Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La SARL Natfat a demandé au tribunal administratif de Lyon la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés correspondant aux exercices clos en 2011 et 2012 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012, ainsi que des pénalités fiscales afférentes.
Par un jugement n° 1804189 du 4 février 2020, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 2 août 2020 et 10 janvier 2022, la SARL Natfat, représentée par Me Farhat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 4 février 2020 et de lui accorder la décharge sollicitée ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 9 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SARL Natfat soutient que :
- la procédure est entachée d'irrégularité dès lors que, faute de justifier des graves irrégularités entachant sa comptabilité, l'administration ne pouvait proroger la durée de vérification en application de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales ;
- la procédure est également entachée d'irrégularité dès lors que l'administration a poursuivi son contrôle au-delà du délai prorogé de six mois et que l'entretien dont elle a bénéficié avec l'interlocuteur départemental s'est déroulé dans des conditions qui l'ont privée de la garantie offerte par la charte du contribuable vérifié ;
- la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires des solides est excessivement sommaire et incohérente ; les sommes supposées résulter de l'écart entre le chiffre d'affaires déclaré et celui résultant des fichiers informatiques, faute d'être justifiées, ne peuvent être réintégrées dans le résultat d'exercice ; la reconstitution du chiffre d'affaires des liquides autres que les vins ne tient pas compte des doses réellement servies aux clients, de l'autoconsommation du personnel, des pertes et des offerts ; les annulations importantes pratiquées sur la caisse enregistreuse sont justifiées ; les chiffres d'affaires reconstitués sont incohérents avec ceux déclarés avant le contrôle et ceux évoqués dans le rapport de l'administrateur judiciaire ;
- l'amende de 100% infligée sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts est contestée par voie de conséquence ;
- la majoration qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts est injustifiée et l'administration ne rapporte pas la preuve d'un manquement délibéré justifiant l'application de cette majoration.
Par deux mémoires, enregistrés les 1er mars 2021 et 21 février 2022 (non communiqué), le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens ne sont pas fondés.
Une ordonnance du 19 janvier 2022 a fixé la clôture de l'instruction au 21 février 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Rémy-Néris, première conseillère,
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,
- et les observations de Me Goguelat pour la société requérante.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Natfat exploite un restaurant traditionnel et de spécialités italiennes et ventes à emporter sous l'enseigne " Storia Nostra " à Villeurbanne. A l'issue d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a mis à sa charge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des suppléments d'impôts sur les sociétés sur la période correspondant aux exercices clos en 2011 et 2012, assortie de pénalités et amendes. La SARL Natfat relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, de l'ensemble de ces impositions et amendes.
Sur l'étendue du litige :
2. A la suite de son placement en redressement judiciaire, la société requérante a obtenu, en application de l'article 1756 du code général des impôts, la remise totale des intérêts de retard et amendes fiscales prévues à l'article 1759 du code général des impôts mis à sa charge au titre de l'ensemble de la période vérifiée. Les conclusions de la requête de la SARL Natfat, sont, à hauteur de ces sommes, devenues sans objet.
Sur la régularité de la procédure suivie :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales : " I. - Sous peine de nullité de l'imposition, la vérification sur place des livres ou documents comptables ne peut s'étendre sur une durée supérieure à trois mois (...) / II. - Par dérogation au I, l'expiration du délai de trois mois n'est pas opposable à l'administration : (...) 4° En cas de graves irrégularités privant de valeur probante la comptabilité. Dans ce cas, la vérification sur place ne peut s'étendre sur une durée supérieure à six mois. (...) ".
