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08/01/2025 | FRANCE | N°20DA00563

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 08 janvier 2025, 20DA00563


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme G... E..., Mme D... E... et M. C... E..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité d'ayants droit de M. F... E..., ont demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le centre hospitalier de Dieppe à les indemniser des préjudices résultant de la prise en charge de M. F... E... au sein de cet établissement.



Par un jugement n° 1703128 du 30 janvier 2020, le tribunal administratif de Rouen a condamné le centre hospitalier de Dieppe à ve

rser les sommes de :

- 66 225 euros aux consorts E..., en leur qualité d'ayants droit,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... E..., Mme D... E... et M. C... E..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité d'ayants droit de M. F... E..., ont demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le centre hospitalier de Dieppe à les indemniser des préjudices résultant de la prise en charge de M. F... E... au sein de cet établissement.

Par un jugement n° 1703128 du 30 janvier 2020, le tribunal administratif de Rouen a condamné le centre hospitalier de Dieppe à verser les sommes de :

- 66 225 euros aux consorts E..., en leur qualité d'ayants droit, au titre des préjudices subis par M. F... E... ;

- 11 329,50 euros à Mme G... E... au titre de ses préjudices patrimoniaux ;

- 25 000 euros à Mme G... E... au titre de son préjudice d'affection ;

- 10 000 euros chacun à Mme D... E... et M. C... E... au titre de leur préjudice d'affection,

- 218 763,63 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen Elbeuf Dieppe Seine-Maritime au titre de ses débours et la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

- 29 789,05 euros à la Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes (Carpimko) au titre de ses débours et de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Procédures devant la cour :

I. - Par une requête, enregistrée sous le n° 20DA00563 le 27 mars 2020, et un mémoire enregistré le 26 novembre 2020, les consorts E..., représentés par Me Jegu, demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement du 30 janvier 2020 en condamnant le centre hospitalier de Dieppe à verser à Mme G... E... la somme complémentaire de 398 267,32 euros en réparation des pertes de revenus subies, avec intérêts à compter du 6 avril 2017 et capitalisation, ou à titre subsidiaire, au titre d'une perte de chance qui ne saurait être inférieure à 80 % ;

2°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Dieppe une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- l'état séquellaire de M. E... en relation, directe, certaine et exclusive avec le fait générateur fautif est à l'origine de son décès ;

- Mme G... E... est en conséquence fondée à être indemnisés de la perte de revenus subie du fait de son décès de son mari à hauteur de la somme de 398 267,32 euros ;

- la perte de chance de survie ne saurait en tout état de cause être inférieure à 80%.

Par des mémoires en défense enregistrés les 10 juin et 26 août 2020, le centre hospitalier de Dieppe, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête et au rejet de l'appel incident de la Carpimko.

Il soutient que :

- le décès de M. E... n'est pas consécutif au débranchement du respirateur survenu le 25 février 2014 au regard de l'état antérieur du patient et du délai d'un an et demi qui s'est écoulé entre l'accident et le décès ;

- la perte de revenus n'excède en tout état de cause pas la somme de 155 345,49 euros.

Par des mémoires enregistrés les 15 juillet et 28 septembre 2020, ainsi qu'une pièce enregistrée le 31 octobre 2024, la Carpimko, représentée par Me Laforce, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement en condamnant le centre hospitalier de Dieppe à lui verser la somme complémentaire de 99 960 euros au titre du capital décès et de la rente de survie versés à Mme E... ;

2°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Dieppe une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le décès de M. E... est en relation directe avec la faute initiale du centre hospitalier de Dieppe dans le débranchement du respirateur ;

- il conviendra donc de faire droit à l'intégralité de sa demande au titre des débours, ou à titre subsidiaire à hauteur d'une perte de chance de 80 %.

Par un arrêt n°20DA00563-20DA00578 du 19 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Douai a confirmé les sommes octroyées aux consorts E... en première instance au titre du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées et du préjudice esthétique temporaire subis par M. F... E..., ainsi qu'au titre de leur préjudice d'affection, et a prescrit une mesure d'expertise supplémentaire.

Le rapport d'expertise a été déposé le 7 août 2023.

