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22/01/2025 | FRANCE | N°23DA02186

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 22 janvier 2025, 23DA02186


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... B... C... née E... et M. F... B... C..., agissant en tant que représentants légaux de leur fils mineur, G... B... C..., et en leur nom personnel, ont demandé au tribunal administratif de Lille, à titre principal, de condamner le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Lille à leur verser à titre provisionnel une somme de 300 000 euros à valoir sur l'indemnisation des préjudices subis par leur fils en lien avec les fautes commises à sa naissance par l'ét

ablissement, à l'origine d'une perte de chance de 20 % d'échapper à l'aggravation de s...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... C... née E... et M. F... B... C..., agissant en tant que représentants légaux de leur fils mineur, G... B... C..., et en leur nom personnel, ont demandé au tribunal administratif de Lille, à titre principal, de condamner le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Lille à leur verser à titre provisionnel une somme de 300 000 euros à valoir sur l'indemnisation des préjudices subis par leur fils en lien avec les fautes commises à sa naissance par l'établissement, à l'origine d'une perte de chance de 20 % d'échapper à l'aggravation de son état de santé, ainsi que des sommes de 50 000 euros chacun à valoir sur l'indemnisation de leurs préjudices personnels ou, à titre subsidiaire, d'ordonner un complément d'expertise afin de déterminer l'imputabilité des préjudices ou leur étendue.

Par un jugement n° 2106966 du 27 septembre 2023, le tribunal administratif de Lille a déclaré le CHRU de Lille, à raison des fautes commises lors de la prise en charge du jeune G... B... C..., responsable des dommages subis par celui-ci à hauteur de 20 %. Il a condamné le CHRU de Lille à verser, à titre provisionnel, à M. et Mme B... C... une somme de 101 673,03 euros au titre des préjudices subis par leur fils et des sommes de 2 000 euros chacun au titre de leurs préjudices personnels ainsi qu'une somme de 1 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens. Il a également condamné le CHRU de Lille à verser à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Roubaix-Tourcoing, à laquelle Mohamed-Amine B... C... est affilié, une somme de 90 436,21 euros en remboursement de ses débours, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, une somme de 1 162 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et une somme de 1 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens. Enfin, il a, avant dire droit sur les conclusions indemnitaires définitives de M. et Mme B... C..., ordonné une expertise avec mission pour l'expert, notamment, de déterminer la date de consolidation de l'état de santé de Mohamed-Amine B... C... ou son échéance et les préjudices subis par l'enfant et ses parents postérieurement au 17 avril 2019.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 27 novembre 2023 et les 2 janvier 2024 et 27 mars 2024, le CHRU de Lille, représenté par le cabinet Le Prado - Gilbert, demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter les demandes présentées par M. et Mme B... C... et H... devant le tribunal administratif de Lille.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé au regard des moyens dont le tribunal a été saisi ;

- sa responsabilité n'est pas engagée dès lors qu'aucun retard fautif n'a été commis dans l'administration de l'antibiothérapie ;

- en outre, il n'est pas établi qu'un traitement à dose méningée aurait amélioré le pronostic de l'enfant et diminué ses séquelles ;

- en tout état de cause, cette faute ne saurait à elle-seule être à l'origine d'une perte de chance de 20 % ;

- le délai d'intervention de son service d'aide médicale d'urgence (SAMU) ne présente pas de caractère fautif compte tenu des autres interventions qu'il devait assurer ce jour-là et alors que l'enfant était, dans l'attente, pris en charge par l'hôpital privé de Villeneuve d'Ascq (HPVA) ;

- le SAMU n'était pas davantage tenu de prévenir l'HPVA de son délai prévisionnel d'intervention ;

- le montant des indemnités mises à sa charge doit être ramené à de plus justes proportions ;

- il y a en particulier lieu de déduire les indemnités qui auraient été allouées au même titre par le juge judiciaire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 mars 2024, M. et Mme B... C..., agissant en qualité de représentants légaux de leur fils mineur, G... B... C..., et en leur nom personnel, représentés par Me Zimmermann, concluent au rejet de la requête d'appel du CHRU de Lille et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à sa charge au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- l'infection bactérienne grave contractée in utero par leur enfant a, après sa naissance, été diagnostiquée et prise en charge avec retard, tant par l'hôpital privé de Villeneuve d'Ascq que par le CHRU de Lille ;

