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02/04/2025 | FRANCE | N°21DA02161

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 02 avril 2025, 21DA02161


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Par une première requête enregistrée au greffe du tribunal administratif de Lille sous n°1811813, la SAS Partouche immobilier a demandé au tribunal administratif de Lille :



1°) à titre principal, d'annuler la délibération du conseil municipal de Boulogne-sur-Mer du 28 juin 2018 portant résiliation de la convention d'occupation temporaire du domaine public, qui lui a été accordée le 19 décembre 2008, ainsi que la décision du maire de la commune du 2

4 juillet 2018 l'informant de cette résiliation, d'annuler la décision du 18 octobre 2018 par laquell...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première requête enregistrée au greffe du tribunal administratif de Lille sous n°1811813, la SAS Partouche immobilier a demandé au tribunal administratif de Lille :

1°) à titre principal, d'annuler la délibération du conseil municipal de Boulogne-sur-Mer du 28 juin 2018 portant résiliation de la convention d'occupation temporaire du domaine public, qui lui a été accordée le 19 décembre 2008, ainsi que la décision du maire de la commune du 24 juillet 2018 l'informant de cette résiliation, d'annuler la décision du 18 octobre 2018 par laquelle le maire de Boulogne-sur-Mer a rejeté sa demande de retrait de la décision du 24 juillet 2018 et de la délibération du 28 juin 2018, d'ordonner la reprise des relations contractuelles et de condamner la commune de Boulogne-sur-Mer à lui verser la somme de 595 577 euros par an, à parfaire, de la date de résiliation à la date de reprise des relations contractuelles ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner la commune de Boulogne-sur-Mer à lui verser la somme de 9 123 441,35 euros, au titre de son préjudice économique résultant de cette résiliation, assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 juin 2019 et de leur capitalisation.

Par une seconde requête enregistrée au greffe du tribunal administratif de Lille sous le n°1903501, la SAS Partouche immobilier a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la commune de Boulogne-sur-Mer à lui verser la somme de 12 446 775,40 euros, à parfaire, ou à défaut, la somme de 9 123 441,35 euros, au titre de son préjudice économique, assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 juin 2019 et de leur capitalisation ;

Par un jugement n° 1811813-1903501 du 6 juillet 2021, le tribunal administratif de Lille d'une part, a rejeté comme tardives les conclusions de la SAS Partouche immobilier tendant à la contestation de la mesure de résiliation de la convention d'occupation temporaire du domaine public et à la reprise des relations contractuelles, et d'autre part, a condamné la commune de Boulogne-sur-Mer à verser à la SAS Partouche immobilier la somme de 1 983 171 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 juin 2019, eux-mêmes capitalisés à la date du 29 juin 2020 et à chaque échéance annuelle ultérieure et a rejeté le surplus des conclusions indemnitaires.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés respectivement les 7 septembre 2021, 8 octobre 2022, 6 décembre 2022, ainsi qu'un mémoire récapitulatif enregistré le 10 février 2023, la SAS Partouche immobilier, représentée par Me Mazel, demande à la Cour :

1°) de réformer ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner la commune de Boulogne-sur-Mer à lui verser la somme de 2 916 775,35 euros au titre de l'indemnisation de la valeur non amortie des ouvrages, assortie des intérêts moratoires au taux légal à compter du 29 juin 2019 ;

3°) de condamner la commune de Boulogne-sur-Mer à lui verser la somme de 9 727 757 euros au titre de l'indemnisation de son manque à gagner, assortie des intérêts moratoires au taux légal à compter du 29 juin 2019, et en tout état de cause à lui verser la somme de 6 205 400 euros sur la base du loyer que perçoit la commune depuis le 30 juin 2019 de la part du nouveau délégataire du casino en contrepartie de l'occupation de l'immeuble construit par elle sur la durée restante de la convention d'occupation du domaine public ;

4°) de décider que les intérêts moratoires échus à la date du 29 juin 2020 seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter de cette même date ;

5) de mettre à la charge de la commune de Boulogne-Sur-Mer la somme de 12 816 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle ne conteste pas le caractère tardif de sa requête en reprise des relations contractuelles ;

- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors que le tribunal a statué ultra petita et a méconnu son office en retenant l'existence de motifs d'intérêt général justifiant la résiliation et en déterminant sur cette base l'étendue de son préjudice alors que les débats conduits par les parties sur les motifs et la légalité de la résiliation n'ont eu lieu que dans le cadre du recours en reprise des relations contractuelles qui a été jugé irrecevable par le tribunal ;

- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors que le tribunal a commis une erreur d'appréciation dans le calcul de la valeur non amortie des investissements réalisés ;

- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors que le tribunal a commis une erreur de droit sur l'existence du droit à réparation de son manque à gagner ;

- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors que le tribunal a commis une erreur d'appréciation sur la pertinence du motif de résiliation invoqué tiré de la distorsion de concurrence ;

- elle ne conteste pas que la convention en cause a été résiliée pour un motif d'intérêt général ; dans ce cadre, elle a toutefois droit à réparation intégrale de son préjudice ainsi que le prévoit l'article 17 de l'arrêté préfectoral du 3 mai 1999 annexé à la convention d'occupation du 19 décembre 2008 ;

- elle est à ce titre fondée à être indemnisée de la somme de 2 916 775 euros au titre de la valeur non amortie des investissements réalisés, comme en atteste son plan d'amortissement rectifié et certifié, et de la somme de 9 727 757 euros au titre de son manque à gagner ;

- le moyen soulevé en défense tiré de la requalification du casino en bien de retour est irrecevable dès lors qu'il ne vient au soutien d'aucune demande ; il n'est en tout en état de cause pas fondé ;

- les conclusions de la commune aux fins de désignation d'un expert sont inutiles et manifestement dilatoires.

Par des mémoires en défense enregistrés respectivement les 17 juin 2022, 7 novembre 2022, 6 janvier 2023, ainsi qu'un mémoire récapitulatif enregistré le 10 mars 2023, la commune de Boulogne-sur-Mer, représentée par Me Constantini, demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête de la SAS Partouche immobilier ;

2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement en ce qu'il a partiellement fait droit aux conclusions indemnitaires de la SAS Partouche immobilier ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise en vue de déterminer la valeur nette comptable de l'équipement réalisé par la SAS Partouche immobilier ;

4°) de mettre à la charge de la SAS Partouche immobilier la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal n'a pas méconnu son office ;

- il n'a pas commis d'erreur dans l'appréciation de la valeur non amorties des biens, ni dans l'appréciation du droit à réparation du manque à gagner de la SAS Partouche immobilier ;

- le motif de résiliation tiré du risque de distorsion de concurrence est bien caractérisé ;

- le nouveau casino a été réalisé dans le cadre d'une délégation de service public de telle sorte que celui-ci constitue un bien de retour ; en conséquence, seul le délégataire, et non la SAS Partouche immobilier, peut prétendre à l'indemnisation de la valeur nette comptable de l'équipement ;

- si par extraordinaire la cour venait à considérer que le casino n'est pas un bien de retour, l'appelante n'est pas fondée à solliciter le versement de la valeur nette comptable mais uniquement le manque à gagner à hauteur d'un montant dûment justifié ; ces deux chefs de préjudice sont donc alternatifs et non cumulatifs ;

- il ressort d'une analyse réalisée par un expert financier que la valeur comptable alléguée de 2 916 775 euros doit a minima être minorée de 933 604 euros, qu'elle ne saurait en tout état de cause être établie avec certitude et qu'elle porte atteinte au principe comptable de permanence des méthodes ;

- la somme réclamée au titre du manque à gagner, constituée par l'addition des montants bruts des loyers, est surestimée dès lors que le manque à gagner doit être déterminé en fonction non de la marge brute mais au regard du bénéfice net.

La clôture d'instruction a été fixée le 30 mars 2023 par une ordonnance du 13 mars 2023.

Un mémoire produit pour la commune de Boulogne-sur-Mer a été enregistré le 3 mars 2025.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Delahaye, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Regnier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Mazel, avocat de la SAS Partouche immobilier et celles de Me Constantin, avocat de la commune de Boulogne-sur-Mer.

