Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme H... I..., M. D... J... et Mme C... I... ont demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner le centre hospitalier de Montluçon à leur verser la somme globale de 232 000 euros en réparation des préjudices qu'ils ont subis du fait de la prise en charge de Mme B... I... au sein de cet établissement et de mettre à la charge du centre hospitalier de Montluçon, outre les entiers dépens, le paiement à leur conseil de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Dans la même instance, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Allier a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner le centre hospitalier de Montluçon à lui verser la somme de 5 071 euros ou, à défaut, celle de 3 803,25 euros au titre de ses débours, assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 mars 2017, eux-mêmes capitalisés, ainsi que la somme de 1 055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, et de mettre à la charge du centre hospitalier de Montluçon la somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1602248 du 6 mars 2019, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a condamné le centre hospitalier de Montluçon, à verser, d'une part, à Mme H... I... la somme de 3 600 euros, à M. D... J... la somme de 1 500 euros et à Mme C... I... la somme de 900 euros, d'autre part, à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme la somme de 1 113,30 euros en remboursement de ses débours, assortie des intérêts au taux légal à compter de 16 mars 2017, eux-mêmes capitalisés, ainsi que la somme de 371,77 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, a mis les frais et honoraires de l'expertise, taxés et liquidés pour un montant de 1 400 euros, à la charge définitive du centre hospitalier de Montluçon, a mis à la charge du centre hospitalier de Montluçon le versement à la SCP E... et Amet-Dussap d'une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ainsi que le versement d'une somme de 500 euros à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 juillet 2019, Mme H... I..., M. D... J... et Mme C... I..., représentés par Me E..., demandent à la cour :
1°) de réformer le jugement n° 1602248 du 6 mars 2019 en ce que le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a limité à la somme globale de 6 000 euros le montant de l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le centre hospitalier de Montluçon en réparation des préjudices qu'ils ont subis ;
2°) de porter à la somme de 232 000 euros le montant de l'indemnité totale due par le centre hospitalier de Montluçon ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Montluçon, outre les entiers dépens, une somme de 6 000 euros à verser à leur avocat en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- le centre hospitalier de Montluçon a commis des fautes dans l'indication opératoire portant sur la pose d'un anneau gastrique qui n'était pas adaptée à l'état de santé de Mme B... I..., dans le geste chirurgical de pose de l'anneau, d'emblée inappropriée, et dans l'erreur de diagnostic commise de ne pas pratiquer une reprise chirurgicale de l'anneau gastrique le 3 avril 2007, qui a privé Mme B... I... d'une chance d'éviter l'aggravation fatale de son état de santé ;
- Mme B... I... n'a pas bénéficié d'une information de nature à éclairer son consentement sur la mortalité opératoire ni, à la suite de l'intervention, sur les conséquences d'une absence d'ablation de l'anneau gastrique ;
- la faute retenue par le tribunal administratif dans la surveillance postopératoire inadaptée à l'état clinique de Mme B... I... devra être confirmée ;
- il existe un lien de causalité entre les fautes commises et le décès de Mme B... I... ; les troubles hydro-électrolytiques et métaboliques à l'origine du décès ne seraient pas survenus s'il avait été procédé à l'ablation de l'anneau gastrique ; la perte de chance de survie en raison du maintien de l'anneau doit être évaluée à 75 % ;
- Mme B... I... a enduré des souffrances physiques et psychiques qu'il y a lieu d'évaluer à la somme de 50 000 euros ;
- elle a subi un préjudice d'impréparation du fait du défaut d'information, évalué à la somme de 25 000 euros ;
- elle a subi un préjudice moral à hauteur de la somme de 25 000 euros ;
- Mme H... I..., M. D... J... et Mme C... I... ont subi un préjudice d'affection évalué respectivement à la somme de 40 000 euros, 30 000 euros et 30 000 euros ;
- ils ont subi un préjudice d'accompagnement évalué respectivement à la somme de 12 000 euros, 10 000 euros et 10 000 euros.
