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30/03/2021 | FRANCE | N°19LY02883

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 30 mars 2021, 19LY02883


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... E... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner le département de l'Ain à lui verser la somme de 33 000 euros à titre de réparation des préjudices qu'elle a subis du fait du retrait illégal de son agrément d'assistante maternelle et de mettre à la charge du département de l'Ain la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1709157 du 21 mai 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Proc

édure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 juillet 2019 et un mémoire e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... E... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner le département de l'Ain à lui verser la somme de 33 000 euros à titre de réparation des préjudices qu'elle a subis du fait du retrait illégal de son agrément d'assistante maternelle et de mettre à la charge du département de l'Ain la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1709157 du 21 mai 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 juillet 2019 et un mémoire enregistré le 3 juillet 2020, Mme E..., représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1709157 du 21 mai 2019 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner le département de l'Ain à lui verser la somme de 33 000 euros ;

3°) de mettre à la charge du département de l'Ain la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif de Lyon a estimé non fondé le premier motif tiré de la délégation de garde d'enfants et retenu par le président du conseil départemental de l'Ain dans sa décision du 23 juin 2017 refusant de lui renouveler son agrément d'assistante maternelle ; le retrait d'agrément pour ce motif est disproportionné au vu des faits de l'espèce ;

- elle n'a pratiqué ni même organisé aucun dépassement de la capacité d'accueil autorisée par son agrément ;

- le manquement à la sécurité invoqué en défense n'était pas au nombre des motifs de la décision de retrait d'agrément ;

- aucun manquement à l'obligation de déclaration des enfants accueillis ou de ses jours de repos n'est établi ;

- le lien de causalité entre la faute tenant à l'illégalité de cette décision et le dommage subi est ainsi établi ;

- l'illégalité fautive de la décision du président du conseil départemental de l'Ain est à l'origine d'une perte de revenus durant une période de quatre mois, qui s'élève à la somme de 8 000 euros ;

- elle a subi un préjudice lié à la difficulté de retrouver des enfants à accueillir qui sera indemnisé à hauteur de la somme de 5 000 euros ;

- elle a droit à la somme de 10 000 euros au titre préjudice moral subi, lié à l'atteinte protée à son honneur et à sa réputation personnelle et professionnelle ;

- elle a subi, en lien avec l'illégalité fautive, des troubles de santé qui seront indemnisés à hauteur de la somme de 10 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 novembre 2019, le département de l'Ain, représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 000 euros soit mise à la charge de Mme E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- Mme E... a commis un manquement à ses obligations professionnelles en délégant la garde d'un enfant à son époux, qui ne bénéficiait pas d'un agrément ;

- la sécurité des enfants n'a pas été assurée malgré les avertissement qui ont été adressés à la requérante ;

- la circonstance que le retrait de l'agrément n'a pas été précédé par l'avertissement prévu par les dispositions précitées de l'article R. 421-26 du code de l'action sociale et des familles, n'entache pas la légalité de la décision ;

- les dépassements du nombre d'enfants accueillis et l'absence de signalement de la présence d'enfants au domicile de Mme E... constituent un manquement grave à ses obligations professionnelles ;

- Mme E... a omis de signaler l'existence d'un contrat pour la garde de deux enfants supplémentaires les mercredis, samedis et dimanches, présentant, selon l'intéressée, un caractère fictif ;

- Mme E... a commis un manquement à ses obligations en signant un contrat d'accueil d'enfants l'empêchant de bénéficier d'un jour de repos hebdomadaire, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'action sociale et des familles ; l'intéressée a également méconnu les dispositions de l'article L. 423-21 du code de l'action sociale et des familles concernant le temps de repos quotidien, faisant ainsi courir un risque à l'ensemble des enfants accueillis ;

- ce cumul de fautes exonère le département de sa responsabilité ;

- subsidiairement, le préjudice économique allégué devrait être réduit à hauteur de la somme de 1 096,50 euros ;

- Mme E... ne justifie pas d'un préjudice résultant de la durée nécessaire pour elle de retrouver un niveau d'activité identique ;

- le préjudice d'atteinte à sa réputation n'est pas établi ;

- le lien entre la décision illégale et le préjudice allégué lié aux troubles de santé n'est pas rapporté.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le décret n° 2012-364 du 15 mars 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me A..., représentant Mme E....

