Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler l'arrêté du 25 juin 2021 par lequel le président du département de la Seine-Maritime a refusé de reconnaître l'accident du 5 février 2020 imputable au service, ensemble la décision de rejet de son recours gracieux du 29 septembre 2021, d'autre part, d'enjoindre au département de la Seine-Maritime de prendre en charge cet accident comme un accident de service.
Par un jugement n° 2104035 du 9 mai 2023, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 5 juillet 2023, 27 novembre 2023 et 22 janvier 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, Mme B..., représentée par la SCP Cherrier-Bodineau, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 9 mai 2023 du tribunal administratif de Rouen ;
2°) d'annuler l'arrêté du 25 juin 2021 par lequel le président du département de la Seine-Maritime a refusé de reconnaître imputable au service l'accident dont elle a été victime le 5 février 2020, ensemble la décision de rejet de son recours gracieux ;
3°) d'enjoindre au département de la Seine-Maritime de prendre en charge son accident du 5 février 2020 comme un accident de service ;
4°) de mettre à la charge du département de la Seine-Maritime la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.
Elle soutient que :
- elle a été privée d'une garantie dès lors que le tribunal a procédé à une substitution de motifs ;
- la présence au sein de la commission de réforme d'un médecin spécialiste de la pathologie dont est atteint l'agent constitue une garantie pour celui-ci ; en l'absence parmi ses membres d'un médecin spécialiste de l'affection dont elle souffre, à savoir un médecin psychiatre, la commission de réforme du 3 juin 2021 était irrégulièrement composée ;
- l'avis de la commission de réforme est insuffisamment motivé ;
- l'arrêté du 25 juin 2021 est entaché d'une erreur d'appréciation ainsi que d'une erreur de droit dès lors que son accident, qui est intervenu dans le temps et le lieu du service, est bien imputable au service ainsi qu'il a été retenu par les médecins.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 novembre 2023 et 8 janvier 2024, le département de la Seine-Maritime, représenté par Me Magnaval, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- et les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., recrutée par le département de la Seine-Maritime en qualité d'assistante socio-éducative le 1er juillet 2003, exerce les fonctions d'assistante sociale au sein du centre médico-social de Déville-Lès-Rouen depuis le 1er juillet 2017. Le 14 février 2020, elle a effectué une déclaration d'accident du travail auprès du président du département de la Seine-Maritime à raison de faits survenus le 5 février 2020. Par un arrêté du 25 août 2020, elle a été placée, à titre provisoire, en congé pour invalidité temporaire imputable au service à compter du 5 février 2020. L'intéressée a fait l'objet d'une expertise par un médecin agréé le 21 septembre 2020. Lors de sa séance du 18 février 2021, la commission de réforme a sursis à statuer et sollicité la réalisation d'une nouvelle expertise. L'agente a fait l'objet d'une seconde expertise par un médecin agréé le 29 mars 2021. La commission de réforme a de nouveau examiné sa demande lors d'une séance s'étant tenue le 3 juin 2021 à l'issue de laquelle elle a émis un avis défavorable à la reconnaissance de l'imputabilité au service de l'accident déclaré le 14 février 2020. Le président du département de la Seine-Maritime, par un arrêté du 25 juin 2021, a refusé de reconnaître l'accident déclaré par Mme B... comme imputable au service. Par un recours gracieux du 27 juillet 2021, Mme B... a demandé le réexamen de sa situation et la reconnaissance de l'imputabilité au service de son accident. Son recours ayant été expressément rejeté le 29 septembre suivant par le président du département, Mme B... a saisi le tribunal administratif de Rouen d'un recours en excès de pouvoir contre ces décisions. Elle relève appel du jugement du 9 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. Il résulte des termes mêmes du jugement attaqué, et notamment de son point 7, que le tribunal, après avoir relevé que la circonstance invoquée dans la décision du 25 juin 2021 selon laquelle le lien direct entre l'accident du 5 février 2020 et la pathologie que Mme B... a développée n'était pas établi, ne pouvait pas, à elle seule, justifier le refus en litige, a procédé à une substitution de motifs au regard des éléments figurant dans le mémoire en défense du département de la Seine-Maritime du 27 janvier 2022, lequel invoquait un autre motif tiré de ce que l'événement en cause ne pouvait, eu égard aux conditions dans lesquelles il s'est déroulé, être qualifié d'accident. Il est constant que ce mémoire a été communiqué à Mme