Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les arrêtés du 13 novembre 2020 par lesquels le préfet de l'Isère lui a, d'une part, fait obligation de quitter sans délai le territoire français avec interdiction de circulation pour une durée d'un an et fixé le pays de destination et l'a, d'autre part, assigné à résidence dans le département pour une durée de quarante-cinq jours renouvelable une fois.
Par un jugement n° 2007106 du 4 décembre 2020, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 7 décembre 2020, M. B... C..., représenté par Me Aboudahab, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 4 décembre 2020 ;
2°) d'annuler ces arrêtés du 13 novembre 2020 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le magistrat désigné a omis de statuer sur le moyen tiré de la violation des articles L. 111-8 et L. 111-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le jugement est entaché d'un défaut d'examen personnalisé et d'une insuffisance de motivation ;
- le jugement viole l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'il ne répond pas aux moyens soulevés ;
- la requête de première instance est recevable car le préfet ne justifie ni de l'inscription de l'interprète sur la liste prévue à cet effet ni de la communication de son nom et de ses coordonnées ;
- le délai de recours de quarante-huit heures pour contester les arrêtés du préfet ne saurait lui être opposé faute de mention des voies et délais de recours ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnait l'article L.511-3-1 3° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur de droit, est insuffisamment motivée et ne résulte pas d'un examen personnalisé de sa situation et est ainsi entachée d'erreur d'appréciation;
- la décision portant interdiction de circulation est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision portant assignation à résidence est illégale du fait d'un défaut de base légale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 octobre 2021, le préfet de l'Isère conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la demande est irrecevable car tardive ;
- aucun des moyens n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... A..., présidente-rapporteure,
- les conclusions de M. Jean-Simon Laval, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B... C..., ressortissant italien né le 20 septembre 1978, déclare résider en France depuis mars 2017. Par arrêté du 13 novembre 2020, qui lui a été notifié par le truchement d'un interprète, le préfet de l'Isère l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et lui a fait interdiction de circuler sur le territoire français pendant une durée d'un an. Par arrêté du même jour, le préfet de l'Isère a assigné à résidence M. C... pour une durée de quarante-cinq jours renouvelable. Par jugement du 4 décembre 2020, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de M. C... tendant à l'annulation de ces arrêtés. M. C... relève appel de ce jugement et demande l'annulation des deux arrêtés.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " ( ...) II - L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire sans délai peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative, demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français ou d'interdiction de circulation sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant. / Il est statué sur ce recours selon la procédure et dans les délais prévus, selon les cas, aux I ou I bis. (...) ". Aux termes de l'article L. 111-8 de ce code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Lorsqu'il est prévu aux livres II et V du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes prévues à l'alinéa suivant ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français a été notifié à M. C... le 13 novembre 2020 à 17h30 par le truchement d'un interprète par voie téléphonique en langue arabe qu'il comprend. Il n'est pas contesté que M. C... ait signé les documents de notification mais aucune mention concernant le nom et les coordonnées de l'interprète ne figure dans la notification. M. C... conteste la régularité de la notification en soutenant que l'interprète qu'il a eu au téléphone lui a parlé très brièvement et ne lui a pas indiqué les délais de recours. En défense, le préfet de l'Isère n'apporte aucune précision sur l'identité de l'interprète, ni les conditions effectives de cette notification. Dans ces conditions et à défaut d'établir la régularité de l'intervention de l'interprète et son identité la notification de l'arrêté en litige est irrégulière. Par suite, cette irrégularité rend inopposable le délai de recours contentieux de quarante-huit heures dont dispose le requérant pour contester cet arrêté. Ainsi le requérant est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a rejeté sa demande comme étant, du fait de sa tardiveté, entachée d'irrecevabilité.
4. Par suite, il y a lieu pour la cour administrative d'appel de se prononcer par la voie de l'évocation et de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation des arrêtés en date du 13 novembre 2020.
Sur la légalité des arrêtés du 13 novembre 2020 :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français sans délai :
5. Aux termes de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...) à quitter le territoire français lorsqu'elle constate : / (...) 3° Ou que son comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. / L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à sa situation, notamment la durée du séjour de l'intéressé en France, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle en France, et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine. / (...) L'obligation de quitter le territoire français fixe le pays à destination duquel il est renvoyé en cas d'exécution d'office. / (...) ".
6. Il ressort des pièces du dossier que l'épouse de M. C... a contacté les services de police le 12 novembre 2020 suite à une gifle reçue de M. C..., celui-ci a été interpellé et auditionné, et son épouse a alors déposé plainte. Si ce comportement violent constitue une menace réelle à l'ordre public, il n'est pas de nature à lui seul, à la date de la décision en litige, alors qu'il n'a donné lieu à aucune condamnation, ni poursuite pénale, à établir une menace suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. Dans ces conditions, le préfet de l'Isère a commis une erreur d'appréciation et la décision portant obligation de quitter le territoire sans délai et par voie de conséquence la décision fixant le pays de destination doivent être annulées, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre ces décisions.
En ce qui concerne l'interdiction de circulation :
7. L'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai implique, par voie de conséquence, celle de la décision du même jour interdisant à M. C... de circuler sur le territoire français pendant une durée d'un an.
En ce qui concerne l'assignation à résidence :
8. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " I.- L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : (...) 5° Fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé (...) ".
9. Il ressort des termes de la décision portant assignation à résidence, qui vise les dispositions précitées, que celle-ci a été prise pour l'exécution de la décision portant obligation de quitter le territoire français du 13 novembre 2020. Dès lors l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français entraine par la voie de l'exception d'illégalité, celle de la décision portant assignation à résidence.
10. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que les arrêtés du 13 novembre 2020 du préfet de l'Isère sont entachés d'illégalité et à en demander l'annulation.
Sur les frais d'instance :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative le versement d'une somme de 1 000 euros à M. C....
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2007106 du tribunal administratif de Grenoble du 4 décembre 2020 et les arrêtés du 13 novembre 2020 par lesquels le préfet de l'Isère a obligé M. C... a quitter le territoire français sans délai, lui a fait interdiction de circuler sur le territoire français pendant un an et l'a assigné à résidence, sont annulés.
Article 2 : L'état versera la somme de 1 000 euros à M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 7 décembre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme D... A..., présidente-rapporteure,
M. Thierry Besse, président-assesseur,
Mme Christine Psilakis, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 décembre 2021.
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N° 20LY03575