Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Le comité social et économique (CSE) de la société Place du Marché, M. J... D..., M. F... A..., M. I... C..., Mme O... G..., Mme E... H..., Mme R... V..., Mme U... T..., M. B... P... et Mme Q... S... ont demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 1er février 2023 par laquelle la directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) Auvergne-Rhône-Alpes a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société Place du Marché.
Par un jugement n° 2302236 du 16 juin 2023, le tribunal a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires enregistrés les 29 juin , 24 juillet et 11 août 2023, le CSE de la société Place du Marché, M. J... D..., M. F... A..., M. I... C..., Mme O... G..., Mme E... H..., Mme R... V..., Mme U... T..., M. B... P... et Mme Q... S..., représentés par Me Ouakrat, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cette décision du 1er février 2023 de la directrice de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités Auvergne-Rhône-Alpes ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à chacun des requérants en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la décision a été signée par une personne incompétente pour ce faire puisque la délégation de signature accordée au signataire de la décision, qui était insuffisamment précise, était devenue caduque du fait du décès de Mme N... le 28 décembre 2022 et qu'aucun texte ne permettait à la directrice régionale de déléguer au directeur régional délégué sa signature ;
- l'information qui a été donnée au CSE, qui était insuffisante, l'a été dans des conditions qui ne lui ont pas permis d'exercer ses missions ;
- la DREETS aurait dû vérifier, en cours de procédure, la pertinence des informations fournies et faire usage de son pouvoir d'injonction ;
- le budget alloué au plan de sauvegarde de l'emploi, de 2,1 millions d'euros, est insuffisant au regard des moyens dont aurait dû disposer l'entreprise si une cellule liquidative n'avait pas illégalement été mise en place par les liquidateurs de sorte que, par application de l'article L. 1233-58 du code du travail, l'autorité administrative n'aurait pas dû l'homologuer ;
- l'autorité administrative n'aurait pas dû homologuer le plan au regard de l'insuffisance des mesures mises en place au titre de la prévention des risques psycho-sociaux.
Par des mémoires enregistrés les 13 juillet, 1er août et 15 septembre 2023, ce dernier non communiqué, la Selarl MJ Synergie et la Selarl Marie Dubois, agissant en qualité de liquidateurs judiciaires de la société Place du Marché, représentées par Me Scarfogliero, concluent au rejet de la requête et demandent à la cour de mettre à la charge de chacun des requérants une somme de 250 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Par des mémoires enregistrés les 17 juillet et 9 août 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Par des mémoires enregistrés les 25 juillet et 1er septembre 2023, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la société Place du Marché, représentée par Me Barrié, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment le préambule ;
- le code de commerce ;
- le code du travail ;
- le décret n° 2013-1172 ;
- le décret n° 2020-1545 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente-assesseure ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Ouakrat pour les demandeurs, ainsi que celles de Me Marre pour la société Place du marché et celles de Me Scarfogliero pour la Selarl MJ Synergie et la Selarl Marie Dubois ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Place du marché, spécialisée dans la vente et la livraison de produits alimentaires et qui employait alors mille quatre cent vingt-deux salariés équivalent taux plein, après avoir été placée en procédure de sauvegarde le 3 novembre 2022, puis en redressement judiciaire le 29 novembre 2022, a été placée en liquidation judiciaire sans poursuite d'activité le 13 janvier 2023. La Selarl MJ Synergie et la Selarl Marie Dubois ont été désignées en qualité de liquidateurs. Par une décision du 1er février 2023, la directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) Auvergne-Rhône-Alpes a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société Place du Marché dont l'ensemble des salariés devait être licencié. Le comité social et économique (CSE) de la société Place du Marché et différents salariés de la société ont demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler cette décision d'homologation. Ils relèvent appel du jugement du 16 juin 2023 par lequel le tribunal a rejeté leur demande.