B..., qui a pu y répliquer par un mémoire en date du 1er février 2022 et faire ainsi part de ses observations en retour. Dans ces conditions, et alors au demeurant que l'appelante n'apporte aucune précision sur la nature des garanties dont elle aurait ainsi été privée, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 16 de l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière : " La commission de réforme doit être saisie de tous témoignages, rapports et constatations propres à éclairer son avis. Elle peut faire procéder à toutes mesures d'instructions, enquêtes et expertises qu'elle estime nécessaires. Dix jours au moins avant la réunion de la commission, le fonctionnaire est invité à prendre connaissance, personnellement ou par l'intermédiaire de son représentant, de son dossier, dont la partie médicale peut lui être communiquée, sur sa demande, ou par l'intermédiaire d'un médecin ; il peut présenter des observations écrites et fournir des certificats médicaux. La commission entend le fonctionnaire, qui peut se faire assister d'un médecin de son choix. Il peut aussi se faire assister par un conseiller ". En vertu des dispositions de l'article 3 du même arrêté, la commission de réforme comprend " 1. Deux praticiens de médecine générale, auxquels est adjoint, s'il y a lieu, pour l'examen des cas relevant de sa compétence, un médecin spécialiste qui participe aux débats mais ne prend pas part aux votes (...) ".
4. Il résulte des dispositions citées au point précédent que, dans le cas où il est manifeste, eu égard aux éléments dont dispose la commission de réforme, que la présence d'un médecin spécialiste de la pathologie invoquée par un agent est nécessaire pour éclairer l'examen de son cas, l'absence d'un tel spécialiste est susceptible de priver l'intéressé d'une garantie et d'entacher ainsi la procédure devant la commission d'une irrégularité justifiant l'annulation de la décision attaquée.
5. Il ressort des pièces du dossier que la commission de réforme a émis, le 3 juin 2021, un avis sur la demande d'imputabilité au service de l'accident du 5 février 2020 présentée par Mme B..., souffrant d'un syndrome anxiodépressif réactionnel, sans s'adjoindre un médecin spécialiste de cette pathologie. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'attestation du président du conseil médical en date du 13 décembre 2023, que la commission de réforme disposait, en plus de la déclaration d'accident établie par l'agent le 14 février 2020 et de l'ensemble des avis d'arrêt de travail et de soins, de deux expertises circonstanciées établies par des médecins psychiatres les 21 septembre 2020 et 29 mars 2021, cette dernière ayant d'ailleurs été sollicitée à l'initiative de la commission de réforme qui, lors de sa séance du 18 février 2021, a sursis à statuer sur la demande présentée par l'intéressée. Dans ces conditions, compte tenu de l'ensemble des informations dont disposait la commission sur l'état de santé de Mme B... ainsi que sur les circonstances de sa demande, le vice de procédure tiré de l'absence d'un médecin spécialiste n'est pas de nature, dans les circonstances de l'espèce, à l'avoir privée d'une garantie, ni à avoir exercé une influence sur le sens de la décision prise. Le moyen tiré de ce que la décision attaquée est entachée d'illégalité en raison de l'irrégularité de la composition de la commission réforme doit, dès lors, être écarté.
6. En second lieu, Mme B... réitère en appel, sans l'assortir d'éléments nouveaux, son moyen tiré du défaut de motivation de l'avis de la commission de réforme. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges aux points 4 et 5 du jugement attaqué.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 21 bis I et II de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " I. Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service, à un accident de trajet ou à une maladie contractée en service définis aux II, III et IV du présent article (...) II. Est présumé imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu'en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l'accident du service ".
8. Un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet événement du service, le caractère d'un accident de service. Il appartient dans tous les cas au juge administratif, saisi d'une décision de l'autorité administrative compétente refusant de reconnaître l'imputabilité au service d'un tel événement, de se prononcer au vu des circonstances de l'espèce. Doit être regardé comme un accident un événement précisément déterminé et daté, caractérisé par sa violence et sa soudaineté, à l'origine de lésions ou d'affections physiques ou psychologiques qui ne trouvent pas leur origine dans des phénomènes à action lente ou répétée auxquels on ne saurait assigner une origine et une date certaines.