Une note en délibéré présentée pour la SAS Partouche immobilier a été enregistrée le 19 mars 2025.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Boulogne-sur-Mer a conclu le 28 juin 1999 avec la société Numa, filiale du groupe Partouche, un contrat de délégation de service public portant sur l'exploitation du casino de Boulogne-Sur-Mer. Par une convention conclue le 19 décembre 2008 avec la CCI de Boulogne-sur-Mer-Côte d'Opale, alors concessionnaire du domaine public maritime de la région Nord-Pas-de-Calais, la SAS Partouche immobilier, société appartenant au même groupe que la société Numa, a été autorisée à occuper des parcelles d'une surface totale de 3082 mètres carrés, situées place de la République, pour y réaliser un nouvel équipement de loisirs comprenant un casino, un restaurant, et une salle d'animation, jusqu'au 25 octobre 2035, avec effet rétroactif au 15 janvier 2007. La propriété de ces parcelles ayant ensuite été cédée en 2013 par la région Nord-Pas-de Calais à la commune de Boulogne-sur-Mer, cette dernière s'est substituée aux droits et obligations de la CCI dans l'exécution de la convention du 19 décembre 2008. La délégation de service public conclue avec la société Numa arrivant à échéance le 29 juin 2019, à la suite de sa prolongation par avenant, la commune de Boulogne-sur-Mer a lancé une procédure visant à la renouveler. Par une délibération du 28 juin 2018, la commune a décidé de rejeter l'offre présentée par la société Numa, de déclarer infructueuse la procédure de mise en concurrence, d'autoriser le maire à résilier de manière anticipée avec effet au 29 juin 2019 la convention d'occupation du domaine public liant la commune à la SAS Partouche immobilier et de relancer une nouvelle procédure. Par courrier du 24 juillet 2018, le maire de Boulogne-sur-Mer a en conséquence informé la SAS Partouche Immobilier de la résiliation de cette convention à effet au 29 juin 2019. Par un courrier du 28 août 2018, la SAS Partouche Immobilier a sollicité le retrait de cette délibération ainsi que celle de la décision du maire de Boulogne-sur-Mer prise en conséquence. Par un courrier du 18 octobre 2018, le maire a rejeté cette demande. Par un courrier du 20 décembre 2018, la SAS Partouche Immobilier a présenté une réclamation indemnitaire préalable restée sans réponse.

2. Par une première requête enregistrée sous le n°1811813, la SAS Partouche Immobilier a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la délibération du 28 juin 2018, la décision du maire de Boulogne-sur-Mer du 24 juillet suivant et le rejet de son recours gracieux du 18 octobre 2018, d'enjoindre à la commune de reprendre les relations contractuelles, de condamner la commune à lui verser la somme de 595 577 euros par an à parfaire de la date de résiliation à la date de reprise des relations contractuelles, ou à titre subsidiaire de la condamner à lui verser la somme de 12 636 775 euros au titre de son préjudice résultant de la résiliation de la convention d'occupation du domaine public. Par une seconde requête enregistrée sous le n°1903501, la SAS Partouche a également demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la commune à lui verser la somme de 12 636 775 euros ou, a minima, celle de 9 123 441,35 euros au titre de son préjudice résultant de cette résiliation. Par un jugement du 6 juillet 2021 n°1811813-1903501, le tribunal administratif de Lille, d'une part, a rejeté comme tardives les conclusions de la SAS Partouche immobilier tendant à la contestation de cette mesure de résiliation et à la reprise des relations contractuelles, et d'autre part, a condamné la commune de Boulogne-sur-Mer à verser à la SAS Partouche immobilier la somme de 1 983 171 euros correspondant à la valeur non amortie de ses investissements à la date de la résiliation la convention d'occupation du domaine public du 19 décembre 2008. La SAS Partouche, qui ne conteste pas l'irrecevabilité de ses conclusions tendant à la contestation de cette mesure de résiliation et à la reprise des relations contractuelles, relève appel de ce jugement uniquement en tant qu'il n'a pas fait droit à la totalité de ses conclusions indemnitaires. Par la voie de l'appel incident, la commune de Boulogne-sur-Mer demande à la cour d'annuler ce jugement en tant qu'il a partiellement fait droit à la demande indemnitaire de la SAS Partouche immobilier et de rejeter l'ensemble des conclusions présentées par cette dernière à ce titre.