Par des mémoires enregistrés les 6 septembre 2023 et 12 novembre 2024, les consorts E... portent leurs prétentions indemnitaires à la somme de 412 408,72 euros.

Ils ajoutent que la faute du CH de Dieppe est à l'origine d'un taux de perte de chance de survie de M. E... de 80 %, ou à défaut de 50 %.

Par un mémoire enregistré le 11 septembre 2023, le centre hospitalier de Dieppe conclut aux mêmes fins.

Il ajoute que :

- les conclusions de l'expert quant à l'existence d'une perte de chance de survie ne sauraient être suivies dès lors la cause du décès de M. E... reste inconnue ;

- le taux de perte de chance à retenir doit en tout état de cause être plus faible que celui retenu par l'expert.

II. - Par une requête, enregistrée sous le n° 20DA00578 le 30 mars 2020 et des mémoires enregistrés les 10 juin, 26 août, 18 novembre et 4 décembre 2020, le centre hospitalier de Dieppe, représenté par Me Le Prado, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rouen du 30 janvier 2020 ;

2°) de rejeter la demande des consorts E... et les conclusions de la caisse primaire d'assurance malade de Rouen Elbeuf Dieppe Seine-Maritime et de la Carpimko présentées devant le tribunal administratif de Rouen.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a retenu son entière responsabilité ;

- en tout état de cause, seule une perte de chance de 20 % maximum pourrait être retenue compte tenu de l'état de santé précaire et fragile du patient qui a lourdement pesé sur les conséquences du débranchement du respirateur ;

- les indemnités allouées au titre du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées, du préjudice esthétique temporaire et du préjudice d'affection sont excessives.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 juillet et 28 septembre 2020, ainsi qu'une pièce enregistrée le 31 octobre 2024, la Carpimko, représentée par Me Laforce, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête du centre hospitalier de Dieppe ;

2°) de réformer le jugement en condamnant le centre hospitalier de Dieppe à lui verser la somme complémentaire de 99 960 euros au titre du capital décès et de la rente de survie versés à Mme E... ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Dieppe une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le décès de M. E... est en relation directe avec la faute initiale du CH de Dieppe dans le débranchement du respirateur ;

- il conviendra donc de faire droit à l'intégralité de sa demande au titre des débours, ou à titre subsidiaire à hauteur d'une perte de chance de 80 %.

Par un mémoires en défense, enregistré le 26 novembre 2020, Mme G... E..., Mme D... E... et M. C... E..., représentés par Me Jegu, demandent à la cour :

1°) de rejeter la requête du centre hospitalier de Dieppe ;

2°) de réformer le jugement du 30 janvier 2020 en condamnant le centre hospitalier de Dieppe à verser à Mme G... E... la somme complémentaire de 398 267,32 euros en réparation des pertes de gains subies, avec intérêts à compter du 6 avril 2017 et capitalisation, ou à titre subsidiaire, au titre d'une perte de chance qui ne saurait être inférieure à 80 % ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Dieppe une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- l'état séquellaire de M. E... en relation, directe, certaine et exclusive avec le fait générateur fautif est à l'origine de son décès ;

- la perte de chance de survie ne saurait en tout état de cause être inférieure à 80% ;

- Mme G... E... est en conséquence fondée à être indemnisés de la perte de revenus subie du fait de son décès à hauteur de la somme de 398 267,32 euros.

Par un mémoire, enregistré le 6 décembre 2020, la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen Elbeuf Dieppe Seine-Maritime demande à la cour :

1°) de rejeter la requête du centre hospitalier de Dieppe ;

2°) de réformer le jugement en condamnant le centre hospitalier de Dieppe à lui verser le montant de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale tel qu'il sera règlementairement fixé au jour de l'arrêt à intervenir ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Dieppe une somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité pour faute du centre hospitalier de Dieppe est établie ;

- il y a lieu de porter le montant de l'indemnité forfaitaire due par le centre hospitalier de Dieppe à son montant maximum.

Par un arrêt n°20DA00563-20DA00578 du 19 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Douai a confirmé les sommes octroyées aux consorts E... en première instance au titre du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées et du préjudice esthétique temporaire subis par M. F... E..., ainsi qu'au titre de leur préjudice d'affection, et a prescrit une mesure d'expertise.

