Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 18 août 2022 par lequel le préfet de l'Yonne lui a assigné l'obligation de quitter sans délai le territoire français, a désigné le pays à destination duquel il pourra être renvoyé d'office et a prescrit à son encontre une interdiction de retour pour une durée de dix-huit mois.
Par jugement n° 2202204 du 27 octobre 2022, le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté, par un article 2, sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 25 novembre 2022, M. C..., représenté par Me Lombardi, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 27 octobre 2022 ainsi que les décisions susvisées ;
2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté en litige est insuffisamment motivé et est entaché d'une erreur de fait ;
- il méconnaît son droit à être entendu ;
- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 septembre 2023, le préfet de l'Yonne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 28 décembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne C-383/13 du 10 septembre 2013, C-166/13 du 5 novembre 2014 et C-249/13 du 11 décembre 2014 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Rémy-Néris, première conseillère ;
- et les observations de Me d'Ovidio pour le préfet de l'Yonne ;
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., né le 19 septembre 1986, de nationalité albanaise, est entré irrégulièrement en France en novembre 2018. Sa demande d'asile a été définitivement rejetée par décision de la Cour nationale du droit d'asile du 6 octobre 2020. Il a fait l'objet, le 23 juillet 2019, d'un arrêté du préfet de la Nièvre lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et prescrivant son éloignement dont la légalité a été confirmée par jugement du tribunal administratif de Dijon du 27 septembre 2019. Par un arrêté du 18 août 2022, le préfet de l'Yonne l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a désigné le pays à destination duquel il pourra être renvoyé d'office et a prescrit à son encontre une interdiction de retour pour une durée de dix-huit mois. M. C... relève appel du jugement par lequel le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, contrairement à ce que soutient M. C..., l'arrêté en litige vise l'article L. 611-1 4°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, fondement de la décision portant obligation de quitter le territoire français, les articles L. 612-2 1°) et 3°) et L. 612-3 5°) et 8°) du même code s'agissant de la décision lui refusant tout délai de départ volontaire, les articles L. 612-12 et L. 721-3 du code précité s'agissant de la décision fixant le pays de renvoi et les articles L. 612-6 et 10 dudit code s'agissant de l'édiction de l'interdiction de retour sur le territoire français. Le préfet de l'Yonne a fait état pour chacune des décisions édictées des motifs de fait justifiant leur édiction en mentionnant les éléments afférents à la situation particulière de M. C... tant sur le plan administratif et familial que ses conditions d'entrée et de séjour en France. Si le requérant soutient que seule une procédure pénale a été engagée à son encontre s'agissant de faits de violence commis sur un de ses enfants mineurs, il ressort des pièces du dossier que M. C... a également été placé en garde à vue le 18 août 2022 pour des faits de viol et violence sur son épouse. Par suite, les moyens tirés de ce que l'arrêté en litige est insuffisamment motivé car utilisant des formules stéréotypées et entaché d'erreur de fait pour avoir mentionné l'enquête ouverte s'agissant des faits concernant son épouse doivent être écartés.
3. En deuxième lieu, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé, notamment par son arrêt C-383/13 M. A..., N. R./Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie du 10 septembre 2013 visé ci-dessus, les auteurs de la directive du 16 décembre 2008, s'ils ont encadré de manière détaillée les garanties accordées aux ressortissants des Etats tiers concernés par les décisions d'éloignement ou de rétention, n'ont pas précisé si et dans quelles conditions devait être assuré le respect du droit de ces ressortissants d'être entendus, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union européenne. Si l'obligation de respecter les droits de la défense pèse en principe sur les administrations des Etats membres lorsqu'elles prennent des mesures entrant dans le champ d'application du droit de l'Union, il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles doit être assuré, pour les ressortissants des Etats tiers en situation irrégulière, le respect du droit d'être entendu. Ce droit, qui se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts, ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.
4. Dans le cadre ainsi posé, et s'agissant plus particulièrement des décisions relatives au séjour des étrangers, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, dans ses arrêts C-166/13 Sophie Mukarubega du 5 novembre 2014 et C-249/13 Khaled Boudjlida du 11 décembre 2014 visés ci-dessus, que le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Ce droit n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.
5. Enfin, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt du 10 septembre 2013 cité au point 3, que toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure administrative concernant un ressortissant d'un pays tiers en vue de son éloignement ne saurait constituer une violation de ces droits et, en conséquence, que tout manquement, notamment, au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.
6. Il ressort des pièces du dossier, notamment du formulaire de renseignement administratif daté du 18 août 2022, que M. C..., contrairement à ce qu'il soutient, a été informé de ce qu'il était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement et a été mis à même de présenter des observations sur ce point. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de son droit d'être entendu doit être écarté.
7. En troisième lieu, si M. C... soutient être entré en France en novembre 2018 et qu'y demeurent son épouse et leurs deux enfants, il ressort des pièces du dossier que la durée de présence en France de M. C..., entré sur le territoire à l'âge de 32 ans, résulte de l'examen de sa demande d'asile et de l'absence d'exécution d'une mesure d'éloignement notifiée le 23 juillet 2019. Il est constant que M. C... n'a aucune attache privée ou familiale sur le territoire national, alors qu'il conserve dans son pays d'origine de telles attaches, notamment ses parents. Il ne ressort pas des pièces du dossier que son épouse résiderait régulièrement sur le territoire. Il ne justifie d'aucune intégration sociale ni professionnelle. Il est connu des services de police pour des faits de viol et violence commis sur son épouse pour lesquels il a été placé en garde à vue le 18 août 2022. Il est également connu de ces services pour des faits de violences commises sur son fils mineur pour lesquels il a été convoqué devant le tribunal judiciaire d'Auxerre le 28 octobre 2022 pour une mesure de composition pénale. Dans ces conditions, compte tenu des conditions d'entrée et de séjour en France de M. C... telles que rappelées, ce dernier n'est pas fondé à soutenir que la décision en litige a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Il en est de même, et pour les mêmes motifs, du moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation.
8. En quatrième lieu, M. C... soutient qu'il craint pour sa vie en cas de retour en Albanie en raison de violences commises par le frère de son épouse. Toutefois, l'intéressé n'apporte aucun élément de nature à démontrer qu'il serait personnellement exposé à des risques pour sa vie en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance par l'arrêté en litige des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
9. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 7, l'interdiction de retour prononcée ne porte pas au droit de M. C... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels le préfet de l'Yonne a pris cette décision.
10. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 du jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande. Les conclusions qu'il présente aux mêmes fins en appel doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de l'Yonne.
Délibéré après l'audience du 5 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 octobre 2023.
La rapporteure,
V. Rémy-NérisLe président,
F. Bourrachot
La greffière,
A-C. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY03483
lc