9. Mme B... soutient avoir subi, le 5 février 2020, alors qu'elle se trouvait en salle de convivialité, une agression verbale de la part de deux collègues de travail, à l'origine d'un choc émotionnel. L'intéressée, à qui a été délivré le 7 février 2020 un arrêt de travail pour des " angoisses, pleurs, troubles du sommeil, tendance à se sentir coupable rendant difficile le retour au travail " causés par cette agression, a détaillé les circonstances de l'altercation dans sa déclaration d'accident de service du 14 février 2020. Selon les termes de cette déclaration, Mme B... a été prise à partie verbalement, devant quatre témoins, par deux collègues qui l'ont vivement interrompue alors qu'elle exprimait son souhait de maintenir la réunion hebdomadaire entre les assistantes sociales et les secrétaires du service, laquelle ne s'était pas tenue le 3 février 2020. L'une des deux collègues se serait notamment adressée à elle dans les termes suivants : " Tu recommences avec ça. Tu bloques là-dessus. Tu ne comprends rien ". A la suite de cet événement, la responsable du groupement des centres médico-sociaux de la Vallée du Cailly a souhaité organiser une réunion avec les agents concernés dès le 6 février suivant, échange que Mme B... a préféré différer eu égard à son état émotionnel.
10. Ainsi que l'a pertinemment relevé le tribunal, le motif retenu dans la décision du 25 juin 2021 tiré de l'absence de lien direct entre l'accident du 5 février 2020 et les lésions constatées ne pouvait, à lui seul, justifier le refus litigieux. Toutefois, au regard de la substitution de motif à laquelle il a été régulièrement procédé, ainsi qu'il a été dit au point 2, il ne ressort pas des pièces du dossier que les conditions dans lesquelles s'est déroulé cet échange, telles qu'elles sont relatées par Mme B... dans sa déclaration du 14 février 2020 et par la directrice de l'unité territoriale d'action sociale de Rouen dans la note de service du 17 juin 2020, permettraient de considérer que le comportement adopté par les deux collègues mises en cause aurait constitué, à lui seul, un événement traumatisant en dépit du caractère inadapté de certains des propos employés afin d'exprimer ce désaccord professionnel. A cet égard, hormis la seule déclaration de l'intéressée, aucun élément, notamment aucun témoignage, ne vient corroborer la nature et la portée des propos alors échangés. Par ailleurs, il ressort des termes du certificat médical initial établi le 7 février 2020 descriptif de son anxiété que celui-ci a été établi par le médecin traitant de Mme B... sur le fondement de ces seules déclarations et de son propre ressenti des événements. Alors même que les deux expertises médicales émanant de médecins agréés concluent à l'imputabilité au service de son épisode dépressif réactionnel et que l'intéressée justifie d'une attestation de son médecin traitant du 19 février 2021 mentionnant que son état de santé ne lui permet aucun contact avec son lieu de travail antérieur, ces circonstances ne peuvent être regardées comme caractérisant un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service, quels que soient les effets qu'il a pu produire sur l'agent. Dans ces conditions, le département de la Seine-Maritime était fondé à faire valoir, dans le cadre de la substitution de motif précitée, que l'événement déclaré par l'intéressée ne pouvait être regardé comme présentant le caractère d'un accident de service au sens des dispositions précitées de l'article 21 bis précité de la loi du 13 juillet 1983. Dès lors que le département aurait pris la même décision de refus s'il s'était fondé sur ce motif, c'est donc à bon droit que les premiers juges ont procédé à cette substitution et ont, par suite, écarté les moyens tirés de l'existence d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses conclusions à fin d'annulation des décisions attaquées. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent également être rejetées.
Sur les conclusions relatives aux frais d'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de la Seine-Maritime, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande Mme B... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... une somme de 1 000 euros à verser au département de la Seine-Maritime au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. L'instance n'ayant entraîné aucun dépens, les conclusions présentées par Mme B... au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent enfin qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Mme B... versera au département de la Seine-Maritime la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au département de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 28 janvier 2025 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 février 2025.
Le président-assesseur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,
présidente-rapporteure,
Signé : M.-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Maritime en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière,
C. Huls-Carlier
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N°23DA01297