Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Philips France devenue Signify France a demandé au tribunal administratif de Lyon, d'une part, d'annuler la décision du 20 juin 2018 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité territoriale de l'Ain a refusé de l'autoriser à licencier M. B... A... pour motif économique, ensemble la décision du 8 novembre 2018 par laquelle la ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique, d'autre part, d'enjoindre à la ministre du travail de l'autoriser à licencier M. A....
Par jugement n° 1809360 lu le 19 novembre 2019, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés les 16 janvier et 3 septembre 2020, la société Signify France, représentée par Me Czernichow, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et les décisions susmentionnées ;
2°) d'enjoindre à la ministre du travail de l'autoriser à licencier M. A... ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la réalité du motif économique tiré de la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise est établie ;
- l'inspecteur du travail a commis une erreur d'appréciation en estimant qu'elle n'avait pas respecté son obligation de reclassement ;
- la demande d'autorisation de licenciement économique n'est pas liée aux mandats de M. A....
Par mémoires enregistrés les 15 juin et 15 octobre 2020, M. A..., représenté par Me Chircop, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la société Signify France une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que la requête est irrecevable et qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.
Par mémoire enregistré le 16 novembre 2020, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Elle soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.
Par ordonnance du 9 octobre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 novembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Djebiri, première conseillère ;
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
- et les observations de Me Marius substituant Me Czernichow, pour la société Signify France, ainsi que celles de Me Chartier pour M. A... ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 septembre 2021, présentée pour la société Signify France ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Philips France devenue Signify France, qui fabrique du matériel d'éclairage électrique, a procédé à des licenciements pour motif économique en raison de la réorganisation décidée pour sauvegarder sa compétitivité. Le 19 avril 2018, elle a demandé aux services de l'inspection du travail l'autorisation de licencier M. A..., salarié protégé employé dans l'unité de production de Miribel, vouée à la fermeture. Par décision du 20 juin 2018, l'inspecteur du travail a rejeté sa demande en se fondant sur le caractère non établi du motif économique, sur la méconnaissance par l'employeur de son obligation de recherche de reclassement et sur l'existence d'un lien avec le mandat. La société a présenté un recours hiérarchique qui a été rejeté, le 8 novembre 2018, sur l'absence de réalité du motif économique. La société relève appel du jugement n° 1809360 lu le 19 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande d'annulation de ces décisions.
Sur le refus d'autorisation de licenciement :
En ce qui concerne la décision de l'inspecteur du travail :
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement présentée par l'employeur est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié. Si la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise peut constituer un tel motif, c'est à la condition que soit établie une menace pour la compétitivité de l'entreprise, laquelle s'apprécie, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, au niveau du secteur d'activité dont relève l'entreprise en cause au sein du groupe.
3. Il ressort des pièces du dossier que, l'établissement de Miribel BG Professionnal appartient à l'entité BG Professionnal elle-même appartenant à Philips lighting. Le secteur d'activité dont elle relève connaît une baisse structurelle provoquée par la généralisation de la technologie de l'éclairage à leds et l'émergence des systèmes d'éclairage connecté générant une baisse importante de la fréquence de remplacement des éléments d'éclairage. En outre, si le résultat de l'entreprise s'est amélioré aux troisième et quatrième trimestres de 2017, cette embellie conjoncturelle est liée aux effets économiques des précédents licenciements économiques et ne s'est d'ailleurs pas confirmée début 2018. Dans ces conditions, la société requérante établit l'existence de la réalité du motif économique fondée sur la réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité et c'est à tort que l'inspecteur du travail a refusé d'accorder l'autorisation de licenciement pour absence de réalité du motif économique.
4. Toutefois, l'inspecteur du travail a également fondé sa décision sur la méconnaissance par l'employeur de son obligation de recherche de reclassement. Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail : " (...) le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel (...) Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ". Aux termes de l'article D. 1233-2-1 du même code : " I. - Pour l'application de l'article L. 1233-4, l'employeur adresse des offres de reclassement de manière personnalisée ou communique la liste des offres disponibles aux salariés, et le cas échéant l'actualisation de celle-ci, par tout moyen permettant de conférer date certaine. II. - Ces offres écrites précisent : a) L'intitulé du poste et son descriptif ; b) Le nom de l'employeur ; c) La nature du contrat de travail ; d) La localisation du poste ; e) Le niveau de rémunération ; f) La classification du poste. III. - En cas de diffusion d'une liste des offres de reclassement interne, celle-ci comprend les postes disponibles situés sur le territoire national dans l'entreprise et les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie (...) ".
5. Pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié, tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises du groupe auquel elle appartient, ce dernier étant entendu, à ce titre, comme les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel. Il appartient au juge, pour juger du respect par l'employeur de l'obligation de moyens dont il est débiteur pour le reclassement d'un salarié, de tenir compte de l'ensemble des circonstances de fait qui lui sont soumises, notamment de ce que les recherches de reclassement conduites au sein de l'entreprise et du groupe ont débouché sur des propositions précises de reclassement, de la nature et du nombre de ces propositions, ainsi que des motifs de refus avancés par le salarié.
6. Il ressort des pièces du dossier que la société Signify France s'est bornée à envoyer à M. A..., par courrier du 12 décembre 2017, une liste de postes à l'étranger, à lui indiquer qu'aucun poste correspondant à son profil n'avait été identifié et que la liste des postes vacants en France était affichée dans le hall du site de Miribel. Toutefois, elle n'établit pas que cette liste de postes comportait des indications sur les conditions d'embauche, de travail ou de rémunération et ainsi, que ces offres auraient été précises. Enfin, si la société se prévaut d'une proposition de reclassement du 15 octobre 2018, elle est postérieure à la décision attaquée. Enfin, la communication du registre unique du personnel ne permet pas d'établir l'effectivité d'une recherche personnalisée de reclassement. Par suite, la société qui n'a pas procédé à l'examen individuel de la situation de M. A... en vue d'assurer son reclassement, n'a pas satisfait à l'obligation prévue par les dispositions de l'article L. 1233-4 du code du travail.
7. Le seul motif tiré de l'absence de recherche de reclassement de M. A... suffisant à conduire l'administration à refuser d'autoriser le licenciement, il est sans incidence que l'inspecteur du travail se soit fondé à tort sur le lien avec le mandat.
En ce qui concerne la décision du ministre du travail :
8. La décision de l'inspecteur du travail qui a refusé d'autoriser le licenciement de M. A... n'est pas, ainsi qu'il a été dit au point 7, entachée d'illégalité. Cette décision avait créé des droits au profit de M. A.... Dès lors, la ministre du travail était tenue de rejeter le recours hiérarchique de la société Signify France dirigé contre cette décision. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision de la ministre du travail du 8 novembre 2018 rejetant le recours de la société Signify France serait fondée sur un motif juridiquement erroné est inopérant.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, que la société Signify France n'est pas fondée à se plaindre que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction.
Sur les frais d'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que la société Signify France demande au titre des frais exposés à l'occasion du litige soit mise à la charge de l'État, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Signify France le paiement à M. A... d'une somme de 1 000 euros au titre des frais liés au litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Signify France est rejetée.
Article 2 : La société Signify France versera à M. A... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Signify France, à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 9 septembre 2021 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 septembre 2021.
N° 20LY00188 6