4. Par courrier du 28 mars 2014, l'administration a prorogé le délai de la vérification de comptabilité de la SARL Natfat, sur le fondement du 4° du II de l'article L. 52 du livre précité, au motif que la société n'avait pas conservé sous format papier l'ensemble des pièces justificatives de recettes pour la totalité de la période vérifiée. Il résulte de l'instruction que la requérante n'a pas conservé les doubles des tickets Z journaliers sous format papier ce qui faisait obstacle à la vérification du détail des recettes journalières alors qu'il n'est pas contesté que le gérant de la société établissait manuellement les feuilles de recettes mensuelles à partir de ces tickets Z qu'il transmettait au comptable pour leur enregistrement en comptabilité. Si la requérante estime qu'elle n'avait pas l'obligation de fournir sa documentation comptable sous une forme papier dès lors qu'elle disposait d'une comptabilité informatisée, il est constant qu'elle n'a pas pu produire une comptabilité complète sur support informatique alors que le procès-verbal pour défaut de conservation des données informatiques dressé le 28 mars 2014 par le vérificateur mentionne que les fichiers comptables ne contenaient que les données élémentaires afférentes au 1er trimestre 2011 et 2012 et à la période allant du 2 au 31 juillet 2012. Pour ces motifs, l'administration a pu, à bon droit, regarder la comptabilité présentée par la SARL Natfat comme entachée de graves irrégularités la privant de son caractère probant et étendre à six mois le délai de la vérification en application du 4° du II de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales.
5. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été rappelé, l'administration ayant informé la société requérante des motifs de prorogation de la vérification de comptabilité le 28 mars 2014, cette dernière ne saurait utilement soutenir que l'administration a utilisé la prolongation de délai pour justifier du rejet de sa comptabilité.
6. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que la première intervention sur place a eu lieu le 9 janvier 2014 et la dernière le 23 juin 2014 soit dans le délai prorogé par l'effet du 4° du II de l'article L. 52 du livre précité. Si la requérante se prévaut de la circonstance que la proposition de rectification mentionne une date de fin de vérification au 24 septembre 2014, seule une réunion de synthèse a eu lieu à cette date et postérieurement au 23 juin 2014. Une telle réunion de synthèse, qui n'est prévue par aucune disposition législative ou réglementaire, ne se rattache pas aux opérations de vérification de comptabilité. En outre, contrairement à ce que fait valoir la société requérante, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose au vérificateur de donner au contribuable, avant l'envoi de la proposition de rectification, une information sur les redressements qu'il pourrait envisager. Enfin, il résulte de l'instruction que la date du 26 septembre 2014 figurant sur le fichier des écritures comptables correspond à celle du transfert des fichiers sur le CD ROM joint en annexe à la proposition de rectification et non à celle du traitement de ces fichiers. Par suite, la SARL Natfat n'est pas fondée à soutenir que l'administration a poursuivi sa vérification de comptabilité au-delà du délai de six mois.
7. En quatrième lieu, la SARL Natfat réitère en appel le moyen tiré de ce que la procédure d'imposition serait entachée d'irrégularité dès lors qu'elle a été effectivement privée de la garantie substantielle que constitue le recours hiérarchique prévu au paragraphe 5 du chapitre III de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié rendu opposable à l'administration en vertu du 3ème alinéa de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales. Les premiers juges ont suffisamment répondu à ce moyen aux points 8 et 9 de leur jugement par des motifs qu'il y a lieu pour la cour d'adopter.
Sur la charge de la preuve :
8. La comptabilité de la société n'ayant pas de valeur probante et les impositions en litige ayant été mis en recouvrement conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du 9 juillet 2015, la preuve du caractère exagéré des impositions incombe à la contribuable en application de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales.
Sur le bien-fondé des impositions litigieuses :
9. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, pour reconstituer le chiffre d'affaires de la société vérifiée, le vérificateur a appliqué la méthode " des vins " en dépouillant l'ensemble des factures d'achats de liquides au titre de la période vérifiée et en déterminant un coefficient fondé sur le montant total de la note (vins et solides) et celui des vins consommés calculé à partir de l'exploitation des fichiers journaux informatiques fournis par la requérante, puis en tenant compte des pertes, des offerts et de la consommation du personnel et du gérant. Cette méthode, dont l'application a d'ailleurs été validée par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires dans sa séance du 9 juillet 2015, n'est ni excessivement sommaire ni incohérente.
10. En l'absence de données fiables permettant de déterminer les conditions d'exploitation d'exercices vérifiés, il est loisible tant à l'administration fiscale dans le cadre des opérations de reconstitution de chiffre d'affaires qu'au contribuable pour critiquer la reconstitution ainsi opérée, de se référer aux données de l'activité d'exercices antérieurs ou postérieurs, pourvu que les conditions d'exploitation, établies par tout moyen, de ces exercices n'aient pas varié ou qu'elles puissent être ajustées pour tenir compte de leur évolution.