- ce retard de prise en charge est à l'origine d'une perte de chance globale de 40 % d'échapper à l'aggravation de l'état de santé de l'enfant, dont la moitié est imputable aux fautes commises par le CHRU de Lille ;

- en effet, le service d'aide médicale d'urgence (SAMU) du CHRU de Lille est arrivé trop tardivement ; aucune hémoculture n'a été réalisée avant la mise en place de l'antibiothérapie ; la ponction lombaire aurait dû être réalisée plus tôt ainsi que l'administration d'une antibiothérapie à dose méningée ;

- l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire résultant de la part de perte de chance imputable au CHRU de Lille ne sera pas inférieure à 33 648 euros, celle des souffrances endurées à 16 000 euros, celle du déficit fonctionnel permanent à 96 000 euros, celle de l'assistance par une tierce personne temporaire à 68 880 euros, celle des pertes de gains professionnels futures et de l'incidence professionnelle à 323 035 euros et celle des frais de logement adapté à 47 520 euros ;

- ils sont, dès lors, fondés à solliciter du CHRU de Lille, au titre de l'indemnisation de la part de perte de chance qui lui est imputable, le versement, à titre provisionnel, d'une somme de 300 000 euros au titre des préjudices de G... B... C... et une somme de 50 000 euros à chacun de ses parents au titre de leurs préjudices personnels ;

- par suite, le jugement avant dire droit attaqué, qui réduit le montant des indemnités provisionnelles sollicitées mais qui ordonne une expertise complémentaire pour actualiser l'évaluation des préjudices, doit être confirmé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 avril 2024, le CPAM de Roubaix-Tourcoing, représentée par Me de Berny, conclut :

1°) au rejet de la requête d'appel du CHRU de Lille ;

2°) à la condamnation du CHRU de Lille à lui verser une somme de 114 886,55 euros au titre du remboursement à hauteur de 20 % des débours engagés jusqu'au 9 janvier 2024, somme à assortir des intérêts légaux et de leur capitalisation ;

3°) à ce qu'il soit sursis à la liquidation définitive des préjudices jusqu'à la majorité de G... B... C... et à la consolidation de son état de santé ;

4°) à la condamnation du CHRU de Lille à lui verser une somme de 1 191 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

5°) à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge du CHRU de Lille au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité du CHRU de Lille est engagée à raison des fautes commises, tant par son SAMU que par ses services de soins, lors de la prise en charge du jeune G... B... C... ;

- en particulier, l'organisation de son SAMU est fautive dès lors qu'il ne dispose que d'une seule ambulance pour les urgences pédiatriques alors que son ressort d'intervention comprend plusieurs centaines de milliers d'habitants ;

- ses débours provisoires s'élèvent, à la date du 9 janvier 2024, à 574 432,75 euros ; elle est donc fondée à en demander le remboursement au CHRU de Lille à hauteur de la perte de chance qui lui est imputable, c'est-à-dire 20 %, soit une somme de 114 886,55 euros.

Par lettre du 18 décembre 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité de la majoration des conclusions I... qui est constitutive d'une demande nouvelle en appel.

Des observations ont été enregistrées pour le CHRU de Lille le 20 décembre 2024.

Des observations ont été enregistrées pour H... les 23 et 27 décembre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Toutias, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Regnier, rapporteure publique,

- les observations de Me Demailly, représentant le CHRU de Lille,

- et les observations de Me Zimmermann, représentant M. et Mme B... C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... B... C..., née le 15 octobre 1984, a donné naissance à son fils, G... B... C..., le 16 novembre 2012 à 11h48 à l'hôpital privé de Villeneuve d'Ascq (HPVA). L'enfant étant né gris, hypotonique et sans mouvement respiratoire et l'évolution de son état de santé n'étant pas satisfaisante, la pédiatre libérale de l'établissement a fait procéder à son transfert vers le service de réanimation néonatale du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Lille où a été diagnostiquée une méningite liée à une infection materno-fœtale précoce. Au terme de la prise en charge, la mère et l'enfant ont été admis à rejoindre leur domicile le 7 décembre 2012. Au cours de sa croissance, G... B... C... a présenté d'importants retards psychomoteurs. Une IRM cérébrale réalisé le 30 mai 2014 a mis en évidence une leucomalacie périventriculaire avec séquelles motrices et cognitives. En 2018, le service de neuropédiatrie du CHRU de Lille a posé le diagnostic de paralysie cérébrale à type de diplégie spastique en rapport avec un choc vasoplégique lors de la méningite présentée à la naissance.

