Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... F... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 28 mai 2019 par lequel le préfet de la Savoie a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination et d'enjoindre au préfet de la Savoie de lui délivrer une carte de séjour temporaire, assortie d'une astreinte fixée à 200 euros par jour de retard à compter du délai de quinze jours suivant la notification du jugement.
Par un jugement n° 1904269 du 3 octobre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 novembre 2019, Mme F..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 3 octobre 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 mai 2019 du préfet de la Savoie ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Savoie, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de lui délivrer une carte de séjour temporaire, assortie d'une astreinte fixée à 200 euros par jour de retard à compter du délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt en application de l'article L. 911-3 du code de justice administrative ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision est insuffisamment motivée dès lors que l'administration n'a pas précisé de façon suffisamment circonstanciée les raisons de fait et de droit qui la fondent ;
- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle dispose d'un emploi stable qui lui permet de subvenir à ses besoins ; elle a des liens en France puisqu'elle a trouvé refuge chez sa soeur et a une relation avec M. D... ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation alors qu'elle a déposé plainte contre son époux pour violence conjugale ; elle sollicite l'application des dispositions des articles L. 313-12 et L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'obligation de quitter le territoire méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle comporte des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur sa situation personnelle ;
- en cas de retour dans son pays, elle sera contrainte d'épouser un homme beaucoup plus âgé sans que son consentement à cette union ne soit donné ; elle a noué une relation amoureuse avec M. D....
Par un mémoire, enregistré le 8 juin 2020, le préfet de la Savoie conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- l'arrêté est suffisamment motivé ;
- les ressortissants algériens relèvent des dispositions du 5 de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié et Mme F... ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 313-12 et de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que Mme F... est entrée récemment en France ; malgré la présence de sa soeur, Mme F... ne produit aucun élément démontrant l'existence de liens personnels forts en France ; la communauté de vie avec son époux est rompue depuis le 4 juin 2018 et une requête en divorce a été déposée auprès du juge aux affaires familiales au tribunal de grande instance de Marseille ; la relation avec M. D..., ressortissant français, n'est pas établie ; elle ne justifie pas d'une insertion sociale et professionnelle ancrée dans la durée malgré la promesse d'embauche ; le contrat de travail à durée indéterminée avec la société GIFI a été signé postérieurement à la décision en litige ; si elle indique qu'en cas de retour en Algérie, elle sera contrainte d'épouser un homme plus âgé, elle ne l'établit pas ;
- la décision n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que Mme F... n'a fait état que de difficultés conjugales et non de violences exercées contre elle par son époux ; elle n'a apporté aucun élément précis de nature à corroborer ses allégations quant aux éventuelles violences conjugales ;
Mme F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 décembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... E..., ressortissante algérienne née le 17 février 1991, a épousé en Algérie, le 28 novembre 2016, un ressortissant français, M. F.... Elle est entrée en France le 4 décembre 2017 sous couvert d'un visa portant la mention " famille de français " et a bénéficié d'un premier titre de séjour en qualité de conjoint de Français valable jusqu'au 18 février 2019. Le 28 janvier 2019, elle a sollicité le renouvellement de son titre de séjour. Par un arrêté du 28 mai 2019, le préfet de la Savoie a rejeté sa demande, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme F... relève appel du jugement du 3 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
2. L'arrêté contesté vise les textes dont il fait application, et notamment les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles 6-2, 7 bis et 9 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié et l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il énonce que Mme F... a déposé auprès des services de la brigade territoriale autonome d'Aime-la-Plagne une main courante par laquelle elle a signalé avoir quitté le domicile conjugal et s'être réfugiée chez sa soeur à compter du 4 juin 2018, qu'elle a déposé une requête en divorce le 19 mars 2019 auprès du juge aux affaires familiales près le tribunal de grande instance de Marseille, que la communauté de vie entre les époux est rompue et que, de l'examen de sa situation personnelle et familiale, il ne ressort aucun élément susceptible de lui permettre de bénéficier d'une dérogation à la réglementation en vigueur. Cet arrêté comporte ainsi les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré d'une insuffisance de motivation de la décision critiquée doit être écarté.