Par des mémoires enregistrés le 19 septembre 2019 et le 3 février 2020, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Allier, agissant par la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme, représentée par Me A..., conclut, dans le dernier état de ses écritures :
1°) à titre principal, à la réformation du jugement n° 1602248 du 6 mars 2019 en ce que le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a limité à la somme de 1 113,30 euros le montant de l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le centre hospitalier de Montluçon en réparation de ses débours ;
2°) de porter à la somme de 5 071 euros, subsidiairement 3 803,25 euros, le montant de l'indemnité totale due par le centre hospitalier de Montluçon, assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 mars 2017, avec capitalisation à compter de cette date ;
3°) à titre subsidiaire, de confirmer le jugement attaqué ;
4°) de condamner le centre hospitalier de Montluçon à lui verser la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
5°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Montluçon la somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la responsabilité du centre hospitalier de Montluçon est engagée à raison des fautes commises dans la prise en charge de Mme B... I..., notamment en n'ayant pas procédé, au mieux en avril 2007 au pire le 7 juin 2007, à l'ablation de l'anneau gastrique posé le 26 mars 2007 ;
- selon les experts, ces fautes ont entraîné directement le décès ou, à tout le moins, ont causé une perte de chance de survie évaluée à 75 % ;
- elle a exposé des débours à hauteur de la somme de 5 071 euros dont elle a droit au remboursement ;
- subsidiairement, si un taux de perte de chance de survie à hauteur de 75 % devait être retenu, elle a droit à la somme de 3 803,25 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 23 mars 2020, le centre hospitalier de Montluçon, représenté par Me G..., conclut au rejet de la requête et des conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme I... et autres et par la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme ne sont pas fondés.
Mme I... et autres ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 mai 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pin, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Cottier, rapporteur public,
- et les observations de Me F..., représentant le centre hospitalier de Montluçon.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... I..., née en 1985, qui souffrait depuis son jeune âge d'une obésité morbide, a été admise au centre hospitalier de Montluçon afin d'y subir, le 26 mars 2007, sous coelioscopie, une intervention chirurgicale en vue de la pose d'un anneau gastrique ajustable. D'importantes hypertrophies du foie et de la rate de la patiente ont compliqué le geste chirurgical et ont contraint le praticien à convertir son approche coelioscopique en une laparotomie. Mme I... a regagné son domicile le 31 mars 2007. La réalisation, le 3 avril 2007, d'un transit oeso-gastro-duodénal a révélé que l'anneau était en position médio-gastrique, qui s'avère inadaptée. En raison de douleurs abdominales et de vomissements répétés, Mme I... s'est présentée aux urgences du centre hospitalier de Montluçon le 15 avril 2007. Devant la persistance de ces troubles, elle a été hospitalisée dans cet établissement de santé du 7 au 9 juin 2007. La réalisation le 8 juin 2007 d'un transit oeso-gastro-duodénal a confirmé la position de l'anneau telle qu'elle avait été révélée par le précédent examen du 3 avril 2007. Mme I... a de nouveau été hospitalisée en raison des mêmes troubles le 14 juin 2007 et a été autorisée à quitter l'hôpital le 18 juin 2007. Le 24 juin 2007, aux alentours de midi, Mme I... a été victime d'un malaise. A la suite de plusieurs crises convulsives et d'une aggravation de son état neurologique, elle a été transportée au service des urgences du centre hospitalier de Montluçon où elle est décédée, à 15h30, à la suite de troubles majeurs du rythme cardiaque. Reprochant au centre hospitalier plusieurs défaillances dans la prise en charge de la patiente, Mme H... I..., sa mère, M. D... J..., son frère, et Mme C... I..., sa grand-mère, ont saisi le tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'une demande tendant à la condamnation de l'établissement à la réparation de leurs préjudices. Ils relèvent appel du jugement du 6 mars 2019 par lequel le tribunal administratif a statué sur leur demande en tant qu'il a limité l'indemnisation de leurs préjudices à la somme globale de 6 000 euros. La caisse primaire d'assurance maladie de l'Allier conclut à la réformation de ce jugement en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à sa demande.
