Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B..., épouse C..., a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 17 mai 2023 en tant que, par cet arrêté, le préfet du Nord a refusé de renouveler son titre de séjour en qualité d'étudiante, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.
Par un jugement n° 2305350 du 23 novembre 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 mars 2024, Mme C..., représentée par Me Dewaele, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 23 novembre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 17 mai 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans cette attente, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- les premiers juges ont commis une erreur de droit et méconnu l'étendue de leur compétence ;
- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé ;
- la décision de refus de séjour n'a pas été précédée d'un examen sérieux de sa situation ;
- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision de refus de séjour ;
- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention précitée ;
- la décision d'interdiction de retour doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation des décisions de refus de séjour et d'éloignement ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions des articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mai 2024, le préfet du Nord, représenté par Me Rannou, conclut au rejet de la requête au motif que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle par une décision du 8 février 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante marocaine née le 21 février 1998, est entrée sur le territoire français le 6 septembre 2018 sous couvert de son passeport revêtu d'un visa de long séjour portant la mention " étudiant ", valable du 4 juillet 2018 au 4 juillet 2019. A l'expiration de son visa, elle a obtenu une carte de séjour pluriannuelle en qualité d'étudiante pour la période du 27 décembre 2019 au 26 décembre 2021. Le 4 juillet 2022, elle a sollicité le renouvellement de son titre de séjour en sa qualité d'étudiante. Par un arrêté du 17 mai 2023, le préfet du Nord a refusé de renouveler le titre de séjour de Mme C..., l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an. Mme C..., qui a saisi le tribunal administratif de Lille de conclusions d'annulation des décisions contenues dans cet arrêté à l'exception de celle fixant le pays de renvoi, relève appel du jugement du 23 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si Mme C... reproche aux premiers juges d'avoir méconnu l'étendue de leur compétence en écartant son moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'erreur de droit ainsi alléguée, qu'il appartient à la cour de rectifier le cas échéant dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, n'a pas pour effet d'entacher d'irrégularité le jugement attaqué. Au demeurant, et contrairement à ce que soutient la requérante, les premiers juges ont seulement entendu, au point 9 de leur jugement, écarter le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation en se référant aux motifs retenus pour écarter le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sans se limiter à un contrôle de l'erreur manifeste pour écarter ce dernier moyen.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la légalité de la décision de refus de séjour :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
4. La décision refusant de renouveler le titre de séjour accordé à Mme C... en qualité d'étudiante vise les dispositions de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est suffisamment motivé en droit. Cette décision mentionne de façon précise les raisons pour lesquelles le préfet du Nord a considéré que la requérante ne justifiait pas du caractère réel et sérieux de ses études, et est donc également motivé de façon suffisante en fait. Si le préfet, examinant de lui-même la situation de Mme C... au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, a indiqué dans son arrêté du 17 mai 2023 que l'intéressée est célibataire et sans lien familial en France alors qu'elle s'est mariée le 16 mars précédent, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait fait part à l'administration de cet évènement. Dans ces conditions, eu égard à la demande dont le préfet du Nord était saisi, tendant seulement au renouvellement du titre de séjour de Mme C... en qualité d'étudiante, la décision lui refusant ce renouvellement, qui mentionne les considérations de droit et de fait en constituant le fondement et la mettant utilement en mesure d'en discuter les motifs, est suffisamment motivée.
5. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit, il ne ressort pas des pièces du dossier et il n'est pas allégué que Mme C... aurait informé le préfet du Nord de son mariage avec un compatriote en situation régulière, survenu huit mois après sa demande de renouvellement de titre de séjour et deux mois avant la décision contestée. Dans ces conditions, alors que le préfet était seulement saisi d'une demande de renouvellement d'un titre de séjour en qualité d'étudiante, il n'est pas établi qu'il aurait omis de procéder à un examen sérieux de la situation de l'appelante.
6. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... s'est mariée avec un compatriote en situation régulière le 16 mars 2023, soit deux mois seulement avant l'intervention de la décision contestée. L'attestation établie par son conjoint à la date du 19 septembre 2021, produite pour la première fois en appel, n'est pas de nature à démontrer qu'elle entretient une vie commune avec son époux depuis cette date. S'il ressort en revanche des quittances de loyer et des factures également produites à l'instance que cette vie commune peut être regardée comme établie depuis mars 2022 au plus tôt, Mme C... ne justifie pas de liens privés d'une particulière intensité sur le territoire français, à l'exception de ceux qu'elle entretient avec son époux. Elle ne justifie pas non plus d'une insertion sociale ou professionnelle particulière en dépit d'une entrée sur le territoire français le 6 septembre 2018, à l'âge de vingt ans, et de plusieurs années d'études ni être dépourvue d'attaches privées et familiales au Maroc, pays dans lequel elle a vécu jusqu'à l'âge de vingt ans et où résident ses parents. En outre, il n'est pas contesté que sa situation de grossesse est postérieure à la décision contestée. Dans ces conditions, alors que, comme il a été dit plus haut, le préfet du Nord était saisi d'une demande de renouvellement de titre de séjour en qualité d'étudiante, il n'a pas porté d'atteinte disproportionnée au droit de la requérante à une vie privée et familiale normale au regard du but poursuivi par une décision de refus de séjour, et n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne la légalité de la décision d'éloignement :
8. En premier lieu, aux termes de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée. / Dans le cas prévu au 3° de l'article L. 611-1, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour (...) ". La décision obligeant Mme C... à quitter le territoire français, qui mentionne les dispositions applicables de l'article L. 611-1 du code précité, n'avait pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour, laquelle est suffisamment motivée en droit et en fait. Le moyen tiré d'une insuffisante motivation de la mesure d'éloignement ne peut donc qu'être écarté.
9. En deuxième lieu, il résulte de ce qui précède que les moyens soulevés à l'encontre de la décision de refus de séjour sont écartés, de sorte que les conclusions de Mme C... tendant à l'annulation de cette décision ne peuvent qu'être rejetées. Elle n'est donc pas fondée à soutenir que la décision d'éloignement doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation du refus de séjour.
10. En dernier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 7 que le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité de la décision d'interdiction de retour :
11. Aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".
12. Pour interdire le retour de Mme C... sur le territoire français et fixer la durée de cette interdiction à un an, le préfet du Nord a notamment relevé que l'intéressée, entrée en France le 6 septembre 2018, n'y justifiait d'aucune attache privée et familiale et qu'elle n'était pas dépourvue de tout lien au Maroc où résident ses parents. Toutefois, ainsi qu'il a été dit plus haut, Mme C... était, à la date de la mesure d'interdiction, mariée à un compatriote en situation régulière dont le préfet ne conteste pas la vocation à demeurer sur le territoire français, compte tenu notamment de sa situation professionnelle. A cet égard, sauf changement de circonstances de droit ou de fait, la requérante peut prétendre à un retour sur le territoire français au titre du regroupement familial. Ainsi que l'a également relevé le préfet, la requérante n'a pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement et ne constitue pas une menace à l'ordre public. Par suite, dans les circonstances de l'espèce, le préfet du Nord a fait une inexacte application des dispositions citées au point précédent en interdisant le retour de Mme C... sur le territoire français pendant un an.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande en tant que, par cette demande, elle a sollicité l'annulation de la décision d'interdiction de retour. Par suite, ses conclusions présentées à fin d'injonction, qui visent à la délivrance d'un titre de séjour ou à un réexamen de sa situation au regard de son droit au séjour, ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais d'instance :
14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme dont Mme C... demande le versement sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille n° 2305350 du 23 novembre 2023 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de Mme C... tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 mai 2023 en tant que, par cet arrêté, le préfet du Nord lui interdit le retour pendant une durée d'un an. L'arrêté du préfet du Nord, du 17 mai 2023 est annulé en tant qu'il interdit le retour de Mme C... sur le territoire français pendant une durée d'un an.
Article 2 : Le surplus des conclusions de Mme C... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., épouse C..., au ministre de l'intérieur et à Me Dewaele.
Copie en sera adressée au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 18 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- Mme Dominique Bureau, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 avril 2025.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,
Signé : M.-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière
C. Huls-Carlier
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N° 24DA00532