Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'EARL Boucherat a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le syndicat intercommunal des eaux de Champlost-Mercy à lui verser la somme de 12 701 euros en réparation de son préjudice.
Par un jugement n° 1701818 du 28 septembre 2018, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 29 novembre 2018, l'EARL Boucherat, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 28 septembre 2018 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) de condamner le syndicat intercommunal des eaux de Champlost-Mercy à lui verser la somme de 12 701 euros en réparation de son préjudice ;
3°) de mettre à la charge du syndicat intercommunal des eaux de Champlost-Mercy la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'interruption de l'alimentation en eau des communes de Champlost et Mercy est consécutive à une défaillance d'une pompe d'installation de captage du syndicat des eaux ; l'origine du dommage ne trouvant pas sa cause dans le branchement particulier, la victime est tiers par rapport à l'ouvrage et le litige relève de la compétence de la juridiction administrative ;
- c'est à tort que le tribunal administratif de Dijon a estimé qu'elle n'apportait pas la preuve du lien de causalité entre les préjudices subis et le défaut d'abreuvement ; en raison de la défectuosité de l'ouvrage public constitué par la station de pompage, dont le syndicat des eaux des communes de Champlost-Mercy est responsable, elle a subi une perte évaluée à la somme de 12 701 euros ; le lien de causalité étant établi par les rapports d'expertise du cabinet Anthore et Audivet, la responsabilité sans faute du syndicat est engagée et il sera condamné à l'indemniser des préjudices subis.
Par un mémoire, enregistré le 24 mars 2019, le syndicat intercommunal des eaux de Champlost-Mercy, représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'EARL Boucherat en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'action engagée à son encontre est prescrite en application de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ; ayant connaissance de l'origine du sinistre qui provenait de la défaillance d'un élément de l'ouvrage exploité par le syndicat, l'EARL Boucherat ne peut bénéficier des dispositions de l'article 2 de la loi précitée pour prétendre que l'action engagée contre la commune de Champlost devant le tribunal de grande instance de Sens aurait interrompu le cours de la prescription ;
- l'EARL Boucherat est défaillante dans l'administration de la preuve, dont la charge lui incombe, de la réalité des préjudices qu'elle allègue et du lien de causalité entre les supposés préjudices et le fonctionnement de l'ouvrage public qu'il gère ;
- le relais électrique de la station de pompage est tombé en panne empêchant les deux pompes de fonctionner le 18 août 2012 dans la nuit avec un manque de pression à 6 heures du matin ; dès 6h30, l'employé du syndicat est intervenu afin que les pompes soient mises en marche forcée, le réservoir commençant à se remplir à nouveau à ce moment-là ; le manque d'eau s'est fait ressentir vers 17h30 dans la commune de Mercy avec une chute de la pression vers 20 heures et la reprise de la pression a eu lieu aux alentours de minuit ; par suite, la rupture du service d'alimentation en eau potable n'est intervenue qu'en fin de journée, les animaux ayant pu être alimentés correctement en eau potable jusqu'en début de soirée ; si l'exploitant s'est rendu compte vers 17h30 de ce que la pression diminuait, il avait la possibilité d'utiliser une citerne pour maintenir l'approvisionnement en eau des animaux sachant que les heures les plus chaudes de la journée étaient d'ores et déjà passées ; plusieurs élevages de porcs, de poules pondeuses et de chair ou de vaches laitières se trouvent dans le même secteur géographique et aucun élevage n'a été affecté ; le bon d'équarrissage ne comporte aucune indication s'agissant de la cause de la mort des volailles et la mort du veau n'est attestée par aucune pièce contemporaine des faits ; par suite, le taux de mortalité des animaux n'est pas établi ; il n'est pas non plus établi que l'interruption du service d'alimentation en eau potable à partir de 17h30, le 18 août 2012, serait la cause exclusive de la perte des animaux ;
- l'exploitation n'est pas pourvue d'une citerne d'eau de secours.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. L'EARL Boucherat élève des poulets, pour le compte de la société Duc, ainsi que des veaux, pour le compte de la SA Saint Sulpice Elevage, à Mercy dans le département de l'Yonne. Le 18 août 2012, alors que sévissait une canicule, cette exploitation agricole a subi une interruption du service de la distribution d'eau en raison d'une défaillance d'une pompe de l'installation de captage des eaux, gérée par le syndicat intercommunal des eaux de Champlost-Mercy, qui permet l'alimentation en eau de la commune de Mercy. L'EARL Boucherat n'aurait constaté le défaut d'alimentation en eau de son élevage que vers 17h00 et l'alimentation en eau n'aurait été rétablie que vers 23 heures dans le bourg de la commune de Mercy et vers 3 heures du matin avec une pression suffisante à l'exploitation selon les dires de la requérante. Estimant que la mort de centaines de poulets et d'un veau et la dégradation des conditions d'élevage du lot de 480 veaux par manque d'abreuvement résultait de la coupure de son alimentation en eau, l'EARL a saisi son assureur, la compagnie GAN Assurance, qui a diligenté une mesure d'expertise amiable confiée au cabinet Anthore. La compagnie d'assurance de la commune de Champlost a missionné le cabinet Audivet en vue d'une expertise amiable. L'EARL Boucherat a saisi le tribunal de grande instance de Sens à fin de condamnation initialement des communes de Champlost et de Mercy puis du syndicat intercommunal des eaux de Champlost-Mercy à réparer les préjudices subis du fait de la déshydratation du cheptel causée par l'interruption de l'approvisionnement en eau. Par une ordonnance du 9 novembre 2016, le juge de la mise en état près le tribunal de grande instance de Sens, après avoir constaté que, par deux délibérations du 19 février 1933, la commune de Mercy et la commune de Champlost, avaient confié à un syndicat intercommunal des eaux, le projet d'alimentation en eau potable de ces deux communes et que le captage de l'eau, la station de pompage et de refoulement, le conduit de refoulement et le réservoir de distribution des eaux relevaient de la compétence du syndicat intercommunal des eaux des communes de Champlost-Mercy, a jugé que la mise en cause de la responsabilité de ce syndicat pour les préjudices résultant de l'interruption de l'approvisionnement en eau ne relevait pas de la compétence de la juridiction judiciaire. Le 7 mars 2017, l'EARL Boucherat a formé une réclamation préalable indemnitaire auprès du syndicat intercommunal des eaux de Champlost-Mercy qui l'a rejetée implicitement. L'EARL Boucherat relève appel du jugement du 28 septembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à la condamnation du syndicat intercommunal des eaux de Champlost-Mercy à l'indemniser des préjudices subis du fait de l'interruption du service de distribution d'eau.
