Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Comptoir Lyonnais de soudage a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 28 décembre 2012 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a annulé la décision de l'inspectrice du travail du Rhône du 10 juillet 2012 ayant autorisé le licenciement de M.F....
Par un jugement n° 1301396 du 8 mars 2016, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 28 décembre 2012.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 2 juin 2016, M.F..., représenté par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 8 mars 2016 ;
2°) de rejeter la demande présentée par la société Comptoir lyonnais de soudage ;
3°) de mettre à la charge de la société Comptoir lyonnais de soudage une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- la décision de l'inspecteur du travail est insuffisamment motivée ;
- le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse dès lors qu'aucune recherche de reclassement n'a été effectuée sur l'ensemble du groupe Air Liquide auquel appartient la société CLS ; l'employeur doit rechercher les possibilités de reclassement du salarié même lorsque le médecin du travail a déclaré le salarié inapte à tout emploi dans l'entreprise et a conclu à l'impossibilité de reclassement ; les possibilités de reclassement doivent être recherchées dans toutes les entreprises du groupe, y compris dans les entreprises situées à l'étranger, dont les activités, l'organisation et le lieu d'exploitation permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel ; les propositions de reclassement étaient limitées à des postes de la société CLS situées sur le territoire national ; des recherches de reclassement dans des entreprises autres que la société CLS mais appartenant au groupe Air Liquide s'imposaient d'autant plus que son inaptitude résultait de faits de harcèlement moral subis au sein de la société CLS ;
- dès le mois de février 2012, il a indiqué à son employeur qu'il était ouvert à toute proposition de reclassement ; l'employeur ne peut se retrancher derrière l'avis du médecin du travail ; l'employeur n'a pas vérifié ses capacités et compétences linguistiques ; des entreprises du groupe sont situées en Suisse, au Canada et dans des pays arabophones ;
- l'employeur n'a pas recherché des postes de reclassement avec sérieux dès lors qu'il a envoyé un courriel à plusieurs personnes non identifiables ; l'employeur ne peut se limiter à envoyer des lettres circulaires ; ces lettres ne lui laissent aucune chance ; les réponses des destinataires ne sont pas produites ; la société a éludé la recherche de reclassement à l'international ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 septembre 2016, la société Comptoir Lyonnais de Soudage, représentée par Capstan LMS, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- elle a rempli son obligation de reclassement à l'égard de M. F...dès lors que le médecin du travail a refusé de participer aux recherches de reclassement ; elle a identifié des postes et les a soumis à l'avis du médecin du travail qui lui a indiqué que ces postes ne convenaient pas à M. F...et qu'il était nécessaire de rompre le contrat de travail et que M. F... a refusé de répondre au questionnaire et de transmettre son C.V. ;
- les recherches de reclassement ont été faites dans l'ensemble du groupe Air Liquide sans être limitées à la France ; la seule limitation géographique concerne le pays où il est impératif de maîtriser une langue étrangère ; l'outil " mobilité interne " du groupe Air Liquide, qui regroupe l'ensemble des postes à pourvoir dans le groupe, a permis d'identifier les 11 postes existant compatibles avec l'état de santé et le profil de M.F... ; cette recherche a été complétée avec une prise de contact directe avec les responsables des ressources humaines du groupe afin de vérifier l'existence d'un poste à pourvoir et qui a permis d'identifier un poste prochainement vacant ; elle a proposé les 11 solutions de reclassement à M. F...sur des postes comparables à son dernier emploi ;
- tout au long de la procédure de licenciement, M. F...a indiqué ne pas vouloir être reclassé au sein de la société ou du groupe Air Liquide et vouloir quitter la société ainsi qu'obtenir une reconnaissance financière ;
Par lettre du 14 février 2018, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que le ministre en charge du travail ne pouvait se déclarer incompétent pour se prononcer sur la demande d'autorisation de licenciement de M. F...dont il était saisi (voir en ce sens CE, 23 novembre 2016, M. G..., n° 392059).