Sur la responsabilité du centre hospitalier de Montluçon :
En ce qui concerne les fautes commises dans la prise en charge de Mme I... :
2. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".
3. En premier lieu, les requérants soutiennent que le choix thérapeutique d'une gastroplastie par la pose d'un anneau revêt un caractère fautif dès lors que, compte tenu de l'indice de masse corporelle de Mme B... I..., qui était alors de l'ordre de 65 kg/m², une intervention selon la technique chirurgicale du court-circuit gastrique aurait dû être privilégiée. Le rapport de l'expert commis par le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, le docteur Berger, relève à cet égard que, chez les patients dont l'indice de masse corporelle est supérieur à 50 kg/m², le choix thérapeutique n'est pas en faveur d'une technique seulement restrictive, comme l'anneau gastrique, mais s'oriente habituellement, selon les recommandations des sociétés savantes, vers la technique du court-circuit gastrique et qu'en l'espèce, l'option thérapeutique retenue était inappropriée à l'état de la patiente. Le rapport de l'expertise judiciaire confiée au professeur Champault et au docteur Marc indique qu'une chirurgie de dérivation, au regard de ces mêmes recommandations médicales, aurait été plus adaptée au cas de Mme I... que la pose d'un anneau gastrique, sans pour autant relever que la technique utilisée aurait été, en l'espèce, erronée au regard des données acquises de la science. Le docteur Lhomme-Desages a, quant à lui, précisé, dans le rapport d'expertise judiciaire du 8 décembre 2008, que, compte tenu de ce que la patiente présentait un état de santé particulièrement fragile malgré son jeune âge, le choix de recourir à la pose d'un anneau gastrique, moins invasif que la technique du court-circuit gastrique, était justifié et en accord avec les données de la médecine à la date des faits. Pour sa part, le professeur Peix, expert nommé par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Montluçon, a également relevé que l'indication d'une gastroplastie par la mise en place d'un anneau gastrique était justifiée au cas d'espèce. Dans ces conditions, il résulte de l'instruction, et notamment du rapprochement des conclusions tirées de ces quatre rapports d'expertise, que le centre hospitalier de Montluçon n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité en ayant eu recours, parmi les techniques de gastroplastie existantes, à la pose d'un anneau.
4. En deuxième lieu, les requérants font valoir que l'opérateur a commis une faute dans la réalisation de l'acte chirurgical en positionnant l'anneau de manière inappropriée au regard des règles de l'art, lesquelles imposent que celui-ci soit placé en position oblique à 45°. Toutefois, si le rapport d'expertise du docteur Berger relève que la radiographie de l'abdomen réalisée le 28 mars 2007 évoque un site de pose inapproprié d'emblée de l'anneau, lequel se situe sous la ligne médiane de l'estomac et en position horizontale, il résulte de l'instruction, notamment de cette même expertise, que le geste chirurgical consistant dans le passage rétrogastrique de l'anneau s'est révélé particulièrement complexe, malgré la conversion de la coelioscopie en laparotomie, en raison du caractère volumineux du foie et de la rate de la patiente. Compte tenu des conditions techniques extrêmement difficiles décrites par le docteur Berger, liées à l'existence de cette hépato-splénomégalie, il ne résulte pas de l'instruction, notamment pas des différentes expertises versées au débat, que le positionnement inapproprié de l'anneau révèlerait, dans les circonstances de l'espèce, une faute médicale dans l'exécution du geste chirurgical.