Sur la régularité du jugement :

3. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que les conclusions indemnitaires de la SAS Partouche immobilière tendant à l'indemnisation de son préjudice résultant de la résiliation de la convention d'occupation du domaine public du 19 décembre 2008 à hauteur de la somme totale de 12 636 775 euros ont été présentées non seulement dans sa requête exclusivement indemnitaire enregistrée au greffe du tribunal le 19 avril 2019 sous le n°1903501, mais également, à titre subsidiaire, dans sa requête enregistrée au greffe du tribunal le 21 décembre 2018 sous le n°1811813 dont les conclusions tendaient, à titre principal, à la contestation de cette mesure de résiliation et à la reprise des relations contractuelles. Le tribunal, qui a statué sur les deux requêtes après les avoir jointes, a rejeté comme tardives uniquement les conclusions tendant à la contestation de cette mesure de résiliation et à la reprise des relations contractuelles présentées dans la requête n°1811813. Par suite, la société appelante n'est en tout état de cause pas fondée à soutenir que les premiers juges se seraient fondés pour statuer sur son droit à indemnité sur des moyens en défense qui auraient été exclusivement soulevés par la commune dans l'instance n°1811813 en méconnaissance du principe de neutralité de la jonction des requêtes.

4. En deuxième lieu, contrairement à ce que fait valoir l'appelante, il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal aurait statué ultra petita en accueillant des conclusions dont il n'était pas saisi, ni, au regard de ce qui a été dit au point précédent, qu'il aurait fondé sa solution quant à la détermination du droit à indemnité de la SAS Partouche immobilier sur un moyen qui n'avait pas été invoqué et qui n'était pas d'ordre public.

5. En dernier lieu, eu égard à l'office du juge d'appel, les moyens soulevés par la société requérante et tirés de ce que le tribunal aurait commis une erreur d'appréciation dans le calcul de la valeur non amortie des investissements réalisés, une erreur de droit en ce qui concerne l'existence du droit à réparation de son manque à gagner et une erreur d'appréciation quant à la pertinence du motif de résiliation invoqué tiré de la distorsion de concurrence sont sans incidence sur sa régularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la qualification des biens :

6. En premier lieu, la SAS Partouche immobilier ne peut utilement faire valoir que le moyen invoqué par la commune de Boulogne-sur-Mer à l'appui de ses écritures en défense et tiré de ce que les biens en cause sont constitutifs de biens de retour, serait irrecevable, dès lors qu'il appartient à la cour, le cas échéant d'office, de déterminer le cadre juridique applicable au litige et notamment la nature des biens en cause au regard du contrat conclu.

7. En second lieu, si les jeux de casino ne constituent pas, par eux-mêmes, une activité de service public, les conventions conclues pour leur installation et leur exploitation ont, compte tenu de ce que le cahier des charges impose au cocontractant des obligations relatives notamment à la prise en charge du financement d'infrastructures et de missions d'intérêt général en matière de développement économique, culturel et touristique et que sa rémunération est substantiellement assurée par les résultats de l'exploitation, le caractère d'une délégation de service public ou d'une concession de travaux public.

8. Dans le cadre d'une concession de service public mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l'acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l'ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition à la personne publique. Le contrat peut attribuer au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des ouvrages qui, bien que nécessaires au fonctionnement du service public, ne sont pas établis sur la propriété d'une personne publique, ou des droits réels sur ces biens, sous réserve de comporter les garanties propres à assurer la continuité du service public, notamment la faculté pour la personne publique de s'opposer à la cession, en cours de concession, de ces ouvrages ou des droits détenus par la personne privée.

9. À l'expiration de la convention, les biens qui sont entrés, en application de ces principes, dans la propriété de la personne publique et ont été amortis au cours de l'exécution du contrat font nécessairement retour à celle-ci gratuitement, sous réserve des clauses contractuelles permettant à la personne publique, dans les conditions qu'elles déterminent, de faire reprendre par son cocontractant les biens qui ne seraient plus nécessaires au fonctionnement du service public. Le contrat qui accorde au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des biens nécessaires au service public autres que les ouvrages établis sur la propriété d'une personne publique, ou certains droits réels sur ces biens, ne peut, sous les mêmes réserves, faire obstacle au retour gratuit de ces biens à la personne publique en fin de concession.