Par un mémoire, enregistré le 21 février 2018, la société Comptoir Lyonnais de Soudage, représentée par Capstan LMS, conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens et prend acte du moyen d'ordre public relevé par la cour ;
Par ordonnance du 15 novembre 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 20 décembre 2017.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,
- et les observations de MeD..., représentant M.F..., et de MeC..., représentant la société Comptoir Lyonnais de soudage.
1. Considérant que M. F...a été recruté, le 7 décembre 1995, par contrat à durée indéterminée par la société Comptoir Lyonnais de soudage (CLS), filiale de la société Air Liquide Weldind, appartenant au groupe Air Liquide ; qu'en dernier lieu, M. F...occupait les fonctions de chef de secteur, responsable des clients revendeurs en France et des clients export ; qu'à compter du 4 octobre 2010, il a été placé en arrêt maladie pour " dépression, harcèlement au travail " ; que, le 6 février 2012, le médecin du travail a conclu à l'inaptitude de M. F... à son poste de travail en indiquant " inapte en danger immédiat au sens de l'article R. 4624-31 du code du travail. Un nouvel avis est inutile. La rupture du contrat de travail est nécessaire à la préservation de la santé de l'intéressé " ; que, le 13 février 2012, la société Comptoir lyonnais de soudage a interrogé le médecin du travail quant au périmètre de l'inaptitude ; que, par télécopie du 15 février 2012, le médecin du travail a répondu " que la rupture du contrat de travail est nécessaire à la préservation de la santé de l'intéressé et, à ce motif au moins, la recherche de reclassement paraît sans objet, voire dangereuse par le retard qu'elle crée " ; que le 5 mars 2012, la société a adressé au médecin du travail onze postes de reclassement situés sur le territoire français et proposés à M. F...le 30 mars 2012 ; que, par courrier du 6 mars 2012, le médecin du travail a indiqué à la société qu'en accord avec M. F..., les solutions de reclassement proposées ne peuvent convenir et que " la rupture du contrat de travail est l'issue nécessaire à la situation " ; qu'estimant que le reclassement de M. F..., délégué du personnel titulaire et membre titulaire du comité d'entreprise, était impossible au sein de l'entreprise et du groupe, la société Comptoir lyonnais de soudage a demandé à l'inspectrice du travail, le 31 mai 2012, l'autorisation de le licencier pour inaptitude ; que, par décision du 10 juillet 2012, l'inspectrice du travail a autorisé ce licenciement ; qu'à la suite du recours hiérarchique formé le 7 septembre 2012 par M.F..., le ministre en charge du travail a, le 28 décembre 2012, d'une part, annulé la décision de l'inspectrice du travail et, d'autre part, refusé de se prononcer sur la demande d'autorisation de licenciement présentée compte tenu de ce qu'à la date à laquelle il statuait la protection dont bénéficiait M. F...avait pris fin ; que M. F...relève appel du jugement du 8 mars 2016 par lequel le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision du ministre en charge du travail à la demande de la société Comptoir lyonnais de soudage ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail ; que cette autorisation est requise si le salarié bénéficie de la protection attachée à son mandat à la date de l'envoi par l'employeur de sa convocation à l'entretien préalable au licenciement ;
3. Considérant que si M. F...a vu ses mandats de représentant du personnel expirer le 24 novembre 2012, il bénéficiait encore le 24 avril 2012, date de l'envoi de sa convocation à l'entretien préalable au licenciement, de la protection attachée à ses mandats ; que, par suite, c'est à tort que le ministre en charge du travail a estimé qu'à la date de la décision attaquée, M.F..., ne bénéficiant plus d'une protection en qualité de salarié protégé, il n'était pas compétent pour statuer sur le recours hiérarchique formé par M.F... ;
4. Considérant que ce moyen d'ordre public tiré de l'incompétence négative du ministre en charge du travail n'a pas été relevé d'office par les premiers juges qui ont entaché leur jugement d'irrégularité ;
5. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par la société Comptoir lyonnais de soudage devant le tribunal administratif de Lyon et tendant à l'annulation de la décision du ministre en charge du travail du 28 décembre 2012 ;
Sur la légalité de la décision du ministre en charge du travail du 28 décembre 2012 :