Sur le cadre juridique :
2. Aux termes de l'article L. 1233-61 du code du travail : " Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en œuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre. / (...°). ". Conformément aux dispositions de l'article L. 1233-24-4 du même code, à défaut d'accord collectif, un document élaboré par l'employeur après la dernière réunion du CSE fixe le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi et précise les éléments prévus aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2 de ce code, dans le cadre des dispositions légales et conventionnelles en vigueur. Aux termes de l'article L. 1233-57-3 du même code : " En l'absence d'accord collectif ou en cas d'accord ne portant pas sur l'ensemble des points mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir vérifié la conformité de son contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles relatives aux éléments mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, la régularité de la procédure d'information et de consultation du comité social et économique, le respect, le cas échéant, des obligations prévues aux articles L. 1233-57-9 à L. 1233-57-16, L. 1233-57-19 et L. 1233-57-20 et le respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 en fonction des critères suivants : 1° Les moyens dont disposent l'entreprise, l'unité économique et sociale et le groupe ; 2° Les mesures d'accompagnement prévues au regard de l'importance du projet de licenciement ; 3° Les efforts de formation et d'adaptation tels que mentionnés aux articles L. 1233-4 et L. 6321-1. Elle s'assure que l'employeur a prévu le recours au contrat de sécurisation professionnelle mentionné à l'article L. 1233-65 ou la mise en place du congé de reclassement mentionné à l'article L. 1233-71. "
3. En outre, s'agissant de la procédure d'information et de consultation mentionnée au point précédent, il résulte des dispositions de l'article L. 1233-28 du code du travail que l'employeur qui envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique d'au moins dix salariés dans une même période de trente jours doit réunir et consulter le CSE. A ce titre, le I de l'article L. 1233-30 du même code dispose, s'agissant des entreprises ou établissements qui emploient habituellement au moins cinquante salariés, que l'employeur réunit et consulte le CSE sur " 1° L'opération projetée et ses modalités d'application, conformément à l'article L. 2323-31 ; / 2° le nombre de suppressions d'emploi, les catégories professionnelles concernées, les critères d'ordre et le calendrier prévisionnel des licenciements, les mesures sociales d'accompagnement prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi et, le cas échéant, les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail." Aux termes de l'article L. 1233-31 du code du travail : " L'employeur adresse aux représentants du personnel, avec la convocation à la première réunion, tous renseignements utiles sur le projet de licenciement collectif. / Il indique : / 1° La ou les raisons économiques, financières ou techniques du projet de licenciement ; / 2° Le nombre de licenciements envisagé ; / 3° Les catégories professionnelles concernées et les critères proposés pour l'ordre des licenciements ; / 4° Le nombre de salariés, permanents ou non, employés dans l'établissement ; / 5° Le calendrier prévisionnel des licenciements ; / 6° Les mesures de nature économique envisagées ; / 7° Le cas échéant, les conséquences de la réorganisation en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail. "
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. / Ces mesures comprennent : / 1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ; / 2° Des actions d'information et de formation ; / 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. / L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ". En vertu de l'article L. 4121-2 du même code, l'employeur met en œuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement de principes généraux de prévention, au nombre desquels figurent, entre autres, l'évaluation des risques qui ne peuvent pas être évités, la planification de la prévention en y intégrant, notamment, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales, et la prise de mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle.
5. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions qu'il incombe à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'homologation d'un document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi, de vérifier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, le respect, par l'employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. A ce titre, il lui revient de contrôler tant la régularité de l'information et de la consultation des institutions représentatives du personnel que les mesures auxquelles l'employeur est tenu en application de l'article L. 4121-1 du code du travail au titre des modalités d'application de l'opération projetée, ce contrôle n'étant pas séparable du contrôle auquel elle est tenue en application des articles du même code cités au point 2. La juridiction administrative est seule compétente pour connaître de la contestation de la décision prise par l'autorité administrative, le juge judiciaire étant pour sa part compétent pour assurer le respect par l'employeur de son obligation de sécurité lorsque la situation à l'origine du litige est liée à la mise en œuvre du document ou de l'opération de réorganisation.
