l'article 46 de ce même décret : " L'indemnité de licenciement est égale à la moitié de la rémunération de base définie à l'article précédent pour chacune des douze premières années de services, au tiers de la même rémunération pour chacune des années suivantes, sans pouvoir excéder douze fois la rémunération de base (...) ".
12. Il ressort des pièces versées au débat, notamment du bulletin de paye du mois de septembre 2020, que compte tenu de la rémunération de base devant être prise en compte pour le calcul de l'indemnité, nette des cotisations de la sécurité sociale et sans y inclure, hormis l'indemnité de fonctions, sujétion et expertise, ni le supplément familial de traitement ni les autres indemnités accessoires, la rémunération nette s'élève à 1 854,70 euros, arrondie à 1 855 euros. Dans ces conditions, l'indemnité à laquelle M. B... est en droit de prétendre s'élève à la somme de 9 275 euros.
13. M. B..., comme il a été dit plus haut n'ayant pas été licencié, n'est pas fondé à réclamer une indemnité compensatrice de préavis.
S'agissant du préjudice moral :
14. Les premiers juges ont évalué à 2 500 euros le préjudice moral subi par M. B... en conséquence du recours abusif à une succession de contrats à durée déterminée durant dix ans, qui l'a maintenu dans une situation de précarité et d'incertitude professionnelle. Il n'y a pas lieu de majorer ce montant.
Sur les frais liés au litige :
15. M. B... n'étant pas la partie perdante, les conclusions présentées par la communauté du Grand Soissons Agglomération tendant à mettre à sa charge une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent qu'être rejetées. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la communauté du Grand Soissons Agglomération le versement à M. B... de la somme de 2 000 euros sur le fondement de ces dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : L'indemnité de 2 500 euros mise à la charge de la communauté du Grand Soissons Agglomération en première instance est portée à 11 775 euros.
Article 2 : La communauté du Grand Soissons Agglomération versera à M. B... la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le jugement n° 2100988 du 8 février 2023 du tribunal administratif d'Amiens est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... et à la communauté du Grand Soissons Agglomération.
Délibéré après l'audience publique du 15 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 novembre 2024.
Le président-assesseur,
Signé : J.-M. Guérin-Lebacq
La présidente de chambre,
Présidente-rapporteure,
Signé : M.-P. ViardLa greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière,
C. Huls-Carlier
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N° 23DA00584
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N°"Numéro"