3. Aux termes des stipulations de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le certificat de résidence portant la mention ''vie privée et familiale'' est délivré de plein droit : (...) 2) au ressortissant algérien, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que son entrée sur le territoire français ait été régulière, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français (...) Le premier renouvellement du certificat de résidence délivré au titre du 2) ci-dessus est subordonné à une communauté de vie effective entre époux ". Ces stipulations régissent de manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France et y exercer une activité professionnelle, les règles concernant la nature des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés, ainsi que les conditions dans lesquelles leurs conjoints et leurs enfants mineurs peuvent s'installer en France. Si une ressortissante algérienne ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives au renouvellement du titre de séjour lorsque l'étranger a subi des violences conjugales et que la communauté de vie a été rompue, il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressée, et notamment des violences conjugales alléguées, l'opportunité d'une mesure de régularisation. Il appartient seulement au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation portée sur la situation personnelle de l'intéressée.
4. Mme F... fait valoir que le préfet de la Savoie, qui lui a refusé le premier renouvellement de son titre de séjour en raison de la rupture de la communauté de vie avec son époux, aurait dû faire usage de son pouvoir de régularisation et tenir compte des violences conjugales subies. Si Mme F... a déposé une requête en divorce auprès du juge aux affaires familiales près le tribunal de grande instance de Marseille et produit une main courante effectuée le 12 octobre 2018 auprès des services de gendarmerie d'Aime-la-Plagne, qui précise que " Mme F... est informée que les déclarations contenues dans ce document ne sont pas considérées comme un dépôt de plainte ", selon laquelle elle a quitté le domicile conjugal et vit chez sa soeur depuis le 4 juin 2018 ainsi qu'un courrier électronique de son époux semblant établir qu'il entretenait une relation extraconjugale, les diverses pièces versées au débat ne suffisent pas à établir que la cessation de la vie commune avec son époux serait en lien avec les violences conjugales alléguées. Par suite, le préfet de la Savoie n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en refusant de renouveler le titre de séjour sollicité par Mme F... dans le cadre de son pouvoir de régularisation.
5. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
6. Il est constant que Mme F... est entrée en France le 4 décembre 2017 et qu'elle est séparée de son époux depuis le 4 juin 2018. Si elle fait valoir qu'elle entretient une relation avec un ressortissant français, M. D..., l'intensité et la stabilité de sa relation avec celui-ci ne sont pas suffisamment établies par les pièces versées au dossier. Elle n'établit pas être dépourvue de toute attache familiale en Algérie où elle a vécu jusqu'à l'âge de 26 ans et la circonstance qu'elle se soit réfugiée chez sa soeur après avoir quitté le domicile conjugal et a noué des relations amicales ne saurait démontrer l'existence de liens intenses, stables et durables en France. Dans ces conditions, et nonobstant la circonstance qu'elle travaille, le refus de délivrer un titre de séjour à Mme F... n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris et n'a ainsi pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés précédemment, et alors que Mme F... n'établit pas qu'elle sera contrainte, en cas de retour en Algérie, d'épouser un homme qu'elle ne connaît pas, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation invoqués à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français doivent être écartés.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme F... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, doivent être rejetées ses conclusions aux fins d'injonction sous astreinte et celles à fin de mise à la charge de l'Etat des frais exposés et non compris dans les dépens dans les conditions prévues par les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié Mme B... F... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Savoie.
Délibéré après l'audience du 25 juin 2020, à laquelle siégeaient :
M. Pommier, président de chambre,
M. Drouet, président assesseur,
Mme C..., premier conseiller.
Lu en audience publique le 9 juillet 2020.
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N° 19LY04116