Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La SCI les fourches a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune de Chens-sur-Léman à lui verser la somme de 1 102 586,36 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2016 et capitalisation des intérêts.
Par une ordonnance n° 430232 du 6 avril 2019, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a, en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, transmis au tribunal administratif de Lyon la requête.
Par un jugement n° 1721515 du 26 novembre 2019, le tribunal administratif de Lyon a condamné la commune de Chens-sur-Léman à verser à la SCI les fourches la somme de 604 016,25 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2016 et capitalisation des intérêts, et rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 27 janvier 2020, et un mémoire en réplique enregistré le 15 septembre 2021, qui n'a pas été communiqué, la commune de Chens-sur-Léman, représentée par la SELAS Adamas Affaires Publiques, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 26 novembre 2019 ;
2°) de rejeter les conclusions de la demande de la SCI Les fourches ;
3°) de mettre à la charge de la SCI Les fourches la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la SCI les fourches, qui a la qualité de professionnel de l'immobilier, a commis une faute de nature à exonérer entièrement la commune de sa responsabilité ; elle avait en effet été avertie par le notaire, lors de la signature de l'acte de vente, des risques liés à l'absence de délivrance d'un permis de construire lors de l'achat, et de l'application de prescriptions d'urbanisme en zone littorale ; le certificat d'urbanisme n'était plus valable lors de l'acquisition ;
- le préjudice résultant de la perte de valeur vénale du bien est sans lien direct avec la faute résultant de la délivrance d'un certificat d'urbanisme illégal ;
- l'intimée ne peut être indemnisée des frais qu'elle a exposés antérieurement au refus de permis de construire illégal du 28 juillet 2015, qui constitue le fait générateur réel de son préjudice ;
- le préjudice résultant de la perte de valeur vénale du bien n'est pas suffisamment établi ni, par voie de conséquence, celui résultant des droits d'enregistrement liés à l'achat du terrain ;
- l'intimée ne peut être indemnisée des sommes qu'elle a acquittées auprès d'un chargé d'affaires, dont la réalité et le lien avec la demande de permis de construire ne sont pas suffisamment établis ;
- l'intimée n'établit pas la réalité des frais d'architecte et des frais d'huissier qu'elle prétend avoir exposés.
Par un mémoire enregistré le 17 août 2020, la SCI les fourches, représentée par la SELARL Le Roy Gourvennec Prieur, conclut au rejet de la requête, à l'annulation du jugement en ce qu'il a limité à la somme de 604 016,25 euros la condamnation de la commune de Chens-sur-Léman, à la condamnation de la commune à lui verser la somme totale de 1 102 586,36 euros et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle n'a pas la qualité de professionnel de l'immobilier, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'exonérer la commune d'une part de sa responsabilité ; la rédaction de l'acte de vente, qui était générale et ne faisait pas référence à la loi littorale, n'a pu l'alerter suffisamment des risques qu'elle encourait ; l'ancienneté du certificat d'urbanisme est sans incidence dès lors que l'inconstructibilité du terrain n'est pas due à une évolution des règles d'urbanisme dont la cristallisation attachée au certificat aurait pu la prévenir ;
- les préjudices qu'elle a subis, liés à l'acquisition au prix d'un terrain constructible de parcelles ne pouvant être bâties et des frais exposés en vue du dépôt d'une demande de permis de construire, sont en lien avec la délivrance, en 2010, d'un certificat d'urbanisme illégal et le classement du terrain en zone constructible ;
- la perte de valeur vénale du terrain est établie par l'expertise qu'elle a produite ;
- les frais d'architecte, d'huissier, de chargé d'affaires sont établis et en lien avec les illégalités fautives ;
- elle a droit à être indemnisée des frais d'avocat, d'un montant de 27 000 euros, qu'elle a exposés ;
- elle doit être indemnisée de la totalité des frais exposés auprès de son chargé d'affaires, soit un total de 41 100 euros ;
- elle peut être indemnisée des frais d'immobilisation de son capital entre le 18 août 2010 et le 2 octobre 2019.
La clôture de l'instruction a été fixée au 15 septembre 2021, par une ordonnance du 26 juillet 2021.
