Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le département de la Savoie à lui verser la somme de 86 023,22 euros au titre de ses préjudices.
Par deux jugements n° 1602301 des 18 avril 2019 et 30 décembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a déclaré le département de la Savoie responsable des préjudices subis par M. A... à hauteur des trois quarts de ces préjudices et condamné le département de la Savoie à verser à M. A... la somme de 42 181,20 euros et a mis les dépens d'un montant de 1 842,64 euros à la charge de ce département.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 5 mars 2021, le département de la Savoie, représenté par Me Phelip, demande à la cour :
1°) d'annuler les jugements n° 1602301 des 18 avril 2019 et 30 décembre 2020 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de rejeter la demande de M. A... ;
3°) de mettre à la charge de M. A... une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du même code.
Il soutient que :
* c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a retenu un défaut d'entretien de l'ouvrage public et n'a pas estimé que l'accident a pour seule cause la faute d'inattention de la victime ;
* les sommes allouées par les premiers juges devront être réduites à de plus justes proportions.
Par un mémoire, enregistré le 17 mai 2021, M. A..., représenté par Me Joly, conclut au rejet de la requête et à ce que le département de la Savoie soit condamné à lui verser une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le département de la Savoie sont infondés.
Un mémoire, enregistré le 9 juillet 2021, présenté pour le département de la Savoie n'a pas été communiqué en application du dernier alinéa de l'article R.611-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de la justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
* le rapport de M. Gayrard, président assesseur,
* les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,
* et les observations de Me Vieuille, substituant Me Phelip, représentant le département de la Savoie.
Considérant ce qui suit :
1. Le 11 avril 2011, vers 4 heures 50, M. A..., né le 18 août 1973, a été victime d'un accident de moto sur la RD 1201 sur le territoire de la commune de Tresserve dans le sens Chambéry - Aix-les-bains, son véhicule ayant heurté des blocs de béton formant une chicane au niveau d'une zone de travaux. Par ordonnance du 19 avril 2013, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a ordonné une expertise dont le rapport a été déposé le 11 juin suivant. Le 21 décembre 2015, M. A... a adressé une réclamation préalable au département de la Savoie qui l'a expressément rejetée le 24 mars 2016. Par requête enregistrée le 19 avril 2016, M. A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le département à lui verser une somme de 890 euros pour son préjudice matériel et une provision de 10 000 euros et d'ordonner une nouvelle expertise. Par jugement n° 1602301 du 18 avril 2019, le tribunal administratif de Grenoble a reconnu la responsabilité du département de la Savoie à hauteur des trois-quarts des conséquences dommageables résultant de l'accident, a rejeté les demandes de M. A... pour son préjudice matériel et à titre provisionnel et a ordonné une expertise dont le rapport a été déposé le 12 février 2020. Par jugement du 30 décembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a donné acte du désistement d'instance de la caisse primaire d'assurance maladie de la Savoie, a condamné le département de la Savoie à verser à M. A... la somme de 42 181,20 euros et a mis les frais des expertises de 2013 et 2020 à la charge du département. Par requête enregistrée le 5 mars 2021, le département de la Savoie demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de M. A....
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité :
2. Il appartient à l'usager d'un ouvrage public qui demande réparation d'un préjudice qu'il estime imputable à cet ouvrage de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice invoqué et l'ouvrage. Le maître de l'ouvrage ne peut être exonéré de l'obligation d'indemniser la victime qu'en rapportant, à son tour, la preuve soit de l'entretien normal de l'ouvrage, soit que le dommage est imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure.
3. Le département de la Savoie, maitre d'ouvrage de la RD 1201 et des travaux d'aménagement des rives du lac du Bourget alors en cours, conteste le défaut d'entretien normal de l'ouvrage public en cause retenu par les premiers juges en faisant valoir que la zone de travaux faisait l'objet d'une signalisation suffisante et que l'accident n'est dû qu'à l'inattention du conducteur, comme l'a indiqué le procès-verbal de gendarmerie dressé lors de l'accident. Il résulte toutefois de l'instruction que si un panneau de limitation de vitesse à 50 km/h a été apposé à quelques mètres de la zone de chantier délimitée à droite par des balises précédées d'un panneau " flèche directionnelle " et à gauche par des plots, une telle signalisation s'est avérée inappropriée pour avertir du danger que représentait la présence quelques mètres après une voie rectiligne la présence d'une chicane mise en place peu de temps auparavant, composée de blocs de béton non dotés de système réfléchissant, qui faisait brusquement dévier la voie provisoire vers la droite alors qu'il est constant que cet obstacle n'était pas éclairé nuitamment ou signalé par un dispositif spécifique. Si le département fait valoir que la victime connaissait les lieux pour emprunter quotidiennement cette route, il résulte de l'instruction, et notamment de deux témoignages non sérieusement contestés par la collectivité territoriale, que les travaux litigieux induisaient des changements fréquents du tracé de la route. Dans ces conditions, c'est par une exacte appréciation des circonstances de l'espèce que les premiers juges ont retenu la responsabilité du département de la Savoie à hauteur des trois-quarts des conséquences dommageables subies par la victime, compte-tenu de la faute d'imprudence partiellement exonératoire commise par cette dernière. Il s'ensuit que le département n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a retenu sa responsabilité à hauteur de 75 %.
En ce qui concerne les préjudices :
4. S'agissant des frais divers, il n'est pas contesté que M. A... a exposé des frais de déplacement pour se rendre à des consultations au centre hospitalier de Chambéry, ou y être hospitalisé, pour un montant global de 186,61 euros.