Le rapport d'expertise a été déposé le 7 août 2023.

Par des mémoires enregistrés les 6 septembre 2023 et 12 novembre 2024, les consorts E... portent leurs prétentions indemnitaires à la somme de 412 408,72 euros.

Ils ajoutent que la faute du CH de Dieppe est à l'origine d'un taux de perte de chance de survie de M. E... de 80 %, ou à défaut de 50 %.

Par un mémoire enregistré le 11 septembre 2023, le centre hospitalier de Dieppe conclut aux mêmes fins.

Il ajoute que :

- les conclusions de l'expert quant à l'existence d'une perte de chance de survie ne sauraient être suivies dès lors que la cause du décès de M. E... reste inconnue ;

- le taux de perte de chance à retenir doit en tout état de cause être bien plus faible que celui retenu par l'expert.

Par une ordonnance du 27 février 2024, la présidente de la cour a taxé et liquidé les frais et honoraires de l'expertise réalisée par le docteur B... à la somme de 1 400 euros toutes taxes comprises (TTC).

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Delahaye, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Regnier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Jegu représentant les consorts E....

Considérant ce qui suit :

1. Le 6 février 2014, M. F... E... a été opéré au centre hospitalier (CH) de Dieppe d'une tumeur cancéreuse de l'œsophage. Les suites de l'opération ont été marquées par des complications respiratoires et une infection qui ont conduit à la sédation et la curarisation du patient le 11 février 2014. Le 25 février 2014, un arrêt cardio-respiratoire hypoxique avec asystolie est survenu en raison du débranchement de l'appareil de ventilation artificielle auquel il était relié, qui a entraîné une encéphalopathie post-anoxique. Ayant conservé des séquelles neurologiques graves le rendant dépendant pour tous les actes de la vie quotidienne, M. E... et ses proches ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rouen qui a ordonné une expertise médicale, dont le rapport a été remis le 25 septembre 2015. Le décès de M. E... est survenu le 1er octobre 2015. Estimant que la responsabilité du CH de Dieppe était engagée, Mme G... E..., son épouse et leurs enfants Mme D... E... et M. C... E... ont saisi le tribunal administratif de Rouen d'une requête tendant à la condamnation du centre hospitalier à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis tant en leur nom propre qu'en leur qualité d'ayants droit. Par un jugement du 30 janvier 2020, le tribunal administratif de Rouen a, en raison de l'accident médical fautif dont M. E... a été victime le 25 février 2014, condamné le CH de Dieppe à verser diverses indemnités aux consorts E..., ainsi qu'à la Carpimko et à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Rouen Elbeuf Dieppe Seine-Maritime au titre de leurs débours et de l'indemnité forfaitaire de gestion. Par une première requête n° 20DA00563, les consorts E... relèvent appel de ce même jugement en tant qu'il a rejeté leurs demandes tendant à l'indemnisation des pertes de revenus subis par Mme G... E... postérieurement au décès de M. F... E.... Par une seconde requête enregistrée sous le n° 20DA00578, le centre hospitalier de Dieppe conteste le principe de sa responsabilité et demande l'annulation de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, la CPAM de Rouen Elbeuf Dieppe Seine-Maritime demande que le montant de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale qui lui a été octroyé soit portée au montant tel qu'il sera règlementairement fixé au jour de l'arrêt à intervenir. Dans ces deux requêtes, par la voie de l'appel incident, la Carpimko demande la condamnation du CH de Dieppe à lui verser la somme complémentaire de 99 960 euros.

2. Les requêtes des consorts E... et du CH de Dieppe étant dirigées contre le même jugement, la cour les a jointes et par un arrêt du 19 octobre 2021, elle a confirmé la responsabilité du centre hospitalier de Dieppe dans la prise en charge de M. E... en raison de l'accident médical intervenu le 25 février 2014 ainsi que les sommes octroyées aux consorts E... en première instance au titre du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées, du préjudice esthétique temporaire subis par M. F... E... et au titre de leur préjudice d'affection. La cour s'est toutefois estimée insuffisamment éclairée sur l'éventuel lien de causalité entre cette même faute dans l'organisation et le fonctionnement du service et le décès de M. E..., et a prescrit une mesure d'expertise en vue de dire si celui-ci est en lien avec les séquelles dont la victime est restée atteinte à la suite du débranchement accidentel du respirateur survenu le 25 février 2014 au décours de son séjour en réanimation au CH de Dieppe et/ou si M. F... E... a perdu une chance de survie du fait de cet état séquellaire, et le cas échéant, d'évaluer l'ampleur de cette perte de chance.