Par courrier du 29 septembre 2021, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour est susceptible de soulever d'office le moyen tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à l'indemnisation des frais d'avocat exposés par la SCI les fourches en raison de l'illégalité du permis de construire délivré le 28 juillet 2015, qui reposent sur un fondement juridique distinct de celui invoqué en première instance, tiré de l'illégalité du certificat d'urbanisme et du classement du terrain au PLU.
La SCI les fourches a présenté ses observations en réponse au moyen par un mémoire enregistré le 6 octobre 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Thierry Besse, président-assesseur,
- les conclusions de M. Jean-Simon Laval, rapporteur public,
- les observations de Me Untermaier, substituant Me Petit, pour la commune de Chens-sur-Léman, ainsi que de Me Durieux, substituant Me Gourvennec, pour la SCI les fourches ;
Et après avoir pris connaissance de la note en délibéré présentée pour la SCI les fourches, enregistrée le 21 octobre 2021, et de la note en délibéré présentée pour la commune de Chens-sur-Léman, enregistrée le 22 octobre 2021.
Considérant ce qui suit :
1. La SCI les fourches a acquis, par acte authentique du 18 août 2010, au vu d'un certificat d'urbanisme obtenu le 9 mars 2010 par le vendeur, un ensemble de parcelles situées à proximité du lac Léman et classées en zone Uc constructible au plan local d'urbanisme de la commune de Chens-sur-Léman. Elle a déposé le 11 décembre 2014 une demande de permis de construire en vue de l'édification sur ce terrain d'une maison individuelle. Après avoir dans un premier temps rejeté sa demande, le maire de Chens-sur-Léman lui a délivré le permis de construire sollicité par arrêté du 28 juillet 2015. Cet arrêté a été annulé par un jugement du 26 mai 2016 du tribunal administratif de Grenoble, confirmé par arrêt de la cour en date du 5 juin 2018, au motif que le projet méconnaît les dispositions de l'article L. 146-4 alors en vigueur du code de l'urbanisme applicables aux communes situées en zone littorale. Par jugement du 26 novembre 2019, le tribunal administratif de Lyon a condamné la commune de Chens-sur-Léman à verser à la SCI les fourches la somme de 604 016,25 euros, outre intérêts, en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de l'illégalité du certificat d'urbanisme du 9 mars 2010 ayant déclaré le terrain constructible. La commune de Chens-sur-Léman relève appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, la SCI les fourches demande que la somme à laquelle la commune a été condamnée à lui payer soit portée à la somme de 1 102 586,36 euros.
Sur la responsabilité de la commune et la faute de la victime :
2. La commune de Chens-sur-Léman ne conteste pas l'illégalité fautive du certificat d'urbanisme délivré le 9 mars 2010. La SCI les fourches, qui disposait ainsi d'une assurance suffisante, donnée par la commune, de ce qu'elle pouvait construire un bien sur ce terrain, est fondée à demander l'indemnisation du préjudice qu'elle a subi du fait de l'acquisition du terrain à un prix supérieur à sa valeur vénale et des frais qu'elle a engagés en vue de la délivrance du permis de construire, qui présentent un lien direct avec la faute de la commune, sans qu'ait d'incidence à cet égard, au regard du motif fondant l'impossibilité de construire sur ce terrain, la caducité du certificat d'urbanisme délivré le 9 mars 2010 à la date de la demande de permis de construire.
3. La SCI les fourches, qui a été créée peu avant l'acquisition du terrain, qui n'a entrepris aucune autre acquisition et dont le gérant exerce dans le négoce international du pétrole ou de métaux précieux ne peut être regardée comme une société professionnelle de l'immobilier, malgré le fait que son gérant dispose d'un patrimoine important, en partie immobilier. Par ailleurs, la commune de Chens-sur-Léman ne peut utilement faire valoir que la SCI les fourches s'est attaché les services d'un chargé d'affaires en 2014, soit plusieurs années après l'acquisition du bien immobilier à l'origine de son préjudice. Si l'acte de vente, qui n'évoquait pas spécifiquement l'application dans le secteur de la loi littorale, contrairement à ce que soutient la commune, mentionnait que l'attention de l'acquéreur avait été attirée par le notaire sur les risques encourus par la signature d'un acte de vente d'un terrain à bâtir sans l'obtention d'un permis de construire concernant le bien acquis, la SCI les fourches, qui pouvait se fonder sur les mentions du certificat d'urbanisme délivré peu avant l'acte d'acquisition, et avait par ailleurs connaissance d'un permis de construire délivré sur ce terrain par la commune de Chens-sur-Léman en 2006, ne peut être regardée comme ayant ainsi commis une imprudence fautive de nature à exonérer partiellement ou totalement la commune de sa responsabilité. C'est par suite à tort que les premiers juges ont retenu que la part de responsabilité de la commune de Chens-sur-Léman devait être limitée à 70% du préjudice subi par l'intimée.