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., qui bénéficiait d'un agrément en qualité d'assistante maternelle délivré le 15 juin 2012 pour une durée de cinq ans, a déposé, le 20 février 2017, une demande de renouvellement de cet agrément pour l'accueil simultané de trois enfants dont un âgé de plus de deux ans. En l'absence de notification d'une décision dans le délai de trois mois prévu par les dispositions de l'article L. 421-6 du code de l'action sociale et des familles, le renouvellement de l'agrément demandé par Mme E... a été réputé acquis le 20 mai 2017. Estimant que Mme E... ne respectait pas ses obligations professionnelles en délégant la garde des enfants accueillis à son conjoint et en dépassant la capacité d'accueil autorisée par son agrément, le président du conseil départemental de l'Ain a, le 23 juin 2017, pris un arrêté qui doit être regardé comme ayant procédé au retrait de cet agrément qui avait été tacitement renouvelé. Par un jugement du 10 juillet 2018, devenu définitif, le tribunal administratif de Lyon a annulé cette décision de retrait d'agrément au motif qu'elle était entachée d'un vice de procédure en l'absence de l'avertissement préalable prévu l'article R. 421-26 du code de l'action sociale et des familles lorsqu'est en cause un manquement tiré du dépassement du nombre d'enfants mentionnés dans l'agrément, le tribunal ayant estimé en outre que le président du conseil départemental n'aurait pas pris la même décision s'il s'était fondé sur le seul motif tiré d'une délégation ponctuelle de la garde d'enfant par l'intéressée à son conjoint. Mme E... demande l'annulation du jugement du 21 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à ce que le département de l'Ain soit condamné à l'indemniser des préjudices que lui a causé l'arrêté illégal du 23 juin 2017.

Sur la responsabilité du département de l'Ain :

2. Lorsqu'un assistant maternel sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'un retrait d'agrément entaché d'un vice de procédure, il appartient au juge de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des pièces produites par les parties et, le cas échéant, en tenant compte du motif pour lequel le juge administratif a annulé cette décision, si la même décision aurait pu légalement être prise dans le cadre d'une procédure régulière.

3. Aux termes de l'article L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles : " L'agrément nécessaire pour exercer la profession d'assistant maternel ou d'assistant familial est délivré par le président du conseil départemental du département où le demandeur réside. (...). L'agrément est accordé à ces deux professions si les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives de la personne. Les modalités d'octroi ainsi que la durée de l'agrément sont définies par décret. (...) Les conditions de renouvellement de l'agrément sont fixées par ce décret. ". Aux termes de l'article L. 421-6 du même code : " (...) Si les conditions de l'agrément cessent d'être remplies, le président du conseil départemental peut, après avis d'une commission consultative paritaire départementale, modifier le contenu de l'agrément ou procéder à son retrait. (...) ". Selon l'article R. 421-26 de ce code : " Un manquement grave ou des manquements répétés aux obligations de déclaration et de notification prévues aux articles R. 421-38, R. 421-39, R. 421-40 et R. 421-41 ainsi que des dépassements du nombre d'enfants mentionnés dans l'agrément et ne répondant pas aux conditions prévues par l'article R. 421-17 peuvent justifier, après avertissement, un retrait d'agrément ".

4. Ainsi qu'il a été dit au point 1, le tribunal administratif de Lyon a, par un jugement du 10 juillet 2018, annulé l'arrêté du 23 juin 2017 portant retrait de l'agrément dont bénéficiait Mme E... en qualité d'assistante maternelle comme entaché d'un vice de procédure pour avoir été pris sur le fondement d'un dépassement des capacités d'accueil en l'absence de l'avertissement préalable exigé par les dispositions de l'article R. 421-39 du code de l'action sociale et des familles, le second motif retenu, tiré d'une délégation ponctuelle de la garde d'un enfant accueilli, ne justifiant pas, à lui seul, la décision de retrait d'agrément.

5. Il résulte de l'instruction, notamment des contrats de travail produits par Mme E..., qu'elle accueillait simultanément, durant les périodes de vacances scolaires, quatre enfants, quatre jours par semaine, entre 8h15 et 8h20. Si Mme E... fait valoir qu'elle n'accueillait l'un de ces quatre enfants qu'à compter de 8h45, elle ne l'établit pas alors que le contrat de travail qu'elle produit et dont il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait été modifié, même oralement, mentionne un accueil quotidien à compter de 8h15. Si le motif retenu était ainsi justifié au fond, dès lors que Mme E... dépassait ponctuellement le nombre maximal d'enfants qu'elle pouvait accueillir simultanément, il n'est toutefois pas établi que l'application d'une procédure régulière, comportant un avertissement qui aurait eu pour objet d'inciter la requérante à modifier les horaires d'accueil des enfants avant une mesure de retrait de son agrément, aurait permis de prendre la même décision.