Sur la légalité de l'homologation :
En ce qui concerne la compétence :
6. Aux termes de l'article R. 1233-3-4 du code du travail : " L'autorité administrative mentionnée aux articles L. 1233-39, L. 1233-46, L. 1233-48 à L. 1233-50, L. 1233-53 et L. 1233-56 à L. 1233-57-8 est le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi dont relève l'établissement en cause. " L'article 1er du décret du 18 décembre 2013 visé ci-dessus portant délégation de signature, dans lequel la référence au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi doit être remplacée par le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités conformément au X de l'article 28 du décret du 9 décembre 2020 relatif à l'organisation et aux missions des directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités, des directions départementales de l'emploi, du travail et des solidarités et des directions départementales de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations, prévoit que : " Sans préjudice de l'application des dispositions de l'article R. 8122-2 du code du travail, dans les matières pour lesquelles un texte législatif ou réglementaire lui confie l'exercice d'une compétence propre, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi peut donner délégation de signature aux chefs de pôle ainsi qu'aux responsables d'unité territoriale et à leurs adjoints. "
7. Mme K..., directrice régionale de la DREETS Auvergne-Rhône-Alpes, a, par arrêté du 19 juillet 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial du même jour, accordé une délégation à M. L... M..., directeur régional délégué de la DREETS Auvergne-Rhône-Alpes, pour signer les décisions d'homologation des plans de sauvegarde de l'emploi en cas d'absence ou d'empêchement de Mme N..., directrice régionale adjointe de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités, responsable du pôle entreprises, emploi et solidarités. Les dispositions précitées du décret du 18 décembre 2013, qui sont applicables dès lors que la décision en litige n'entre pas dans le champ de l'exercice des compétences en matière d'action d'inspection de la législation du travail visées par l'article R. 8122-2 du code du travail, ne permettaient pas à la directrice régionale d'accorder une telle délégation à M. M... qui n'était ni chef de pôle ni responsable d'unité territoriale.
8. Toutefois, M. M... avait vocation, en l'absence de délégation et de dispositions législatives ou règlementaires organisant la suppléance de la directrice régionale, compte tenu de la place qu'il occupe dans la hiérarchie et du rôle qui lui est imparti en qualité de directeur régional adjoint chargé des fonctions de directeur délégué, à assurer d'office la suppléance de la directrice régionale dont rien ne permet de dire qu'elle n'aurait pas alors été absente ou empêchée. Il pouvait donc signer la décision en litige, alors même qu'il n'aurait pas reçu délégation de la directrice régionale. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de M. M... pour signer la décision litigieuse ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la procédure d'information et de consultation du CSE :
9. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'était joint à la convocation à la première réunion du CSE, qui s'est tenue le 19 janvier 2023 et au cours de laquelle il a été décidé de recourir à l'assistance d'un expert, un document, intitulé " document d'information économique " retraçant l'historique du groupe, ainsi que celui de la société, les causes des difficultés et les mesures de redressement prises, la procédure de sauvegarde et la conversion en redressement judiciaire, une analyse des comptes de la période d'observation, une estimation du passif, les perspectives de l'entreprise, les conditions dans lesquelles la décision de mise en liquidation judiciaire a été prise, une présentation des effectifs et du projet de licenciement pour motif économique ainsi qu'un chapitre consacré à la commission santé, sécurité, conditions de travail. Ce document contenait notamment une prévision de l'évolution de trésorerie entre le 1er décembre 2022 et le 23 février 2023, actualisée au 9 janvier 2023. Il comprenait, en ce qui concerne la prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, une analyse des risques psycho-sociaux liés aux ruptures des contrats de travail ainsi que le descriptif des mesures mises en œuvre pour accompagner les salariés. Était également joint un projet de plan de sauvegarde de l'emploi.
10. A la suite de la demande formulée par le CSE lors de cette première réunion, demande réitérée le 24 janvier 2023 par la saisine de la DREETS Auvergne-Rhône-Alpes afin que soit prononcée une injonction sur le fondement de l'article L. 1233-57-5 du code du travail pour que soient communiquées les données portant d'une part, sur l'état des lieux et les causes de la liquidation, d'autre part, sur les causes de l'échec de la reprise et sur l'attitude des actionnaires repreneurs et, enfin, sur le plan de sauvegarde de l'emploi, de nouvelles informations ont été fournies par courriers des 24 et 25 janvier 2023, juste avant la réunion du 25 janvier au cours de laquelle il était prévu que le CSE émette ses avis. Toutefois, afin de permettre à l'expert et aux membres du CSE de prendre connaissance de ces informations, une nouvelle réunion a été fixée le 30 janvier 2023, conformément à l'injonction adressée par la DREETS Auvergne-Rhône-Alpes le 27 janvier 2023.