5. En troisième lieu, ainsi qu'il a été dit au point précédent, une radiographie de l'abdomen, réalisée le 28 mars 2007, soit le surlendemain de l'intervention, a mis en évidence un positionnement d'emblée inadapté de l'anneau gastrique. Le transit oeso-gastro-duodénal du 3 avril 2007 a confirmé que l'anneau se trouvait en position médio-gastrique, après, selon le rapport du docteur Berger, qu'il a légèrement glissé vers le bas, une telle migration constituant une complication connue dans ce type de chirurgie. La réalisation d'un second transit oeso-gastro-duodénal, le 8 juin 2007, alors que Mme I... avait été admise la veille au centre hospitalier de Montluçon en raison de vomissements incoercibles, a montré, selon ce même expert, que la position basse de l'anneau s'était encore légèrement accentuée, conduisant à une dilatation de plus en plus importante de la poche en amont exposant celle-ci à un risque de perforation ou de torsion. En outre, le professeur Champault et le docteur Marc relèvent, dans leur rapport d'expertise, qu'il a été constaté, lors de l'hospitalisation du 7 juin 2007, une déshydratation de la patiente, se manifestant par une sécheresse de la langue et une pression artérielle limite, ainsi qu'une hyperleucocytose. Il résulte de l'instruction, notamment de ces deux expertises, que le résultat de l'examen du 3 avril 2007 justifiait de prévoir, dans un temps rapproché, une reprise chirurgicale d'ablation de l'anneau gastrique et que la confirmation, le 8 juin 2007, des complications liées à la position anormalement basse de l'anneau nécessitait une intervention en urgence, aux fins de rétablir l'alimentation de la patiente, dont la perte de poids, évaluée à 18 kg en un mois, était trop importante, et de procéder à sa réhydratation. Selon le docteur Berger, alors même qu'une intervention d'ablation de l'anneau pouvait s'avérer délicate, celle-ci devait être réalisée sans délai le 8 juin 2007, les complications constatées ne pouvant que s'accroître au fur et à mesure de la dilatation de la poche gastrique et de l'inflammation pariétale. Il résulte en outre de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du docteur Berger, que la situation clinique de Mme I... lors de ses hospitalisations au centre hospitalier de Montluçon du 7 au 9 juin 2007 puis du 14 au 18 juin 2007 a été, eu égard notamment aux circonstances rappelées ci-dessus et au résultat d'un scanner abdominal réalisé le 14 juin 2007, sous-évaluée et interprétée de manière incorrecte. Ainsi que l'indique le professeur Peix, ce scanner abdominal a montré une dilatation importante de l'estomac au-dessus de l'anneau. Pour leur part, le professeur Champault et le docteur Marc relèvent que la constatation de la persistance des signes cliniques et radiologiques perturbés au cours de ces deux hospitalisations aurait dû conduire à s'alarmer sur l'état clinique de la patiente. Malgré l'ensemble de ces éléments, le chirurgien a adressé au médecin traitant de Mme I..., les 11 et 18 juin 2007, des courriers lui demandant d'assurer un suivi régulier de la patiente en lui communiquant des informations, qualifiées par l'expert d'abusivement rassurantes, quant à l'interprétation faite des résultats des examens pratiqués. Au vu de l'ensemble de ces circonstances, il résulte de l'instruction qu'en ne proposant pas à Mme I..., au 8 juin 2007, une intervention en urgence d'ablation de l'anneau et en adoptant une surveillance inadaptée à son état clinique, le centre hospitalier de Montluçon a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité, ce que d'ailleurs il ne conteste pas.
En ce qui concerne le défaut d'information de la patiente :
6. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...). Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen ". Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.
7. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.
8. Par ailleurs, indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité. S'il appartient au patient d'établir la réalité et l'ampleur des préjudices qui résultent du fait qu'il n'a pas pu prendre certaines dispositions personnelles dans l'éventualité d'un accident, la souffrance morale qu'il a endurée lorsqu'il a découvert, sans y avoir été préparé, les conséquences de l'intervention doit, quant à elle, être présumée.