5. S'agissant des frais d'assistance par tierce personne, lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier.
6. Il résulte de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise, que M. A... a eu besoin d'une telle aide à hauteur d'une heure et demie par jour du 12 avril au 12 juillet 2011. Comme indiqué au point précédent, la circonstance que M. A... n'ait pas fait appel à un prestataire extérieur n'est pas de nature à remettre en cause son droit à réparation. En fixant ce chef de préjudice à la somme de 1 710 euros, en se fondant sur un coût horaire de 12,50 euros, le tribunal administratif de Grenoble a procédé à une estimation qui n'est pas excessive.
7. S'agissant de l'incidence professionnelle, le département de la Savoie fait valoir que l'expert n'avait pas retenu un tel chef de préjudice et que la gêne des séquelles de son accident dans l'accomplissement de son métier initial de polisseur au sein d'une entreprise d'horlogerie n'était pas établie. Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment du dernier rapport d'expertise, qu'après consolidation de son état de santé, M. A..., reconnu en qualité de travailleur handicapé, subit une dévalorisation sur le marché du travail, manifestée par l'aménagement de son dernier emploi de carrier et une augmentation de la pénibilité du travail. Dès lors, compte tenu de l'âge de la victime à la date de consolidation, le tribunal administratif de Grenoble a justement apprécié ce chef de préjudice en le fixant à la somme de 5 000 euros.
8. S'agissant du déficit fonctionnel temporaire, il résulte de l'instruction, et notamment du dernier rapport d'expertise, que M. A... a subi un déficit fonctionnel temporaire total pendant ses trois hospitalisations du 11 au 13 avril 2011, du 26 au 27 octobre 2012 et du 15 au 18 novembre 2013, soit 9 jours, un déficit fonctionnel temporaire de 50 % du 14 avril au 13 août 2011 puis du 19 novembre 2013 au 27 mars 2014, soit 251 jours, un déficit fonctionnel temporaire de 25 % du 14 août au 8 novembre 2011, du 28 octobre au 29 novembre 2012 et du 28 mars au 15 mai 2014, soit 169 jours et enfin un déficit fonctionnel temporaire de 10 % du 9 novembre 2011 au 18 mai 2012, du 30 novembre 2012 au 1er mars 2013 et du 16 mai au 30 septembre 2014, soit 422 jours. En accordant la somme de 5 345 euros, sur la base d'un taux journalier de 25 euros, le tribunal administratif de Grenoble a surestimé ce chef de préjudice, comme l'oppose le département. En prenant un taux de 16 euros par jour pour un déficit fonctionnel temporaire total, il en sera fait une juste évaluation en retenant le montant de 3 500 euros.
9. S'agissant du déficit fonctionnel permanent, celui-ci a été estimé par l'expert à un taux de 15 % tenant à la permanence d'une boiterie de la jambe gauche, des paresthésies secondaires et une répercussion psychologique de l'accident. Contrairement à ce que soutient le département, ce taux n'est pas incohérent avec celui concernant le déficit fonctionnel temporaire constaté avant consolidation. En revanche, comme l'oppose le département, en retenant la somme de 30 000 euros à ce titre, les premiers juges ont surestimé ce chef de préjudice qu'il convient de ramener au montant de 20 000 euros.
10. S'agissant des souffrances endurées, l'expert les a évaluées à 4 sur 7. Le tribunal administratif a fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en le fixant à la somme de 6 000 euros.
11. S'agissant du préjudice esthétique, le département de la Savoie est fondé à soutenir que les premiers juges ont accordé à tort la somme de 2 000 euros au titre du préjudice temporaire découlant du port d'un plâtre pendant trois mois, puis de l'utilisation de cannes pendant huit mois. Compte tenu du préjudice permanent tenant à une boiterie de la jambe gauche, une juste appréciation de ce chef de préjudice consiste en l'octroi d'une somme globale de 2 000 euros.
12. S'agissant du préjudice d'agrément, contrairement à ce que soutient le département, celui-ci est suffisamment établi par les indications de l'expert selon lesquelles le blocage de la cheville gauche compromet la poursuite des activités de moto, de rugby, de course à pied et de parachutisme par M. A..., lequel établit notamment la pratique régulière avant l'accident de cette dernière activité. En accordant la somme de 4 000 euros, le tribunal administratif a justement procédé à l'évaluation de ce chef de préjudice.
13. Il découle des points 3 à 11 que le préjudice de M. A... consécutif à l'accident subi le 11 avril 2011 s'établit au montant de 42 396,61 euros. Compte-tenu de la part de responsabilité de la collectivité territoriale, le département de la Savoie est condamné à verser à M. A... la somme de 31 797,46 euros. Il s'ensuit que l'article 2 du jugement du 30 décembre 2020 attaqué doit être annulé.
Sur les frais du litige :
14. Les frais d'expertise, taxés et liquidés aux sommes de 600 et 1 242,64 euros selon ordonnances du président du tribunal administratif de Grenoble des 24 juin 2013 et 4 mars 2020, sont laissés à la charge du département de la Savoie.
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 s'opposent à ce que le département de la Savoie, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse une quelconque somme à M. A..., au titre de frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du département de la Savoie présentées sur le même fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement n° 1602301 du 30 décembre 2020 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : Le département de la Savoie est condamné à verser à M. A... la somme de 31 797,46 euros.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés aux sommes de 600 et 1 242,64 euros sont laissés à la charge du département de la Savoie.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au département de la Savoie, à M. B... A..., à la caisse primaire du Puy-de-Dôme et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Savoie.
Délibéré après l'audience du 23 juin 2022, à laquelle siégeaient :
* M. Pourny, président de chambre,
* M. Gayrard, président assesseur,
* Mme Conesa-Terrade, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2022.
Le rapporteur,
J-P. GayrardLe président,
F. Pourny
La greffière,
F. Abdillah
La République mande et ordonne au préfet de la Savoie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 21LY00691 2