Sur le préjudice indemnisable :
4. Contrairement à ce que fait valoir la commune, les faits générateurs invoqués par la requérante ont trait au classement des terrains en zone Uc et au certificat d'urbanisme délivré le 9 mars 2010, et non au permis de construire délivré le 28 juillet 2015. Elle n'est donc pas fondée à soutenir que la requérante ne saurait être indemnisée des dépenses antérieures à la délivrance de ce permis. La société les fourches a droit à être indemnisée des préjudices imputables aux renseignements erronés communiqués par la commune, qui l'ont amenée à acquérir un terrain en réalité inconstructible et à faire instruire, en pure perte, un projet immobilier qui pouvait lui sembler réalisable au regard de ces renseignements.
5. En premier lieu, la SCI les fourches a droit à l'indemnisation de la perte de valeur vénale de ces terrains, correspondant à la différence entre le prix d'acquisition effectif des parcelles et leur valeur une fois leur inconstructibilité totale révélée. La valeur vénale des terrains inconstructibles doit être évaluée à 2 000 euros, ainsi que l'ont estimé les premiers juges, au regard de l'expertise foncière produite en première instance et non utilement contredite par la commune de Chens-sur-Léman. Le préjudice de la SCI les fourches résultant de la perte de valeur vénale de son terrain peut ainsi être chiffré à 788 000 euros.
6. En deuxième lieu, la société intimée a droit à l'indemnisation des frais de notaire qu'elle a indûment versés correspondant à la différence entre ceux qu'elle a acquittés et ceux qu'elle aurait acquittés en cas d'achat d'un terrain inconstructible, soit une somme de 39 440 euros.
7. En troisième lieu, la SCI les fourches demande à être indemnisée des frais qu'elle a exposés en ayant recours, à compter de décembre 2014, à un chargé d'affaires la représentant dans les démarches qu'elle a entreprises auprès de la commune de Chens-sur-Léman, en vue de la délivrance du permis de construire, notamment suite au refus qui lui avait été opposé dans un premier temps, puis auprès des services de l'Etat, suite au recours exercé par le préfet de la Haute-Savoie contre le permis de construire délivré le 28 juillet 2015. Toutefois, les frais liés au refus pris en 2015 par le maire de Chens-sur-Léman qu'a à tort contesté la société pétitionnaire, puis au contentieux résultant de la délivrance illégale du permis de construire le 28 juillet 2015, sont sans lien direct avec le préjudice résultant de l'illégalité fautive du certificat d'urbanisme délivré le 9 mars 2010 et ne peuvent être indemnisés. Si la société produit également une facture en date du 29 décembre 2014, portant sur un accompagnement dans les démarches en vue de l'obtention du permis de construire, il ne ressort pas suffisamment des pièces du dossier que ces frais, engagés un an avant la conclusion du contrat avec ce chargé d'affaires, et dont la nature n'est pas suffisamment explicitée, étaient nécessaires au projet et en lien avec l'illégalité fautive du certificat d'urbanisme. Par suite, la SCI les fourches ne peut être indemnisée de ces dépenses.
8. En quatrième lieu, la SCI les fourches ne produit aucune facture ni aucun document comptable permettant d'établir qu'elle a acquitté des frais d'architecte et d'études en lien avec la demande de permis de construire qu'elle a déposée en décembre 2014. Par suite, et même si elle produit une attestation en ce sens, elle ne peut être indemnisée de ce préjudice dont la réalité n'est pas justifiée.