9. D'une part, il résulte des dires mêmes des requérants que, dès 2006, Mme I... a bénéficié d'une information satisfaisante sur les risques opératoires et post-opératoires. Le rapport d'expertise du professeur Champault et du docteur Marc confirme que Mme I... a été parfaitement informée, à plusieurs reprises, des risques liés à l'intervention de pose d'un anneau gastrique. Le docteur Berger relève également que la patiente a été informée des risques inhérents à l'intervention qu'elle a subie. De même, le docteur Lhomme-Desages rapporte que Mme I... a reçu une " information détaillée des risques de la chirurgie bariatrique " et ce, à de multiples stades de sa préparation à cette intervention. Au vu de l'ensemble des éléments du dossier médical de l'intéressée et des nombreuses consultations préalables qui se sont tenues avec le chirurgien à compter d'avril 2005, et alors même que le centre hospitalier de Montluçon ne produit pas de document écrit signé par la patiente, il résulte de l'instruction que l'intéressée a bénéficié d'une information suffisante la mettant à même de donner en connaissance de cause un consentement éclairé à l'intervention en cause.
10. D'autre part, l'obligation d'information résultant des dispositions de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique portant uniquement sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés au patient, les requérants ne peuvent utilement soutenir que ces dispositions ont été méconnues en ce que Mme I... n'a pas été informée des risques liés à une chirurgie d'ablation de l'anneau gastrique, dès lors qu'une telle intervention, ainsi qu'il a été dit au point 5, ne lui a pas été proposée.
11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 9 et 10 que les requérants ne sauraient rechercher la responsabilité du centre hospitalier de Montluçon pour défaut d'information. Par suite, la demande indemnitaire tendant à la réparation du préjudice moral d'impréparation subi par Mme I... du fait d'un défaut d'information doit être rejetée.
Sur la réparation des préjudices subis :
En ce qui concerne la perte de chance :
12. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter ce dommage.
13. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'autopsie et de l'ensemble des rapports d'expertise, que le décès de Mme I... est consécutif à un arrêt cardiaque survenu à la suite de troubles hydro-électrolytiques et métaboliques. Si les causes de ces troubles ne peuvent être déterminées avec certitude, il peut être tenu pour suffisamment établi, eu égard en particulier aux énonciations du rapport d'expertise du docteur Berger, qu'en l'absence de cause étrangère susceptible d'être identifiée, les troubles à l'origine du décès de Mme I... sont très probablement la conséquence d'une déshydratation aigüe liée à des vomissements incoercibles et à une intolérance alimentaire, qui s'était aggravée au cours des semaines précédant son décès, dus au positionnement inapproprié de l'anneau gastrique. Dans ces conditions, les fautes, énoncées au point 5, et tirées d'une erreur de diagnostic en ne proposant pas à Mme I... de procéder à l'ablation de l'anneau en urgence le 8 juin 2007 et d'un défaut de suivi postopératoire adapté, ont été directement à l'origine d'une perte de chance d'éviter le décès.
14. Si le centre hospitalier fait valoir, ainsi que l'a jugé le tribunal, que Mme I... n'était pas favorable à l'ablation de l'anneau, il résulte de ce qui a été dit plus haut qu'elle n'a pas été sensibilisée au fait que l'absence de retrait de l'anneau était susceptible de conduire à une issue fatale. Mme I... présentait toutefois une obésité morbide s'accompagnant, malgré son âge, d'un syndrome métabolique avec un diabète non insulino-dépendant, une hypertension artérielle intermittente, une dyslipidémie avec hypertriglycéridémie et un syndrome d'apnée du sommeil justifiant un appareillage nocturne. Il résulte en outre de l'instruction, notamment du rapport du professeur Peix, qu'une intervention d'ablation de l'anneau présentait des risques liés à la dissection itérative de l'estomac, à la fragilisation pariétale consécutive à plusieurs interventions par la même voie d'abord et, par la suite, à une reprise pondérale. Compte tenu de l'ensemble de ces circonstances liées à l'état de santé fragile de la patiente, il résulte de l'instruction, notamment des énonciations du rapport de l'expertise du docteur Berger, qu'il y a lieu d'évaluer le taux de perte de chance de survie de Mme I... à raison des fautes commises par le centre hospitalier de Montluçon à 75 %. Les requérants et la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme sont, par suite, fondés à demander à ce que le jugement attaqué soit réformé en ce qu'il a retenu un taux de perte de chance limité à 30 %.