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Dieppe :

3. D'une part, dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel survenu, mais la perte d'une chance d'éviter ce dommage. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

4. D'autre part, l'incapacité d'un établissement de santé à communiquer aux experts judiciaires l'intégralité d'un dossier médical n'est pas, en tant que telle, de nature à établir l'existence de manquements fautifs dans la prise en charge du patient. Il appartient en revanche au juge de tenir compte de ce que le dossier médical est incomplet dans l'appréciation portée sur les éléments qui lui sont soumis pour apprécier l'existence des fautes reprochées à l'établissement dans la prise en charge du patient.

5. Ainsi que l'a jugé la cour administrative d'appel de Douai dans son arrêt susmentionné du 19 octobre 2021, passé sur ce point en force de chose jugée, la responsabilité du CH de Dieppe est engagée pour faute dans l'organisation du service eu égard au débranchement accidentel du respirateur survenu le 25 février 2014, en raison de la vigilance particulière qui s'imposait s'agissant d'un patient sédaté et placé sous respirateur artificiel pour un syndrome de détresse respiratoire aigüe sur pneumopathie droite après l'exérèse d'une tumeur de l'œsophage et les séquelles neurologiques graves dont est demeuré atteint M. E... des suites de l'anoxie cérébrale consécutive à ce débranchement sont en lien direct avec cette faute. Il résulte en outre de l'instruction, notamment du rapport d'expertise déposé le 7 août 2023 et rendu à la demande de la cour, que si les causes du décès de M. E... survenu le 1er octobre 2015 n'ont pu être déterminées avec certitude du fait de l'absence de dossier médical, de certificat médical de décès et d'autopsie, les séquelles dont M. E... est resté atteint jusqu'à son décès du fait de cette anoxie cérébrale, à l'origine d'un déficit fonctionnel permanent de 95 %, ont aggravé les suites opératoires de l'intervention chirurgicale du 6 février 2014 ainsi que l'état séquellaire du patient. Elles ont ainsi nécessairement compromis ses chances d'échapper à l'aggravation de son état de santé et à son décès. Il résulte de l'instruction qu'eu égard à l'état de santé fragile préexistant de M. E... atteint d'un cancer du bas œsophage et présentant des comorbidités, et au taux de survie constaté chez les personnes affectées par cette pathologie et ayant subi le même type de chirurgie, la faute du CH de Dieppe est à l'origine d'une perte de chance de survie de M. E... qu'il y a lieu de fixer, conformément aux conclusions de l'expert, à 50 %.

Sur les préjudices de M. E...:

6. En l'absence de contestation du CH de Dieppe sur ce point, il y a lieu, par adoption des motifs exposés au points 22, 23 et 24 du jugement attaqué, de confirmer l'indemnité totale de 7 025 euros que les premiers juges ont mise à la charge du CH de Dieppe au titre des préjudices extrapatrimoniaux permanents de M. E....

Sur les préjudices de Mme E...:

En ce qui concerne les frais de déplacement de Mme E... :

7. En l'absence de contestation du CH de Dieppe sur ce point, il y a lieu, par adoption des motifs exposés au point 30 du jugement attaqué, de confirmer l'indemnité de 11 329,50 euros que les premiers juges ont mise à la charge du CH de Dieppe au titre frais de déplacement engagés par Mme G... E....

En ce qui concerne les pertes de revenus :

8. Le préjudice économique subi par une personne du fait du décès de son conjoint est constitué par la perte des revenus de la victime qui étaient consacrés à son entretien, compte tenu des revenus du conjoint survivant et déduction faite des prestations reçues en compensation. Il y a lieu en l'espèce de distinguer la période antérieure au 1er juillet 2024, date à laquelle M. E..., aurait pris sa retraite à l'âge de 67 ans et à compter de laquelle son épouse a bénéficié d'une pension de réversion de l'avantage social vieillesse de la part de la Carpimko, et la période postérieure à cette date.