2. Souhaitant faire la lumière sur les conditions de prise en charge de leur fils, A... et Mme B... C... ont saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) le 26 novembre 2018, qui a sollicité une expertise médicale, dont le rapport a été rendu le 17 avril 2019. Le 10 juillet 2019, la CRCI a estimé que la réparation incombait aux assureurs de la pédiatre libérale ayant assuré le suivi de l'accouchement à l'HPVA et du CHRU de Lille au titre des fautes commises par ces derniers, à l'origine d'une perte de chance de 40 % d'échapper aux séquelles conservées, dont 20 % sont imputables à la pédiatre libérale et 20 % au CHRU de Lille. Les assureurs ayant refusé de leur adresser des offres d'indemnisation, M. et Mme B... C... ont recherché la responsabilité de la pédiatre libérale de l'HPVA devant le tribunal judiciaire de Lille et celle du CHRU de Lille devant le tribunal administratif de Lille.

3. Par un jugement du 27 septembre 2023, le tribunal administratif de Lille a déclaré le CHRU de Lille, à raison des fautes commises lors de la prise en charge du jeune G... B... C..., responsable des dommages subis par celui-ci à hauteur de 20 %. Il a condamné le CHRU de Lille à verser, à titre provisionnel, à M. et Mme B... C... une somme de 101 673,03 euros au titre des préjudices subis par leur fils et des sommes de 2 000 euros chacun au titre de leurs préjudices personnels. Il l'a également condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Roubaix-Tourcoing, à laquelle G... B... C... est affilié, une somme de 90 436,21 euros en remboursement de ses débours. Enfin, il a, avant dire droit sur les conclusions indemnitaires définitives de M. et Mme B... C..., ordonné une expertise avec mission pour l'expert, notamment, de déterminer la date de consolidation de l'état de santé de G... B... C... ou son échéance et les préjudices subis par l'enfant et ses parents postérieurement à la précédente expertise du 17 avril 2019.

4. Le CHRU de Lille, contestant le principe même de sa responsabilité sur lequel le tribunal administratif de Lille a statué définitivement, relève appel de ce jugement et demande à la cour de l'annuler et de rejeter l'ensemble des conclusions présentées devant le tribunal administratif de Lille par M. et Mme B... C... et H.... En défense, M. et Mme B... C... concluent au rejet de la requête d'appel du CHRU de Lille, sans former appel incident contre le jugement. H..., quant à elle, conclut également au rejet de la requête d'appel du CHRU de Lille et demande en outre à la cour, par la voie de l'appel incident et suite à l'actualisation de ses débours à la date du 9 janvier 2024, de porter le montant de la condamnation prononcée en sa faveur par le jugement attaqué de 90 436,21 euros à 114 886,55 euros.

Sur la recevabilité des conclusions d'appel incident I... :

5. Il résulte de l'instruction que M. et Mme B... C... ont saisi le tribunal administratif de Lille d'une requête tendant à la condamnation du CHRU de Lille à leur verser des indemnités provisionnelles à valoir sur l'indemnisation des préjudices résultant des fautes que cet établissement a commis lors de la prise en charge de leur fils, G... B... C..., le 16 novembre 2012. Ainsi qu'il était tenu de le faire en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, le tribunal administratif de Lille a appelé dans la cause H..., à laquelle Mme B... C... et son fils sont affiliés. Dans le cadre de cette instance, celle-ci a alors présenté des conclusions tendant à la condamnation du CHRU de Lille à lui rembourser une somme de 90 995,13 euros correspondant à 20 % de ses débours provisoires arrêtés au 25 juillet 2022. Compte tenu du caractère principalement provisionnel conféré par M. et Mme B... C... ainsi que par H... à leurs demandes, le tribunal administratif de Lille doit être regardé comme ayant statué uniquement sur le remboursement des débours exposés par H... antérieurement au 25 juillet 2022. Son jugement du 27 septembre 2023, qui ordonne une expertise complémentaire avant dire droit sur les conclusions indemnitaires définitives de M. et Mme B... C..., n'a, dès lors, ni pour objet ni pour effet de priver H... de la possibilité de présenter, dans le cadre de la reprise d'instance qui s'ouvrira après le dépôt du rapport d'expertise médicale, des conclusions relatives aux débours engagés postérieurement à sa précédente demande. Il s'ensuit que la majoration de ses conclusions dans le cadre de la présente instance d'appel, dès lors qu'elle correspond aux débours qu'elle aurait exposés postérieurement au relevé provisoire du 25 juillet 2022, constitue une demande nouvelle, irrecevable en appel. Il y a, dès lors, lieu pour la cour de statuer sur ses conclusions d'appel incident uniquement en tant qu'elles tendent à la majoration de la condamnation prononcée en sa faveur par le jugement attaqué au titre du remboursement de ses débours antérieurs au 25 juillet 2022 et dans la limite de la somme de 90 995,13 euros qu'elle demandait en première instance.