Sur la responsabilité du syndicat intercommunal des eaux de Champlost-Mercy :
2. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel.
3. Il résulte de ce qui vient d'être dit que la responsabilité sans faute du syndicat intercommunal des eaux de Champlost-Mercy, maître d'ouvrage de la station de pompage, est susceptible d'être engagée à l'égard de l'EARL Boucherat, tiers par rapport à cet ouvrage public, dans la mesure toutefois où les désordres allégués sont la conséquence directe de l'existence ou du fonctionnement de cette station de pompage.
4. L'EARL Boucherat fait valoir que le samedi 18 août 2012, en pleine canicule, l'exploitation agricole a eu à subir une interruption de l'alimentation en eau pendant plusieurs heures, cette interruption ayant causé la mort de centaines de poulets et d'un veau ainsi que la dégradation qualitative d'un lot de 480 veaux, et elle demande la condamnation du syndicat intercommunal des eaux de Champlost-Mercy à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de cette interruption.
5. Il résulte de l'instruction que le syndicat intercommunal des eaux de Champlost-Mercy a été constitué entre les communes de Champlost et Mercy dans le cadre d'un projet intercommunal d'alimentation en eau potable. Ce syndicat est chargé, selon ses statuts adoptés en 1933, d'établir un ouvrage de captage d'eau, une station de pompage et de refoulement des eaux, une conduite de refoulement entre la station et le réservoir de distribution, un réservoir de distribution des eaux et une conduite de distribution commune pour l'alimentation d'une partie de la commune de Champlost et pour l'alimentation totale de Mercy, les communes assurant à leurs frais respectifs l'entretien et l'exploitation de toutes les autres parties de leurs installations en eau potable n'appartenant pas aux ouvrages communs.
6. Il résulte également de l'instruction que l'EARL Boucherat est usager du service de distribution d'eau de la commune de Mercy. Si l'interruption temporaire de son alimentation en eau trouve son origine dans une panne électrique affectant la station de pompage exploitée par le syndicat intercommunal des eaux de Champlost-Mercy, empêchant les deux pompes de cette station de pompage de fonctionner, les dommages qu'elle allègue seraient directement imputables à une interruption de son alimentation en eau assurée par le service public industriel et commercial de distribution d'eau potable dont la commune de Mercy à la charge. Il s'ensuit que l'EARL Boucherat n'établit pas l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre les préjudices qu'elle allègue et le dysfonctionnement de la station de pompage du syndicat intercommunal des eaux de Champlost-Mercy. Dans ces conditions, le syndicat intercommunal des eaux de Champlost-Mercy ne peut être déclaré responsable des préjudices subis par l'EARL Boucherat.
7. En tout état de cause, l'EARL Boucherat n'établit pas qu'à 17h30 l'alimentation en eau de l'exploitation a été interrompue, l'attestation du technicien s'étant rendu sur l'exploitation ne constatant le défaut d'alimentation en eau qu'à 20h00, pas plus qu'elle n'établit l'heure à compter de laquelle l'exploitation a bénéficié de la reprise de cette alimentation en eau et ce alors que des bassins de stockage d'eau existent entre les communes de Champlost et de Mercy. Il s'ensuit que l'exploitation requérante n'établit pas la durée pendant laquelle le cheptel a été privé d'eau de telle sorte qu'il n'est pas possible d'apprécier l'intensité de cette privation alors que sévissait un épisode de canicule. Dans ces conditions, le syndicat intercommunal des eaux de Champlost-Mercy ne peut être déclaré responsable des préjudices subis par l'EARL Boucherat.
8. Il résulte de ce qui précède que l'EARL Boucherat n'estpas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, à la charge du syndicat intercommunal des eaux de Champlost-Mercy qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'EARL Boucherat la somme demandée par le syndicat intercommunal des eaux de Champlost-Mercy au même titre.
DECIDE :
Article 1er : La requête de l'EARL Boucherat est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du syndicat intercommunal des eaux de Champlost-Mercy tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'EARL Boucherat et au syndicat intercommunal des eaux de Champlost-Mercy.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Gayrard, président assesseur,
Mme B..., premier conseiller.
Lu en audience publique le 5 novembre 2020.
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N° 18LY04252