10. Il résulte de l'instruction, et notamment des termes de l'article 1 de la convention de délégation de service public du 28 juin 1999, que la société, Numa, filiale du groupe Partouche, s'est vue confier par la commune de Boulogne-Sur-Mer " l'exploitation du casino " de la commune pour une durée de 18 ans. L'article 8 de cette convention relatif aux conditions financières stipule en outre, qu'en accord avec la commune, de nouveaux locaux seront construits et aménagés par le concessionnaire et que celui-ci versera à la collectivité un prélèvement égal à 15 % du produit brut des jeux tant que le casino sera exploité dans les locaux où il est situé actuellement, et qu'à compter de la date d'exploitation des nouveaux locaux, ce prélèvement sera de 10 % jusqu'à 48 millions de francs du produit brut des jeux et de 15 % au-delà de 48 millions de francs " pour tenir compte des investissements nécessités et des frais et pertes sur investissements antérieurs causés par le déménagement de l'activité du concessionnaire ".

11. Il résulte de ces stipulations que la commune de Boulogne-sur-Mer, dans le cadre de la convention de délégation de service public conclue avec la société Numa, a mis à la charge de cette dernière les investissements correspondants à la création des nouveaux locaux du casino. À ce titre, la société Numa s'est vue octroyer le 8 février 2007 une autorisation d'occupation constitutive de droits réels, valable jusqu'au 25 octobre 2035, pour occuper des parcelles d'une surface totale de 3082 mètres carrés, situées place de la République, en vue de la réalisation et l'exploitation d'un équipement de loisirs comprenant un casino, un restaurant et une salle d'animation. Les modalités de réalisation de cet équipement ont été définies par un protocole d'accord conclu le 27 février 2007 entre la société Numa et la société d'économie mixte SAIEM agissant alors en qualité d'aménageur de la commune de Boulogne. Si ces nouveaux locaux, mis en service le 28 mars 2008 et exploités par la société Numa jusqu'au terme du contrat de délégation de service public, ont finalement été construits par une société sœur du délégataire, la SAS Partouche immobilier, bénéficiaire, après transfert à son bénéfice des droits et obligations de la société Numa résultant de la convention du 8 février 2007 et du protocole d'accord du 27 février 2007, d'une autorisation d'occupation temporaire constitutive de droits réels conclue 19 décembre 2008 avec effet rétroactif au 15 janvier 2007, cette convention consentie à l'appelante pour permettre la réalisation de l'investissement à la charge du délégataire n'est pas divisible du contrat de délégation de service public et ne saurait faire obstacle, au regard des principes rappelés aux points 8 et 9, à ce que ces biens immobiliers, nécessaires dans leur ensemble au fonctionnement du service public, soient regardés, dans les circonstances particulières de l'espèce, comme des biens de retour, et en conséquence à ce qu'ils reviennent gratuitement à la commune de Boulogne-sur-Mer à la fin de la concession intervenue le 29 juin 2019.

En ce qui concerne le droit à indemnité de la SAS Partouche immobilier :

12. Lorsque la convention de délégation de service public arrive à son terme normal ou que la personne publique la résilie avant ce terme, le concessionnaire est fondé à demander l'indemnisation du préjudice qu'il subit à raison du retour des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique, lorsqu'ils n'ont pu être totalement amortis, soit en raison d'une durée du contrat inférieure à la durée de l'amortissement de ces biens, soit en raison d'une résiliation à une date antérieure à leur complet amortissement. Lorsque l'amortissement de ces biens a été calculé sur la base d'une durée d'utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan. Dans le cas où leur durée d'utilisation était supérieure à la durée du contrat, l'indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l'amortissement de ces biens sur la durée du contrat. Si, en présence d'une convention conclue entre une personne publique et une personne privée, il est loisible aux parties de déroger à ces principes, l'indemnité mise à la charge de la personne publique au titre de ces biens ne saurait en toute hypothèse excéder le montant calculé selon les modalités précisées ci-dessus.