Sur la régularité du jugement attaqué :

6. Le moyen tiré de ce que les premiers juges n'auraient pas répondu à l'ensemble des moyens dont le CHRU de Lille les avait saisis, brièvement énoncé par l'établissement dans son mémoire sommaire introductif d'instance et non repris ni développé par la suite, n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant à la cour d'en apprécier le bien-fondé. En tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal administratif de Lille aurait omis de répondre aux moyens du CHRU de Lille. Dès lors, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué est irrégulier pour ce motif doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité du CHRU de Lille :

S'agissant des fautes invoquées :

7. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / (...) ".

8. En premier lieu, il résulte des attestations des deux responsables du SAMU du Nord que ce service compte une seule équipe dédiée aux urgences pédiatriques et que, le jour des faits litigieux, elle a également été appelée pour deux autres situations. Celles-ci présentaient un caractère prioritaire dès lors qu'elles portaient sur des situations de détresse à domicile et que le jeune G... B... C... était, pour sa part, pris en charge par une structure hospitalière à même de prendre, dans l'attente, toutes les mesures médicales que son état imposait. Dans ces conditions, le délai d'environ une heure et demie mis par le SAMU pour intervenir auprès du jeune G... B... C... sur demande de l'HPVA ne peut être regardé comme présentant par lui-même un caractère fautif et comme ayant été à l'origine d'un retard préjudiciable à sa prise en charge.

9. En deuxième lieu, si H... soutient pour la première fois en appel que le CHRU de Lille, en tant qu'autorité organisatrice et gestionnaire du SAMU, a commis une faute dans l'organisation de ce service, elle n'apporte aucun élément et ne démontre pas que le dimensionnement de celui-ci serait contraire aux normes applicables ou insuffisant au regard du bassin de population desservi.

10. En troisième lieu, si le personnel du SAMU, lorsqu'il a pris en charge le jeune G... B... C..., a, compte tenu de ses symptômes évocateurs d'une infection materno-fœtale précoce, immédiatement procédé à des injections d'antibiotiques sans avoir réalisé au préalable une hémoculture, il résulte des recommandations de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation de la santé (ANAES) en vigueur à la date des faits litigieux, d'une part, que cet examen ne doit être réalisé au préalable que si cela est possible et, d'autre part, que l'administration du traitement à un nouveau-né symptomatique est en tout état de cause toujours une urgence. En outre, si cette hémoculture avait été réalisée, il ne résulte pas de l'instruction que ses résultats auraient permis d'exercer une incidence sur la prise en charge dès lors qu'un délai compris entre 48 heures et 5 jours est nécessaire avant d'en obtenir les résultats et que, dans le cas de G... B... C..., l'infection a été stabilisée avant cette échéance. Il en résulte que le défaut de réalisation d'une hémoculture par le SAMU ne peut ni être regardé comme fautif ni comme ayant fait perdre à l'enfant une chance de bénéficier d'un traitement plus adapté.

11. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction qu'une ponction lombaire occasionne des traumatismes dans près de 23 % des cas et ne donne des résultats interprétables que dans seulement 37 % des cas. Dans ces conditions, et alors en particulier que l'état de santé de G... B... C... n'était pas stabilisé lorsqu'il a été admis au CHRU de Lille, le délai mis par celui-ci pour réaliser cet acte ne présente, par lui-même, pas un caractère fautif.