11. En l'espèce, s'agissant des exercices antérieurs à ceux vérifiés pour lesquels la société requérante évoque des chiffres d'affaires similaires à ceux qu'elle a déclarés, la SARL Natfat n'apporte pas de précisions sur les conditions d'exploitation de l'établissement par l'ancienne société lui ayant cédé le fonds de commerce. Si la requérante se réfère également aux chiffres d'affaires réalisés sur les exercices 2017 à 2019, citées par le rapport de l'administrateur judiciaire dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire ouverte le 11 mars 2020, ces exercices sont trop éloignés des exercices vérifiés pour que leurs chiffres d'affaires puissent être pris en compte alors qu'en outre, la SARL Natfat n'apporte pas davantage de précisions s'agissant des conditions d'exploitation de l'activité et que l'administrateur judiciaire s'est borné à analyser les résultats déclarés par la société requérante.
12. En deuxième lieu, si la requérante soutient que les sommes de 31 821 euros pour l'exercice 2011 et 29 679 euros pour l'exercice 2012 ne peuvent être réintégrées dans les résultats d'exercice faute d'être justifiées, il résulte de l'instruction que les sommes en cause correspondent à l'écart constaté par le vérificateur entre les chiffres d'affaires déclarés et ceux enregistrés par la société dans ses fichiers informatiques. Le vérificateur a, par suite, reconstitué le chiffre d'affaires en comptabilisant le chiffre d'affaires déclaré, auquel il a ajouté ce chiffre d'affaires non déclaré résultant des fichiers informatiques, et en ajoutant enfin le chiffre d'affaires reconstitué manquant qui n'avait été ni déclaré, ni comptabilisé dans les fichiers informatiques. Partant, la SARL Natfat n'est pas fondée à soutenir que ces sommes sont injustifiées.
13. En troisième lieu, la SARL Natfat soutient, pour reconstituer le chiffre d'affaires des liquides autres que les vins, que le vérificateur n'a pas tenu compte des doses réellement servies aux clients et a sous-évalué la consommation du personnel, les pertes et les offerts. Toutefois, les doses revendiquées par la société sont hors de proportion avec celles habituellement pratiquées par la profession alors qu'en outre l'administration a tenu compte des doses figurant sur la carte des boissons de l'établissement. S'agissant des pertes et des offerts, il résulte de l'instruction que le vérificateur a appliqué un pourcentage global de pertes et offerts correspondant aux pourcentages en fourchette haute observés dans la restauration traditionnelle soit 25% pour les bières pression et bière en fût, 30% pour le champagne, 25% pour le café et décaféiné, 50% pour le Get et la poire William, 80% pour la grappa et le limoncelo et 5% pour l'ensemble des autres boissons. Les pourcentages de pertes et offerts revendiqués par la SARL Natfat sont également hors de proportion avec ceux ressortant de l'exploitation de ses propres fichiers journaux informatiques. Le procès-verbal d'huissier établi le 20 mars 2015, postérieur à la période vérifiée, ne saurait à lui seul justifier de ses allégations.
14. En dernier lieu, ainsi que l'a relevé le tribunal, le moyen tiré de ce que les annulations importantes pratiquées sur la caisse enregistreuse sont justifiées est sans incidence sur le chiffre d'affaires reconstitué à partir d'une comptabilité matière.
Sur les pénalités :
15. La SARL Natfat réitère en appel et sans apporter aucun élément nouveau ni critiquer les motifs par lesquels le tribunal a écarté ce moyen, le moyen tiré de ce que les pénalités pour manquement délibéré qui lui ont été infligées sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts sont injustifiées. Il y a lieu pour la cour d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Natfat n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SARL Natfat réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la SARL Natfat à concurrence du montant des intérêts de retard et amendes visées à l'article 1759 du code général des impôts mis à sa charge au titre des années 2011 et 2012.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la SARL Natfat est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Natfat, à Me Meynet et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 12 mai 2022 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 juin 2022.
La rapporteure,
V. Rémy-Néris
Le président,
F. Bourrachot
La greffière,
C. Langlet
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N°20LY02138
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