En ce qui concerne la période du 1er octobre 2015 au 30 juin 2024 :

9. Il résulte de l'instruction que les revenus du foyer s'élevaient, avant le décès de M. E... survenu le 1er octobre 2015, à la somme annuelle 57 686 euros, telle qu'invoquée par Mme G... E... au regard de son avis d'imposition des revenus de l'année 2013 produit à l'instance. Il convient de déduire de ces revenus, dès lors que le foyer comportait alors seulement M. E..., qui exerçait la profession d'infirmier libéral, ainsi que son épouse, sans emploi, 40 % pour la part consacrée à l'entretien du patient, leurs enfants étant majeurs. La perte patrimoniale de M. E..., peut donc être évaluée à 2 884,30 euros par mois, soit la somme totale de 302 851,50 euros sur la période courant du 1er octobre 2015 au 30 juin 2024 (2884,30 x 105 mois). Après application au taux de perte de chance de 50%, le préjudice économique imputable à la faute du centre hospitalier peut donc être estimé sur cette période à la somme de 151 425,75 euros, dont il y a lieu de déduire le montant du capital décès perçu par Mme E... le 8 décembre 2015 à hauteur de 17 760 euros, ainsi que la rente de survie qui lui a été versée du 1er janvier 2016 jusqu'au 30 juin 2024 d'un montant total de 82 200 euros. Par suite, sur la période courant du 1er octobre 2015 au 30 juin 2024, il sera fait une juste appréciation du préjudice économique subi par Mme E... en le fixant à la somme de 51 465,75 euros. (151 425,75 - 99 960).

En ce qui concerne la période postérieure au 1er juillet 2024 :

10. D'une part, compte tenu de la valeur respective du point dans les deux régimes de retraite dans lesquelles M. E... était affilié pendant 22 ans, il sera fait une juste appréciation du montant de la pension de retraite qu'aurait perçue M. E... aux sommes annuelle respectives de 7 800,79 euros et de 8 315,51 euros, soit la somme totale de 16 116,30 euros, au demeurant non contestée par le CH de Dieppe. Eu égard à une consommation personnelle du défunt de 40 %, la perte patrimoniale de Mme E..., peut donc être estimée à 9 669,78 euros par an. Après application au taux de perte de chance de 50%, le préjudice économique imputable à la faute du centre hospitalier peut donc être évalué sur cette période à la somme de 4 834,89 euros par an, soit 402,91 euros par mois, dont il y a lieu de déduire la pension de réversion de l'avantage social vieillesse perçue par Mme E... d'un montant annuel de 562,47 euros, soit 46,87 euros par mois. Par suite, sur la période courant du mois de juillet au mois décembre 2024, il sera fait une juste appréciation du préjudice économique subi par Mme E... en le fixant à la somme de 2 136,24 euros ((402,91-46,87) x 6).

11. D'autre part, au regard d'une part de la perte annuelle patrimoniale imputable à la faute du centre hospitalier d'un montant de 4 834,89 euros par an, dont il y a lieu de déduire la pension de réversion de l'avantage social vieillesse perçue par Mme E... d'un montant annuel de 562,47 euros, et d'autre part du montant de l'euro de rente fixé à 16,738 par le barème au taux 0 publié par la Gazette du Palais en 2022, pour un homme de 68 ans, âge qu'aurait eu M. E... à la date du présent arrêt, il sera fait une juste appréciation du préjudice économique futur subi par Mme E... en fixant son montant à la somme de 71 511,77 euros (4 272,42 x 16,738).

12. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts E... sont fondés à demander à ce que la somme de 11 329,50 euros que le CH de Dieppe a été condamné à verser à Mme E... en réparation de ses préjudices patrimoniaux soit majorée de 125 113, 76 euros (51 465,75 + 2 136,24 + 71 511,77), et soit en conséquence portée à la somme de 136 443,26 euros.

Sur les droits de la Carpimko:

13. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " (...) Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre et le livre Ier, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après. Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel. ".