6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1226-10 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable aux faits du litige : " Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités./. Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation destinée à lui proposer un poste adapté. /. L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail " ; qu'aux termes de l'article L. 2421-3 du même code : " Le licenciement envisagé par l'employeur d'un délégué du personnel ou d'un membre élu du comité d'entreprise titulaire ou suppléant, d'un représentant syndical au comité d'entreprise ou d'un représentant des salariés au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est soumis au comité d'entreprise, qui donne un avis sur le projet de licenciement./(...) La demande d'autorisation de licenciement est adressée à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement dans lequel le salarié est employé (...) " ;
7. Considérant qu'en vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que l'employeur a, conformément aux dispositions citées ci-dessus de l'article L. 1226-10 du code du travail cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en oeuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail ; que, toutefois, lorsque le médecin du travail émet un avis médical d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise ou dans le groupe cet avis médical s'impose à l'employeur et interdit à celui-ci de proposer un quelconque poste de reclassement dans l'entreprise et dans le groupe sans mettre en danger la santé et la sécurité du salarié et, par voie de conséquence, sans le contraindre à enfreindre son obligation générale de sécurité de résultat ;
8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de sa saisine par la société Comptoir lyonnais de soudage quant au périmètre de l'inaptitude au poste de travail constaté par le médecin du travail le 6 février 2012, ce dernier a indiqué que " la rupture du contrat de travail est nécessaire à la préservation de la santé de M. F...et, à ce motif au moins, la recherche de reclassement paraît sans objet, voire dangereuse par le retard qu'elle crée " ; que, cependant, et malgré l'avis susmentionné, la société a adressé, le 5 mars 2012, au médecin du travail onze postes de reclassement situés sur le territoire français au sein du groupe Air liquide ; que ces propositions de postes ont été identifiées à la suite d'une recherche des postes vacants effectuée via un outil informatique de mobilité interne propre au groupe Air Liquide et après sollicitation des différentes directions des ressources humaines du groupe, dont l'une a un périmètre européen ; que si sur ces onze postes, quatre nécessitaient la maîtrise de l'anglais, sept postes de reclassement proposés à M. F...paraissaient compatibles avec le profil de cadre de celui-ci ; que, par lettre du 6 mars 2012, le médecin du travail a indiqué à la société qu'en accord avec M.F..., les solutions de reclassement proposées ne pouvaient convenir et que " la rupture du contrat de travail est l'issue nécessaire à la situation " ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, le médecin du travail doit être regardé comme ayant émis un avis d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise et dans le groupe ; qu'en conséquence, eu égard à la nature de l'avis médical émis, l'employeur ne peut être regardé comme ayant méconnu son obligation de reclassement ; qu'en tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que les recherches de reclassement réalisées par la société tant en son sein qu'au niveau du groupe auraient été insuffisantes alors en outre que M. F...avait refusé de fournir son curriculum vitae et de remplir le questionnaire de reclassement ; que, par suite, le ministre en charge du travail ne pouvait, sans entacher sa décision d'une erreur d'appréciation, refuser d'autoriser le licenciement de M. F...au motif que la société n'avait que partiellement satisfait à son obligation en matière de recherche sérieuse et loyale des possibilités de reclassement en faveur du salarié ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Comptoir Lyonnais de soudage est fondée à demander l'annulation de la décision du ministre du travail du 28 décembre 2012 ;
Sur les conclusions relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Comptoir lyonnais de soudage, qui n'est pas la partie perdante ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 8 mars 2016 est annulé.
Article 2 : La décision du 28 décembre 2012 par laquelle le ministre en charge du travail a annulé la décision de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement de M. F...est annulée.
Article 3 : Les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative présentées par M. F...sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. F..., à la société Comptoir lyonnais de soudage et au ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 8 mars 2018, à laquelle siégeaient :
M. Carrier, président,
Mme E...et Mme B..., premiers conseillers.
Lu en audience publique le 24 mai 2018.
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N° 16LY01867