11. Le délai dont l'expert et les membres du CSE ont disposé pour prendre connaissance de ces données, qui avaient déjà, pour la plupart, été antérieurement adressées aux membres du CSE était, bien qu'elles représentent un volume important, suffisant dans les circonstances de l'espèce. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les données communiquées ne correspondaient pas aux données consolidées les plus récentes en possession des liquidateurs sur la situation de la société. Si les requérants font grief aux liquidateurs de ne pas avoir donné de réponse à l'ensemble de leurs questions, il apparaît que les données qui leur ont été communiquées, qui portaient notamment sur le passif de la société, son chiffre d'affaires, ses charges, son compte de résultat, et une partie de son actif à fin novembre 2022 ont permis à l'expert d'établir un rapport, présenté le 25 janvier 2023, puis complété le 30 janvier 2023, comportant une analyse de la situation financière actuelle de la société et un examen des mesures prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi. Enfin, si les requérants soutiennent que les informations transmises en matière d'analyse des risques relatifs à la santé et à la sécurité étaient insuffisantes et que ces thématiques n'ont pas été assez abordées aux cours des différentes réunions, le document d'information économique adressé aux membres du CSE comportait des éléments relatifs à l'identification et à l'évaluation des conséquences de la réorganisation de l'entreprise sur la santé ou la sécurité des travailleurs ainsi que les actions projetées pour les prévenir et en protéger les travailleurs, de façon à assurer leur sécurité et protéger leur santé physique et mentale. Par suite, le CSE, qui a été informé et consulté, pouvait se prononcer en toute connaissance de cause sur l'opération projetée et ses modalités d'application ainsi que sur le projet de licenciement collectif et le plan de sauvegarde de l'emploi.
12. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2315-3 du code du travail : " Les membres de la délégation du personnel du comité social et économique sont tenus au secret professionnel pour toutes les questions relatives aux procédés de fabrication. / Les membres de la délégation du personnel du comité social et économique et les représentants syndicaux sont tenus à une obligation de discrétion à l'égard des informations revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l'employeur. "
13. Les requérants font valoir que l'information transmise aux membres du CSE était intégralement estampillée comme " confidentielle ", ce qui ne permettait pas aux élus de mettre en œuvre valablement leurs prérogatives consultatives. Toutefois, d'abord, en permettant aux membres du CSE de bénéficier de toutes les informations utiles à l'exercice de leur mandat et à leur participation à la gestion de l'entreprise, y compris de celles qui ont un caractère confidentiel et exigent, par suite, le respect d'une obligation de discrétion, le législateur a entendu assurer l'effectivité du droit de tout travailleur de participer à la gestion des entreprises, dont le huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 prévoit qu'il s'exerce par l'intermédiaire des délégués du travailleur. Ainsi, la circonstance qu'un document adressé aux membres du CSE est marqué comme confidentiel ne constitue pas, en soi, une méconnaissance des prérogatives de cette instance. Ensuite, en se bornant à faire valoir que cette mention aurait porté atteinte à leurs droits, sans indiquer celles des informations qui ne revêtaient pas, selon eux, un caractère confidentiel et alors qu'il n'apparaît pas qu'ils auraient demandé, en cours de procédure, à communiquer auprès des salariés ces informations ou certaines d'entre elles, les requérants ne mettent pas la cour à même d'apprécier le bien-fondé de leur moyen.
14. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 1233-57-5 du code du travail : " Toute demande tendant, avant transmission de la demande de validation ou d'homologation, à ce qu'il soit enjoint à l'employeur de fournir les éléments d'information relatifs à la procédure en cours ou de se conformer à une règle de procédure prévue par les textes législatifs, les conventions collectives ou un accord collectif est adressée à l'autorité administrative. Celle-ci se prononce dans un délai de cinq jours ".