13. La SAS Partouche immobilier sollicite l'indemnisation du préjudice résultant de la résiliation avec effet au 29 juin 2019 de la convention d'occupation temporaire du domaine public conclue le 19 décembre 2008 jusqu'au 25 octobre 2035, constitué d'une part de la valeur non amortie des investissements réalisés et d'autre part de son manque à gagner sur la durée restant à courir de la convention. Toutefois, les biens en cause constituant, ainsi qu'il a été dit précédemment, des biens de retour, l'indemnité mise à la charge de la commune à ce titre ne saurait en toute hypothèse excéder le montant correspondant à la valeur nette comptable qui résulterait de l'amortissement de ces biens sur la durée du contrat de délégation de service public. Dès lors qu'en l'espèce les droits et obligations de la société Numa, concessionnaire, au titre de la prise en charge des investissements liés à la création de ces nouveaux locaux ont été transférés à sa société sœur, la SAS Partouche immobilier, avec l'accord de la SAEIM agissant pour le compte de la commune de Boulogne, l'appelante est fondée à être indemnisée, en lieu et place du concessionnaire, du montant correspondant à la valeur nette comptable qui résulterait de l'amortissement de ces biens sur la durée du contrat de délégation de service public.

14. Il résulte de l'instruction, et notamment d'un bilan transmis le 26 juillet 2016 à la commune de Boulogne-sur-Mer, que l'appelante a effectivement amorti les biens en cause, dès leur mise en service, selon une durée d'amortissement respective de 20, 15 et 10 pour les constructions, fluides et agencements de construction. En application de ce plan d'amortissement, il est constant que la valeur nette comptable de ces biens se serait en conséquence élevée, à la date de fin du contrat de délégation de service public le 19 juin 2019, à la somme de 1 983 171 euros. Alors que la société requérante a été informée dès le 24 juillet 2018 de la résiliation avec effet au 29 juin 2019 de la convention d'occupation du 19 décembre 2008, elle ne peut utilement se prévaloir de la correction d'une " erreur comptable " réalisée à partir de l'exercice clos le 31 décembre 2018 consistant à rectifier la durée initiale d'amortissement des biens en les portant respectivement à 27, 20 et 15 ans afin de prendre en compte leur durée d'utilisation, et ayant pour effet de porter leur valeur nette comptable à la somme de 2 916 775,35 euros. Par suite, il y a lieu de retenir la valeur nette comptable calculée sur la base du plan d'amortissement initialement défini par la SAS Partouche immobilier et qu'elle ne conteste pas avoir suivi durant l'exécution de la délégation de service public, soit une somme de 1 983 171 euros.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Partouche immobilier n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a limité le montant de la condamnation mise à la charge de la commune de Boulogne-sur-Mer à la somme de 1 983 171 euros. Les conclusions incidentes de la commune de Boulogne-sur-Mer tendant à ce que ce jugement soit annulé en ce qu'il a partiellement fait droit aux conclusions indemnitaires de la SAS Partouche immobilier doivent également rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Boulogne-sur-Mer, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la SAS Partouche immobilier au titre des frais d'instance. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SAS Partouche immobilier une somme de 3 000 euros à verser à la commune sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SAS Partouche immobilier est rejetée.

Article 2 : La SAS Partouche Immobilier versera à la commune de Boulogne-sur-Mer la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la SAS Partouche immobilier et à la commune de Boulogne-Sur-Mer.

Délibéré après l'audience du 11 mars 2025 à laquelle siégeaient :

- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,

- M. Laurent Delahaye, président-assesseur,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 avril 2025.

Le rapporteur,

L. DelahayeLe président de chambre,

B. Chevaldonnet

La greffière,

A-S. Villette

La République mande et ordonne au préfet du Pas-de-Calais en ce qui le concerne en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

2

N°21DA02161


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA02161
Date de la décision : 02/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Chevaldonnet
Rapporteur ?: M. Laurent Delahaye
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : GIDE LOYRETTE NOUEL A.A.R.P.I

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-02;21da02161 ?
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