6. En outre, le tribunal administratif de Lyon a jugé, dans son jugement du 10 juillet 2018, devenu définitif et revêtu de l'autorité absolue de la chose jugée, que le second motif retenu par le président du conseil départemental tiré de ce que Mme E... avait confié la garde d'un enfant à son époux, lequel ne dispose pas d'un agrément à cet effet, alors qu'elle était absente de son domicile, ne pouvait justifier, à lui seul, la décision de retrait d'agrément.

7. L'autorité absolue de chose jugée qui s'attache au dispositif du jugement précité et aux motifs qui en sont le soutien nécessaire fait obstacle à ce que le département de l'Ain puisse utilement discuter à nouveau de la légalité de la décision de retrait d'agrément et invoque, pour la première fois dans le cadre de la présente instance indemnitaire, de nouveaux motifs susceptibles selon lui de fonder ce retrait d'agrément. Par suite, l'illégalité constatée par le jugement précité est susceptible d'engager la responsabilité du département dès lors qu'elle est à l'origine directe et certaine des préjudices invoqués par Mme E.... Contrairement à ce que soutient le département, les manquements qu'il invoque pour la première fois, et dépourvus de lien avec l'illégalité fautive retenue, ne constituent pas des fautes commises par la requérante de nature à exonérer l'administration de sa responsabilité résultant de l'illégalité fautive rappelée au point 4.

Sur l'évaluation des préjudices :

8. En premier lieu, il résulte de l'instruction que Mme E... justifie avoir perçu, au cours du mois de mai 2017, des revenus salariaux tirés de l'accueil à son domicile des enfants qu'elle avait régulièrement déclarés au département de l'Ain à hauteur de 1 506,11 euros. Entre la date de prise d'effet de la décision de retrait d'agrément du 23 juin 2017 et le 20 septembre 2017, date à laquelle elle s'est vue accorder l'attestation prévue à l'article D. 421-15 du code de l'action sociale et des familles l'autorisant à exercer la profession d'assistante maternelle, en application de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lyon 15 septembre 2017 suspendant l'exécution de la décision du 23 juin 2017, Mme E... a subi une perte de revenus, en lien direct avec l'illégalité fautive, s'élevant à la somme de 4 518,33 euros. Le département de l'Ain doit, par suite, être condamné à verser à Mme E... cette somme de 4 518,33 euros au titre de son préjudice financier.

9. En deuxième lieu, Mme E..., qui a conclu un nouveau contrat de garde d'enfant dès le mois d'octobre 2017 et un second le 3 novembre 2017, ne justifie pas des difficultés qu'elle allègue avoir rencontrées pour se voir confier de nouveaux enfants.

10. En troisième lieu, Mme E... n'établit pas que la faute commise par le département de l'Ain aurait porté atteinte à sa réputation dans sa commune et auprès d'autres assistants maternels, alors au demeurant que des parents d'enfants qu'elle accueillait avant la mesure de retrait d'agrément illégale ont continué à leur confier leurs enfants après que l'exécution de cette mesure a été suspendue par le juge des référés du tribunal administratif de Lyon.

11. En dernier lieu, en se bornant à produire des éléments médicaux établis après qu'elle a eu repris son activité professionnelle d'assistante maternelle, la requérante ne démontre pas de lien direct et certain entre l'illégalité fautive et les troubles dans les conditions d'existence ainsi que le préjudice moral qu'elle allègue.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la condamnation du département de l'Ain à lui verser une indemnité en réparation des préjudices résultant de l'illégalité fautive de la décision du 23 juin 2017 lui retirant son agrément en qualité d'assistante maternelle. Le département de l'Ain est condamné à verser à Mme E... une somme de 4 518,33 euros.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme E..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse au département de l'Ain la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de l'Ain le versement à Mme E... d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1709157 du 21 mai 2019 du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : Le département de l'Ain est condamné à verser à Mme E... une somme de 4 518,33 euros.

Article 3 : Le département de l'Ain versera à Mme E... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E... et au département de l'Ain.

Délibéré après l'audience du 25 février 2021, à laquelle siégeaient :

M. Gayrard, président de la formation de jugement,

Mme B..., première conseillère,

M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mars 2021.

2

N° 19LY02883


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY02883
Date de la décision : 30/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Aide sociale - Différentes formes d'aide sociale - Aide sociale à l'enfance - Placement des mineurs - Placement familial.

Procédure - Pouvoirs et devoirs du juge - Questions générales - Substitution de motifs.


Composition du Tribunal
Président : M. GAYRARD
Rapporteur ?: M. François-Xavier PIN
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SELURL PHELIP

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-03-30;19ly02883 ?
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