15. Il ressort des pièces du dossier et ainsi qu'il a été indiqué au point 10, que les membres du CSE ont le 24 janvier 2023 adressé à la DREETS Auvergne-Rhône-Alpes une demande tendant à ce qu'il soit enjoint aux liquidateurs sur le fondement de l'article L. 1233-57-5 du code du travail de communiquer les données portant d'une part, sur l'état des lieux et les causes de la liquidation, d'autre part, sur les causes de l'échec de la reprise et sur l'attitude des actionnaires repreneurs et, enfin, sur le plan de sauvegarde de l'emploi. Après avoir reçu les observations des liquidateurs sur cette demande d'injonction faisant état de ce que les informations avaient été fournies les 24 et 25 janvier 2023, l'administration a seulement enjoint aux liquidateurs de repousser la date à laquelle le CSE devait se réunir pour émettre son avis afin que l'expert dispose d'un délai suffisant pour analyser ces documents. Si, après avoir reçu les observations des liquidateurs, l'administration a demandé au CSE d'indiquer les éléments d'information selon lui encore manquants, il ne ressort ni du courrier d'injonction de la DREETS, ni des termes de la décision d'homologation, que l'administration se serait abstenue de vérifier que les documents fournis étaient, d'après elle, suffisants pour assurer l'information du CSE. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'administration n'aurait pas pleinement fait usage de ses compétences lorsqu'elle a mis en oeuvre son pouvoir d'injonction.
En ce qui concerne le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi :
16. Aux termes du II de l'article L. 1233-58 du code du travail : " Par dérogation au 1° de l'article L. 1233-57-3, sans préjudice de la recherche, selon le cas, par l'administrateur, le liquidateur ou l'employeur, en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, des moyens du groupe auquel l'employeur appartient pour l'établissement du plan de sauvegarde de l'emploi, l'autorité administrative homologue le plan de sauvegarde de l'emploi après s'être assurée du respect par celui-ci des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 au regard des moyens dont dispose l'entreprise. " Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration est saisie d'une demande d'homologation d'un document élaboré en application de l'article L. 1233-24-4 du code du travail, il lui appartient, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de vérifier, dans le cas des entreprises en redressement ou en liquidation judiciaires, d'une part, que l'administrateur, le liquidateur ou l'employeur a recherché, pour l'établissement du plan de sauvegarde de l'emploi, les moyens dont disposent l'unité économique et sociale et le groupe auquel l'entreprise appartient et, d'autre part, que le plan de sauvegarde de l'emploi n'est pas insuffisant au regard des seuls moyens dont dispose l'entreprise.
17. D'une part, les liquidateurs, qui ont constaté que, compte tenu de l'arrêt total et définitif de l'activité de la société Place du Marché, aucun reclassement interne n'était possible, ont sollicité en vain par courrier du 16 janvier 2023 les sociétés du groupe Agihold sur le territoire français, à savoir Agihold France et Dauphiné Viandes, pour un reclassement des salariés de la société Place du marché. Ils ont également recherché les possibilités de reclassement externe en saisissant notamment la commission paritaire nationale de l'emploi ainsi que dix sociétés œuvrant dans le même secteur d'activité que la société Place du Marché et en répondant aux sollicitations de dix sociétés ou organismes intéressés.
18. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, en particulier du document d'information économique remis aux membres du CSE, que le passif déclaré auprès des liquidateurs était de l'ordre de 106 millions d'euros, ce montant ayant été réévalué, au 4 mai 2023, à 138 122 454,03 euros, tandis que, selon les données compilées dans son rapport par l'expert nommé à la demande des membres du CSE, la société, qui ne disposait d'aucuns actifs immobiliers, avait en décembre 2022 une trésorerie de 19,6 millions d'euros, un stock de véhicules d'une valeur de 2,6 millions d'euros à l'argus et un stock sur les plateformes de l'ordre de 5 millions d'euros. Les liquidateurs ont sollicité en vain, par courriers des 16 et 17 janvier 2023, l'abondement financier des mesures du plan de sauvegarde par les actionnaires directs du groupe, ainsi que par les sociétés Agihold Europe, Agihold SA, Agihold France et Dauphiné Viandes. Alors que l'entreprise disposait ainsi de moyens limités, le document unilatéral homologué par l'administration prévoit un budget de 2,1 millions d'euros alloué au plan de sauvegarde de l'emploi, soit une moyenne de 1 500 euros par salarié. Il est ainsi prévu des aides à la formation des salariés de 1 500 euros par salarié pour les formations d'adaptation et 2 500 euros par salarié pour les formations de reconversion, avec possibilité de majoration de 200 euros pour les salariés âgés de plus de cinquante ans ou bénéficiant de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, une aide à la création d'entreprise de 1 500 euros maximum avec majoration possible de 200 euros pour les salariés âgés de plus de cinquante ans ou ayant la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, la prise en charge des frais annexes à la mobilité géographique dans la limite de 1 500 euros par salarié, dont les frais engagés par les salariés pour l'acquisition du permis de conduire B dans la limite de 500 euros par salarié, les frais de reconnaissance de poste dans la limite de 400 euros et les frais de déménagement dans la limite de 1 000 euros et sous conditions, des frais annexes à la formation à hauteur maximum de 500 euros par salarié, des frais annexes liés à la création d'entreprise à hauteur de 500 euros par salarié. Les liquidateurs solliciteront l'intervention en garantie de l'association nationale de garantie des salaires (AGS) pour la prise en charge des frais annexes. Ils ont également obtenu la mise en place avec l'État d'un dispositif spécifique, la prestation grands licenciements (PGL). Enfin, une commission de suivi du plan de sauvegarde est mise en place.