9. En cinquième lieu, les frais de constat d'huissier exposés par la SCI les fourches en vue de l'affichage du permis de construire qui lui a été délivré le 28 juillet 2015 sont la conséquence du permis illégalement délivré à cette date et non du certificat d'urbanisme de 2010 et du classement en zone constructible de ces terrains. Par suite, la SCI les fourches ne peut être indemnisée de ce préjudice, qui ne présente pas de lien direct avec les fautes qu'elle invoque.
10. En sixième lieu, et ainsi qu'ont relevé les premiers juges, les frais d'avocat dont la SCI les fourches demande l'indemnisation résultent tout d'abord de l'action qu'elle a introduite pour contester le refus de permis de construire légal qu'avait opposé le maire de Chens-sur-Léman dans un premier temps. De tels frais, engagés à tort, ne présentent pas de lien direct avec le certificat d'urbanisme de 2010 et ne peuvent être indemnisés. Par ailleurs, la société demande le remboursement des frais d'avocat exposés dans le cadre de l'action contentieuse introduite par le préfet de la Haute-Savoie contre l'arrêté du 28 juillet 2015. La SCI les fourches, qui n'avait invoqué dans sa demande indemnitaire préalable et dans ses écritures de première instance que le fait générateur tiré de l'illégalité du classement des terrains au PLU et du certificat d'urbanisme délivré en 2010, n'est pas recevable à solliciter, pour la première fois en appel, la réparation du préjudice résultant de l'illégalité du permis de construire qui lui avait été délivré le 28 juillet 2015. Par suite, elle ne peut être indemnisée de ce préjudice.
11. En dernier lieu, la SCI les fourches sollicite une somme de 196 606 euros, au titre des frais d'immobilisation de fonds, représentant les revenus qu'elle aurait pu tirer de la somme investie en pure perte dans l'achat du terrain, entre le 18 octobre 2010 et le 2 octobre 2019. Toutefois, et ainsi que l'ont relevé les premiers juges, la société n'a déposé sa demande de permis de construire qu'en décembre 2014, plus de quatre années après l'achat du terrain, sans fournir d'explications sur ce point. La commune de Chens-sur-Léman ne saurait être condamnée à indemniser le préjudice qu'aurait subi pendant cette période la SCI les fourches, qui n'a pas entendu rentabiliser son investissement. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit, la commune de Chens-sur-Léman est condamnée à indemniser la SCI les fourches du préjudice résultant de la perte de valeur vénale du terrain, outre intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2016. Il ne résulte pas de l'instruction, et notamment des documents produits par la société intimée que, sur cette période, elle aurait pu escompter une rémunération de son capital supérieure. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par la SCI les fourches au titre de l'immobilisation de son capital, en le fixant à la somme de 20 000 euros.
12. Il résulte de ce qui précède que le préjudice dont la SCI les fourches peut être indemnisé s'élève à la somme de 847 440 euros.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Chens-sur-Léman n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon l'a condamnée à indemniser la SCI les fourches de son préjudice et que, par la voie de l'appel incident, la SCI les fourches est seulement fondée à demander que l'indemnité qui lui a été allouée par le jugement attaqué soit portée à la somme de 847 440 euros et à demander la réformation du jugement dans cette mesure.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la commune de Chens-sur-Léman, partie perdante, tendant au remboursement des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Chens-sur-Léman une somme au titre des frais non compris dans les dépens exposés par SCI les fourches.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme que la commune de Chens-sur-Léman a été condamnée à payer à la SCI les fourches par le jugement du 26 novembre 2019 du tribunal administratif de Lyon est portée à la somme de 847 440 euros.
Article 2 : L'article 1er du jugement n° 1721515 du 26 novembre 2019 du tribunal administratif de Lyon est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.
Article 3 : Les conclusions des parties sont rejetées pour le surplus.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Chens-sur-Léman et à la SCI les fourches.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.
Délibéré après l'audience du 19 octobre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Danièle Déal, présidente de chambre,
M. Thierry Besse, président-assesseur,
Mme Christine Psilakis, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2021.
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N° 20LY00389