12. En cinquième lieu, il résulte de l'instruction que G... B... C... présentait, à sa naissance et lors de son admission au CHRU de Lille, de nombreux signes évocateurs d'une infection materno-fœtale précoce, et notamment d'une méningite. En particulier, sa naissance a été marquée par une prématurité spontanée inexpliquée, un liquide amniotique méconial, un enfant d'aspect gris et des difficultés respiratoires. En outre, les examens biologiques réalisées à son admission au CHRU ont mis en évidence une hyperfibrinémie qui, dans ce contexte, aurait dû alerter sur le risque infectieux. Alors que ce risque avait été pris en compte par le SAMU lors de son intervention, puisque deux antibiotiques ont été injectés pour parer à toute éventualité, les experts ont relevé dans leur rapport du 17 avril 2019 que le diagnostic d'infection materno-fœtale précoce n'a pas été mentionné dans le compte rendu d'admission de l'enfant au CHRU de Lille et qu'il n'a été retrouvé aucune trace d'un examen neurologique. Si le CHRU de Lille produit un rapport critique d'un médecin-conseil mentionnant qu'un troisième antibiotique a été administré à l'enfant, celui-ci ne l'a été qu'aux alentours de 19h, soit près de quatre heures après son admission. Contrairement à ce que soutient le CHRU de Lille, se fondant sur le même rapport critique de son médecin-conseil, il ne résulte pas de l'instruction que le traitement antibiotique ainsi administré au début de la prise en charge avait un effet thérapeutique suffisant alors que l'état de l'enfant a continué à se dégrader et ne s'est amélioré qu'après que l'antibiothérapie eut été passée à doses méningées à 4h00 du matin le 17 novembre 2012. Dans ces conditions, en s'abstenant d'administrer des antibiotiques à doses méningées dès le début de la prise en charge et en attendant plus de seize heures après la naissance de l'enfant pour le faire, le CHRU de Lille doit être regardé comme ayant méconnu les règles de l'art.

S'agissant de l'étendue des conséquences dommageables et de l'obligation de réparation :

13. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

14. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 17 avril 2019, que le processus inflammatoire présenté par G... B... C... à sa naissance était particulièrement intense. Une telle affection, même prise en charge dans les règles de l'art, peut entraîner des séquelles neurologiques graves. Le rapport critique du médecin-conseil du CHRU de Lille produit dans le cadre de la présente procédure d'appel mentionne même que la mortalité des infections néonatales bactériennes précoces est de l'ordre de 20 % chez les prématurés et de 26 % dans le cas des méningites. En revanche, il résulte également des données de la science médicale qu'une prise en charge précoce d'un tel syndrome infectieux est de nature à améliorer le pronostic et à réduire les risques de conserver des séquelles ou la gravité de celles-ci. Dans le cas de G... Ait-Hassi, l'administration de l'antibiothérapie à doses méningées a immédiatement permis de maîtriser et juguler l'infection. Il s'ensuit que, dès lors que la faute commise par le CHRU de Lille a eu pour effet de retarder l'administration de ce traitement jusqu'à la seizième heure de vie de l'enfant, l'établissement doit être regardé comme ayant fait perdre à G... Ait-Hassi une chance d'échapper aux séquelles conservées. Dans ces circonstances, et compte tenu en particulier de l'ampleur du retard de prise en charge, il y a lieu d'évaluer cette perte de chance imputable au CHRU de Lille, à l'instar des experts et des premiers juges, à 20 %. C'est donc dans cette seule proportion que le CHRU de Lille doit être condamné à indemniser les préjudices du jeune G... B... C... et ceux de ses parents.

En ce qui concerne les provisions demandées par M. et Mme B... C... :

15. Le juge du fond peut accorder une provision au créancier qui l'a saisi d'une demande indemnitaire lorsqu'il constate qu'un agissement de l'administration a été à l'origine d'un préjudice et que, dans l'attente des résultats d'une expertise permettant de déterminer l'ampleur de celui-ci, il est en mesure de fixer un montant provisionnel dont il peut anticiper qu'il restera inférieur au montant total qui sera ultérieurement défini.

16. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 17 avril 2019, que G... B... C..., dont l'état de santé est évolutif et ne sera pas consolidé avant l'âge adulte, a au moins subi, à raison des séquelles cérébrales qu'il a conservées, un déficit fonctionnel temporaire que les experts ont coté à 80 % depuis sa naissance et qui devra faire l'objet d'une réévaluation entre 10 et 12 ans, des souffrances endurées cotées 5,5 sur échelle de 1 à 7 et un préjudice esthétique coté 3,5 sur une échelle de 1 à 7. En outre, ses déficiences psychomotrices l'ont exposé à des frais d'acquisition de différents appareillages occasionnant des dépenses de santé non prises en charge par les tiers payeurs et à un besoin d'assistance par une tierce personne que les experts ont évalué à deux heures par jour au cours de la première année de vie, trois heures par jour au cours des trois années suivantes puis six heures par jours au-delà. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que G... B... C... puisse espérer une récupération totale mais qu'il conservera un déficit fonctionnel permanent important. Compte tenu de l'étendue de l'obligation de réparation qui incombe au CHRU de Lille du fait de la perte de chance dont il est responsable, il y a lieu, à l'instar des premiers juges, de le condamner à verser à titre provisionnel à M. et Mme B... C..., en qualité de représentants légaux de leur fils mineur, G... B... C..., une somme de 101 673,03 euros.

17. En second lieu, il résulte de l'instruction que M. et Mme B... C... ont au moins subi, à raison des séquelles conservées par leur fils et du fait des répercussions que leur prise en charge a eues sur leurs conditions d'existence, un préjudice moral. Ils ont en outre été exposés à des frais de déplacement pour accompagner leur fils à ses nombreux rendez-vous médicaux et paramédicaux. Compte tenu de l'étendue de l'obligation de réparation qui incombe au CHRU de Lille du fait de la perte de chance dont il est responsable, il y a lieu de le condamner à verser à titre provisionnel à M. et Mme B... C..., au titre de leurs préjudices personnels, une somme de 2 000 euros chacun.

18. Enfin, si le tribunal judiciaire de Lille, par un jugement du 28 février 2023, a déjà condamné la pédiatre libérale ayant assuré le suivi de l'accouchement de Mme B... C... à l'HPVA à verser à cette dernière et à son époux une provision de 150 000 euros au titre des préjudices de leur fils et des sommes de 2 000 euros chacun d'eux au titre de leurs préjudices personnels, il ne résulte pas de l'instruction, à supposer même que les fautes commises par le CHRU de Lille et par la pédiatre libérale puissent être regardées comme portant chacune en elles le dommage, que le cumul de ces provisions et des sommes citées au deux points dépasse le montant des indemnités définitives qui seront ultérieurement définies.

En ce qui concerne les débours I... antérieurs au 25 juillet 2022 :

19. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu pour la cour, par adoption des motifs exposés au point 28 du jugement attaqué, de confirmer le remboursement de 90 436,21 euros que les premiers juges ont mis à la charge du CHRU de Lille au titre des débours exposés par H... pour le compte de G... B... C... antérieurement au 25 juillet 2022.

20. Il résulte de tout ce qui précède que le CHRU de Lille n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille l'a déclaré responsable des dommages subis par G... B... C... et ses parents à hauteur de 20 %, qu'il l'a condamné à verser, à titre provisionnel, à M. et Mme B... C... une somme de 101 673,03 euros au titre des préjudices subis par leur fils et des sommes de 2 000 euros chacun au titre de leurs préjudices personnels et qu'il l'a également condamné à verser à H... une somme de 90 436,21 euros en remboursement de ses débours antérieurs au 25 juillet 2022. Sa requête d'appel doit, dès lors, être rejetée. Quant à H..., elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le même jugement, le tribunal administratif de Lille a limité la condamnation du CHRU de Lille au titre de ses débours à la somme précitée. Ses conclusions tendant à la majoration de cette somme doivent, dès lors, être rejetées ainsi que, par voie de conséquences, celles relatives aux intérêts légaux, à leur capitalisation et à l'indemnité forfaitaire de gestion.

Sur les frais liés au litige :

21. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. et Mme B... C... et I... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du CHRU de Lille est rejeté.

Article 2 : Les conclusions de M. et Mme B... C... et I... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier régional universitaire de Lille, à Mme D... B... C... née E..., à M. F... B... C... et à la caisse primaire d'assurance maladie de Roubaix-Tourcoing.

Délibéré après l'audience publique du 7 janvier 2025 à laquelle siégeaient :

- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,

- M. Laurent Delahaye, président-assesseur,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 janvier 2025.

Le rapporteur,

Signé : G. ToutiasLe président de chambre,

Signé : B. Chevaldonnet

La greffière,

Signé : A.-S. Villette

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

2

N°23DA02186


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA02186
Date de la décision : 22/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Chevaldonnet
Rapporteur ?: M. Guillaume Toutias
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : ZIMMERMANN

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-22;23da02186 ?
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