19. Au regard des moyens de l'entreprise rappelés ci-dessus, quelle que soit la légalité de la mise en œuvre d'une cellule liquidative à la demande des liquidateurs dont le coût a été évalué à 1,6 millions d'euros, les mesures ainsi mises en œuvre pouvaient être légalement regardées par l'administration comme étant, prises dans leur ensemble, suffisantes et propres à satisfaire aux objectifs mentionnés par les articles précités du code du travail.
En ce qui concerne les mesures arrêtées en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs :
20. Il ressort des pièces du dossier que les liquidateurs judiciaires, qui ont alerté la médecine du travail par un courriel du 3 janvier 2023 et qui ont demandé aux managers de faire remonter les situations de risques psycho-sociaux éventuels par un courriel du 4 janvier 2023, avaient identifié des risques pour la sécurité et la santé physique et mentale des travailleurs du fait du licenciement de l'ensemble des salariés, risques dont ils ont fait part dans le document d'information soumis au CSE. Ils indiquaient, dans ce document, que la plateforme d'écoute et de soutien psychologique, qui permet notamment de joindre ponctuellement un psychologue 24 heures sur 24 et sept jours sur sept par un appel gratuit et en garantissant l'anonymat ou de prendre rendez-vous via un site internet avec un psychologue serait poursuivie et qu'une personne avait été nommée au sein du service social des liquidateurs afin de pouvoir répondre à toute question relative à la procédure en cours et qu'un mail dédié aux salariés a été créé pour leur permettre de poser leurs questions. Au cours de la procédure de consultation du CSE, l'expert nommé à la demande du CSE a préconisé que des mesures plus importantes soient mises en œuvre. Lors de l'examen de la demande d'homologation, l'administration, qui a procédé au contrôle des mesures auxquelles l'employeur est tenu en application de l'article L. 4121-1 du code du travail, a indiqué que pour l'ensemble des salariés licenciés une demande de prestation de grand licenciement (PGL) avait été faite. Il ressort des pièces du dossier que cette prestation permet l'accompagnement par un seul et même opérateur pour l'ensemble des salariés licenciés d'une entreprise répartis en plusieurs points du territoire et combine deux dispositifs, la cellule d'appui à la sécurisation professionnelle (CASP) et l'accompagnement proposé par le contrat de sécurisation professionnelle (CSP). Un rendez-vous avec un psychologue est prévu ainsi qu'un à deux entretiens individuels sur la base du volontariat et destinés à informer, rassurer et conseiller. Dans ces conditions, l'administration a pu estimer que les mesures ainsi prises par les liquidateurs étaient de nature à assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs au sens des dispositions de l'article L. 4121-1 du code du travail.
21. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté leur demande. Leur requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, en ce compris celles tendant à ce que l'État leur verse une somme au titre des frais liés au litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du comité social et économique de la société Place du Marché et autres est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. J... D..., désigné en qualité de représentant unique des requérants, au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, à la société Place du Marché, à la Selarl MJ Synergie et à la Selarl Marie Dubois.
Copie en sera adressée à la directrice de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) Auvergne-Rhône-Alpes.
Délibéré après l'audience du 21 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente-assesseure ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2023.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
V.-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY02181
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