14. Il résulte de l'instruction, et notamment de la notification des débours actualisée du 30 octobre 2024, que la Carpimko a versé à Mme E..., en lien avec le décès de son mari et la perte de revenus qu'il a engendrée sur la période courant du 1er octobre 2015 au 30 juin 2024, un capital décès d'un montant de 17 760 euros ainsi qu'une rente de survie d'un montant total de 82 200 euros. Par suite, eu égard à ce qui a été dit précédemment sur le préjudice économique subi par Mme E... du fait de la faute du CH de Dieppe sur cette période, la Carpimko est fondée à ce titre à demander le remboursement de ces prestations d'un montant total de 99 960 euros.

15. Il résulte de ce qui précède que la Carpimko est fondée à demander que la somme de 29 789,05 que le CH de Dieppe a été condamné à lui verser soit portée au montant de 129 749,05 euros.

Sur les droits de la CPAM de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime

16. En l'absence de contestation du CH de Dieppe sur ce point, il y a lieu, par adoption des motifs exposés aux points 33 à 35 du jugement attaqué, de confirmer la somme de 218 763, 63 euros que les premiers juges ont mise à la charge du CH de Dieppe au titre du remboursement des débours exposés par la CPAM de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime.

Sur l'indemnité forfaitaire de gestion

17. Il résulte des dispositions du neuvième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale que le montant de l'indemnité forfaitaire qu'elles instituent est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un plafond dont le montant est révisé chaque année par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget.

18. En l'absence de contestation du CH de Dieppe sur ce point, il y a lieu, par adoption des motifs exposés aux points 45 à 46 du jugement attaqué, de confirmer les deux sommes de 1 091 euros mises à la charge du CH de Dieppe au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion due à la Carpimko et à la CPAM de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime. A ce titre, dès lors que le présent arrêt ne réforme pas le montant qui lui été octroyé en première instance au titre de ses débours, la CPAM de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime n'est pas fondée à solliciter que le montant maximum de l'indemnité forfaitaire qui lui a été accordée à la date du jugement soit porté au plafond applicable à la date de l'arrêt. Ses conclusions à cette fin doivent dès lors être rejetées.

Sur les frais d'expertise :

19. Les frais de l'expertise, ordonnée par la cour dans son arrêt susvisé du 19 octobre 2021, ont été taxés et liquidés à la somme de 1400 euros TTC par ordonnance du 27 avril 2024 de la présidente de la Cour. Ces frais sont mis définitivement à la charge du CH de Dieppe.

Sur les frais liés au litige :

20. Il y a lieu de mettre à la charge du CH de Dieppe une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par les consorts E... dans les deux instances et non compris dans les dépens. En revanche, il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions de la Carpimko et de la CPAM de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime présentées au même titre.

DÉCIDE :

Article 1 : La somme de 11 329,50 euros que le centre hospitalier de Dieppe a été condamné à verser à Mme G... E... en réparation de ses préjudices patrimoniaux en application de l'article 5 du jugement n°1703128 du tribunal administratif de Rouen du 30 janvier 2020 est portée à la somme de 136 443,26 euros.

Article 2 : La somme de 29 789,05 euros que le centre hospitalier de Dieppe a été condamné à verser à la Carpimko en application de l'article 9 du jugement n°1703128 du tribunal administratif de Rouen du 30 janvier 2020 est portée à la somme de 129 749,05 euros.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 30 janvier 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Les frais de l'expertise ordonnée par la cour le 19 octobre 2021, taxés et liquidés à hauteur de 1 400 euros TTC, sont mis à la charge du centre hospitalier de Dieppe

Article 5: Le centre hospitalier de Dieppe versera aux consorts E... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : Le présent jugement sera notifié à Mme G... E..., première dénommée pour l'ensemble des consorts E..., au centre hospitalier de Dieppe, à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime et à la Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes et au Dr B... A..., expert.

Délibéré après l'audience du 10 décembre 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,

- M. Laurent Delahaye, président-assesseur,

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 janvier 2025.

Le président-rapporteur,

Signé : L. DelahayeLe président de chambre,

Signé : B. Chevaldonnet

La greffière,

Signé : A-S. Villette

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

2

N°20DA00563,20DA00578


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20DA00563
Date de la décision : 08/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier.


Composition du Tribunal
Président : Mme Seulin
Rapporteur ?: Mme Aurélie Chauvin
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : LAFORCE;SCP JULIA JEGU;LAFORCE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-08;20da00563 ?
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