En ce qui concerne les préjudices subis par Mme B... I... :
15. Le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause. Si la victime du dommage décède sans que ses droits aient été définitivement fixés, c'est-à-dire, en cas de litige, avant qu'une décision juridictionnelle définitive ait fixé le montant de l'indemnisation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers.
16. Il résulte de l'instruction que Mme I... a enduré, du fait de l'absence de reprise chirurgicale de l'anneau gastrique, des souffrances physiques, liées aux troubles incessants qui ont conduit à son hospitalisation du 14 au 18 juin 2007, et morales, ainsi qu'il résulte en particulier des témoignages de ses proches. En évaluant ces souffrances à la somme de 7 000 euros, les premiers juges n'ont pas fait une évaluation insuffisante de ce chef de préjudice. Par suite, compte tenu du taux de perte de chance fixé au point 15, il y a lieu de porter l'indemnité due à ce titre aux héritiers de Mme B... I... à la somme de 5 250 euros.
En ce qui concerne les préjudices subis par les requérants :
17. En premier lieu, si les requérants indiquent qu'ils partageaient une communauté de vie avec la victime, il résulte toutefois de l'instruction, notamment d'une attestation émanant d'un proche, que, si, au cours de l'année 2005 et au printemps 2006, Mme B... I... vivait avec sa mère, Mme H... I..., et son frère, M. D... J..., les intéressés n'habitaient plus ensemble après cette date. Mme B... I... ne cohabitait pas davantage avec sa grand-mère, Mme C... I.... Dans ces conditions, en fixant le préjudice d'affection subi par la mère et le frère alors mineur de la victime à 5 000 euros chacun et par sa grand-mère à la somme de 3 000 euros, le tribunal n'a pas fait une évaluation insuffisante de ce chef de préjudice. Compte tenu du taux de perte de chance, il y a lieu de porter l'indemnisation due à ce titre à Mme H... I... et à M. D... J... à la somme de 3 750 euros et à Mme C... I... à la somme de 2 250 euros.
18. En second lieu, en se bornant à soutenir que Mme H... I... a emmené sa fille en consultation et aux urgences du centre hospitalier de Montluçon les requérants ne précisent pas davantage en appel qu'en première instance, la nature des bouleversements dans leur mode de vie quotidien pendant la période courant entre le 8 juin 2007, date de la faute commise par le centre hospitalier, et le 24 juin 2007, date du décès de Mme B... I.... Il y a lieu, par suite de rejeter leur demande présentée au titre du préjudice d'accompagnement.
En ce qui concerne les droits de la caisse primaire d'assurance maladie :
19. Ainsi qu'il a été dit au point 5, si les résultats de l'examen de transit oeso-gastro-duodénal pratiqué lors de l'hospitalisation de Mme I... du 7 au 9 juin 2007 aurait dû conduire à procéder en urgence à l'ablation de l'anneau gastrique, cette hospitalisation n'est pas directement imputable aux manquements commis par le centre hospitalier de Montluçon et, ainsi que le relève ce dernier, une hospitalisation s'imposait pour qu'il soit procédé à l'ablation de l'anneau gastrique. La caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme n'est, dès lors, pas fondée à solliciter le remboursement des frais d'hospitalisation qu'elle a exposés à ce titre au profit de son assurée. En revanche, les frais hospitaliers exposés à l'occasion du séjour de Mme I... du 14 au 18 juin 2007, s'élevant à la somme de 2 720 euros, sont directement liés au défaut de surveillance adapté à l'état de la patiente. En outre, la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme a versé un capital-décès s'élevant à 991 euros, aux proches de la victime dont elle a droit au remboursement. Par suite, compte tenu du taux de perte de chance, il y a lieu de porter à la somme de 2 783,25 euros le montant de l'indemnité due par le centre hospitalier de Montluçon à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme.
20. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de porter le montant de l'indemnité due par le centre hospitalier de Montluçon aux ayants droit de Mme B... I... à la somme de 5 250 euros, le montant de l'indemnité due à Mme H... I... et à M. D... J... à la somme de 3 750 euros chacun et à Mme C... I... à la somme de 2 250 euros. Le montant dû par le centre hospitalier de Montluçon à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme est porté à la somme de 2 783,25 euros. Il y a lieu de réformer en ce sens le jugement attaqué du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 6 mars 2019.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
21. La caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme a droit aux intérêts au taux légal de la somme qui lui est due à compter du 16 mars 2017, date d'enregistrement de son mémoire au greffe du tribunal administratif de Clermont-Ferrand demandant pour la première fois le versement des intérêts. Elle a, en outre, demandé la capitalisation des intérêts dans ce même mémoire. Il y a lieu, par suite, de faire droit à sa demande de capitalisation des intérêts à compter du 16 mars 2018, date à laquelle a été due au moins une année d'intérêts, puis à chaque échéance annuelle ultérieure.
Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :
22. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " (...) En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget (...) ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 4 décembre 2020 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour 2021 : " Les montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale sont fixés respectivement à 109 € et à 1 098 € au titre des remboursements effectués au cours de l'année 2021 ".
23. En application de ces dispositions et compte tenu de la majoration en appel du montant des sommes dont la caisse a obtenu le remboursement, il y a lieu de porter à 927,75 euros le montant de l'indemnité forfaitaire de gestion qui a été allouée à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme et à laquelle elle a droit.
Sur les frais liés au litige :
24. D'une part, il y a lieu de maintenir les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, liquidés et taxés à la somme de 1 400 euros par ordonnance du 8 décembre 2015 du président de ce tribunal, à la charge définitive du centre hospitalier de Montluçon.
25. D'autre part, Mme I... et autres ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me E..., leur avocat, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge du centre hospitalier de Montluçon la somme de 1 500 euros à verser à cet avocat au titre des frais exposés. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Montluçon, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 800 euros au titre des frais exposés par la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La somme de 2 100 euros que le centre hospitalier de Montluçon a été condamné à verser à Mme H... I... en réparation des préjudices subis par Mme B... I... est portée à la somme de 5 250 euros et sera versée aux ayants droit de cette dernière.
Article 2 : La somme de 1 500 euros que le centre hospitalier de Montluçon a été condamné à verser à M. D... J... en réparation de ses préjudices est portée à la somme de 3 750 euros.
Article 3 : La somme de 1 500 euros que le centre hospitalier de Montluçon a été condamné à verser à Mme H... I... en réparation de ses préjudices propres est portée à la somme de 3 750 euros.
Article 4 : La somme de 900 euros que le centre hospitalier de Montluçon a été condamné à verser à Mme C... I... en réparation de ses préjudices est portée à la somme de 2 250 euros.
Article 5 : La somme de 1 113,30 euros que le centre hospitalier de Montluçon a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme en remboursement de ses débours est portée à la somme de 2 783,25 euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 mars 2017. Les intérêts échus à la date du 16 mars 2018, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 6 : La somme de 371,77 euros que le centre hospitalier de Montluçon a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion est portée à 927,75 euros.
Article 7 : Le jugement n° 1602248 du 6 mars 2019 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 8 : Les frais de l'expertise ordonnée en référé par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, taxés et liquidés à la somme de 1 400 euros, sont laissés à la charge du centre hospitalier de Montluçon.
Article 9 : Le centre hospitalier de Montluçon versera à Me E..., avocat de Mme I... et autres, la somme de 1 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 10 : Le centre hospitalier de Montluçon versera à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme une somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 11 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 12 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... I..., à M. D... J..., à Mme C... I..., au centre hospitalier de Montluçon, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Allier et à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Gayrard, président assesseur,
M. Pin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2021.
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N° 19LY02632